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Chapitre 5 : Etablir un diagnostic éducatif

(Phase 1 de conception - Troisième étape)

5.1. Quelles questions se pose-t-on ?

Les déterminants de la conduite

Une fois que les conduites à changer ont été repérées, il faut aller plus loin dans l'analyse, afin d'identifier les facteurs qui influencent ces conduites. Il faut distinguer ici les facteurs externes et les facteurs internes à la personne humaine. Les facteurs externes sont d'ordre économique (p.ex. le revenu), social (p.ex. la législation), climatique (p. ex. la pluviosité), géographique (p. ex. la nature du sol), etc.

Les facteurs internes ont été analysés par divers auteurs. Selon le modèle de LECLERCQ, cinq facteurs président à l'adoption d'une conduite : la motivation, le savoir, l'image de soi, la décision et le savoir-faire (27).

Le premier de ces facteurs est la motivation. Seul un individu motivé peut envisager de modifier une conduite habituelle ou d'adopter une nouvelle conduite. Cette motivation résulte de la prise de conscience de l'importance d'un problème, de l'anticipation des conséquences de sa conduite (et/ou d'une conduite alternative), d'une contrainte externe ou d'un intérêt particulier., (Exemple : la maman prend conscience que son enfant est en mauvaise santé parce que sous-alimenté; elle prend conscience de l'importance de modifier le régime alimentaire de cet enfant.)

Le deuxième facteur est le savoir. Lorsque le problème est perçu, que la motivation au changement est acquise, encore faut-il savoir que faire. C'est là qu'intervient le savoir, facteur dont on a trop souvent exagéré l'importance par le passé, mais qu'il ne faudrait pas oublier aujourd'hui ! (Exemple : la mère, convaincue de la nécessité de modifier le régime alimentaire de son enfant, sait ce qu'il faut faire : accroître sa ration alimentaire, par l'adjonction des aliments adéquats, et augmenter le nombre des repas que l'enfant prend chaque jour.)

Le troisième facteur est l'image de soi. Ce facteur a acquis beaucoup d'importance aux yeux des acteurs de l'éducation pour la santé. On s'est en effet rendu compte que le changement de conduite en matière de santé était souvent empêché par le manque de confiance en soi des principaux concernés. (Exemple : la mère, sachant quels plats il faudrait préparer pour son enfant, doit se sentir capable de le faire.)

Le quatrième facteur est la décision, fonction du système de valeurs de la personne. Entre plusieurs possibilités, la personne va choisir celle qui lui convient le mieux, selon ses préférences. (Exemple : quoique confiante en elle, la mère peut très bien ne rien modifier à sa conduite, parce qu'elle a d'autres priorités qui l'empêchent de consacrer davantage de temps à la préparation des repas de son plus jeune enfant; ou encore, elle choisira parmi les solutions qui lui sont proposées celle qui s'accorde le mieux avec ses valeurs, ses croyances, son système de référence.)

Le cinquième facteur est le savoir-faire. Une fois que la personne a décidé de changer sa façon de faire, elle s'y essaie et de la réussite ou de l'échec de ses essais va dépendre l'adoption de cette conduite. L'habileté est ici requise. (Exemple : la mère ayant choisi d'appliquer une nouvelle recette dans la préparation du repas de son enfant applique cette recette et juge du résultat. S'il est positif, elle poursuivra sa démarche. S'il est négatif, le doute s'installe et peut la conduire à abandonner son projet.)

Le modèle de LECLERCQ ne prend pas directement en compte les facteurs externes, mais il est bien évident que ces facteurs externes influencent l'adoption des conduites, en pesant sur les décisions.

En nutrition, ces facteurs externes revêtent une grande importance : la disponibilité alimentaire, l'accessibilité des services de santé, le revenu sont des exemples de facteurs qui peuvent empêcher ou, au contraire, favoriser l'adoption d'une conduite.

