4. COMPOSITION CHIMIQUE


4.1 Principaux composants
4.2 Lipides
4.3 Protéines
4.4 Extraits azotés
4.5 Vitamines et sels minéraux


4.1 Principaux composants

La composition chimique du poisson varie considérablement d’une espèce et d’un individu à l’autre selon l’âge, le sexe, l’environnement et la saison.

Les principaux composants des poissons et des mammifères peuvent être classés selon les mêmes catégories et le Tableau 4.1 donne des exemples des différences entre les composants des divers poissons. Pour comparaison, on a donné la composition du muscle de boeuf.

Le Tableau 4.1 montre une variation normale et substantielle dans les composants des muscles du poisson. Les valeurs maximales et minimales indiquées sont plutôt extrêmes et rarement atteintes.

Tableau 4.1 Principaux composants (en pourcentage) des muscles de poisson et de boeuf.

Constituants

Poisson (filet)

Bœuf (muscle)

 

Minimum

Intervalle normal

Maximum

 
Protéines

6

16-21

28

20

Lipides

0,1

0,2-25

67

3

Hydrates de carbone  

<0,5

 

1

Cendres

0,4

1,2-1,5

1,5

1

Eau

28

66-81

96

75

Source : Stansby, 1962, Love, 1970

Les variations de la composition chimique du poisson sont étroitement liées à son alimentation, aux déplacements migratoires et aux changements sexuels en rapport avec la ponte. Les poissons auront des périodes de famine pour des raisons naturelles ou physiologiques (telles que migration et frai) ou à cause de facteurs extérieurs tels que le manque de nourriture. Habituellement la ponte, qu’elle se produise après une longue migration ou non, fait appel à de très grandes dépenses d’énergie. Les poissons qui ont des réserves d’énergie sous forme de lipides feront appel à celles-ci. Les espèces effectuant de longues migrations, avant d’atteindre des lieux spécifiques de ponte ou des rivières, peuvent utiliser des protéines en plus des lipides pour puiser de l’énergie et épuisent, de ce fait, leurs réserves à la fois de lipides et de protéines, ce qui conduit à une réduction générale de la condition physique du poisson. Par surcroît, la plupart des espèces s’alimentent très peu durant leur migration de ponte et sont, de ce fait, incapables de se procurer de l’énergie par les aliments.

Durant les périodes d’alimentation intense, la teneur en protéines du tissu musculaire va d’abord augmenter jusqu’à un point dépendant de la quantité qui a été perdue, c’est-à-dire en rapport avec la migration de ponte. Ensuite la teneur en lipides va marquer une augmentation rapide. Après la ponte, le poisson reprend ses habitudes alimentaires et migre souvent pour trouver des sources adéquates de nourriture. Des espèces se nourrissant de plancton, comme le hareng, vont commencer naturellement un autre déplacement saisonnier différent de celui causé par la ponte car la production de plancton dépend de la saison et de différents paramètres physiques dans les océans.

La fraction lipidique est le composant qui subit les variations les plus importantes. Souvent la variation dans une espèce donnée montrera une courbe saisonnière caractéristique avec un minimum autour de la période de frai. La Figure 4.1 montre les variations caractéristiques chez le hareng (4.1a) et le maquereau (4.1b) de la Mer du Nord .

Bien que la fraction protéinique soit plutôt constante dans la plupart des espèces, on a pu observer des variations comme la réduction en protéines se produisant dans le saumon pendant de longues migrations de ponte (Ando et al., 1985 b; Ando et Hatano, 1986) et dans le cabillaud de la Baltique pendant la saison de ponte qui, pour cette espèce, s’étend de Janvier à Juin/Juillet (Borresen, 1992). La variation pour cette dernière est illustrée à la Figure 4.2.

Figure 4.1 Variation saisonnière de la composition chimique des (a) filets de hareng (Clupea harengus) et (b) filets de maquereau (Scomber scombrus).Chaque point représente la valeur moyenne sur huit filets

Certains poissons tropicaux montrent également une variation saisonnière importante de la composition chimique. Le bonga ouest africain (Ethmalosa dorsalis) présente une variation de teneur en graisse de 2 à 7 % (poids brut) sur l’année avec un maximum en Juillet (Watts, 1957). La courbine (Micropogon furnieri) et la pescada-foguete (Marodon ancylodon) capturées au large du Brésil ont une teneur en matières grasses de 0,2 à 8,7 % et de 0,1 à 5,4 % respectivement (Ito et Watanabe, 1968). On a également observé que la teneur en huile varie avec la taille, les poissons plus grands contenant environ 1 % d’huile de plus que les poissons plus petits. Watanabe (1971) a examiné des poissons d’eau douce de Zambie et a trouvé une variation de 0,1 à 5 % de la teneur en huile dans quatre espèces comprenant aussi bien des démersaux que des pélagique.

