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3.  MODELE THEORIQUE DU SYSTEME DE CONCESSION

Le système comprend quelques éléments clés qui sont importants pour notre exposé théorique, à savoir: (1) la distinction entre le propriétaire de la ressource (municipalité) et l'utilisateur de la ressource (le concessionnaire); (2) le rôle des coûts d'information dans la procédure de soumission; (3) le rôle de l'élasticité de l'offre dans la relation qui existe entre le prix de vente du concessionnaire et son prix d'achat (aux collecteurs); et (4) la part des coûts de surveillance prévisibles dans les montants que les concessionnaires sont disposés à offrir et leur effet, par voie de conséquence, sur la rente que la municipalité peut tirer de la ressource.

Chong, Smith et Lizarondo (1982) ont été les premiers à décrire un modèle théorique du système de concession des alevins de chanidés. Ils ont étudié le système à partir de deux hypothèses différentes concernant la forme de la courbe du rendement équilibré (ou revenu total). Une des possibilités envisagées était une courbe dont la forme correspond au modèle économique statique habituel de la pêche, comme celle qui est représentée sur la figure 1. Une forme de ce genre implique que la surpêche biologique des alevins de chanidés est théoriquement possible. Etant donné cependant que cette pêcherie repose sur la capture d'alevins n'ayant pas encore subi la métamorphose et que ces alevins, abandonnés à leur sort, auraient une mortalité naturelle de plus de 99,99 pour cent1, il n'est absolument pas certain qu'il se produirait une surexploitation biologique, quelle que soit l'intensité de l'effort de collecte des alevins. Il est beaucoup plus probable que les coûts de la collecte seront tels que l'équilibre en régime de liberté d'accès sera atteint avant que ne soit réalisé le rendement équilibré maximum. Nous allons donc, aux fins de l'analyse qui va suivre, utiliser un modèle semblable à celui que montre la figure 2, dans lequel la surpêche biologique n'est pas possible dans la fourchette de coûts qui peut s'appliquer à la collecte.

1 Ce pourcentage semble raisonnable en ce qui concerne les chanidés, qui ont un taux de fécondité élevé, si l'on en juge d'après les estimations faites pour d'autres espèces par Hempel (1963) et Dahlberg (1972)

Dans la figure 2, l'équilibre en régime d'accès libre, sans redevance de concession, est atteint avec un effort de collecte du niveau E1. A ce niveau d'effort, le collecteur moyen couvre uniquement ses coûts d'opportunité (definis comme coût d'opportunité social plutôt que privé) et la pêcherie ne fournit aucune rente de ressource. La pêcherie d'alevins ne permet des accroissements de la rente de ressource que si l'effort efficace et les coûts connexes diminuent. Un propriétaire unique de la ressource ayant le contrôle total de la collecte limiterait l'effort au niveau E2, qui produit la rente maximum possible, Max (RT-CT).

Le fait que l'attribution des droits de monopsone du concessionnaire se fasse par appel d'offres devrait aussi, en théorie, produire cette rente de ressource maximum, mais uniquement si les informations à réunir au sujet de la capture prévisible, des coûts et profits, y compris des coûts de surveillance sont complètes et justes.3 Dans la figure 2, qui correspond à cette “connaissance parfaite” de la pêcherie, les concessionnaires tiendront compte de ces prévisions dans leur offre et en moyenne, avec le temps, les soumissionnaires heureux seront disposés à offrir la redevance (L) qui équivaut à la rente de ressource maximum. La redevance (L) étant un coût fixe, la nouvelle courbe des coûts totaux (CT + L) s'établit parallèlement à la première courbe des coûts (CT) mais relevée, sur tout son parcours, du montant des royalties. Dans ce cas, le propriétaire de la ressource (la municipalité) tire de la ressource la rente complète et l'utilisateur de la ressource (le concessionnaire) couvre ses coûts d'opportunité et tire en plus, éventuellement, des rentes de capacité ou d'efficacité. Le concessionnaire ne tire aucune rente de ressource. En outre, comme les soumissionnaires ont une connaissance parfaite de la ressource et que le marché est extrêmement compétitif, le concessionnaire n'aura pas la possibilité de ganger un profit de monopsone.

Si, comme il est plausible, la procédure de soumission se fait avec des informations moins que parfaites, la municipalité ne tirera plus exactement la totalité de la rente de ressource. Si l'un des soumissionnaires escompte (et que son expectative se révèle juste) que les captures et les gains seront supérieurs à ce que les autres soumissionnaires et la municipalité estiment possible, on peut présumer qu'il avancera une offre suffisamment élevée pour emporter le marché, sans toutefois aller jusqu'à la redevance hypothétique L de la figure 2. En revanche, s'il sous-estime les coûts de surveillance, il peut avoir surévalué ses droits de monopsone et faire une offre excessive, auquel cas la municipalité tirera plus que la totalité de la rente de ressource tandis que le concessionnaire ne gagnera pas suffisamment pour couvrir ses coûts d'opportunité. Les coûts de surveillance sont particulièrement importants car la contrebande d'alevins par les collecteurs qui les écoulent, à des acheteurs autres que le concessionnaire, est un problème perpétuel pour le concessionnaire.