Il est indispensable d'identifier, parmi les facteurs de la conduite, ceux qui dépendent directement des personnes concernées et ceux qui sont malheureusement hors de leur portée. Ceux-ci peuvent se révéler si puissants que toute tentative de modifier les conduites serait vouée à l'échec. (Par exemple, dans les situations de famine pour cause de guerre ou de sécheresse, l'amélioration des conduites favorables à l'équilibre nutritionnel est bien souvent hors de portée des populations concernées.)

En tout cas, il est crucial de chercher à comprendre pourquoi les personnes se comportent de telle ou telle manière. Généralement, les gens ont de bonnes raisons (à leurs yeux) de se comporter comme il le font: il faut découvrir ces raisons avant de chercher à modifier leurs habitudes.

Les canaux de communication

La deuxième question à se poser lors de la phase de diagnostic éducatif est celle des canaux de communication. En nutrition, la communication passe par une multitude de canaux, qu'il s'agisse de canaux interpersonnels ou de médias de masse.

Tout le monde parle de la santé, mais plus encore, tout le monde parle d'alimentation.

Les questions à se poser sont alors celles-ci. Dans la communauté considérée (qui peut être très large - un pays-ou très restreinte - un village), quels sont les réseaux de communication ? Quels sont les relais, les personnes influentes, les institutions influentes ? Ces questions doivent trouver des réponses générales, mais aussi des réponses spécifiques dans le domaine de la nutrition ? Certaines personnes ou institutions peuvent en effet jouer un rôle plus important dans la communication en matière de nutrition que dans d'autres domaines.

5.2. Comment réaliser un diagnostic éducatif ?

Il existe plusieurs méthodes pour réaliser une appréciation rapide d'une situation. On parlera d'étude rapide du milieu rural (Rapid Rural Appraisal), ou de procédure d'évaluation rapide (Rapid Assessment Procedure), ou encore d'évaluation ethnographique rapide (Rapid Ethnographic Assessment), selon ses références.

Les méthodes proposées ci-dessous peuvent s'appliquer dans des contextes diversifiés, quelle que soit l'étendue du programme envisagé. Combinées dans une même approche d'une population à risque, elles peuvent donner une image très précise de la réalité vécue par cette population.

En préambule, il est important de donner sa place à une méthode de recueil de l'information qui ne sera pas développée dans les fiches techniques qui suivent. Ce recueil d'information se déroule durant la mise en oeuvre de l'intervention. Il s'agit d'intégrer dans l'animation du groupe une composante ascendante, c'est-à-dire une composante de recueil d'avis et d'opinions. Nous examinerons cette façon de procéder en étudiant, plus loin, le diapo-langage, la vidéo-animation et la radio rurale. Le recueil des données prend alors une dimension éducative puisqu'il instaure un débat avec les principaux concernés sur les sujets qui sont abordés.

Même s'il est possible et souhaitable d'intégrer à toute animation un processus de communication dans les deux sens, il n'en demeure pas moins nécessaire de chercher à comprendre, avant toute intervention, les conduites relatives à la nutrition et le système de communication de la population-cible de l'intervention. Les méthodes présentées ci-après vont nous y aider.

5.3. Cinq méthodes pour recueillir des informations utiles.

Comment analyser les facteurs qui influent sur les conduites liées à la nutrition ? Comment identifier les canaux de communication actifs dans une communauté donnée ?

Ces fiches techniques vous proposent un faisceau d'approches qui, combinées, vont donner à l'équipe de planification une image de la réalité du milieu d'accueil de l'intervention.

FICHE TECHNIQUE № 1 : l'étude bibliographique

A quoi sert-elle?

Les questions relatives à la communication au sein d'une société, à la prise en charge de la santé, à la production et à la consommation alimentaires ont déjà été abordées par le passé. Avant de se lancer dans de nouvelles études, parfois très coûteuses, il est important de faire le point sur la littérature existante. La plupart des questions que l'on se pose avant d'entamer un programme de communication en nutrition trouvent déjà leurs réponses dans cette littérature.

