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2.   TYPES DE DEPLACEMENTS DES POISSONS

2.1   Caractéristiques biologiques

Les espèces ou les stocks de poisson peuvent être classés de plusieurs façons selon la nature de leurs déplacements et la manière dont ceux-ci s'effectuent par rapport aux frontières entre les ZEE nationales et entre les ZEE et la haute mer.

Quoiqu'ils ne s'excluent pas dans la pratique, on peut utilement distinguer trois types fondamentaux de déplacements au cours de la vie d'un poisson:

(i)  migrations saisonnières régulières;

(ii)  déplacements réguliers liés à la croissance et au développement;

(iii)  déplacements au hasard ou dispersions

Un autre type de déplacement doit également être tenu présent à 1'esprit, à savoir les modifications possibles à moyen ou à long terme de la position générale du stock. A mesure que de plus nombreuses séries de données concernant des stocks individuels sur de longues périodes deviennent disponibles, il apparaît clairement que la position géographique d'un stock n'est pas fixée. Quelque fois, les mouvements sont faciles à mettre en corrélation avec des modifications climatiques; ainsi, il est possible qu'un réchauffement général conduise un stock à étendre son habitat plus loin vers les pôles (1'incidence des modifications climatiques a été examinée par Cushing et Dickson, 1976). D'autres modifications, par exemple le changement d'espèce de clupéidés dominante dans la Manche, se jouant entre le hareng et le pilchard, peuvent être plus subtiles. Un cas important est celui où une réduction de l'abondance d'une population s'accompagne d'un rétrécissement de son aire de distribution. La sardine de Californie qui, au maximum de son abondance, étendit son habitat aussi loin au nord que la partie méridionale de la Colombie britannique (Murphy, 1966) en donne un bon exemple. En tout état de cause, si les changements peuvent être faciles ou difficile à expliquer, ils sont presque impossibles à prévoir. Le point à retenir dans la pratique est que la manière dont un stock se trouve partagé entre des pays - ou le fait qu'il y ait ou non partage - n'est pas fixe mais peut changer avec les années. Par exemple, jusqu'à une époque récente, les sardines de la côte nord-ouest de l'Afrique se confinaient au large du Maroc, mais elles ont maintenant étendu leur habitat vers le sud, si bien que le stock le plus métidional au moins se trouve partagé entre le Maroc et la Mauritanie.

Ce type de modification de la distribution ne sera pas autrement examiné ici, mais il devra être tenu présent à l'esprit pour la prise de dispositions concernant les stocks partagés.

Le terme migration a été utilisé de nombreuses manières: une définition typique de dictionnaire (Concise Oxford Dictionary - à propos des oiseaux et des poissons) est “vont et viennent avec les saisons”. Dans le cas des poissons, cela implique généralement un déplacement systématique des principales concentrations, souvent d'une ampleur telle qu'il n'y a que peu ou pas du tout de chevauchement entre les zones où elles se trauvent l'été et celles où elles se trouvent l'hiver. Les exemples les mieux connus sont ceux offerts par les oiseaux, à la fois parce qu'ils sont faciles à voir et parce qu'ils vont plus vite et plus loin - le record étant détenu par les sternes de l'Arctique qui migrent entre l'Arctique et l'Antarctique. Dans la mer, les déplacements des baleines entre l'Antarctique, où elles se nourrissent, et les eaux tropicales et sub-tropicales chaudes, où elles se reproduisent, offrent des exemples intéressants de migrations bien définies.

Un autre exemple, quoiqu'assez extrême, de longues migrations, lorsque le terme est pris dans cette acception, ainsi que de déplacements de type saisonnier (c'est-à-dire liés à la croissance et au développement du poisson individuel), nous est donné par le thon rouge de l'Atlantique. Le thon rouge fraye dans les zones tropicales; les juvéniles grandissent dans des eaux sub-tropicales et tempérées, et les adultes accomplissent des migrations sur de longues distances pour aller se nourrir l'été dans des zones aussi septentrionales que la Norvège et Terre-Neuve, puis retourner frayer dans la mer des Caraïbes et la Méditerranée.

Les migrations demandent de l'énergie. Si elles en valent la peine, c'est donc qu'elles présentent des avantages notables du point de vue, par exemple, des conditions d'alimentation, de la survie globale ou du succès du recrutement. Il est par conséquent probable qu'il y a des modifications saisonnières marquées des disponibilités alimentaires ou autres facteurs sur une partie au moins du trajet suivi (il est cependant possible que les poissons se déplacent de manière à se maintenir dans certaines conditions préférées et raisonnablement constantes).

