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BREF HISTORIQUE: La mise au point de systèmes d’exploitation agricole durables


Historique
Durabilité et non durabilité des systèmes actuels d’aménagement des sols

Historique

La forme la plus ancienne d’aménagement du sol remonte probablement à l’époque où les nomades - populations qui se déplaçaient de pâturages en pâturages avec leurs animaux - ont découvert qu’ils pouvaient sans problème exploiter de nouveaux territoires, mais que s’ils essayaient de pratiquer leurs cultures sur la même terre pendant plus d’une saison, ils obtiendraient des résultats moindres. Une fois la leçon apprise, la pratique de la ‘culture itinérante’ s’est progressivement affinée. A mesure que les techniques de construction progressaient, les communautés purent se procurer des abris plus perfectionnés de sorte qu’ils étaient moins disposés à abandonner leur habitat et s’efforçaient de produire des cultures peu éloignées du lieu où ils vivaient. Ils se fixaient pendant plusieurs années et les cultures étaient pratiquées pendant une, deux ou trois saisons jusqu’à ce que les rendements deviennent médiocres et qu’il faille exploiter de nouvelles terres. Les plus observateurs comprirent vite que certaines plantes étaient indicatrices de sols relativement fertiles dont ils pouvaient espérer de bonnes récoltes. Ils apprirent également que les cultures se développaient bien sur les lieux où des animaux avaient séjourné et que les sites précédemment habités étaient également propices.

Figure 4. Evolution des pratiques culturales

Greenland, 1974

Le système de la culture itinérante a donc évolué du stade où maisons et champs étaient abandonnés après un an ou deux, à celui où l’installation pouvait durer parfois dix ans ou plus. En outre, la plupart des cultures vivrières dont dépendait la famille étaient maintenant pratiquées en rotation, à intervalles de quelques saisons, sur des terres qui n’avaient pas été exploitées depuis des dizaines d’années. Lorsque les nomades s’établissaient, ils créaient souvent un ‘jardin potager’ permanent près de la maison sur des sites où des animaux avaient séjourné et sur des terres nourries par les déchets ménagers.

Cette forme d’aménagement du sol par la culture itinérante a été largement pratiquée dans le monde entier. Elle a constitué une réponse essentielle au problème d’obtenir des denrées alimentaires lorsque le sol en soi est incapable de fournir une production continue pendant une période illimitée. Ce système est durable tant qu’il y a suffisamment de terre pour permettre au sol de récupérer jusqu’à ce que sa productivité originelle soit rétablie; tout dépend également des connaissances et de l’expérience des agriculteurs eux-mêmes.

La stabilité des systèmes de culture itinérante pratiqués par des générations d’agriculteurs qui ont vécu dans la même zone pendant de nombreuses années contraste avec la non-durabilité des méthodes apparemment similaires de culture sur brûlis utilisées par les populations déplacées. Ces communautés sont souvent obligées de s’établir dans des régions convenant mal à la culture et qu’elles ne connaissent pas. L’application de méthodes de culture mal adaptées sur des sols fragiles peut alors se traduire par des dégradations irréversibles du sol après une ou deux saisons seulement. Le fait que ces communautés n’ont aucun droit d’exploitation des terres à long terme ne les incite guère à rechercher un système plus viable d’aménagement des sols.

Le rapide déclin des rendements habituellement enregistré a connu quelques exceptions et certains sols ont donné indéfiniment de bonnes récoltes. Ces sols très prisés ont fait l’objet de soins tout particuliers. Pour protéger les sols contre les fortes averses, en particulier dans les régions montagneuses où les terres arables sont rares, les agriculteurs ont appris à construire des terrasses. Celles-ci permettaient de contrôler l’écoulement de l’eau et empêchaient la terre d’être emportée. En Asie, des terrasses étaient souvent construites pour retenir l’eau de manière à permettre la culture du paddy. Certains systèmes de terrasses étaient d’une qualité telle qu’ils subsistent après des milliers d’années et jouent encore aujourd’hui un rôle déterminant (Figure 5). Alors qu’elles sont relativement courantes en Asie, les terrasses en pierre ne se trouvent qu’occasionnellement en Afrique dans les rares régions où les sols sont intrinsèquement très fertiles.

Figure 5. Anciennes terrasses en pierres sèches d’Ifugao, Banaue (Philippines)

Professeur D.J. Greenland, F.R.S.

Le système de culture itinérante pratiqué sur les sols moins fertiles - qui sont les plus répandus - dans lequel des ‘champs éloignés’ sont cultivés pendant quelques années avant d’être mis en jachère et les jardins potagers sont cultivés de manière continue avec l’apport de fumier, reste largement pratiqué aujourd’hui. Cependant, on ne peut le considérer comme durable que si les terres disponibles sont suffisantes pour que les champs éloignés restent en jachère suffisamment longue pour reconstituer la productivité du sol - dix ans ou plus (voir Figure 6). C’est, actuellement, l’exception plutôt que la règle.