Comment faire ?

La première étape consiste à définir précisément ce que l'on cherche. La présentation du sujet de recherche ne doit pas être trop large (ex. : le développement agricole du pays est un sujet sur lequel on va trouver une foule de documents dont la plupart seront probablement inutiles pour le programme de communication). Le domaine doit être cerné sur trois points : le domaine couvert, le champ social et/ou géographique et la période traitée (ex. : la production familiale d'aliments riches en vitamine A dans la région de Maradi (Niger) depuis 1980).

La deuxième étape consiste à identifier les lieux où trouver l'information. Les bibliothèques et les centres de documentation présentent le double avantage de regrouper la documentation et de mettre à votre disposition une (ou plusieurs) personne(s) spécialisée(s) dans la recherche documentaire. Il ne faut pas négliger les ressources documentaires des organismes de la coopération internationale. Ce sont principalement des sources de littérature grise, càd une littérature non publiée officiellement, mais qui peut contenir de nombreuses informations qui peuvent vous être utiles.

Comment chercher ?

Il existe deux façons de chercher (9). La remontée des filières bibliographiques consiste à partir d'ouvrages récents sur le sujet, à étudier leurs bibliographies, leurs sources, les auteurs qu'ils citent et à noter les références de tous les ouvrages paraissant intéressants. La recherche systématique sur fichiers consiste à compulser ceux-ci de façon systématique (fichiers auteur, titres, matières, mots-clés), ce qui est plus aisé si le fichier est informatisé.

Certaines bases de données sont accessibles par la voie télématique: elles vous permettent d'accéder rapidement à des références qui n'existent pas dans votre pays. Certains centres de documentation étrangers répondent aussi aux interrogations que vous leur adressez par courrier. C'est le cas du Centre International de l'Enfance (Château de Longchamp, Bois de Boulogne, 75016 PARIS, FRANCE) et du Centre de Documentation sur l'Alimentation Infantile et la Nutrition Maternelle (A.P.H.A., 1015 15th Street N.W., WASHINGTON D.C. 20005, USA).

FICHE TECHNIQUE No 2 : les entretiens en un lieu central

A quoi servent-ils ?

Ces entretiens, menés à l'improviste, permettent de recueillir très rapidement des informations auprès d'un nombre important de personnes réunies en un endroit pour une autre raison que celle de l'enquête.

Comment faire ?

Il s'agit de choisir un lieu où se rencontrent les membres du groupe-cible de l'enquête : ex. les malades à l'hôpital, les mamans de jeunes enfants au centre de protection maternelle et infantile, les ménagères au marché, etc.

Un questionnaire est ensuite rédigé et prétesté, questionnaire qui ne sera pas trop long puisqu'il s'agit de le proposer à des personnes rencontrées à l'improviste.

Les enquêteurs se rendent en ce lieu pour y proposer le questionnaire aux personnes qu'ils y rencontrent et qui correspondent au profil requis. Compte tenu du regroupement du public, on peut toucher un grand nombre de personnes en un minimum de temps. C'est d'ailleurs le principal avantage de cette méthode.

Certaines personnes refusent; d'autres acceptent. C'est un premier biais d'échantillonnage. De toute façon la population rencontrée en ce lieu central ne représente que très imparfaitement la population concernée. Il est bon de se souvenir que l'échantillon ainsi constitué n'est représentatif d'aucune population, quelque soit le nombre de personnes interrogées. Ce mode d'investigation fournit cependant d'utiles indications sur la population qui va faire l'objet de l'intervention.

Comment exploiter les résultats ?

Les résultats de cette enquête peuvent être présentés sous la forme de tableaux commentés.

Premier exemple : la description de l'échantillon.

Ex. : Femmes de 20 à 40 ans :96, soit 60 %
 Femmes de plus de 40 ans :64, soit 40 %
 TOTAL :160, soit 100 %

Deuxième exemple : les réponses.

