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Appendix 9: La pêche démersale au Sénégal: historique et potentiel (S. Garcia, F. Lhomme, J. Chabanne et C, Franqueville)

S. GARCIA, F. LHOMME, J. CHABANNE
Biologistes ORSTOM, CRODT, B.P. 2241, Dakar, Sénégal

et

C. Franqueville
Biologiste, Mission d'Aide et de Coopération, B.P. 2241, Dakar, Sénégal

Résumé

L'évolution de la pêcherie depuis 1960 est analysée. Les bouleversements dans la composition des captures qui ont suivi la découverte de fonds à crevette rendent difficile toute évaluation du potentiel global de la région. Ce potentiel est évalué pour les crevettes des stocks de St Louis, Roxo-Bissagos et Sierra Leone - Libéria exploités par le Sénégal ainsi que pour les soles capturées au nord et au sud du Cap Vert.

L'évolution des indices d'abondance du pageot et du rouget est donnée pour les 5 et 6 dernières années respectivement.

Abstract

The development of the fishery since 1960 is analysed. The important changes in the species composition of the catch which followed the discovery of shrimp grounds make difficult any evaluation of the overall fish potential of the region. Potential yield is assessed for the St-Louis, Roxo-Bissagos and Sierra Leone - Liberia shrimp stocks and also for the "tongue sole" stock exploited north or south of Cape Verde.

The evolution of the abundance indices for Pagellus and red mullet is given for the last 5 and 6 years respectively.

INTRODUCTION

Les espèces démersales du plateau sénégambien sont exploitées par une flottille de chalutiers basés à Dakar, par une flottille étrangère travaillant parfois sous licence et par une très importante pêcherie artisanale. L'étude est compliquée par le fait que de nombreuses espèces migrent, de façon encore mal connue, de la Guinée Bissau à la Mauritanie. L'estimation des prises totales prélevées sur des stocks dont l'unicité même n'est pas toujours certaine est donc problématique. Il en est bien entendu de même en ce qui concerne l'effort de pêche.

Dans ce travail, nous essayons simplement de faire le point sur la pêcherie chalutière basée à Dakar et de mettre en évidence les problèmes qui se posent en matière d'évaluation.

Les statistiques disponibles ont été recueillies par le CRODT depuis 1969 auprès des usines de conditionnement de Dakar. Pour les années antérieures les statistiques utilisées sont les relevés mensuels du bureau de production de la Direction de l'Océanographie et des Poches maritimes, situé dans le port de Dakar.

1. HISTORIQUE

1.1 Les espèces exploitées

La pêche chalutière a commencé vers les années 1950 et s'est très rapidement étendue à toute la côte africaine. Jusqu'en 1965, les fonds traditionnellement exploités sont située au sud du Cap Vert jusqu'à la Casamance. Il est possible que vers la fin de cette période les bateaux aient pu pêcher jusqu'en Guinée Bissau. Les captures sont presque exclusivement destinées au marché sénégalais où elles sont fortement concurrencées par la production artisanale.

Le tableau 1, qui donne les captures de 1960 à 1965 par catégories commerciales, montre que les espèces recherchées étaient surtout la dorade rose (Pagrus ehrenbergii), le pageot (Pagellus coupei), la dorade grise (Diagramma mediterraneum) et le thiof (Epinephelus aeneus). Le rouget était fréquent (Pseudopenaeus prayensis) et les soles (Cynoglossus sp.) plutôt rares. L'évolution des débarquements totaux depuis 1960 est indiquée dans la figure 2 et dans le tableau 2.

La découverte et la mise en exploitation, dès 1965 des stocks de crevette ouvre à la pêcherie industrielle de nouvelles perspectives en permettant la production d'espèces à haute valeur commerciale susceptibles de trouver des débouchés à l'exportation. La mise en exploitation des fonds à crevettes (Penaeus duorarum notialis) entraîne dès 1965 la flottille au nord du Cap Vert, entre la fosse de Cayar et le port de St Louis du Sénégal (figure 1). L'année suivante, en 1966, le banc de Roxo-Bissagos est mis en valeur. De 1965 à 1970, la plupart des chalutiers se reconvertissent à la crevette en s'équipant dès 1968 du gréement double floridien.