Figure 6. Comparaison de systèmes agricoles

Diagramme illustrant l’évolution de la productivité potentielle du sol dans le cadre d’un système stable de culture itinérante, d’un système non durable (où la période de jachère est trop courte pour permettre le rétablissement de la fertilité) et d’un système de culture continue sans apports.
Dans certaines régions, d’autres méthodes ont été mises au point pour améliorer la fertilité des sols. On peut citer, à titre d’exemple, le système ‘chitimene’ pratiqué en Zambie. Sur des sols sableux particulièrement peu fertiles de nature, des branches d’arbre sont transportées des bois voisins et empilées sur l’aire à cultiver. Elles sont ensuite brûlées de manière à ce que les cendres s’incorporent aux éléments nutritifs dans la parcelle cultivée. Dans les hautes collines du Népal, la fertilité du sol a été maintenue grâce à la collecte et au compostage de feuilles et de litière provenant des forêts avoisinantes. Le compost qui est ensuite réparti sur le sol fait office de paillis qui le protège contre l’érosion et s’ajoute aux éléments nutritifs. Ces deux systèmes consistent à transférer les éléments nutritifs des bois ou forêts aux terres cultivées. La durabilité est là encore compromise lorsque la population à entretenir est trop nombreuse. Les arbres proches de la zone cultivée sont progressivement détruits et les matériaux ligneux doivent être prélevés plus loin. La forêt et les bois eux-mêmes deviennent moins productifs à mesure que leurs éléments nutritifs sont extraits et transférés vers les terres cultivées et, finalement, exportés sous forme de produits agricoles.

Un transfert analogue de nutrients a lieu dans les systèmes pastoraux, dans lesquels le fumier organique est utilisé pour accroître la fertilité du sol. Lorsque les pâturages sont abondants, un tel système peut être durable, mais, à mesure que la concentration des gens et des animaux s’accroît, l’épuisement des éléments nutritifs dans les zones de pâturage entraîne une baisse de leur productivité. La situation est en général aggravée par les pertes d’azote et de soufre qui se produisent lorsqu’on brûle les herbages.

En conséquence, bien que ces systèmes de cycle et de transfert des éléments nutritifs puissent être durables lorsque la densité de la population est faible, ils ne le sont plus lorsque la pression exercée sur les terres devient plus forte.

Un autre système a été mis au point il y a sept ou huit mille ans dans les terres humides d’Asie. En Chine et dans le nord de l’Inde, on a découvert que le riz pouvait être cultivé de nombreuses années dans les régions inondées proches des cours d’eau. Le riz se développait particulièrement bien lorsque l’eau n’était pas trop profonde et qu’elle s’écoulait lentement autour des plants, s’évacuant peu de temps avant que le grain soit prêt pour la récolte. A mesure que la population augmentait, toutes les terres proches des cours d’eau ont été occupées. On s’est par la suite aperçu que les sols alluviaux étaient profonds et faciles à travailler de sorte que l’on pouvait construire des diguettes de boue pour retenir l’eau qui pouvait ensuite être acheminée dans des canaux pour inonder le sol. Cela permettait de cultiver le riz sur la plaine alluviale du fleuve à une distance considérable du cours d’eau lui-même.

Contrairement aux cultures des régions d’altitude, le riz continuait à donner de bons rendements. Nous savons maintenant que cela est dû aux éléments nutritifs transportés dans les eaux de crue et déposés en même temps que le limon amené dans les champs par les crues annuelles. L’azote qui vient s’ajouter grâce à divers organismes fixateurs d’azote tels que les algues bleues, et l’élimination efficace de la plupart des adventices par les eaux de crue contribuent aussi beaucoup au maintien des rendements dans ces conditions.

La productivité naturelle de la plupart des régions rizicoles humides semble avoir été suffisante pour maintenir les rendements entre une et deux tonnes à l’hectare pendant des siècles. Cependant, à mesure que la demande s’est intensifiée et que les zones convenant à la culture du riz se sont raréfiées, il est devenu nécessaire de trouver d’autres techniques pour accroître les rendements du riz. Parmi celles-ci, il faut citer le recours accru à toutes les formes d’engrais organiques et, ces dernières années, le remplacement progressif du fumier par des engrais minéraux. Ces techniques, conjuguées à la diffusion de variétés de riz capables de s’adapter à une meilleure fertilité, ont donné de bons résultats. L’expansion de l’irrigation résultant de la construction de barrages ainsi que l’assurance d’approvisionnement en eau de zones beaucoup plus vastes ont également joué un rôle important.

