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1.  INTRODUCTION

Comme l'ont dit Gordon d'abord (1954) puis d'autres auteurs (Scott, 1955; Christy et Scott, 1965), une des caractéristiques des pêcheries de capture d'accès libre est que, à long terme, l'effort de pêche s'intensifie jusqu'à ce que, au moment où le total des coùts est égal au total des revenus, un équilibre soit atteint. Cet état de fait implique que l'unité de pêche “moyenne” couvre tout juste ses coûts et que la totalité de la rente procurée par la ressource se volatilise. Cela revient à dire que les profits de l'industrie sont nuls1. On dit d'une telle pêcherie qu'elle est surcapitalisée, en ce sens qu'une réduction de l'effort effectif, et partant des coûts, produirait une rente de ressource positive qui pourrait être utilisée au bénéfice de l'ensemble de l'économie.

La surexploitation d'un grand nombre de pêcheries tropicales de capture est une question qui a été étudiée récemment par Smith (1979), Troadec (1981) et Panayotou (1983), tous ces auteurs ayant préconisé le contrôle des conditions d'accès et de jouissance comme remède possible à la surpêche. Par exemple, si la relation entre le stock sousjacent et le recrutement est du type décrit par Schaefer (1954), il est possible d'obtenir, avec un effort et des coûts moindres, un rendement identique à celui qui peut être obtenu de facon soutenue en régime d'équilibre et de libre accès (fig. 1). En réduisant l'effort, on accroît la rentabilité économique de la pêcherie parce que la rente de ressource augmente Dans une certaine mesure, qui dépend de la forme exacte des courbes du rendement et du revenu total, des réductions de l'effort pourraient aussi produire en fait des accroissements du rendement et des revenus totaux.

On notera que la notion de “patrimoine commun” n'a pas été utilisée ici pour caractériser les pêcheries de capture. L'assertion de Hardin (1968) selon laquelle le caractère de propriété commune d'un grand nombre de ressources renouvelables entraîne la surexploitation, comme celle qui est prévue pour la pêcherie décrite ci-dessus, a suscité d'innombrables contreverses. Ciriacy-Wantrup et Bishop (1975) ont contesté cette argumentation et ont soutenu que les institutions données sur la notion de “patrimoine commun”, loin de faire “problème”, offraient la possibilité de gérer efficacement des ressources renouvelables telles que les pêcheries. Bien que formulée quelque peu différemment, il semble que l'on retrouve la même idée dans nombre d'ouvrages parus récemment, qui proposent une redécouverte des systèmes traditionnels d'aménagement des pêches (Johannes, 1981; Alexander, n.d.). Les systèmes traditionnels de régulation s'étant effondrés dans beaucoup de pêcheries dès que les engins sont devenus plus mobiles et plus efficaces, d'aucuns ont suggéré que l'aménagement, le contrôle et la régulation de la pêche par la collectivité étaient peut-être la meilleure facon d'accroître les bénéfices sociaux à tirer de la pêche (Bailey, 1982; Christy, 1983; Panayotou, 1983).

La solution proposée par Gordon (1954) et Scott (1955) à la surcapitalisation consiste à autoriser ou déléguer la propriété de la pêcherie à un seul et même titutaire. Un propriétaire unique s'efforcera d'équilibrer le coût marginal de chaque unité d'effort supplémentaire avec le revenu marginal que cette unité produira. Ce faisant, il exercera le niveau d'effort nécessaire pour produire le rendement économique maximum (MEY de la fig. 1). Dans la plupart des pays, on a pensé qu'il était politiquement ou administrativement impossible d'adopter des approches fondées sur l'exclusivité. Par la suite, dans une grande partie du monde, des tentatives ont été faites pour réduire l'effort effectif; ces tentatives ont été axées sur différents mécanismes, comme le contingentement, les saisons de fermeture, la réglementation des engins, la taxation ou l'octroi de permis, systèmes qui cherchent à régler l'activité des pêcheurs en tant que groupe (Scott, 1979; Crutfield, 1979; Stokes, 1979). Malgré des années d'application et de mise au point dans des pêcheries monospécifiques des régions tempérées, ces différents modes de rationalisation n'ont donné que de maigres résultats (Pearse, 1979).