Figure 4.2 Variation en pourcentage de matière sèche dans le muscle de cabillaud de la Baltique. Les barres verticales représentent l'écart-type de la valeur moyenne. (Borresen, 1992)

Une méthode utile classer les poissons en espèces maigres et espèces grasses consiste à considérer comme maigres les poissons qui emmagasinent les lipides uniquement dans le foie et en poissons gras les poissons conservant les lipides dans des cellules de graisse réparties dans d’autres tissus du corps. Des espèces typiquement maigres sont les poissons de fond comme le cabillaud, le lieu noir et le merlu. Les espèces grasses comprennent les pélagiques comme le hareng, le maquereau et le sprat. Certaines espèces emmagasinent les lipides uniquement dans des parties limitées des tissus de leur corps, ou en plus petites quantités que les espèces typiquement grasses et sont en conséquence appelées espèces semi-grasses, (par exemple barracuda, mulet et requin).

La teneur en lipides des filets de poissons maigres est basse et stable alors que la teneur en lipides des poissons gras est extrêmement variable. Cependant la variation du pourcentage de graisse se reflète dans le pourcentage d’eau, car graisse et eau constituent environ 80 % du filet. Ceci peut être utilisé comme règle générale pour estimer le taux de graisse à partir d’une analyse de la teneur en eau de filet. Ce principe est utilisé avec succès dans un instrument d’analyse appelé Torry Fish Fat Meter qui , en fait, mesure la teneur en eau (Kent et al.,1992).

Qu’un poisson soit gras ou maigre, sa teneur réelle en graisse a des conséquences sur les caractéristiques techniques post mortem. On peut prédire les changements qui vont survenir dans un poisson maigre frais en connaissant les réactions biochimiques dans la fraction protéinique alors que dans les changements survenant dans les poissons gras, on doit également tenir compte des modifications dans les fractions lipidiques. Il en résulte une réduction du temps de conservation due à l’oxydation des lipides et des précautions spéciales doivent être prises pour éviter cette oxydation.

Qu’un poisson soit gras ou maigre, sa teneur réelle en graisse a des conséquences sur les caractéristiques techniques post mortem. On peut prédire les changements qui vont survenir dans un poisson maigre frais en connaissant les réactions biochimiques dans la fraction protéinique alors que dans les changements survenant dans les poissons gras, on doit également tenir compte des modifications dans les fractions lipidiques. Il en résulte une réduction du temps de conservation due à l’oxydation des lipides et des précautions spéciales doivent être prises pour éviter cette oxydation.

Les variations des teneurs en eau, lipides et protéines dans différents poissons sont données au Tableau 4.2.

Tableau 4.2 Composition chimique des filets de diverses espèces de poissons

Espèce
 

Nom scientifique

Eau (%)

Lipides (%)

Protéines (%)

Valeur énergique (KJ/100g)

Merlan bleu a) Micromesistius poutassou

79-80

1,9-3,0

13,8-15,9

 

Cabillaud a) Gadus morhua 78-83 0,1-0,9 15,0-19,0 314-388
Anguille a) Anguilla anguilla 60-71 8,0-31,0 14,4 295-332
Hareng a) Clupea harengus 60-80 0,4-22,0 16,0-19,0  
Carrelet a) Pleuronectes platessa 81 1,1-3,6 15,7-17,8 332-452
Saumon a) Salmo salar 67-77 0,3-14,0 21,5  
Truite a) Salmo trutta 70-79 1,2-10,8 18,8-19,1  
Thon a) Thunnus sp 71 4,1 25,2 581
Langoustine a) Nephrops norvegicus 77 0,6-2,0 19,5 369
Pjerrey b) Basilichthys bornariensis 80 0,7-3,6 17,3-17,9  
Carpe b) Cyprinus carpio 81,6 2,1 16,0  
Sabalo c) Prochylodus platensis 67,0 4,3 23,4  
Pacu c) Colossoma macropomum 67,1 18,0 14,1  
Tambaqui c) Colossoma brachypomum 69,3 15,6 15,8  
Chincuina c) Pseudoplatystoma tigrinum 70,8 8,9 15,8  
Corvina c) Plagioscion squamosissimus 67,9 5,9 21,7  
Bagré c) Ageneiosus spp. 79,0 3,7 14,8  

Sources: a) Murray et Burt (1969), Poulter et Nicolaides (1985 a), c) Poulter et Nicolaides (1985 b)

La teneur en carbohydrate du muscle de poisson est très faible, habituellement inférieure à 0,5%. Ceci est typique des muscles striés, où le carbohydrate se présente sous forme de glycogène et comme partie des composants chimiques des nucléotides. Ce dernier est la source de ribose libérée à la suite de changements autolytiques post mortem.