On distinguera les réponses aux questions fermées (la personne interrogée doit choisir entre des réponses proposées par l'enquêteur) des réponses aux questions ouvertes (l'enquêteur laisse à son interlocuteur toute latitude pour construire sa réponse).

Les réponses aux questions fermées sont faciles à présenter sous forme de tableaux, puisqu'il suffit de reprendre les réponses proposées et d'inscrire à côté de chacune les résultats obtenus.

Ex. : Avez-vous acheté des avocats sur le marché aujourd'hui?

OUI:32, soit 20 %
NON:128, soit 80 %
TOTAL:160, soit 100 %

Les réponses aux questions ouvertes rendent nécessaire un traitement particulier. Il faut en effet tenir compte de tous les types de réponses formulés par les personnes interrogées.

Ex.: Quels aliments avez-vous achetés sur le marché aujourd'hui?

Des tomates :40, soit 25 %
Des avocats :32, soit 20 %
Des carottes :16, soit 10 %
Des.. 
Etc. 

Ex. : Pourquoi consommez-vous des tomates ? (Plusieurs réponses possibles)

Parce que c'est mon goût28, soit 70 %
Parce que c'est bon pour la santé16, soit 40 %
Parce que c'est bon marché14, soit 35 %
Parce que c'est facile à préparer12, soit 30 %
Etc. 

Comment formuler les conclusions ?

Encore une fois, l'échantillon des personnes interrogées n'étant pas représentatif de la population-cible, on se gardera de généralisé les conclusions. Il y a cependant, à travers cette enquête, la possibilité de formuler des hypothèses sur les conduites et leurs causes. Ces hypothèses pourraient être vérifiées par une enquête sur les connaissances, attitudes et pratiques d'un échantillon représentatif de la population étudiée (voir plus loin).

FICHE TECHNIQUE No 3 : les entretiens individuels approfondis

A quoi servent-ils ?

Certaines personnes, que l'on qualifiera de personnes-ressources, possèdent une connaissance particulière des sujets traités grâce à leurs activités professionnelles ou à leur insertion dans le milieu. Ces personnes (ou un échantillon d'entre elles) feront l'objet d'entretiens approfondis d'une à deux heures chacun.

Comment faire ?

Les entretiens individuels doivent être menés par des personnes bien entraînées, si possible membres de l'équipe de planification du projet, afin d'éviter les pertes d'informations entre leur recueil et leur exploitation.

L'enquêteur doit être capable d'établir une relation de confiance avec la personne interviewée, de façon que celle-ci réponde librement aux questions posées. Le lieu de l'entretien est très important : il doit être confortable et, autant que possible, permettre un dialogue franc et discret. Ce dialogue ne devrait pas être interrompu de façon intempestive.

Les entretiens peuvent éventuellement être enregistrés si cela ne dérange pas les personnes interviewées. Cette procédure permettra à l'interviewer de se concentrer sur son interview et d'oublier la prise de notes.

Comment élaborer le guide d'entretien ?

Ce guide est très ouvert. Il doit être élaboré en fonction des questions que se pose le comité de planification du programme, mais aussi en fonction des compétences perçues des personnes qui vont être interviewées.

Exemples de questions :

Quelle est votre expérience de la lutte contre la malnutrition dans cette région?

Quels sont les facteurs les plus importants de la malnutrition protéino-énergétique chez l'enfant de moins de cinq ans (le problème traité dans le cadre du programme) ?

Certaines des habitudes de la population peuvent-elles expliquer cette malnutrition ?

Parmi ces habitudes, lesquelles vous apparaissent modifiables? Lesquelles ne le sont pas ? Pourquoi ?

Généralement l'interviewer utilise un guide d'entretien semi-directif, ce qui lui laisse beaucoup de liberté dans la façon d'ordonner et de formuler les questions, voire d'en formuler d'autres, non prévues initialement, durant l'entretien proprement dit.