On pourrait donc s'attendre à ce que les migrations soient plus longues et plus marquées là où les variations saisonnières sont les plus fortes, c'est-à-dire dans les eaux tempérées plutôt que dans les eaux tropicales ou sub-tropicales. On pourrait en outre s'attendre à ce que les migrations saisonnières s'accomplissent essentiellement vers le nord et vers le sud. Il en est effectivement ainsi dans une certaine mesure; par exemple, les sardinelles vivant au large de l'Afrique du Nord-Ouest remontent et redescendent la côte entre le sud de la Mauritanie et la Guinée-Bissau, mais il existe plusieurs autres types de mouvements migratoires, les déplacements alternatifs vers la côte et vers le large étant particulièrement fréquents. Dans les régions tempérées, les eaux côtières peuvent être hautement productives l'été, et les poissons s'y nourrir, mais elles sont froides et peu attrayantes l'hiver et les poissons se retirent alors vers des eaux plus profondes. Dans l'océan Indien, les vents de mousson peuvent en certains lieux et en certaines saisons déterminer une déficience en oxygène des eaux du fond, si bien que les poissons démersaux se dirigent alors, soit loin vers le large, soit vers des eaux très peu profondes tout près du rivage. D'autres modifications saisonnières, par exemple de la profondeur du thermocline, peuvent être la cause de migrations analogues entre les eaux cotières et celles du large.

Les déplacements conditionnés par la croissance et le développement du poisson individuel sont au moins aussi importants que les migrations saisonnières. Au cours de leur cycle biologique, les poissons passent par un certain nombre de stades qui sont extrêmement différents de par leur caractère et de par leurs exigences. Dans les tous premiers mois de leur vie, au stade des oeufs et des petites larves, la plupart des poissons marins dérivent généralement d'une manière assez passive, emportés par les courants dominants; les larves de nombreuses espèces s'installent ensuite dans une alevinière (souvent situé dans des eaux côtières peu profondes) jusqu'à ce qu'elles aient atteint une taille leur permettant de rejoindre les principaux stocks de poissons adultes. Pour les espèces qui ont des oeufs ou des larves pélagiques, ce type de déplacements liés au cycle biologique doit comporter un certain mouvement activement dirigé pour compenser la dérive au stade larvaire (par exemple, la morue adulte migre depuis le plateau continental du Spitzberg/Mer de Barents pour atteindre ses lieux de ponte autour des îles Lofoten, et les oeufs et les larves dérivent à nouveau vers le nord dans le prolongement du Gulf Stream), mais il peut y avoir des schémas migratoires plus compliqués.

Toutes les espèces marines (y compris les crustacés et mollusques autres que ceux qui sont fermement fixés au fond) accomplissent des déplacements du troisième type. Les différences entre les espèces ou les stocks concernent les distances couvertes et le degré auquel le poisson individuel possède quelque type de territoire vers lequel il tend à retourner, ou bien, au contraire, n'accomplit de mouvements dirigés que pour se maintenir dans des conditions de milieux favorables, indépendamment d'un emplacement géographique précis.

L'ampleur des déplacements est extrêmement variable, depuis les coquilles Saint-Jacques, qui peuvent se limiter à un bond occasionnel de moins d'un mètre, jusqu'aux thons dont la nage active et continuelle peut les porter à cent kilomètres de leur point de départ en une journée ou à peu près. En comparaison avec les animaux terrestres, on ne sait pas grand chose des habitudes territoriales de la plupart des poissons. On pourrait s'attendre à ce qu'elles soient plus développées dans le cas des poissons qui maintiennent un contact étroit avec certaines caractéristiques permanentes, telles que fond rocheux ou récifs de corail, que dans le cas des poissons vivant en haute mer. Toutefois, même pour ces derniers, la mer est moins dépourvue de caractéristiques marquées qu'il ne pourrait sembler lorsqu'on l'observe d'un navire, si bien que la distance parcourue au cours des déplacements pourrait être inférieure à celle sur laquelle les poissons trouvent des conditions convenables. Cela indique que, si par exemple, une espèce est distribuée de manière ininterrompue le long d'une zone côtière étendue, les déplacements des poissons individuels peuvent être très inférieurs à la longueur totale de l'habitat.