Comme on le démontre ci-dessus, la composition chimique de différentes espèces de poissons présente des variations suivant les changements de saison, le comportement migratoire, la maturité sexuelle, les cycles alimentaires etc. On observe ces facteurs chez des poissons sauvages vivant librement dans des mers ouvertes et dans des eaux intérieures. Des poissons élevés en aquaculture peuvent également présenter des variations de composition chimique, mais dans ce cas, plusieurs facteurs sont maîtrisés et on peut ainsi prévoir la composition chimique. Jusqu’à un certain point, un éleveur de poissons peut influer sur la composition du poisson en choisissant les conditions d’élevage. On a rapporté que des facteurs tels que la composition des aliments, l’environnement, la taille du poisson, les caractères génétiques ont tous un impact sur la composition et la qualité des poissons produits (Reinitz et al.,1979).

On considère que le facteur qui a l’impact le plus fort sur la composition chimique du poisson est la composition de son alimentation. L’éleveur de poisson est intéressé par la croissance la plus rapide possible du poisson avec un minimum de nourriture, car celle-ci représente la composante principale du coût en aquaculture. Le potentiel de croissance le plus important est obtenu quand le poisson est alimenté suivant un régime riche en lipides pour ses besoins énergétiques et contenant une grande quantité de protéines avec un mélange bien équilibré d’acides aminés.

Cependant, le schéma du métabolisme basal du poisson comporte des limites quant à la quantité de lipides qui peuvent être métabolisés par rapport aux protéines. Du fait que les protéines sont un élément plus coûteux que les lipides, on a réalisé de nombreux essais pour remplacer le plus possible les protéines par les lipides. Parmi les ouvrages que l’on peut consulter sur le sujet: Watanabe et al., 1979; Watanabe, 1982; Wilson et Halver, 1986; et Watanabe et al., 1987.

Habituellement, la plupart des espèces de poissons vont utiliser une partie des protéines pour les besoins énergétiques sans tenir compte de la teneur en lipides. Quand la teneur en lipides dépasse le maximum qui peut être métabolisé pour les besoins en énergie, le reste se déposera dans les tissus, ce qui produira un poisson très gras. En dehors de l’incidence négative sur la qualité générale, ceci peut également diminuer le rendement car l’excédent de graisse sera stocké sous forme de dépôts dans la cavité abdominale, dépôts qui seront rejetés comme déchets à l’éviscération et au filetage.

La méthode normale pour réduire la teneur en graisse chez les poissons d’aquaculture avant la récolte consiste à les faire jeûner pendant un certain temps. Il a été démontré que ceci influe sur la teneur en graisse aussi bien chez les poissons gras que chez les poissons maigres. (Consulter par exemple Reinitz, 1983; Johansson et Kiessling, 1991; Lie et Huse, 1992).

On doit mentionner que, outre la possibilité de prédéterminer, dans certaines limites, la composition du poisson en aquaculture, le fait de garder celui-ci en captivité dans des conditions bien maîtrisées offre aussi la possibilité de mener des expériences dans lesquelles une variation de composition chimique, observée dans des poissons sauvages, peut être provoquée. Ces expériences peuvent être conduites de façon à ce que les mécanismes produisant les variations puissent être élucidés.

4.2 Lipides

Les lipides présents dans les espèces de poissons téléostéens peuvent être divisés en deux groupes principaux: les phospholipides et les triglycérides. Les phospholipides constituent la structure intégrale des membranes des unités cellulaires et sont de ce fait appelés souvent lipides stucturaux. Les triglycérides sont des lipides utilisés pour entreposer l’énergie dans les dépôts de graisse, habituellement à l’intérieur de cellules grasses spéciales entourées d’une membrane de phospholipide et d’un réseau assez faible de collagène. On appelle souvent les triglycérides des graisses de dépôt. Quelques poissons ont des cires sous forme d'esters faisant partie de leurs graisses de dépôt.

Le muscle blanc d’un poisson maigre typique comme le cabillaud contient moins de 1% de lipides. Les phospholipides en constituent environ 90% (Ackman, 1980). Cette fraction phospholipidique du muscle de poisson maigre consiste environ en 69% de phosphatidyl-choline, 19% de phosphatidyl-éthanolamine et 5% de phosphatidyl-sérine, en plus d'autres phospholipides présents en faibles quantités.