Cette conversion a deux conséquences. A court terme, la crevette étant très spécialement recherchée, les débarquements de poisson diminuent fortement de 1965 à 1970. A long terme, la pêche à la crevette provoque le développement exponentiel d'une flottille jusque là embryonnaire en regard des potentialités de la région. Elle se traduit également par un changement dans la composition spécifique des débarquements où les espèces "grises" (Cynoglossus, Pseudotolithus, Galeoides) dominent rapidement (figure 3).

Tableau 1 Composition spécifique des débarquements de 1960 à 1965

Espèces


1960

1961

1962

1963

1965

t

%

t

%

t

%

t

%

t

%

Rouget

234

8

442

9

195

5

426

9

750

23

Soles

0

0

0

0

195

5

131

3

750

23

Dorade rose

1 153

37

1 363

27

1 079

27

1 289

28

675

21

Thiof

556

18

657

13

719

18

871

19

905

28

Dorade grise + Pageot + divers

1 142

37

2 551

51

1 795

45

1 853

40

888

27

TOTAL

3 095


5 013


3 983


4 570


3 218



Tableau 2 Débarquements de crevette et autres espèces par la flottille sénégalaise de 1960 à 1976

Année

Totaux (t)

Espèces autres que les crevettes

Crevettes (t)

1960

3 095

3 095

0

1961

5 013

5 013

0

1962

3 984

3 984

0

1963

4 570

4 570

0

1964

2 623

2 623

0

1965

3 218

3 163

55

1966

2 235

2 086

149

1967

3 120

2 544

576

1968

3 040

1 121

1 927

1969

3 819

1 629

2 190

1970

3 961

1 470

2 491

1971

7 013

4 522

2 491

1972

6 920

3 535

3 393

1973

10 795

8 169

2 626

1974

13 833

10 907

2 926

1975

16 264

12 690

3 574

1976

20 013

17 046

2 967

Sources: DOPM et CRODT
A partir de 1970 on peut considérer que la pêcherie crevettière est saturée. La production plafonne et la pêcherie se diversifie à nouveau. Les usines de traitement par congélation, les circuits commerciaux d'exportation sur l'Europe mis en place pour la crevette, sont alors utilisés pour d'autres espèces d'exportation à forte valeur marchande: les soles "langue" (Cynoglossus sp.) d'abord, nouvelle ressource importante mise en valeur consécutivement à la crevette et le rouget (Pseudupenaeus prayensis), déjà exploité avant 1965 mais négligé de 1965 à 1970. La pêche du rouget fournit également une grande quantité de pageots et de dorades.

La diversification se traduit au niveau des débarquements par une baisse relativement importante de la rubrique "sole + crevettes" dont la proportion passe de près de 100% en 1968 à 88% en 1970, 45% en 1973 et 35$ en 1975.

Le développement récent des infrastructures à terre et l'ouverture de nouveaux marchés d'exportation (Italie, Japon, Afrique de l'Ouest) accentuent encore cette tendance. De nouvelles espèces cibles sont recherchées: la dorade (Pagrus ehrenbergii), les céphalopodes et la brotule (Brotula barbata).

1.2 Evolution de la flottille

Avant 1965 elle était composée de petites unités de 100 à 300 CV de puissance motrice. Entre 1965 et 1972 elle est complétée par de nombreuses unités de 300 à 450 CV qui deviennent rapidement l'élément dominant (Lhomme, Domain et Bour, 1973). A partir de 1974 des unités encore plue puissantes de 1 000 à 1 500 CV sont apparues dont certaines pèchent en boeuf. L'évolution de la flottille est la suivante (fig. 4 et 5).

Tableau 3 Evolution de la flottille

Année


Nombre total1


Nombre en activité


Crevettiers

Puissance motrice (CV)


Nombre

%

1959

8

?

0

0

-

1960

11

10

0

0

-

1961

20

18

0

0

-

1962

26

22

0

0

-

1963

23

16

0

0

-

.1964

33

25

c

0

-

1965

36

28

3

11

7 245

1966

39

32

6

20

11 386

1967

34

34

16

47

11 715

1968

38

24

24

100

7 415

1969

70

54

54

100

18 525

1970

72

50

50

100

16 650

1971

83

69

58

84

19 325

1972

93

93

76

82

27 875

1973

93

93

84

90

31 955

1974

86

80

63

80

30 620

1975

-

86

67

78

35 560

1976

-

80

63

79

32 180

1 Cette colonne inclut tous les bateaux recensés au port, qu'ils aient réellement opéré ou non (Données DOPM et Lhomme)
Les chalutiers gréés pour la pêche au chalut classique jusqu'en 1968 ont pratiquement tous adopté le gréement double floridien de 1968 à 1971. Le redéploiment de l'effort sur le poisson à partir de cette époque a entraîné pour certaines unités un retour au gréement classique.