En ce qui concerne les politiques d'aménagement et les besoins de collaboration entre les pays, les divers types de déplacements peuvent présenter d'importantes différences. Dans la forme la plus simple, qui est celle du deuxième type décrit, chaque poisson, indépendamment de son retour vers les lieux de ponte au stade adulte pour compléter le cycle, ne traversera chaque zone (alevinière, zone de nourrissage, frayère) qu'une fois, et une fois seulement, pendant la durée de sa vie. L'interaction entre les pêcheries situées dans différentes zones est clairement hiérarchisée. La pêche dans une zone quelconque (et pour ce qui concerne une génération donnée de poissons) ne sera affectée que par la pêche “en amont”, c'est-à-dire celle de poissons plus jeunes, et elle n'affectera elle-même que la pêche en “aval” de poissons plus âgés. Il n'y aura d'interactions effectives dans le sens opposé, c'est-àdire que la pêche de poissons plus âgés n'affectera celle de poissons plus jeunes, que dans la mesure où le recrutement sera affecté par l'abondance des poissons adultes. Ce fait n'est pas toujours apparent et, ce qui est peut-être plus important lorsqu'il s'agit de se mettre d'accord, il est dans pratiquement tous les cas difficile à démontrer, au moins jusqu'au moment où le recrutement se trouve gravement réduit. Néanmoins, un aménagement prudent de tout stock de poisson devrait prévoir le maintien de l'abondance minimum de reproducteurs - qu'une relation avec le recrutement ait été ou non clairement démontrée.

En revanche, les migrations saisonnières sous leur forme la plus simple, qui sont celles des poissons vivant relativement longtemps, aboutissent à un type d'interaction mieux équilibré. La pêche sur les fonds d'hivernage peut affecter la pêche estivale l'année suivante, mais les opérations hivernales seront à leur tour affectées par celles des étés précédents. La recherche d'un accord en vue d'un aménagement coordonné des ressources apparaîtra donc plus attrayante dans le cas présent que dans celui du précédent type de migration où le pays dont les pêcheries se trouvent “en amont” des autres peut être moins immédiatement enclin à une entente.

Les incidences du troisième type de déplacement - au hasard, ou prenant au moins la forme d'une dispersion mal définie - sont moins faciles à décrire de façon simple. Là où les déplacements sont importants en comparaison avec l'aire de distribution de l'espèce ou du stock, ils déterminent un bon mélange au sein de l'une ou de l'autre. Cela signifie qu'un niveau donné de prélèvement par un groupe de pêcheurs se répercutera de manière égale sur tous les pêcheurs, quels que soient le lieu ou le moment où ils opèrent, à l'intérieur de l'aire de distribution. Par ailleurs, si les déplacements sont restreints en comparaison avec l'habitat de l'espèce, alors il n'y aura que peu ou pas du tout d'interaction entre les pêcheries situées aux deux extrêmes de celui-ci, même s'il n'y a pas entre elles de ligne de démarcation ni de point où on peut dire qu'il y a une séparation entre des stocks. Par exemple, de nombreuses espèces démersales vivent au large des côtes de tous les pays situés en bordure du golfe de Guinée et elles vont et viennent le long de ces côtes (Champagnat et Domain, 1978). Les distances ainsi couvertes ne sont pas bien connues, sauf dans le cas de quelques espèces et emplacements géographiques où des expériences de marquage ont été effectuées, mais il est probable qu'elles ne dépassent pas en moyenne une centaine de milles. Cela signifie que beaucoup de poissons se déplacent entre, par exemple, la partie occidentale du Ghana et la partie orientale de la Côte-d'Ivoire, mais qu'il n'y en a pas beaucoup qui traversent la totalité de la zone bordant les deux pays, entre la Ghana oriental et la Côte-d'Ivoire occidentale.

La distinction entre migrations ordonnées et dispersions n'est pas rigoureuse. Il est probable qu'il existe des variations d'un sujet à l'autre en ce qui concerne l'époque de la migration, les distances parcourues et les directions suivies, si bien qu'un groupe initialement compact de poissons se dispersera sur une vaste zone. Dans le Pacifique, par exemple, la bonite à ventre rayé présente certaines caractéristiques de déplacement très nettes, comme il ressort des résultats des programmes de marquage entrepris par la Commission interaméricaine du thon tropical et par la Commission du Pacifique sud, mais certains poissons individuels peuvent se diriger vers des zones tout à fait différentes de celles qui attirent la grande masse des poissons marqués au même moment et dans le même lieu.

Ce mode de dispersion complique la définition et l'interprétation du terme “stock”. A la différence de termes connexes, tels qu'“espèce” ou “population”, qui ont des définitions biologiques raisonnablement claires, le terme “stock” a une acception pratique et opérationnelle, dans l'optique du problème particulier à résoudre - un “stock unitaire” (ou “stock”) est un groupe de poissons qui peut ou doit être traité comme une unité dans un but défini. Autrement dit, il n'y a pas de définition objective, valable dans toutes les circonstances, de ce que l'on entend par un stock unitaire et on ne s'efforcera donc pas d'en donner ici une véritable définition. Plutôt, un stock unitaire est un groupement empirique de poissons suffisamment important pour que, lorsque l'on analyse les données qui le concernent ou que l'on prend des décisions politiques quant à son exploitation et à son aménagement, les événements qui intéressent les “stocks” adjacents puissent être ignorés ou du moins traités de manière différente de ceux qui surviennent au sein du stock considéré. Il doit également être suffisamment petit pour être homogène à des fins pratiques et pour que des divisions possibles en groupements plus petits à l'intérieur du stock puissent être négligées.

