9. ASSURANCE DE LA QUALITE DU POISSON FRAIS


Le pêcheur artisanal, pêchant quelques heures et revenant vendre sa prise sur la plage alors que le poisson est encore vivant ou très frais, n’a pas besoin d’un système d’assurance qualité compliqué. Ses clients connaissent très bien la qualité et, le plus souvent, le poisson est pêché, vendu et consommé dans la même journée. Cependant, aucune société produisant, transformant ou distribuant des aliments ne peut survivre à moyen ou long terme que si les problèmes de qualité sont bien définis et traités et qu’un système de qualité approprié est mis en place dans l’établissement de transformation. Ceci est d’autant plus vrai que la demande globale pour le poisson et les produits de la pêche est en croissance continue alors que le niveau de la production approche de son maximum avec des possibilités limitées d’augmentation dans l’avenir. La nécessité d’une meilleure valorisation de la récolte actuelle incluant une réduction des pertes de poisson dues à l’altération milite donc pour un système efficace d’assurance- qualité. Les avantages complémentaires en sont une efficacité accrue, une meilleure satisfaction des employés et des coûts plus faibles pour les industries de transformation.

Traditionnellement, les transformateurs de poisson ont considéré que la responsabilité de l’assurance qualité incombait aux services officiels d’inspection dont le rôle consistait à formuler des lois et règlements sur les produits alimentaires, l’inspection des établissements et des procédés ainsi que l’examen du produit final. Les efforts des transformateurs ont été, dans de nombreux cas, axés entièrement sur l’examen du produit final. Un tel système est coûteux, inefficace et n’apporte pas de garantie de qualité mais simplement une fausse impression de sécurité.

Il est nécessaire à ce stade de faire une distinction entre Assurance Qualité et Contrôle Qualité car malheureusement, ces deux termes ont été utilisés indifféremment et leur distinction est devenue floue. Selon les Normes Internationales (ISO 8402), l’Assurance-Qualité (AQ) concerne "l’ensemble des actions pré-établies et systématiques nécessaires pour donner la confiance appropriée en ce qu’un produit ou service satisfera aux exigences données relatives à la qualité". En d’autres termes, l’AQ est une fonction stratégique de gestion qui établit les plans, adapte les programmes pour atteindre les buts établis et donne confiance dans l’application efficace de ces mesures.

Assurance-Qualité est le terme moderne pour décrire la maîtrise, l’évaluation et la vérification d’un système de transformation alimentaire. La fonction première est de créer la confiance, autant du côté de la direction que du côté du consommateur final, dans le fait que la société fournit les produits de la qualité souhaitée qui a été spécifiée dans les accords commerciaux entre le producteur et le consommateur. C’est seulement par un programme d’AQ planifié qu’une firme peut réussir à fournir au consommateur les produits attendus.

Une grande partie du programme Assurance-Qualité est construite autour du Contrôle- Qualité (CQ). CQ représente: "les techniques et activités opérationnelles utilisées pour remplir les exigences de qualité" (ISO 8402), c’est-à-dire une fonction tactique qui réalise les programmes établis par l’AQ. Le contrôle-qualité est assez souvent considéré comme l’équivalent de "l’inspection" ou de mesures à l’intérieur d’un programme assurance qualité. CQ signifie donc se ranger à une norme le plus souvent associée à la ligne de production, c’est-à-dire des procédés et opérations spécifiques. Le CQ est l’outil destiné à aider les ouvriers de la production à faire fonctionner la ligne, en accord avec les paramètres prédéterminés pour tout niveau de qualité défini.

Par contraste avec les principes en vigueur dans les programmes traditionnels de qualité reposant surtout sur le contrôle du produit final, une stratégie préventive fondée sur une étude complète des conditions existantes est bien plus en mesure d’apporter une meilleure garantie de qualité et cela même à moindre coût. Une telle stratégie a d’abord été mise en place par des microbiologistes, il y a plus de 20 ans, pour améliorer la sécurité des produits alimentaires. Elle s’appelle: Système de l’Analyse des Dangers - Maîtrise des Points Critiques (HACCP). Les principes du système HACCP peuvent aussi être utilisés pour le contrôle d’autres aspects de qualité.

Ces principes sont actuellement introduits dans l’industrie alimentaire dans de nombreuses parties du monde. Une des raisons de ce développement vient de ce que de nombreuses législations alimentaires nationales responsabilisent entièrement le producteur pour la qualité de ses produits (par exemple Directives du Conseil de la CEE No 91/493/CEE) et l’utilisation du système HACCP est devenue obligatoire (CEE 1993; 1994).