2. STATISTIQUES DE PECHE ET EVALUATIONS

2.1 Analyse des difficultés

Ainsi qu'il est souligné dans l'introduction, toute tentative d'évaluation des stocks du plateau sénégambien à partir des seules statistiques de la pêche sénégalaise se heurte à plusieurs difficultés.

- les espèces migratrices entrant dans ces stocks se déplacent de la Guinée Bissau à la Mauritanie,

- une importante exploitation par des flottilles étrangères s'effectue dans et hors des eaux sénégalaises. Bien que le Sénégal ait adopté un système de réglementation par licences, il apparaît que les prélèvements non enregistrés sont importants.

- la pêche artisanale sénégalaise, l'une des plus activée de la côte ouest-africaine avec ses quelques 6 000 pirogues débarque vraisemblablement aux environs de 150 000 tonnes par an dont environ 25 à 33$ d'espèces démersales (ces valeurs sont données à titre très indicatif; des évaluations plus précises sont en cours).

- le poisson de haute qualité étant abondant, les rejets par les chalutiers sont considérables. Ile concernent aussi bien les adultes d'espèces totalement négligées comme les Brachydeuterus auritus, que des jeunes d'espèces exploitées (Pagellus, Dentex, etc.). Ces rejets représentent parfois plusieurs tonnes par jour et par bateau et ne peuvent être comptabilisés faute de données précises.

- les métamorphoses successives de la pêcherie sénégalaise et sa diversification progressive récente, entraînent des glissements de l'effort de pêche d'un groupe d'espèces cibles à d'autres modifiant fortement les indices de concentration et par conséquent les coefficients de capturabilité spécifiques. Dans ces conditions, les tendances à long terme des pue prises comme indice d'abondance sont difficiles à interpréter.

Si l'on néglige dans un premier temps les rejets, les rendements de la flottille sénégalaise peuvent être assimilés à des indices d'abondance, au moins pour les espèces cibles.

2.2 Nature des données disponibles

Jusqu'en 1968, les seules statistiques disponibles sont celles du bureau de production de la DOPM1. A partir de 1969 est mise en place une infrastructure d'enquête propre au CRODT. La saisie se fait par marée. Deux types de données différentes sont récoltées.

1 Direction de l'Océanographie et des Pêches Maritimes
2.2.1 Les enquêtes au port

Les enquêtes au port effectuées au moment du débarquement permettent d'obtenir la date du débarquement, le nom du bateau, la durée de la marée, la principale zone exploitée (donc le temps de route). Un pointage annexe quotidien de tous les bateaux à quai permet de connaître avec précision les mouvements de l'ensemble de la flottille.

2.2.2 Le relevé des débarquements

Les quantités débarquées sont recueillies chez les armateurs et dans les usines de traitement. Les informations comprennent la date des marées pour chaque bateau, les prises par espèces ou groupes d'espèces et la valeur marchande totale de chaque débarquement.

Le recoupement de ces données, codées et traitées sur ordinateur, fournit une connaissance relativement détaillée des performances des bateaux. Le plus grand nombre possible de marées connues dans le détail est traité et la prise totale est évaluée par extrapolation à partir de ce nombre et du nombre total de marées effectuées. Les pourcentages de marées effectivement connues ont été les suivants:

1969 = 66%

1972 = 75%

1975 = 89%

1970 = 51%

1973 = 89%

1976 = 97%

1971 = 65%

1974 = 89%



2.3 Evolution des indices d'abondance annuels

Les espèces cibles les plus importantes sont à l'heure actuelle la crevette rose (P. duorarum notialis), les soles langue (Cynoglossus sp.), le rouget (Pseudupenaeus prayensis) et le pageot (Pagellus coupei).

