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5.  DISCUSSIONS ET CONCLUSIONS

Dans notre introduction, nous avons dit que nous allions tenter d'évaluer ce système de concession en tenant compte de deux avantages potentiels que Christy (1983) estime pouvoir être tirés des droits d'usage territoriaux appliquès en matière de pêche ou DUTF. Il s'agit de la possibilité (1) d'accroître l'efficience économique de l'utilisation des ressources sous la forme d'une rente de ressource positive; et (2) d'améliorer le bien-être des collectivités de pêcheurs.

Il est un peu plus difficile de se prononcer sur ce deuxième point. S'il est vrai que la plupart des collectivités utilisent le revenu tiré des concessions pour financer les traitements des employés municipaux, lesquels sont présumés desservir l'ensemble de la collectivité, les collecteurs d'alevins, dont la plupart sont des pêcheurs à temps partiel, sont quant à eux lésés de deux manières. Tout d'abord, en tant que groupe, les collecteurs d'alevins perçoivent pour leur capture un prix inférieur à celui qui aurait cours si le concessionaire n'existait pas; mais cet inconvénient est compensé par le fait que leurs coûts de production sont moins élevés, la faible concurrence permettant en moyenne de meilleures captures par unité d'effort. Les collecteurs d'alevins constituent un groupe hétérogène dont les coûts moyens varient; ceux qui ont des coûts d'opportunité plus élevés abandonneront le ramassage des alevins pour chercher ailleurs un autre emploi. La diminution du nombre des emplois assurés par la collecte sera compensée par des accroissements dans d'autres secteurs qui auront absorbé les partants.

Il est un point très important qu'il faut souligner ici, c'est que l'équilibre ainsi réalisé sur le marché du travail n'aura aucun effet sur le bas niveau des revenus moyens si l'économie rurale, au voisinage des fonds de collecte, n'offre qu'un petit nombre d'emplois productifs (cela suppose que l'immobilité de la main-d'oeuvre limite à l'économie rurale les possibilités d'emploi). Si l'accès aux fonds de collecte des alevins était libre, personne ne s'en trouverait mieux, car tous les profits engendrés par le travail en sus du coût d'opportunité social se dissiperaient sous l'effet d'un effort accru de collecte par de nouveaux arrivants attirés par l'existence de ces profits. La liberté d'accès n'améliore donc pas la situation de quiconque, mais détériore celle de la municipalité. La seule façon d'accroître, à long terme, les revenus tirés de la collecte des alevins consiste à créer des emplois dans d'autres secteurs de façon que le coût d'opportunité social du travail s'élève (voir Smith, 1981a; et Panayotou, 1983, qui ont poussé plus loin cette argumentation). Aussi longtemps que le ramassage des alevins sera libre et que la rente de ressource se dissipera, ce secteur n'aura aucune chance de voir s'élever le coût d'opportunité social ni, par voie de conséquence, le revenu des travailleurs appartenant à ce type d'économie rurale dont le ramassage des alevins est un élément constitutif.

Cette conclusion ouvre une deuxième perspective en ce qui concerne la possibilité d'accroître les revenus ou les bénéfices des collecteurs d'alevins moyennant des paiements de transfert en leur faveur. La plupart des collectivités de pêche côtière comprennent des villages de pêcheurs et des villages s'adonnant à d'autres activités. Dans la mesure où le secteur primaire d'une municipalité est ainsi diversifié, une partie ou la majeure partie du revenu tiré de la pêche par le biais des royalties, peut être utilisée au bénéfice des ménages ne pratiquant pas la pêche. La mesure dans laquelle cela se vérifie dépend des choix des fonctionnaires municipaux en ce qui concerne les paiements de transfert et la répartition des crédits dans le budget municipal, ce qui est évidemment en partie une décision politique mettant en jeu des considérations d'équité. On peut soutenir évidemment que du moment que les collectivités qui pratiquent le ramassage des alevins peuvent bénéficier de la gestion et de services municipaux rendus possibles par les royalties, elles s'en trouvent mieux que quand les rentes de ressource sont dispersées en régime de libre accès. Toutefois, le revenu provenant de la concession des alevins ne profite pas nécessairement aux collectivités de pêche plutôt qu'aux autres collectivités, car cela dépend du budget décidé par la municipalité.

La question clé qui se pose ici est celle de savoir “qui est le propriétaire de la ressource?” En ce qui concerne les droits d'usage territoriaux appliqués à la pêche des alevins de chanidés dans la législation philippine, la municipalité est sans aucun doute le propriétaire de la ressouce et, par conséquent, s'adjuge la rente de ressource. Les autres participants du système - les concessionnaires et les collecteurs d'alevins - ne couvrent que leur coût d'opportunité social. Comme il est admis que les collecteurs ne tirent aucun bénéfice du système de concession, certains auteurs ont préconisé l'abolition du système (Deanon, Ganaden et Llorca, 1974). Partant de l'hypothèse non fondée que se sont les concessionnaires qui s'enrichissent grâce à ce système, ils passent sous silence les bénéfices qu'en tirent les municipalités.

D'autres ont parfois suggéré de constituer des coopératives de collecteurs d'alevins à qui serait confiée l'exploitation de la concession. Durant la deuxième partie des années soixante-dix, une coopérative a effectivement géré le fond de pêche des alevins de San José (Antique) contre une redevance moins importante fixée par la municipalité. Comme on le voit sur la figure 3, les collecteurs d'alevins appartenant à la coopérative ont perçu des prix plus élevés mais ces meilleurs prix pouvaient être pratiqués parce que la municipalité en question, ayant accepté des royalties inférieures à celles qu'elle aurait probablement obtenues en lançant un appel d'offres (voir tableau 1) “partageait” la propriété de la ressource avec les collecteurs d'alevins. Malheureusement, cette coopérative a fait faillite à la suite de problèmes de gestion. Plus récemment, deux autres fonds d'alevinages d'Antique (Laua-an et Belison) ont été attribués à des coopératives concessionnaires. L'une et l'autre ont obtenu la concession sur appel d'offres et en concurrence avec des soumissionnaires privés, et toutes deux ont emprunté au programme national Kilusang Kabuhayan at Kuanlaran (KKK) les fonds nécessaires pour acquitter leurs royalties.

Malheureusement, les espoirs mis dans ces coopératives sont peut-être excessifs. Si une coopérative doit faire une offre, en concurrence avec d'autres soumissionnaires, pour obtenir la concession, rien ne permet de dire qu'elle pourra mieux que des concessionnaires privés améliorer le bien-être des collecteurs d'alevins car la rente de ressource reviendra toujours à la municipalité, propriétaire de la ressource. La coopérative peut néanmoins réaliser certaines économies sur les coûts, en particulier si les frais de surveillance sont moins élevés qu'ils ne le seraient pour un concessionnaire privé qui doit faire respecter ses droits de monopsone.

En conclusion, le système de concession semble apte à produire des rentes de ressource accrues mais ne permettra d'améliorer le bien-être des collecteurs d'alevins que si ceux-ci peuvent partager la ressource avec les municipalités. Ce “partage” pourrait se faire soit en subventionnant les royalties demandées aux coopératives de collecteurs soit en allouant une plus forte proportion des recettes que la municipalité tire de la concession aux villages s'adonnant à cette activité qu'aux autres villages.


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