Système de l’Analyse des Dangers - Maîtrise des Points Critiques (HACCP)

Les principaux éléments du système HACCP sont:

  1. Identifier lesdangerspotentiels.
    Evaluer la probabilité d’apparition de ces dangers.
  2. Déterminer les Points Critiques pour la maîtrise des dangers (PCC).
    Déterminer les étapes à contrôler pour éliminer ou réduire les dangers à leur minimum. Un PCC qui peut maîtriser complètement un danger est appelé PCC1, tandis qu’un PCC qui réduit au minimum mais qui ne maîtrise pas complètement un danger est appelé PCC2.
  3. Etablir les limites critiques (tolérances, niveaux cibles) dont le respect atteste de la maîtrise effective des PCC.
  4. Etablir un système de surveillance.
  5. Prévoir les mesures correctives à mettre en oeuvre lorsqu’un PCC n’est pas maîtrisé.
  6. Etablir des procédures de vérification.
  7. Etablir un système documentaire et d’enregistrement.

Pour les informations détaillées sur la mise en route et l’application du système HACCP, le document de Huss (1994) doit être consulté.

Le grand avantage du système HACCP est qu’il constitue une approche d’assurance préventive de qualité, scientifique, systématique, structurée, rationnelle, multidisciplinaire, adaptable et réduisant les frais. S’il est bien appliqué, il n’y a pas d’autre système ou méthode qui puisse apporter un tel degré de sécurité et d’assurance de qualité. Par ailleurs, le coût de fonctionnement quotidien du système HACCP est faible comparé à un programme élaboré d’échantillonnage.

En utilisant le concept HACCP dans l’industrie alimentaire, il est possible d’assurer et - comme toutes les actions et mesures sont enregistrées - de fournir les documents assurant une norme de qualité, conforme à la spécification du produit

Application du système HACCP à la production du poisson frais et congelé

Le point de départ de la conception et de la mise en place de tout programme de qualité consiste à réaliser une définition et une description complètes et correctes du produit. Ensuite on doit s’assurer que tous les éléments de qualité ont été recensés et couchés par écrit, afin que toute ambiguité soit écartée. Ainsi les limites critiques des défauts tels que présence d’arêtes, de morceaux de peau et de membranes sur les filets sans peau, poids minimum autorisé, etc. doivent être clairement fixées. Quand ce travail est terminé et que les procédures de l’opération ont été étudiées, il est possible d’identifier les dangers à maîtriser. Le tableau 9.1 donne une liste des dangers possibles et des points critiques pour leur maîtrise dans la production et le traitement du poisson et des filets sans arêtes congelés.

Dans la plupart des présentations, on recommande de limiter les dangers aux problèmes de santé publique et de décomposition (altération). Cependant, dans cette présentation, la qualité commerciale (défauts) a également été prise en considération.

Quand on a identifié tous les dangers, défauts et points critiques pour leur maîtrise (PCC), on doit établir un système approprié de surveillance et de contrôle à chaque PCC. Ceci comprend :

  1. une description détaillée des mesures de contrôle, la fréquence des contrôles et la désignation des responsables
  2. la fixation des limites critiques pour chaque mesure de contrôle
  3. les enregistrements à tenir pour toutes les actions et observations
  4. la création d’un plan d’actions correctives.

Une description précise et détaillée de tous les PCC est impossible car les situations individuelles et locales peuvent varier. Cependant on a étudié les quelques points généraux suivants:

POISSON VIVANT - avant capture. Les dangers sont la présence de biotoxines et la contamination par des produits chimiques et/ou des pathogènes entériques:

  1. les mesures de maîtrise consistent à vérifier l’environnement (zones de pêche) en termes de pollution et de présence de biotoxines. Le gouvernement sera responsable de cette activité dans la plupart des pays et on devra exercer une surveillance régulière
  2. des limites critiques devront être établies par les gouvernements nationaux
  3. les résultats des surveillances devront être publiés périodiquement
  4. l’action corrective consiste à interdire la pêche dans les zones fortement polluées

MANUTENTION DES CAPTURES - les dangers sont le développement des bactéries (provoquant la formation d’histamine et/ou la décomposition), la décoloration et le clivage des filets:

  1. les mesures de maîtrise comprennent la manutention rapide des captures (temps entre la prise et le glaçage) et un contrôle visuel pour s’assurer que l’équipage suit les procédures prescrites pour éviter une manutention brutale. Le contrôle devra être continu et le patron ou son second sur le pont seront tenus pour responsables
  2. le temps de manutention de la prise est de 3 heures maximum

Tableau 9.1 Dangers et points critiques pour leur maîtrise (PCC) dans la production et le traitement du poisson frais et des filets de poisson sans arêtes congelés