2.3.1 La crevette rose (P. duorarum)

A cause de son importance pour la pêcherie sénégalaise, nous rappellerons ici brièvement les résultats exposés dans une étude antérieure (Garcia et Lhomme, 1977) et à laquelle on se référera pour plus de détails. Les statistiques sont disponibles depuis le début de la pêcherie pour les trois principaux fonds exploités: St Louis du Sénégal, Roxo-Bissagos et Sierra Leone - Libéria. L'effort est exprimé en heures de trait. En ce qui concerne le dernier fond de pêche, l'effort total a été calculé en divisant la prise totale réalisée par les flottilles sénégalaise et libérienne par la pue des crevettiers sénégalais. Les résultats sont les suivants:

Tableau 4 Prises (en tonnes), effort (en milliers d'heures de trait) et pue (en kg/h) pour les principaux fonds à crevette exploités par la pêcherie sénégalaise

Année


St Louis

Roxo-Bissagos

Sierra Leone-Libéria

Prise

Effort

pue

Prise

Effort

pue

Prise

Effort

pue

1965

55

1,9

28,9

0

0

-

-

-

-

1966

143

7,1

20,1

6

1,6

3,7

-

-

_

1967

216

9,0

24,2

358

14,9

24,0

-

_

_

1968

227

13,7

16,6

1 700

49,5

34,3




1969

896

55,0

16,3

1 205

96,8

12,4

505

43,5

11,6

1970

486

33,9

14,3

1 826

91,8

19,9

947

37,7

25,7

1971

532

38,7

13,7

1 322

73,9

17,9

1 271

61,4

20,7

1972

224

19,6

11,4

2 529

145,6

17,4

1 440

75,0

19,2

1073

540

45,6

11,8

1 768

146,3

12,1

1 618

88,4

18,3

1974

405

51,3

7,9

2 096

131,1

16,0

1 854

63,3

29,3

1975

617

57,0

10,8

2 814

150,0

18,8

1 388

51,4

27,0

1976

464

47,2

9,8

2 168

138,0

15,7

1 836

66,8

27,5


Dans le cas de la crevette blanche les prises non comptabilisées peuvent être considérées comme nulles et le potentiel a été estimé en utilisant un modèle exponentiel de Pox. Il a été calculé pour chaque stock les éléments suivants:

- la prise maximale moyenne
- l'effort correspondant ou effort critique (fMSY)
- la pue correspondante (pueMSY)
- la prise optimale potentielle (Yopt)
- l'effort optimal correspondant (fopt)
- la pue correspondante (pueopt)
Par convention, la situation "optimale" correspond au niveau d'exploitation pour lequel un accroissement de l'effort d'une unité permet un accroissement de la prise totale (rendement marginal) d'une quantité égale 10% de la prise par unité d'effort observée pour de très faibles niveaux d'exploitation (Gulland et Boerema, 1973).

Les résultats sont les suivants:


St Louis

Roxo-Bissagos

S. Leone-Libéria

MSY

580 t

2 420 t

1 870 t

fMSY

69.103 h

235.103 h

134.103 h

pueMSY

8,4 kg/h

10,3 kg/h

13,9 kg/h

Yopt

570 t

2 350 t

1 810 t

fopt

53.103 h

183.103 h

104.103 h

pueopt

10,7 kg/h

12,8 kg/h

17.4 kg/h


50.103 h

140.103 h

67.5.103 h


0,94

0.75

0.65


Le stock de St Louis apparaît donc exploité au mieux de ses possibilités. Celui de Roxo-Bissagos pourrait supporter un accroissement de l'effort de 25% environ et celui de Sierra Leone - Libéria de 35%.

Ces résultats sont valables pour le régime actuel d'exploitation. Toute modification du vecteur de mortalité en fonction de l'âge par changement du maillage ou intensification de la pêche en lagune sur les juvéniles conduirait à une modification du potentiel.

2.3.2 Les soles langue

Il existe plusieurs espèces de cynoglosses (Cynoglossus canariensis, C. goreensis, et C. monodi) non distinguées dans les débarquements. Elles représentent l'espèce accessoire la plus importante de la pêche à la crevette. Elles sont capturées en très faibles quantités par la pêche artisanale. Lé traitement a été fait en négligeant ces captures mais il sera possible, lorsque les apports de la pêche artisanale seront connus, de corriger l'évaluation. Il est vraisemblable que l'ordre de grandeur du potentiel et les conclusions quant au niveau actuel d'exploitation n'en seront que peu modifiés.