Tous les phospholipides sont enfermés dans des structures membraneuses comprenant les membranes externes des cellules, le réseau endoplasmique et les autres systèmes tubulaires intracellulaires, de même que les membranes d'organites comme les mitochondries. En plus des phospholipides, les membranes contiennent aussi du cholestérol qui contribue à leur rigidité. Dans les muscles des poissons maigres, le cholestérol peut représenter jusqu’à environ 6% des lipides totaux, niveau semblable à celui trouvé dans les muscles des mammifères.

Comme on l’a déjà expliqué, les poissons peuvent être classés en espèces maigres ou grasses suivant la façon dont ils stockent les lipides pour l’énergie. Les poissons maigres utilisent le foie comme réservoir d’énergie tandis que les poissons gras répartissent leurs lipides dans les cellules grasses à travers tout leur corps.

Les cellules grasses, constituant les dépôts de lipides dans les espèces grasses, sont typiquement situées dans le tissu sous-cutané, dans les muscles de la paroi abdominale et dans les muscles animant les nageoires et la queue. Dans certaines espèces, qui stockent des quantités extrêmement importantes de lipides, la graisse peut également se déposer dans la cavité abdominale. Suivant la quantité d’acides gras polyinsaturés, la plupart des graisses du poisson sont plus ou moins liquides à basse température.

Finalement, on trouve aussi des dépôts de graisse répartis pratiquement dans toute la structure musculaire. La concentration de cellules grasses semble plus importante à proximité du myocomme et dans la région située entre le muscle blanc et le muscle rouge (Kiessling et al., 1991). Le muscle rouge contient quelques triglycérides à l’intérieur des cellules musculaires, même dans le poisson maigre, car ce muscle est capable de métaboliser directement les lipides en énergie. Les cellules correspondantes du muscle blanc utilisent le glycogène comme source d’énergie pour le métabolisme anaérobie.

Dans le muscle rouge, les réserves d’énergie sont complètement catabolisées en CO2 et en eau alors qu’il se forme de l’acide lactique dans le muscle blanc. La mobilisation de l’énergie est bien plus rapide dans le muscle blanc que dans le muscle rouge mais la formation d’acide lactique crée une fatigue qui rend le muscle incapable d’un long travail à pleine puissance. Ainsi, le muscle rouge est utilisé pour des activités de nage continue et le muscle blanc pour des efforts rapides comme chassser une proie ou éviter un prédateur.

A titre d'exemple, la Figure 4.3 montre la variation saisonnière du dépôt de graisse dans le maquereau et le capelan. On y voit que le taux de lipides dans les différents tissus varie considérablement. Les réserves de lipides sont typiquement utilisées pour les grandes migrations de frai et l’élaboration des gonades (Ando et al.,1985 a). Quand les lipides sont mobilisés à cet effet, on se demande si les divers acides gras présents dans les triglycérides sont utilisés sélectivement. Ceci ne semble pas être le cas dans le saumon, mais dans le cabillaud, on a observé une utilisation sélective de C 22:6 (Takama et al., 1985).

Figure 4.3 Répartition de l’ensemble des matières grasses dans différentes parties du maquereau (en haut) et du capelan (en bas) d’origine norvégienne (Lohne, 1976)

Les phospholipides peuvent également être mobilisés jusqu’à un certain point pendant les longues migrations (Love, 1970), bien que l’on considère que la fraction lipidique soit conservée bien plus longtemps que les triglycérides

Dans les élasmobranches, tels que les requins, une quantité significative de lipides est stockée dans le foie et peut consister en graisses telles que des esters diacyl-alkyl-glyceriliques ou squalènes. Quelques requins peuvent avoir des huiles de foie avec un minimum de 80% de lipides comme substance insaponifiable, essentiellement sous forme de squalène (Buranudeen et Richards-Rajadurai, 1986).

Les lipides des poissons diffèrent des lipides des mammifères. La différence principale tient au fait que les lipides du poisson incluent jusqu’à 40% d’acides gras à longue chaîne (14 à 22 atomes de carbone) qui sont hautement insaturés. La graisse des mammifères contiendra rarement plus de deux doubles liaisons par molécule d’acide gras alors que les dépôts gras du poisson contiennent plusieurs acides gras avec cinq ou six doubles liaisons (Stansby et Hall, 1967).

Le pourcentage d’acides gras polyinsaturés ayant quatre, cinq ou six doubles liaisons est légèrement plus faible dans les acides gras polyinsaturés des lipides des poissons d’eau douce (environ 70%) que dans les lipides correspondants des poissons d’eau de mer (environ 88%) (Stansby et Hall, 1967). Cependant la composition des lipides n’est pas complètement fixe mais peut varier en fonction de l’alimentation et de la saison.