Comment traiter les résultats ?

Les résultats se présentent sous une forme qualitative. Les opinions émises par les personnes interviewées sont généralement des opinions subjectives. Elles n'ont de valeur que par le crédit que l'on peut accorder aux personnes interrogées.

FICHE TECHNIQUE № 4 : les groupes focalisés

A quoi servent-ils?

Les groupes focalisés sont utilisés pour obtenir des donnés qualitatives sur les opinions, les croyances, les représentations, les attitudes profondes d'une communauté à propos d'un sujet donné.

Comment faire?

Sous la conduite d'un animateur bien formé, des groupes de 8 à 12 personnes s'entretiennent, sur un thème précis: la consommation d'un aliment, l'alimentation de l'enfant de 6 à 12 mois, l'allaitement maternel,...

Ces groupes sont homogènes, facteur libérateur de la parole. L'homogénéité est recherchée par rapport aux catactéristiques en relation avec le problème posé. D'une manière générale, on n'inclut pas dans le même groupe des personnes de status social, de niveau d'instruction ou d'âge trop différents. S'il s'agit de questions touchant à la maternité, on distinguera les femmes ayant des enfants de celles qui n'en ont pas encore. S'il s'agit de questions relatives à la production agricole, on distinguera les petits exploitants des plus importants.

L'animateur constitue ses groupes de façon à refléter la diversité de la société qu'il étudie. L'objectif n'est cependant pas d'obtenir un échantillon représentatif. On peut considérer que l'on réalise des groupes focalisés tant qu'ils apportent de nouvelles informations sur le thème traité.

Exemple:

Pour étudier les résistances des femmes à l'utilisation de méthodes contraceptives dans une région rurale on pourrait constituer les groupes selon le tableau suivant:

 Utilisent
les méthodes
N'utilisent
pas les méthodes
 Alphab.  
Sans enfants   
 Non alphab.  
 Alphab.  
Ayant enfants   
 Non alphab.  
    

Nous avons considéré comme critères pertinents l'utilisation préalable des méthodes contraceptives, le fait d'avoir des enfants ou non et l'alphabétisation de la femme. Sur cette base, on peut constituer huit types de groupes focalisés.

On ne constituera pas nécessairement tous les groupes possibles. S'il y a très peu de femmes sans enfants non alphabétisées, on ne constituera pas de groupe de ce type. En cours d'enquête, on pourra décider de réaliser deux ou trois groupes du même type, compte tenu de la richesse de la discussion. De même on pourra décider de créer un groupe non prévu par le tableau initial : un groupe d'hommes, un groupe de filles-mères,...

Pour conduire ces entretiens, l'animateur utilise un guide d'entretien semi-directif.

Comment élaborer ce guide ?

On peut procéder en trois temps :

Avant d'être utilisé dans le cadre de la conception de l'intervention, le guide doit être prétesté et aménagé en fonction des résultats de ce prétest.

Comment mener l'entretien ?

Il s'agit d'un entretien semi-directif, d'une durée approximative d'une heure à une heure trente. L'animateur doit savoir utiliser le guide d'une façon souple en suivant le groupe si celui-ci aborde les sujets dans un ordre différent de l'ordre initialement prévu. Il doit cependant éviter de laisser le groupe s'engager dans des débats qui sortent du thème à traiter.

L'animateur doit amener le groupe à approfondir sans cesse les sujets. La question pourquoi ? et ses corollaires reviendront souvent dans son vocabulaire.

L'animateur doit sans cesse être à l'écoute du groupe, pour saisir les occasions d'approfondir une opinion émise. Il doit laisser à son secrétaire le soin de noter et les avis exprimés et la façon dont ils ont été exprimés. La mise en route d'un magnétophone dès le début de la séance (en prévenant les membres du groupe) facilitera l'exploitation des données par la suite.

Comment exploiter les résultats des groupes focalisés ?