Flux des produits

Dangers

Mesures préventives

Degré de maîtrise

POISSON VIVANT
Contamination (chimique, pathogènes entériques) biotoxines Eviter la pêche dans les zones contaminées ou sujettes aux biotoxines CCP-2
CAPTURES ET MANUTENTION DES CAPTURES Prolifération des bactéries
Rupturedesfibres
Décoloration
Manutention rapide
Eviter les manutentions brutales
CCP-1
CCP-2
REFROIDISSEMENT
DÉBARQUEMENT
Prolifération des bactéries Basse température CCP-1
ARRIVÉE DE LA MATIÈRE PREMIÈRE À L’USINE Produit de qualité inférieure admis à la transformation S’assurer une source fiable (HACCP à bord ou liste de fournisseurs agréés) Evaluation sensorielle CCP-2
RÉFRIGÉRATION Prolifération de bactéries (dégradation) Assurer une basse température CCP-1
TRANSFORMATION
Déglaçage
Lavage
Filetage
Epiautage, Parage
Mirage

Morceaux de peau, d’arêtes et de membranes sur les filets
Parasites sur les filets

Bon réglage des machines
Formationdupersonnel
Assurer une luminosité suffisante des tables de mirage
Relève fréquente du personnel

CCP2

CCP-2
Pesage
Emballage
Poids insuffisant ou excessif
Dégradation pendant le stockage (frais/congelé)
Assurer la précision des balances
Utiliser matériau et méthode d’emballage adéquats
(par exemple le vide)
CCP-1

CCP-2

Toutes étapes de transformation Prolifération de bactéries
Contamination
(bactéries entériques)
Rapidité de la transformation
Hygiène/salubrité de l’usine
Qualité de l’eau
CCP-1
CCP-2
CCP-1
Réfrigération
Congélation
Stockage
Dégradation Assurer une basse température CCP-1
  1. un enregistrement détailllé sur chaque coup de filet, le marquage adéquat des caisses ou conteneurs pour identifier les lots, les heures et jours des captures, la durée des manutentions, les écarts - s’il y en a - par rapport à la procédure indiquée
  2. les actions correctives sont la vérification du produit (tri) et le rejet des produits de basse qualité

GLAÇAGE - le danger est le développement des bactéries:

  1. les mesures de maîtrise sont l’enregistrement continu des températures (automatique)ou le contrôle visuel du glaçage du poisson. Le patron ou le second sont responsables
  2. la limite critique pour la température du poisson est 1oC
  3. on doit tenir un registre des températures et des observations sur le glaçage
  4. l’action corrective est la vérification du poisson pour les périodes non maîtrisées, le tri et le rejet du poisson de basse qualité. Identification de la /des raison(s) pour la non maîtrise de la température

ARRIVEE DE LA MATIERE PREMIERE A L’USINE - le danger est la possibilité de transformer un produit de qualité inférieure:

  1. les mesures de maîtrise sont la vérification d’identité de la matière première, l’examen sensoriel (visuel) et le contrôle de la température du poissson et de toute matière première à son arrivée. Le directeur de production ou une personne spécialement désignée peut être responsable
  2. aucun poisson de mauvaise qualité n’est accepté (spécification de la société)
  3. on doit tenir un registre des actions et observations quotidiennes
  4. rejet du poisson de mauvaise qualité. Trouver la raison de la faible qualité. Changer de fournisseur

REFRIGERATION - le risque est le développement des bactéries (altération)

  1. les mesures de maîtrise sont l’enregistrement continu des températures (automatique) dans la chambre froide et la vérification du glaçage du poisson. On doit régulièrement vérifier la précision du thermomètre par rapport à des thermomètres à mercure. La personne responsable est le directeur de production ou une personne désignée
  2. la température de la chambre froide doit être <5 oC
  3. on doit tenir un registre permanent des températures et des observations
  4. si les températures ne sont pas maîtrisées, tous les produits doivent être réinspectés, triés et les poissons de mauvaise qualité rejetés

TRAITEMENT - filetage, pelage/parage - les dangers sont des morceaux de peau, d’arêtes et de membranes laissés sur le filet:

  1. les mesures de maîtrise sont le contrôle quotidien des machines pour un bon réglage. Instruction du personnel. Un échantillon de x kg de filet est prélevé n fois par jour pour un examen visuel soigneux. La fréquence d’échantillonnage doit être décidée par la société. Le contrôle électronique direct est possible (Pau et Olafsson, 1991). Le chef de ligne est responsable du contrôle direct tandis que le directeur CQ est responsable de la collecte et de l’examen des échantillons (vérification)
  2. les limites critiques sont données dans les spécifications du produit par l’acheteur
  3. enregistrement de toutes actions et observations
  4. triage et retrait des filets défectueux. Identifier la raison d’un traitement non maîtrisé

Mirage - le danger consiste à laisser dans le filet des parasites visibles:

  1. les mesures de maîtrise sont le mirage continu de tous les filets. Le personnel emballeur a la consigne de surveiller les parasites. L’échantillon prélevé pour le contrôle des arêtes, les membranes et de la peau est également vérifié pour les parasites et la même personne en est responsable. Le directeur de production est responsable du contrôle en ligne tandis que le directeur CQ est responsable de la collecte et de l’examen des échantillons
  2. les limites critiques peuvent être arrêtées par l’acheteur ou par le règlement de la société. Voir aussi le Codex Alimentarius et les règlements CEE
  3. enregistrement de toutes actions et observations
  4. les filets avec des parasites apparents sont retraités ou rejetés. Règlage de la lumière de mirage. Relève fréquente du personnel
Pesage - les dangers sont un poids insuffisant ou en dépassement
  1. les mesures de maîtrise sont la vérification fréquente (1-2-3 ... fois par jour) des procédures de pesée, pesée de contrôle d’échantillons et vérification quotidienne de la précision des balances. Le chef de ligne est responsable
  2. les limites critiques sont établies par le règlement de la compagnie ou par l’acheteur
  3. enregistrements quotidiens des actions et des observations
  4. nouvelle pesée des produits traités quand la pesée n’est pas maîtrisée. Identification de la raison de l’écart

Emballage - le danger est l’altération au cours du stockage à l’état congelé si l’emballage (matériau d’emballage, vide) est inadéquat

  1. le directeur de production doit s’assurer chaque jour que l’emballage est conforme à la spécification de production

A toutes les étapes du traitement, les risques sont 1) le développement des bactéries et 2) une contamination importante par des pathogènes entériques:

  1. les mesures de maîtrise du développement des bactéries 1) sont l’établissement d’une durée brève de traitement qui doit être vérifiée quotidiennement par le chef de ligne. Pour maîtriser la contamination, l’hygiène du personnel doit être supervisée par le directeur de production et les mesures prescrites doivent être appliquées (certificat médical, déclaration de maladie, vêtements etc.). Le contrôle microbiologique de la qualité de l’eau doit être réalisé sur une base périodique (quotidienne - hebdomadaire - mensuelle - suivant la provenance de l’eau) et le directeur CQ en est le responsable. Si on applique la chloration de l’eau, le taux de chlorerésiduel libre doit être déterminé sur une base quotidienne
  2. les limites critiques pour la qualité de l’eau sont les normes de l’eau potable. La limite du chlore est de 0,5 mg/l. Aucune personne atteinte de désordres gastro-intestinaux ne doit travailler en contact direct avec le poisson non emballé
  3. enregistrement des tests sur la qualité de l’eau. Les actions et observations sur l’hygiène du personnel doivent être enregistrées
  4. l’action corrective consiste à faire des analyses microbiologiques du produit et procéder au rejet de tout produit contaminé.

REFRIGERATION/CONGELATION - le danger est la détérioration:

  1. contrôle continu de la température (enregistrement automatique) ou vérification fréquente du glaçage. On doit vérifier également la précision des thermomètres par rapport à un thermomètre précis à mercure. Le contremaitre chargé des chambres froides est responsible
  2. les limites critiques sont +1oC pour le poisson glacé et -18oC pour le poisson congelé
  3. on doit tenir un registre de toutes les lectures de température;
  4. l’action corrective consiste à réinspecter le poisson qui a été exposé à des températures élevées - et à rejeter les produits de mauvaise qualité.

Pour être efficace, le système HACCP doit être appliqué depuis la capture du poisson jusqu’à sa consommation. Dans le cas du poisson frais, il est fréquent que le propriétaire change au moment de son débarquement. Dans ce cas, le nouveau propriétaire (le transformateur) doit s’assurer que le poisson provient d’une source fiable (le pêcheur) qui applique aussi les principes HACCP. Si cela est possible, le transformateur a la situation en main et a seulement besoin, de temps en temps, de vérifier la qualité à l’arrivée à l’usine par évaluation sensorielle et la température du poisson. Dans ce cas, la situation n’est pas critique et ce stade peut être appelé un Point de Contrôle (PC) seulement.

La situation est très différente si le transformateur s’approvisionne auprès de plusieurs pêcheurs inconnus (système de criée). Ceci impose une vérification permanente de la qualité du poisson à l’arrivée à l’usine, de façon à s’assurer de la conformité avec les exigences du produit. Dans ce cas, c’est un Point de Contrôle critique du type PCC2 du fait qu’il y a encore un risque d’introduire dans la ligne de transformation un produit de qualité inférieure. La plupart des contrôles directs (contrôle continu des températures, qualité du travail, qualité sensorielle du produit) devrait être de la responsabilité du directeur de production.