Bien que la sole représente toujours une proportion importante de la capture des crevettiers, il est apparu, au cours de l'évolution de la pêcherie, que l'espèce était de plus en plus souvent recherchée pour elle même, certains bateaux ramenant des captures à proportion de soles anormalement élevées. Ces marées pour lesquelles la sole constituait la cible principale ont servi à calculer une pue moyenne annuelle. La prise totale, divisée par cette pue a permis d'évaluer l'effort total. Les valeurs obtenues sont les suivantes:

Tableau 5 Prises, efforts et pue pour les soles langue

Année


Secteur nord

Secteur sud

Effort
(JP)

Prise
(t)

pue
(kg/JP)

Effort
(JP)

Prise
(t)

pue
(kg/JP)

1965

16

135

8 437

-

-

-

1966

59

184

3 119

13

40

3 077

1967

75

145

1 933

124

241

1 944

1968

114

190

1 667

412

685

1 663

1969

567

577

1 018

1 361

622

457

1970

303

364

1 200

127

205

1 613

1971

318

839

2 636

885

1 198

1 354

1972

165

447

2 701

984

1 356

1 378

1973

907

875

965

1 020

1 417

1 389

1974

814

979

1 202

1 443

1 468

1 017

1975

885

701

792

895

1 366

1 526

Source: Données CRODT - ISRA, 1976
L'information disponible est résumée dans les figures 6 et 7. L'effort est ici exprimé en jours de poche (18 heures de trait). L'application d'un modèle de Schaefer classique conduit aux résultats suivants pour les deux grands secteurs - nord et sud -définis par rapport au Cap Vert:


Secteur nord

Secteur sud

MSY

860 t

1 800 t

fMSY

650 JP

2 120 JP


869 JP

1 417 JP


1,33

0,66


Pour le stock nord, l'effort critique a été dépassé de 33%, il est donc nettement surexploité. Le stock sud en revanche est encore exploité à 34% en dessous du taux critique.

L'exploitation des soles et des crevettes étant en grande partie conjointe, et la résistance à l'exploitation des deux espèces vraisemblablement très différente, il sera en tout état de cause très difficile d'exploiter chacune des deux espèces de façon optimale. Il serait souhaitable, après avoir affiné les données, de traiter ces deux espèces conjointement en un seul modèle de production bispécifique et, si possible, sur une base financière et non pas pondérale.

2.3.3 Les rougets

La pêche spécifique du rouget au chalut a débuté en 1971 au Sénégal. Il avait déjà été pêché dans le début des années soixante, mais avec l'apparition de la pêche à la crevette son exploitation devait disparaître à partir de 1967. La pêcherie redémarrait très rapidement en 1971, avec l'ouverture de marchés à l'exportation. Une dizaine de petits bateaux d'une puissance de 150 à 300 CV, spécialisés dans la pêche du rouget en Méditerranée, venaient se baser à Dakar.

Actuellement, les débarquements de rouget à Dakar sont assurés par deux types de pêche et de chalutiers. Le premier type correspond aux petits bateaux rougettiers qui sont à l'origine du renouveau de la pêche. Ce sont des bateaux de 400 CV maximum; ils recherchent le rouget en priorité. La taille de la flottille est restée assez stable depuis 1971, l'effectif variant entre 8 et 12 bateaux en activité. Une évolution est cependant à noter avec la mise en service très récemment d'une unité plus importante.

Depuis 1975, une deuxième catégorie de bateaux est apparue. Il s'agit de chalutiers japonais de forte puissance, 1 000 à 1 500 CV, dont certains pèchent en boeuf. Le rouget ne constitue pas en général l'espèce cible, ces bateaux recherchant en priorité les céphalopodes et les dorades, mais il est débarqué en quantités importantes en 1976. Leurs captures étaient égales à la moitié de celles des rougettiers.

En plus de la pêche sénégalaise, une flottille italienne très importante a opéré sur les côtes sénégambiennes; l'extension des eaux territoriales du Sénégal et de la Gambie l'ont très fortement réduite. Il n'a pas été possible d'obtenir des renseignements précis sur cette pêche. Les seules informations connues sont d'ordre très général: une dizaine de bateaux de fort tonnage péchaient pendant une période allant de mai - juin à septembre - octobre sur les fonds durs des côtes sénégambiennes. La pêche a été importante en 1971, 1972 et 1973. Elle a sans doute diminué en 1974, tout en restant importante. La diminution de l'effort a dû s'accentuer, mais il est difficile de savoir ce qu'il eh est actuellement.