Dans l’alimentation humaine, certains acides gras tels que les acides linoléique et linolénique sont considérés comme essentiels car l’organisme ne peut pas les synthétiser. Dans les poissons marins, ces acides gras constituent seulement environ 2% des lipides totaux, ce qui est un faible pourcentage comparé à plusieurs huiles végétales. Cependant les huiles de poisson contiennent d’autres acides gras polyinsaturés qui sont "essentiels" pour prévenir les maladies de peau de la même façon que les acides linoléique et arachidonique. Comme membres de la famille de l’acide linoléique (première double liaison en troisième position, w -3, à partir du groupe méthyl terminal, ils auront également des effets neurologiques favorables à la croissance des enfants. Un de ces acides gras, l’acide eicosapenténoique (C20:5w 3), a récemment beaucoup attiré l’attention parce que des savants danois ont trouvé que cet acide entrait de façon importante dans le régime alimentaire d’un groupe d’Esquimaux du Groenland pratiquement exempt d’artériosclérose. Des recherches au Royaume-Uni et ailleurs ont montré que l’acide eicosapenténoique dans le sang est un facteur antithrombotique extrêmement puissant (Simopoulos et al., 1991).

4.3 Protéines

Les protéines des tissus musculaires du poisson peuvent être divisées en trois groupes:

Les protéines structurelles constituent le système contractile responsable du mouvement des muscles, comme on l’a expliqué au chapitre 3.2. La composition en acides aminés est approximativement la même que pour les protéines correspondantes dans le muscle des mammifères bien que les propriétés physiques puissent être légèrement différentes. Le point iso-électrique (pI) se situe aux environs d’un pH de 4,5 à 5,5. Aux valeurs de pH correspondantes, les protéines ont leur minimum de solubilité, comme le montre la Figure 4.4.

La structure conformationnelle des protéines de poisson est modifiée facilement par le changement de l’environnement physique. La Figure 4.4 montre comment la solubilité des protéines myofibrillaires est modifiée après lyophilisation. Un traitement avec des concentrations élevées en sel ou un traitement thermique peuvent conduire à une dénaturation et à une modification irréversible de la structure de la protéine native.

Quand les protéines sont dénaturées sous conditions contrôlées, leurs propriétés peuvent être utilisées pour des besoins technologiques. La production de produits à base de surimi où on utilise la capacité des protéines myofibrillaires à former un gel en est un bon exemple. Après addition de sel et de stabilisants à une préparation lavée et hachée de protéines musculaires et après un traitement maîtrisé de chauffage et de refroidissement, les protéines forment un gel très solide (Suzuki, 1981).

Figure 4.4 Solubilité de protéine myofibrillaire avant et après lyophilisation à des valeurs de pH variant de 2 à 12 (Spinelli et al., 1972)

La majorité des protéines sarcoplasmiques sont des enzymes participant au métabolisme de la cellule, comme la transformation anaérobie de l’énergie du glycogène en ATP. Si les organites à l’intérieur des cellules musculaires sont rompues, cette fraction de protéine peut également contenir les enzymes métaboliques situées à l’intérieur du reticulum endoplasmique, des mitochondries et des lysosomes.

On avait pensé utiliser les variations de la composition de la fraction de protéine sarcoplasmique après rupture des organites comme moyen de différencier le poisson frais du poisson congelé en supposant que les organites restent intactes jusqu’à la congélation (Rehbein et al., 1978; Rehbein, 1979; Salfi et al., 1985). Cependant on a établi plus tard que ces méthodes devaient être utilisées avec beaucoup de précaution car certaines des enzymes sont également libérées par les organites durant le stockage du poisson sous glace (Rehbein, 1992).

Les protéines dans la fraction sarcoplasmique conviennent parfaitement pour différencier entre espèces de poisson car chacune développe un profil éléctrophorétique caractéristique quand elle est séparée par électrophorèse. La méthode a été présentée avec succès par Lundstrom (1980) et a été utilisée par de nombreux laboratoires et pour de nombreuses espèces de poissons. Rehbein (1990) en a donné une mise au point bibliographique.