Il faut insister sur l'aspect qualitatif de ce recueil de données. L'erreur la plus courante lors de l'exploitation des résultats consiste à écrire: La majorité des personnes pensent que... ou encore Tel pourcentage de la population estime que... Ce que l'on retire des groupes focalisés, c'est un lot d'avis qui vont être utiles pour comprendre en profondeur les conduites de la population ou pour élaborer des messages efficaces et non un tableau statistiquement représentatif des caractéristiques de la population étudiée.

Parfois, c'est l'opinion émise par une seule personne au cours d'une séance qui se révélera la plus utile dans l'élaboration de l'intervention de communication. Dans d'autres cas, ce sont les commentaires, verbaux ou non-verbaux, au sujet d'une opinion émise par un membre du groupe qui se révéleront les plus féconds.

Le rapport d'une étude réalisée à l'aide de groupes focalisés n'est donc pas forcément très long. Il doit aider les concepteurs de l'intervention de communication à comprendre pourquoi les gens se comportent d'une certaine manière, quelles en sont leurs raisons profondes. Il doit apporter du nouveau dans la compréhension des phénomènes.

FICHE TECHNIQUE No 5 : l'observation

A quoi sert-elle ?

On a souvent dit, avec raison, que les personnes interrogées à l'occasion d'une enquête par questionnaire donnaient les réponses qu'elles pensaient attendues par les enquêteurs. Ce phénomène de désirabilité sociale est certainement beaucoup moins important chez les personnes faisant l'objet d'une enquête par entretiens individuels approfondis ou par groupes focalisés. Néanmoins, dans tous les cas où l'homme communique sur ses pratiques, ses croyances ou ses valeurs avec un autre homme, il habille la vérité pour donner à son interlocuteur une certaine image de lui-même. Cela est et restera inévitable.

L'observation des activités humaines dans leur contexte a pour but de remédier au moins partiellement aux carences des méthodes fondées sur l'entretien. Elle aspire à une plus grande objectivité dans la description des pratiques humaines et dans leur compréhension.

Comment faire ?

Deux méthodes d'observation doivent être clairement distinguées : l'observation participative et l'observation systématique de certaines pratiques.

L'observation participative est un outil anthropologique, dont la première présentation a été faite par MALINOWSKI en 1922. Depuis lors, elle a eu de nombreux adeptes, dont les anthropologues les plus célèbres, qui lui ont conféré un statut de premier choix. Il n'est pas possible de décrire en quelques lignes la façon de procéder en matière d'observation participative, car c'est le résultat d'une longue formation pratique et théorique. L'enquêteur s'immerge dans la communauté dont il veut étudier les pratiques. En même temps qu'il vit dans cette communauté, il observe ce qui s'y passe. Le soir, à l'abri des regards, il note ce qu'il a observé. Progressivement, il donne un sens aux résultats de ses observations, ce qui va guider ses observations ultérieures.

L'aboutissement de la démarche anthropologique se situe dans le profil ethnographique, càd une description complète d'une communauté, de son système social, de ses croyances, de ses modes de vie. Pour construire ce profil, l'anthropologue s'appuiera non seulement sur ses observations, mais aussi sur des entretiens approfondis avec ses informateurs, appartenant à la communauté étudiée.

L'observation systématique de certaines pratiques se réfère davantage à l'éthologie qu'à l'anthropologie. Il s'agit alors de rendre compte de façon très détaillée de certaines conduites particulières. Par exemple, la conduite de réhydratation orale a fait l'objet de descriptions minutieuses situant les uns par rapport aux autres les comportements qui composent cette conduite (36). Cette observation est très objective : il s'agit de compter la fréquence d'apparition des comportements, d'établir l'ordre dans lequel ils apparaissent, le temps consacré à chacun, etc.