La mise en application de ces réglementations a toujours posé des problèmes et, dans bien des cas, les pêcheurs ont été suffisamment ingénieux pour trouver des moyens efficaces (légaux) de circonvenir ces mécanismes destinés à contrôler l'effort. Dans les pêcheries plurispécifiques tropicales, utilisant de multiples engins, les expériences de rationalisation économique sont encore plus restreintes. Le fait que la plupart des pêcheries tropicales sont de type artisanal et mobile et que les points de débarquement sont très dispersés rend aussi l'application extrêmement difficile et onéreuse.

1 Par profit on entend la marge de gain excédant le total des coûts, y compris les coûts fictifs et le coût d'opportunité social

Fig. 1

Figure 1  Modèle statique simple d'une pêcherie d'accès libre

Christy (1983) a suggéré que l'on fasse des recherches et que l'on réunisse une documentation sur divers cas de droits d'usage territoriaux en matière de pêches (DUTF). Selon lui, les droits d'usage territoriaux offrent deux avantages potentiels, particulièrement importants dans des contextes caractérisés par la surcapitalisation et par la pauvreté des collectivités de pêche. Tout d'abord, ils offrent la possibilité d'assigner des droits d'usage exclusif, c'est-à-dire de capter les rentes de ressource que, avec le régime de liberté d'accès, sont perdues. Deuxièmement, le contrôle collectif exercé sur ces droits d'usage et sur la rente produite peut être un moyen d'améliorer le bien-être des collectivités de pêcheurs. Friedman (1981) fait valoir des arguments semblables en faveur d'une approche territoriale au développement rural.

Il y a dans l'attribution de droits d'usage territoriaux, un élément proprement politique, surtout si le territoire en question s'étend à l'échelle de la collectivité locale. C'est pourquoi beaucoup considèrent que la décentralisation du pouvoir sur l'utilisation des ressources est politiquement irréalisable dans des environnements caractérisés par un pouvoir et un contrôle centralisés, comme c'est le cas dans de nombreux pays en développement. Il y a toutefois un enseignement à tirer des précédents que l'on peut trouver dans beaucoup de pays concernant l'exercice d'un pouvoir territorial local. Le mieux connu de ces systèmes est sans aucun doute celui des droits de pêche côtière existant au Japon, où les collectivités de pêcheurs ont une autorité absolue sur l'exploitation des ressources et sont donc aptes à résoudre les conflits qui peuvent surgir entre usagers (Hirasawa, 1980; Asada, Hirasawa et Nagasaki, 1983).

Il existe un précédent analogue aux Philippines, où les municipalités côtières sont légalement habilitées à réglementer l'activité halieutique dans les limites de leurs eaux territoriales jusqu'à 3 milles nautiques du rivage (De Sagun et Bautista, 1979; Santos, 1980). Tous les navires jaugeant au maximum trois tonnes brutes peuvent recevoir un permis de pêche des municipalités, qui ont aussi autorité pour limiter le chalutage dans les eaux communales. Comme il est possible de se procurer des permis municipaux contre une redevance purement théorique (qui souvent n'est même pas percue), cette pratique n'a aucune efficacité quand il s'agit de limiter l'accès aux eaux municipales.

Toutefois, certains types de pêcheries municipales - bordigues (retenues fixes), parcs à huîtres, collecte des alevins de chanidés - sont octroyées à titre de concessions et constituent des exemples extrêmement intéressants de droits d'usage territoriaux. Le présent document porte plus spécialement sur le dernier de ces cas (concession pour la collecte du frai de chanidés) et se propose de voir si les deux objectifs fixés par Christy sont atteints: captage de la rente de ressources et amélioration du bien-être des collectivités de pêcheurs.

En examinant ces concessions municipales, nous verrons en particulier dans quelle mesure leur rentabilité économique peut être améliorée. Nous étudierons aussi quelques questions connexees concernant le respect et le transfert des droits d'usage sur les ressources, le rôle que pourraient jouer des coopératives de ramasseurs d'alevins et les bénéfices éventuels de ces organisations.


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