Les propriétés chimiques et physiques des protéines de collagène sont différentes dans les tissus tels que la peau, la vessie natatoire et le myocomme dans le muscle (Mohr, 1971). En général, les fibrilles de collagène forment une structure délicate en réseau avec une complexité variable dans les tissus conjonctifs suivant un schéma similaire à celui trouvé chez les mammifères. Cependant dans le poisson, le collagène est bien plus instable à la chaleur et contient moins de liaisons croisées mais celles-ci sont plus instables que le collagène des vertébrés à sang chaud. Le taux d’hydroxyproline est en général plus bas chez les poissons que chez les mammifères, bien que l’on ait pu observer une variation totale de 4,7 à 10% du collagène (Sato et al., 1989).

Différentes espèces de poisson contiennent des quantités variables de collagène dans leurs tissus. Ceci a conduit à penser que la distribution du collagène pouvait refléter la manière de nager des espèces (Yoshinaka et al., 1988). De plus, les quantités et les types de collagène, variables suivant les poissons, peuvent avoir également une influence sur les propriétés texturelles du muscle de poisson (Montero et Borderias, 1989). Borresen (1976) a mis au point une méthode pour isoler le réseau de collagène entourant chaque cellule individuelle du muscle. La structure et la composition de ces agencements ont été ensuite caractérisées dans le cabillaud par Almaas (1982).

Le rôle du collagène dans le poisson a été passé en revue par Sikorsky et al. (1984). Une excellente mise au point a été préparée récemment par Brennen (1992) qui y présente les plus récents travaux sur les différents types de collagène trouvés chez le poisson.

Tableau 4.3 Pourcentage d’acides aminés essentiels de différentes protéines

Acide aminé

Poisson

Lait

Boeuf

Oeuf

Lysine

8,8

8,1

9,3

6,8

Tryptophane 1,0 1,6 1,1 1,9
Histidine 2,0 2,6 3,8 2,2
Phénylalanine 3,9 5,3 4,5 5,4
Leucine 8,4 10,2 8,2 8,4
Isoleucine 6,0 7,2 5,2 7,1
Thréonine 4,6 4,4 4,2 5,5
Méthionine-cystéine 4,0 4,3 2,9 3,3
Valine 6,0 7,6 5,0 8,1

Sources: Braekkan, 1976 ; Moustgard, 1957

Les protéines du poisson renferment tous les acides aminés essentiels qui ont, comme les protéines du lait, des oeufs et de la viande de mammifères, une très haute valeur biologique (Tableau 4.3).

Les céréales sont habituellement faibles en lysine et/ou en acides aminés soufrés (méthionine et cystéine), alors que la protéine du poisson en est une excellente source. Un supplément de poisson peut, par conséquent, améliorer de façon significative la valeur biologique dans des régimes basés essentiellement sur les céréales.

En plus des protéines de poisson déjà signalées, il y a un regain d’intérêt dans les fractions de protéines spécifiques qui peuvent être récupérées dans les sous-produits et particulièrement dans les viscères. La protéine de base ou protamine trouvée dans la laitance des poissons mâles en est un exemple. Le poids moléculaire est habituellement inférieur à 10 000 kD et le pI est supérieur à 10. Ceci est le résultat d’une composition en acides aminés particulière qui peut indiquer jusqu’à 65% d’arginine.

La présence de protéines basiques est connue depuis longtemps, et on sait également qu’il n’y en a pas dans toutes les espèces de poissons (Kossel, 1928). Les meilleures sources en sont le saumon et le hareng alors que les poissons de fond comme le cabillaud ne contiennent pas de protamines.

Le caractère extrêmement basique des protamines les rend intéressantes pour plusieurs raisons. Elles adhèrent à la plupart des autres protéines moins basiques, permettant d’améliorer les propriétés fonctionnelles des autres protéines alimentaires (Poole et al., 1987; Phillips et al., 1989). Il y a cependant un problème pour éliminer tous les lipides présents dans la laitance de la préparation de protéine car, aux concentrations prévues pour être utilisées dans l'alimentation, ceux-ci donnent une flaveur désagréable.

Un autre caractère intéressant des protéines basiques est leur capacité à empêcher la croissance des micro-organismes (Braekkan et Boge, 1964; Kamal et al., 1986). Ceci paraît être l’utilisation la plus prometteuse de ces protéines basiques dans l’avenir.

4.4 Extraits azotés

Les extraits azotés peuvent être définis comme étant des composés de nature non protéique, solubles dans l’eau, de poids moléculaires faibles et renfermant de l’azote. Cette fraction ANP (Azote non protéique) constitue de 9 à 18% de l’azote dans les téléostéens.

Les composants principaux de cette fraction sont: des bases volatiles telles que l’ammoniaque et l’oxyde de triméthylamine (OTMA), la créatine, les acides aminés libres, les bases nucléotides et bases puriques et, dans le cas des poissons cartilagineux, l’urée.