Dans les deux cas, les enquêteurs doivent rester conscients que leur présence peut affecter les conduites des personnes qu'ils observent. Cependant, à condition de respecter un minimum de discrétion, les enquêteurs pourront sans doute donner une description de la réalité plus proche de la réalité quotidienne que celle qui leur est fournie au travers de simples questionnaires.

Comment exploiter les résultats?

Lorsqu'on prépare une intervention éducative en nutrition, les deux modes d'observation peuvent apporter d'utiles informations. L'observation participative permettra de situer les pratiques dans leur contexte culturel et ainsi de mieux en comprendre le fondement. Elle permettra d'anticiper les effets des changements éventuels dans ces pratiques. L'observation systématique facilitera l'élaboration d'une vision détaillée des conduites en cause. Elle mettra en évidence les avantages et les inconvénients de chacune d'elles. La décomposition de chaque conduite en ses comportements les plus infimes facilitera la formulation ultérieure de messages destinés à promouvoir cette conduite.

5.4. Et les enquêtes CAP ?

L'enquête CAP est une enquête menée par questionnaire sur un échantillon représentatif de la population étudiée. Elle vise à mieux connaître les connaissances (C), les attitudes (A) et les pratiques (P) de cette population, d'où son nom.

L'enquête CAP peut aussi être utilisée pour évaluer les résultats d'un programme: elle est alors réalisée avant et après une intervention, ce qui permet de mesurer l'écart entre ces deux situations. Pour pouvoir considérer les modifications observées comme des effets de l'intervention, il est cependant souvent nécessaire de réaliser la même enquête dans un groupe témoin, c'est-à-dire, un groupe de personnes qui ne bénéficient pas de l'intervention.

Si nous n'en avons pas parlé plus haut, c'est que l'enquête CAP résiste difficilement aux critiques qui lui sont adressées.

Première critique : les informations récoltées de cette façon ne sont pas toujours fiables, dans la mesure où la sincérité des personnes questionnées peut être mise en doute.

Deuxième critique : les informations recueillies sont généralement superficielles, la méthode de l'entretien par questionnaire ne permettant pas d'approfondir les sujets traités.

Troisième critique : l'analyse et le traitement d'un nombre important de données chiffrées se révèle souvent problématique pour des services qui ne disposent pas de l'outil informatique.

Néanmoins, il nous paraît important de rappeler ici les éléments essentiels d'une enquête CAP.

  1. Un questionnaire bien construit. Ce questionnaire, généralement composé de questions fermées (pour faciliter le traitement des données), est le résultat d'un long travail préparatoire. Il s'agit en effet d'identifier les questions pertinentes (la recherche qualitative, à l'aide des méthodes présentées plus haut, y aidera), puis de les formuler, les traduire, les prétester, pour enfin leur donner une forme définitive. La longueur du questionnaire doit être adaptée au public auquel il est destiné, à sa disponibilité pour l'enquête. Le questionnaire doit répondre aux objectifs de l'enquête et uniquement à ceux-là. On voit trop de questionnaires qui comporte des questions inutiles au regard des objectifs poursuivis. La formulation correcte des questions s'apprend (26).

  2. Un échantillonnage représentatif de la population étudiée. Pour pouvoir tirer des conclusions généralisables à toute la population étudiée, moyennant une marge d'erreur qui soit la plus étroite possible, l'échantillon doit être représentatif de cette population. Deux conditions doivent être respectées : le nombre de personnes interrogées doit être suffisamment élevé et l'échantillon doit être constitué au hasard. Le respect de ces deux conditions implique une formation spécifique en ce domaine.

  3. Une organisation rigoureuse du travail d'enquête. Cette organisation implique notamment une bonne formation des enquêteurs, qui vont devoir poser les questions exactement de la même manière, sans quoi les résultats seraient biaisés.