La zone de pêche du rouget se situe dans la partie sud du plateau continental sénégalais, de Dakar à l'estuaire de la Casamance, sur les fonds sableux et durs. On les trouve de la côte à 75 m de profondeur avec un maximum de 30 à 50 m. Les densités sont faibles sur la côte nord.

Les statistiques disponibles depuis le démarrage de la pêche actuelle sont récapitulées dans le tableau 6.

Tableau 6 Prises (en tonnes), effort (marées) et pue (en kg/marée) de la pêcherie sénégalaise de rouget

Année


Secteur sud

Secteur nord

Prise totale


Prise

Effort1

pue

Prise

1971

321

505

636

2

323

1972

201

424

474

3

204

1973

424

305

839

3

427

1974

386

424

910

12

398

1975

648

623

1 040

4

652

1976

741

806

920

4

745

1 Effort calculé en divisant la prise totale par la pue des rougettes types
La pêche à partir de Dakar s'est largement développée depuis la première année d'exploitation puisque les débarquements ont plus que doublé pour un effort ayant augmenté de moitié. Les pue ont augmenté dans de notables proportions. Cet accroissement des rendements à très certainement deux causes: d'une part, une meilleure connaissance de la pêche et des lieux, d'autre part, la diminution de la pêche italienne. Dans l'état actuel des données disponibles et de nos connaissances sur cette espèce, il n'est pas possible d'évaluer le potentiel du stock. Le taux d'exploitation optimum ne pouvant être déterminé, les perspectives de la pêcherie ne peuvent être définies. L'évolution de la pue annuelle fait cependant penser qu'une augmentation modérée de l'effort de pêche est possible.

2.3.4 Le pageot

Cette espèce est l'élément le plus important de la faune a sparidés caractéristique des fonds durs de la région entre 25 et 100 m; son maximum d'abondance se situe vers 50 m (fig. 8). Elle est traditionnellement exploitée avec Diagramma mediterraneum, Pagrus ehrenbergii et Pseudupenaeus prayensis par les chalutiers et les pirogues. Après une éclipse de 1968 à 1971, due à la reconversion des chalutiers en crevettiers, cette pêche s'intensifie actuellement. La remise en exploitation du pageot a coïncidé avec le développement en 1971 d'une petite flottille de rougettiers recherchant plus spécialement le rouget mais capturant comme prise accessoire une quantité importante de pageot. A cette flottille de petites unités de 18 à 25 m viennent s'ajouter dès 1574 de grosses unités de 500 à 1 500 CV chalutant parfois en boeuf.

Les seules statistiques dont dispose le CRODT sont celles des chalutiers basés à Dakar. Les captures parfois importantes réalisées avec ou sans autorisation, par des flottilles étrangères, ne sont pas connues. Dans ces statistiques l'estimation des captures de pageot est difficile pour deux raisons essentielles:

- depuis 1974 une grande part des pageot a été débarquée sous la rubrique "divers" par les très grosses unités. L'amélioration du système d'enquête à bord des bateaux permet actuellement de pallier cette difficulté:

- les rejets de pageots de petite taille par les chalutiers sont importants. Des cahiers de pêche mis à bord des chalutiers ont permis de vérifier ce point. L'utilisation des quantités notées dans ces cahiers ainsi que la comparaison des fréquences de tailles débarquées à celles capturées par le bateau de recherche "Laurent Amaro", a conduit à évaluer les rejets par classes de tailles. Ces rejets représentent 30 à 40% de la prise suivant les périodes de l'année, l'effort appliqué, et le recrutement. La nouvelle réglementation de maillage en vigueur au Sénégal (70 mm d'ouverture de maille soit 38 mm de côté) devrait diminuer très sensiblement les rejets et rapprocher la valeur des débarquements de celle de la prise réelle. D'autre part la réglementation concernant la zone de pêche des 6 milles réservée aux pirogues, permettra d'éviter, la capture des juvéniles souvent concentrés près de la côte car les pirogues pèchent à la ligne uniquement des pageots de grande taille.