Le Tableau 4.4 donne une liste de quelques composants de la fraction ANP de différents poissons et des viandes de volaille et de mammifères.

La Figure 4.5 donne un exemple de la distribution de différents composés dans la fraction ANP des poissons d’eau de mer et d’eau douce. On notera que la composition varie d’une espèce à l’autre mais également au sein d'une même espèce suivant la taille, la saison, l’échantillon de muscle, etc.

Tableau 4.4 Principales différences dans les extraits de muscles

Constituant en mg/ 100g

Poisson

Crustacés

Volaille Muscle de la cuisse

Muscle de mammifère

poids humide 1

Cabillaud

Hareng

Requin

Homard

   
1) Extrait total

1200

1200

3000

5500

1200

3500

2) Acides aminés libres            
Totaux

75

300

100

3000

440

350

Arginine

<10

<10

<10

750

<20

<10

Glycine

20

20

20

100-1000

<20

<10

Acide glutamique

<10

<10

<10

270

55

36

Histidine

<1,0

86

<1,0

---

<10

<10

Proline

<1,0

<1,0

<1,0

750

<10

<10

3) Créatine

400

400

300

0

---

550

4) Bétaine

0

0

150

100

---

---

5) Oxyde de triméthylamine

350

250

500- 1000

100

0

0

6) Ansérine

150

0

0

0

280

150

7) Carnosine

0

0

0

0

180

200

8) Urée

0

0

2000

---

---

35

1 L’unité dans ce tableau indique le poids moléculaire total du constituant.(Source: Shewan,1974).

Figure 4.5 Distribution de l'azote non protéique dans les muscles de deux poissons osseux marins (A,B), un élasmobranche (C) et un poisson d’eau douce (D) (Konosu et Yamaguchi, 1982; Suyama et al., 1977)

L'OTMA constitue une part importante et caractéristique de la fraction ANP dans les espèces marines et mérite plus d’attention. Ce composant se trouve dans toutes les espèces de poissons marins, à des taux variant de 1 à 5% du tissu musculaire (poids net) mais est pratiquement absent chez les poissons d’eau douce et les organismes terrestres (Anderson et Fellers, 1952; Hebard et al., 1982).

On a récemment trouvé une exception dans la perche du Nil et le tilapia du Lac Victoria où on a rencontré jusqu’à 150 à 200 mg d'OTMA/100 gr de poisson frais (Gram et al., 1989).

Malgré les nombreux travaux sur l’origine et le rôle de l'OTMA, il reste encore beaucoup à faire. Stroem et al. (1979) ont montré que l'OTMA est formé par biosynthèse dans certaines espèces de zooplancton. Ces organismes possèdent une enzyme (TMA mono-oxygénase) qui oxyde la triméthylamine (TMA) en OTMA. La TMA se trouve généralement dans les plantes marines de même que de nombreuses autres amines méthylées (monométhylamine et diméthylamine). Les poissons qui mangent du plancton peuvent obtenir leur OTMA en se nourrissant de zooplancton (origine exogène). Belinski (1964) et Agustsson et Stroem (1981) ont montré que certaines espèces de poissons sont capables de synthétiser l'OTMA à partir de la TMA, mais on considère cette synthèse comme de faible importance.

Le système TMA-oxydase est localisé dans les microsomes des cellules et utilise la présence de phosphate nicotinamide adénine dinucléotide (NADPH):

(CH3)3N + NADPH + H+ + O2 (CH3)3 NO + NADP+ +H2O

Il est surprenant que cette mono-oxygénase puisse être répandue largement chez les mammifères (où on pense qu’elle fonctionne comme un détoxifiant) alors que la plupart des poissons ne présentent qu’une activité très faible ou indécelable de cette enzyme.

Des recherches japonaises (Kawataba, 1953) montrent qu’il existe un système de réduction de l'OTMA dans le muscle rouge de certains pélagiques.

La quantité d'OTMA dans le tissu musculaire dépend de l’espèce, de la saison, des zones de pêche etc. En général, on rencontre le taux le plus élevé dans les élasmobranches et les céphalopodes (de 75 à 250 mg N/100 g); les cabillauds ont un taux intermédiaire ( de 60 à 120 mg N/100 g) tandis que les poissons plats et les pélagiques en ont le moins. Une vaste compilation de données est fournie par Hébard et al.(1982). Selon Tokunaga (1970), les poissons pélagiques (sardines, thon, maquereau) ont leur concentration la plus forte en OTMA dans le muscle rouge alors que les poissons démersaux à chair blanche ont un pourcentage bien plus important dans le muscle blanc.