  4. Un traitement efficace et suffisamment rapide des données recueillies. Le traitement informatique sera préféré au traitement manuel, mais il n'est pas toujours possible, faute du matériel, des logiciels appropriés ou d'un personnel suffisamment formé. Pourquoi le traitement informatique est-il préférable ? Un exemple nous éclairera : quand on pose 40 questions à 500 personnes, on obtient 20.000 données qu'il va falloir croiser pour en tirer toute l'information. Pour produire des analyses aussi complètes que le traitement informatique, le traitement manuel coûterait des mois d'un travail harassant.

5.5. Comment choisir sa méthode?

Il n'y a pas une bonne méthode de recueil des données, mais chaque méthode présente des avantages et des inconvénients. Le plus souvent, c'est d'une combinaison de plusieurs méthodes qu'on tirera le meilleur rendement.

Le tableau suivant constitue une grille de comparaison de sept méthodes de recueil de données selon six critères. Le choix d'une combinaison de méthodes dépend à la fois des objectifs poursuivis et des moyens disponibles.

FICHE TECHNIQUE No 6 : les méthodes de la recherche préliminaire

 A. TYPES DE DONNEES RECUEILLIESB. COMPETENCES EXIGEESC. TEMPS NECESSAIRED. COUTE. DIFFICULTESF. LIMITES
1. ETUDE BIBLIOGRAPHIQUEDonnées disponibles dans la littérature :
variable selon les pays, mais généralement plus riche que ce qu'on imagine
(littérature grise).
Bonne connaissance du domaine dans lequel s'effectue la recherche bibliographique.Quelques jours à quelques mois selon l'étendue du sujet.Bon marchè.Données parfois difficilement accessibles, surtout à l'extérieur de la capitale du pays.Fiabilité des données pas toujours vérifiable.
2. ENTRETIENS EN UN LIEU CENTRALDonnées collectées auprès d'un nombre assez important de personnes, en un endroit très fréquenté par la population cible.Enquêteurs ayant reçu une formation légère. Encadreurs capables de les conseiller, puis d'analyser les données ainsi recueillies.Quelques jours si l'on y consacre tout son temps.Bon marchéTrouver l'endroit où l'on va rencontrer un grand nombre de personnes appartenant à la population-cible.Absence de représentativité statistique malgré le nombre important de données recueillies. Données assez superficielles.
3. ENTRETIENS INDIVIDUELS APPROFONDISDonnées récoltées auprès d'un nombre limité de personnes- ressources.Enquêteurs très au fait du sujet traité et capables de mener un entretien en profondeur, puis d'en analyser le contenu.Quelques jours à quelques semaines selon le nombre de personnes à recontrer.Assez cher.Identifier les bons interiocuteurs.Représentation subjective de la réalité.
4. GROUPE FOCALISÉSDonnées récoltées auprès de groupes de personnes appartenant à la population-cible.Animateurs et secrétaires formés à l'animation, à la prise de notes et au traitement des données.Quelques semaines.Relativement bon marché, si l'on ne multiplie pas les groupes à l'excès.Déterminer le nombre et la composition des groupes. Recruter les participants. Favoriser l'expression libre. Exploiter les résultats.Absence de représentativité statistique quel que soit le nombre de personnes interrogées.
5. OBSERVATIONDonnées de l'observation directe, que l'on peut mettre en relation avec le discours.Observateurs bien entraînés; socio-anthropologues s'il s'agit de construire un profil ethnographique.Plusieurs semaines, voire plusieurs mois.Très coûteux compte tenu de la qualité des observateurs et de la durée de leur engagement.Se donner des grilles d'observation valables et les intérioriser.Biais dus à la perception que les personnes observées ont de l'observateur.
6. ENQUETES CAPDonnées récoltées auprès d'un échantillon statistiquement représentatif de la population-cible.Elaboration de questionnaires, construction d'échantillons, enquête, dépouillement, traitment statistiquePlusieurs mois.Très coûteux.Mener à son terme l'ensemble du processus en franchissant avec succès toutes les étapes.Biais dus à la désirabilité sociale. Données recueillies assez superficielles.



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