Durabilité et non durabilité des systèmes actuels d’aménagement des sols

Toutes les formes de système de production existent aujourd’hui, de l’élevage nomade aux monocultures continues intensives. Leur répartition est déterminée par les conditions pédologiques et climatiques et par des facteurs sociaux et économiques. En termes très généraux, on peut dire qu’à mesure qu’on se déplace des régions sèches vers les régions humides, l’importance des pâturages et des animaux diminue et celle des forêts encore plus. La densité de population est la plus élevée dans les régions où les sols sont les plus fertiles et les systèmes d’aménagement les plus intensifs.

La plupart des systèmes de production se sont développés de manière à être durables dans les conditions ambiantes - y compris le niveau de la pression démographique- prévalentes à une période donnée. Compte tenu du fait que la pression démographique a augmenté considérablement au cours du siècle dernier et qu’elle continuera à le faire au cours des 50 prochaines années, la durabilité en termes d’agriculture et d’aménagement des sols doit tenir compte de la nécessité de répondre à une demande accrue. La FAO (1992) a donné la définition suivante:

“Un système agricole durable est un système qui suppose l’aménagement et la conservation du capital en ressources naturelles ainsi qu’une orientation des progrès techniques et institutionnels propres à garantir l’obtention et la satisfaction continue des besoins des générations présentes et futures. Ce développement durable conserve les ressources en terre et en eau et les ressources génétiques végétales et animales, et est économiquement viable et socialement acceptable.”

Il existe de nombreuses autres définitions de l’agriculture et de l’utilisation durable des terres, définitions dont certaines sont plus simples et d’autres plus complètes (voir encadré). Ces définitions insistent toutes sur le fait que l’aménagement durable des sols ne doit pas dégrader les sols ni contaminer l’environnement tout en favorisant la production de bois, de combustibles, de fibres et de matériaux de construction.

Définitions de la durabilité agricole

“C’est la survie”
Un agriculteur de subsistance
·
“Peu d’apports, pas d’apports, une agriculture organique”
Un écologiste
·
“Vivre sur les intérêts et non sur le capital”
Un économiste
·
“Une bonne gestion des ressources agricoles adaptée à l’évolution des besoins de l’homme et qui préserve ou augmente la qualité de l’environnement et conserve les ressources naturelles.”
FAO Research and Technology Paper No. 4:
Sustainable Agricultural Production: Implications for International Agricultural Research.
CCT/GCRAI, 1989
·
“Un système agricole durable est un système qui suppose l’aménagement et la conservation de la base de ressources naturelles ainsi qu’une orientation des progrès techniques et institutionnels propre à garantir l’accomplissement et la satisfaction continue des besoins des générations présentes et futures. Ce développement durable conserve les ressources en terre et en eau et les ressources génétiques végétales et animales, et est économiquement viable et socialement acceptable.”
FAO, 1991


L’agriculture est passée par divers stades, allant des systèmes de culture itinérante à des systèmes semi-permanents et des systèmes de culture continue. Actuellement l’ensemble de ces systèmes sont pratiqués dans différentes parties du monde. Tous peuvent être durables et tous peuvent échouer, en fonction des conditions biophysiques et socio-économiques dans lesquelles ils sont pratiqués. Des indices de succès ou d’échec sont fournis à travers l’évolution de la production vivrière par habitant dans les différentes régions (Figure 7).

Figure 7. Production par habitant de a) céréales et b) racines et tubercules en Afrique, Asie et Amérique du Sud (1965-1990)

a) production céréalière

b) production de racines et tubercules

Données de l’Annuaire FAO de la production
La diminution des rendements des principales cultures de base dans certains pays d’Afrique - manioc au Zaïre, et sorgho au Soudan et au Niger - peut être particulièrement significative car elle témoigne de la diminution de la productivité des sols dans ces pays et de la mise en culture de sols marginaux (Figure 8).

Figure 8. Rendements nationaux moyens de a) racines et tubercules, et b) sorgho, dans certains pays (1961-1991)

a) rendements de racines et tubercules

b) rendements de sorgho

Données de l’Annuaire FAO de la production
Dans un environnement politique et social stable, les agriculteurs s’efforcent toujours de mettre en place, pour le présent et l’avenir prévisible, un système suffisamment productif pour subvenir aux besoins de leur groupe social proche. Lorsque des débouchés existent, ils s’efforceront aussi d’accroître leur production pour en tirer des avantages économiques pour eux-mêmes et leurs familles. Des difficultés se posent toutefois lorsque le contexte social, économique et politique change. Un exemple particulièrement frappant àcet égard a été l’accroissement de la demande de terre découlant de l’augmentation de la population, qui a entraîné des conflits au sujet des ressources, tant en eau qu’en terres. La productivité n’augmentera que lorsque les conditions sociales seront favorables et c’est aux gouvernements qu’il incombe de créer de telles conditions. Dans les sections ci-après, on décrira les principes sur lesquels doivent reposer les méthodes de gestion durable des terres et l’on examinera les cas d’application réussie de ces principes dans différentes zones agroécologiques.


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