La contrebande est due au fait que les collecteurs d'alevins cherchent à gagner pour eux-mêmes une partie de la rente de ressource. Dans le cadre du système de concession avec attribution de droits de monopsone à une seule personne (souvent financée par de grands exploitants d'étangs de pisciculture de la région de Manille), les collecteurs peuvent espérer gagner, en moyenne, suffisamment pour couvrir leur coût d'opportunité social mais pas plus. Cela serait, bien entendu, également le cas en équilibre d'accès libre, mais le coût moyen de la capture serait alors supérieur. Comme nous l'avons dit plus haut, le concessionnaire ne contrôle pas directement l'effort de collecte. Le seul moyen de réduire l'effort (et les coûts moyens) est d'abaisser le prix payé aux collecteurs d'alevins. On peut supposer qu'il existe une certaine élasticité-prix de l'offre, que la baisse de tarif incitera les collecteurs à chercher ailleurs une occupation plus rémunératrice, que donc le nombre total des collecteurs employés diminuera. Le groupe de ceux qui abandonneront sera composé de tous ceux dont les coûts moyens de collecte dépassent le nouveau tarif accordé; ceux qui ont des coûts moyens moins élevés continueront de ramasser les alevins. Pour ceux qui restent, la tentation sera grande de vendre leurs alevins à un prix supérieur à des acheteurs autres que le concessionnaire autorisé.

3 Les coûts des concessionnaires peuvent se diviser en coûts directs (équipement, etc.), coût du permis de concession, coûts d'information et coûts de surveillance

Fig. 2

Figure 2  Relation hypotheétique entre l'effort de collecte (E), le revenu total (RT) et le coût total (CT), avec et sans royalties

La contrebande d'alevins est plus qu'une hypothèse théorique; en fait, elle règne dans presque tout le pays, en particulier dans le Mindanao où l'application des droits de monopsone du concessionnaire s'avère difficile et coûteuse par manque de paix et d'ordre (Smith, 1981). Dans le cas extrême où la contrebande est totalement incontrôlable, la pêcherie d'alevins reviendra à l'équilibre en régime d'accès libre et la municipalité ne tirera aucune rente de la ressource parce qu'aucun concessionnaire ne sera prêt à faire une offre pour obtenir des droits de monopsone sur le fond en question. Sur la plupart des fonds d'alevinage, la réalité se situe à mi-chemin entre l'absence de contrebande et la contrebande totale. Les concessionnaires s'attendent bien à avoir certains frais de surveillance (gardes armés par exemple) mais sont rarement disposés à exposer les frais élevés que représenterait l'élimination totale de la contrebande. C'est pourquoi, dans la plupart des cas, les municipalités gagneront un peu moins que la rente de ressource maximum possible.

Un dernier point qui se prête à une étude théorique concerne la relation entre le prix d'achat (Pb) et le prix de vente (Pm) du concessionnaire. Dans la description habituelle du comportement de monopsone, la pratique consite à examiner les courbes de l'offre et les prix pour un unique facteur de production, par exemple la main-d'oeuvre. Henderson et Quandt (1971, pp. 239–242) examinent le cas d'un exploitant monopsone qui utilise un seul intrant pour produire une denrée qu'il vend ensuite sur un marché parfaitement compétitif. Le concessionnaire d'alevins de chanidés correspond à ce modèle car il achète des alevins, qui sont son principal intrant, et les vend sur le marché libre, en concurrence avec d'autres concessionnaires. Si l'on suppose que la courbe de l'offre de l'intrant (alevins) suit une pente positive (c'est-à-dire n'est pas parfaitement inélastique), le prix que le concessionnaire devra payer est fonction croissante de la quantité qu'il achète. Inversement, il peut diminuer ses achats en abaissant le prix payé (ou le taux de rémunération, si la main-d'oeuvre est le seul intrant).

On peut supposer que le prix de vente est déterminé de facon concurrentielle par les divers concessionaires qui contrôlent la ressource. Le facteur déterminant dans la relation qui s'établit entre le prix de vente et le prix d'achat du concessionnaire est l'élasticitéprix de l'offre. Plus l'élasticité est grande, plus le prix d'achat se rapprochera du prix de vente; plus l'élasticité est faible, plus les deux prix s'écarteront4. Le concessionnaire monopsone maximisera ses profits en achetant une plus faible quantité d'alevins, à un prix plus bas que celui qui prévaudrait si la situation était parfaitement concurrentielle. La limite jusqu'à laquelle le concessionnaire peut faire descendre le prix des alevins est conditionnée par l'élasticité-prix de l'offre laquelle, à son tour, traduit le coût d'opportunité social des collecteurs d'alevins. Si ce coût d'opportunité est voisin de zéro, le conessionnaire pourra payer un prix beaucoup plus bas que ce ne serait le cas si les collecteurs avaient d'autres possibilités d'emploi.

4     Mathématiquement, la relation peut s'exprimer comme suit:

Pb = ε ÷ (1 + ε)Pm

Pb = prix d'achat (prix percu par les collecteurs)

Pm = prix de vente (prix percu par le concessionnaire)

ε = élasticité-prix de l'offre

Si ε = ∞, Pb = Pm

Si ε = 0, Pb = 0

Si ε = 2, par exemple:

Pb = 2 ÷ (1+2)Pm

c'est-à-dire que le prix d'achat sera les deux tiers du prix de vente. Les auteurs du présent document préparent une autre communication qui traite plus en détail des relations et conditions d'optimisation à partir d'hypothèses diverses concernant des cours d'informations et de surveillance.


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