Chez les élasmobranches, l'OTMA jouerait un rôle d’osmorégulation et on a démontré que le transfert de petites raies dans un mélange d’eau douce et d’eau de mer (1:1) produisait une réduction de 50% de l'OTMA intracellulaire. Le rôle de l'OTMA chez les téléostéens est plus incertain.

Plusieurs hypothèses ont été proposées à ce sujet:

Selon Stroem (1984), on estime à présent que l'OTMA joue généralement un rôle osmorégulateur.

Comme l'OTMA n’a été auparavent décelé pratiquement que dans les poissons marins, et ce jusqu’à la publication des observations de Gram et al. (1989), on pensait que l'OTMA, combiné à une quantité importante de taurine, pouvait avoir des effets additionnels, du moins dans le poisson d’eau douce (Anthoni et al., 1990 a).

Quantitativement le principal constituant de la fraction ANP est la créatine. Dans un poisson au repos, la plus grande partie de la créatine est phosphorylée et fournit de l’énergie pour la contraction musculaire.

La fraction ANP contient également une teneur assez importante en acides aminés libres. Ceux-ci représentent 630 mg/100 g de muscle blanc dans le maquereau (Scomber scombrus), de 350 à 420 mg/100 g dans le hareng (Clupea harengus) et de 310 à 370 mg/100 gr dans le capelan (Mallotus villosus). L’importance relative de ces acides aminés varie selon les espèces. La taurine, l’alanine, la glycine et les acides aminés contenant l’imidazole semblent prédominer dans la plupart des poissons. Parmi ces acides amines à noyau imidazole, l’histidine a beaucoup attiré l’attention car elle peut être microbiologiquement décarboxylée en histamine. Les espèces actives à chair rouge comme le thon et le maquereau ont une forte teneur en histidine.

La teneur en nucléotides et en fragments de nucléotides dans le poisson mort dépend de l’état de celui-ci et ce sujet est traité au chapitre 5.

4.5 Vitamines et sels minéraux

La teneur en vitamines et sels minéraux est spécifique aux espèces et peut, de plus, varier selon la saison. En général, la chair du poisson est une bonne source de vitamines B et également, dans le cas des espèces grasses, de vitamines A et D. Quelques espèces d’eau douce comme la carpe ont une grande activité thiaminase et, de ce fait, leur teneur en thiamine est généralement basse. En ce qui concerne les éléments minéraux, la chair du poisson est considérée comme une source appréciable de calcium et de phosphore en particulier mais également de fer, cuivre et sélénium. Les poissons d’eau de mer ont une forte teneur en iode. Les Tableaux 4.5 et 4.6 donnent une liste des teneurs en vitamines et en éléments minéraux. A cause de la variation naturelle de ces éléments, il est impossible de donner des chiffres exacts.

Tableau 4.5 Vitamines du poisson


Poisson

A
(UI/g)

D
(UI/g)

B1
(thiamine)
(mg/g)

B2
(riboflavine)
(mg/g)

Niacine
(mg/g)

Acide
pantothénique
(mg/g)

B6
(mg/g)

Filet de cabillaud

0-50

0

0,7

0,8

20

1,7

1,7

Filet de hareng

20-400

300-100

0,4

3,0

40

10

4,5

Huile de foie de morue

200-10000

20-300

---

3,41

151

4,31

---

1 Foie entier. Source: Murray et Burt, 1969.

Tableau 4.6 Quelques minéraux présents dans le muscle du poisson

Elément

Moyenne (mg/100g)

Intervalle (mg/ 100g)

Sodium

72

30-134

Potassium

278

19-502

Calcium

79

19-881

Magnésium

38

4,5-452

Phosphore

190

68-550

Source: Murray et Brut, 1969

La teneur en vitamines est comparable à celle des mammifères exception faite pour les vitamines A et D que l’on trouve en grandes quantités dans la chair des espèces grasses et en abondance dans le foie de certaines espèces comme le cabillaud et le flétan. Il faut noter que la teneur en sodium dans la chair du poisson est relativement basse, ce qui le rend compatible avec un régime hyposodé.

Dans le poisson d’aquaculture, les taux de vitamines et de sels minéraux sont censés refléter la composition en éléments entrant dans la nourriture du poisson bien que les données relevées doivent être interprétées avec beaucoup de précautions (Maage et al., 1991). Pour protéger les acides gras polyinsaturés n-3, considérés comme très importants pour la santé tant du poisson que de l’homme, on peut ajouter de la vitamine E dans l’aliment du poisson en tant qu’antioxydant. On a démontré que le niveau de vitamine E dans les tissus du poisson correspondait à sa concentration dans son alimentation (Waagbo et al., 1991).