Plus de 2 000 t sont capturées annuellement par les chalutiers et les rougettiers au sud du Cap Vert. La prise par unité d'effort des rougettiers peut être utilisée comme indice d'abondance. L'unité d'effort utilisée est la marée (2-3 jours d'absence au port et 25 à 30 heures de pêche effective). Les rendements obtenus au sud du Cap Vert sont les suivants1:

1 calculés à partir des débarquements

Année

1972

1973

1974

1975

1976

kg/marée

882

812

749

535

587


Dans la mesure où le rayon d'action et la durée des marées sont restés stables de 1972 à 1976, la chute des rendements indique une diminution de l'abondance de l'ordre de 35% dans les 5 dernières années correspondant très vraisemblablement à l'arrivée des unités de gros tonnage en 1974. Les rendements varient saisonnièrement; ils sont minimum en juillet - août (Fig. 9).

Les captures réalisées au nord du Cap Vert par les chalutiers sont plus faibles (200 à 300 tonnes) mais celles effectuées par les pirogues au large de Dakar sur la côte nord sont certainement supérieures à 2 000 tonnes.

Les conclusions concernant le niveau d'exploitation du stock ne peuvent être que très approximatives compte-tenu des lacunes que nous avons soulignées. Le stock semble avoir accusé l'accroissement de l'effort de poche à partir de 1974 lorsque la flottille s'est accrue de 7 000 CV supplémentaires. Cette diminution est suffisament importante pour laisser supposer que les possibilités d'expansion de cette pêcherie sont actuellement limitées.

CONCLUSIONS EN MATIERE D'AMENAGEMENT

L'évaluation du potentiel global des espèces démersales de la région se heurte à des difficultés majeures:

- difficultés internes: les captures sont constituées d'un mélange de plus de trente espèces dont la composition a subi dans la dernière décennie des bouleversements très importants;

- difficultés externes: la méconnaissance quasi totale des performances des flottiles étrangères rend impossible l'estimation de la capture totale.

Dans l'état actuel de nos connaissances ce potentiel ne peut être évalué que pour les deux espèces les plus importantes d'un point de vue économique: les crevettes et les soles. Les potentialités réelles des fonds durs à sparidés qui sont une dominante de la côte sud du Sénégal ne peuvent pas être cernées.

Les mesures d'aménagement proposables sont donc limitées. Le Sénégal ayant décidé d'étendre ses eaux réglementées à 200 milles un contrôle de l'effort global est assuré, sur des bases empiriques, par un système de licences. Les statistiques de pêche sont exigées en contrepartie. Cependant une certaine pêche non contrôlée subsiste encore.

Une difficulté supplémentaire provient de la nature migratoire des ressources. Les stocks se déplacent saisonnièrement de la Mauritanie à la Guinée Bissau et, seule, une coopération sous-régionale permettra d'en assurer une gestion correcte.

BIBLIOGRAPHIE

CRODT/ISRA, 1976 Etat de la pêche et des stocks exploités intéressant le Sénégal, Juin 1976, Dakar, 93 p. (mimeo)

Garcia S. et F. Lhomme, 1977 La crevette rose (Penaeus duorarum notialis) de la côte ouest-africaine. Evaluation des potentialités de captures. Circ.FAO Pêches, (703):28 p.

Lhomme F., F. Domain et W. Bour 1972 La pêche chalutière à Dakar de 1965 à 1972. Doc.Sci. Provis.Cent.Rech.Océanogr.Dakar-Thiaroye ORSTOM. (52);45 p.

Fig. 1- Plateau continental sénégambien

Fig. 2 - Débarquements de la flottille sénégalaise de 1960 à 1976.

Fig. 3 - Evolution de la composition spécifique des débarquements (en % des principales catégories commerciales).

Fig. 4- Evolution de la flottille de 1960 à 1976.

Fig. 5 - Composition de la flottille chalutière.

Fig. 6 - Relation entre prise, effort, prise par unité d'effort (p.u.e.) de sole langue 1969 à 1975.

Fig. 7 - Relation entre prise, effort, prise par unité d'effort (p.u.e.) de sole langue de 1970 à 1975.

Fig. 8 - Zones de pêche Pogellus coupei Le long du plateau continental Sénégambien

Fig. 9 - Evolution mensuelle des débarquements de pageot par marée, par les " Rougettiers " au sud de Dakar.


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