On doit donc bien comprendre que ce que l'on considère comme un stock n'est pas un absolu, mais quelque chose qui peut changer, selon les buts recherchés, pour permettre la commodité de l'analyse ou la définition de principes d'action. Il peut également y avoir des situations où il n'existe aucun groupes de poissons qui puisse satisfaire aux exigences contradictoires décrites au paragraphe ci-dessus. En tel cas, les méthodes d'analyse et les méthodes adoptées pour la formulation de politiques devront être modifiées - habituellement dans le sens d'une plus grande complexité et difficulté d'application - pour tenir compte des réalités biologiques et des conditions particulières des pêcheries.

Pour certains poissons, le concept de stocks unitaires fonctionne bien. Par exemple, le fait que chaque saumon du Pacifique retourne se reproduire dans le cours d'eau où il est né signifie que les poissons frayant dans des cours d'eau particuliers peuvent être considérés comme les éléments de base qui, pris ensemble en groupes plus ou moins grands, constitueront des stocks à différentes fins. Ainsi, pour des échanges de vues internationaux entre le Japon d'un côté et les Etats-Unis et le Canada de l'autre, il peut être suffisant de distinguer deux stocks de saumons, selon qu'ils fraient en Asie ou en Amérique du Nord. Pour des échanges de vues entre les Etats-Unis et le Canada, les stocks peuvent correspondre aux groupes de poissons originaires de chaque grand système fluvial; mais, au niveau national, pour l'application de mesures d'aménagement détaillées, la différenciation des stocks peut être beaucoup plus poussée et peut aller jusqu'au cours d'eau individuel.

La même remarque peut s'appliquer à d'autres espèces (peut-être peu nombreuses) ayant un instinct de retour au gîte bien défini, ainsi qu'aux espéces plus nombreuses qui ont des frayères distinctes et bien séparées, même lorsqu'il n'est pas évident que tous les poissons retournent se reproduire dans leurs zones d'origine. Par exemple, les harengs frayant dans les Downs, à l'extremité sud de la mer du Nord, forment un groupe distinct qui se mélange avec le groupe du “Banc” - frayant quant à lui plus loin au nord – dans les zones de nour– rissage estivales des parties centrale et septentrionale de la mer du Nord. Ni l'un ni l'autre groupe ne semble se mêler beaucoup avec les harengs qui se reproduisent en dehors de la mer du Nord. Selon le but poursuivi, on pourra considérer comme un stock unitaire le hareng des Downs ou l'ensemble des harengs de la mer du Nord.

Pour les espéces dont la ponte est dispersée, peut-être dans la totalité de l'habitat, la situation est beaucoup moins claire. Pour la bonite à ventre rayé du Pacifique ou les maigres vivant au large de l'Afrique de l'Ouest, il ne semble pas qu'il y ait de groupements distincts. Pour ces espéces, il semble qu'à de nombreux égards, il n'existe pas de groupe qui puisse être traité comme un stock unitaire simple. Plutôt, on peut avoir à considérer un groupe de poissons ou de pêcheurs d'intérêt principal, et d'autres groupes situés à des distances croissantes, qui présenteront des degrés d'intérêt décroissants. Par exemple, si 1'on examine la pêcherie de maigres du Ghana, il faudra tenir compte dans une mesure considérable de ce qui se passe au large du Togo et de la partie orientale de la Côte-d'Ivoire, mais il ne sera guère nécessaire de prendre en considération les pêcheries situées au large du Cameroun ou de la Sierra Leone. De même, toute analyse ou examen des besoins d'aménagement de la pêcherie de bonite à ventre rayé de la Papouasie-Nouvelle-Guinée devra tenir compte au plus haut point de ce qui se passe autour des îles Salomon et, probablement un peu autour des Carolines ou de Vanuatu, mais pourra ignorer tout événement survenu au large de l'Amérique du Sud.

2.2  Déplacements par rapport aux frontières nationales

Les espèces et les stocks de poissons peuvent également être classés selon la manière dont ils se déplacent par rapport aux frontières nationales. Il est clair que pour cela il y a lieu de considérer aussibien le tracé des frontières que le parcours effectué par les poissons; il peut arriver en effet qu'ils accomplissent un long trajet sans jamais sortir de la ZEE d'un pays étendu, tandis qu'ailleurs il peut suffire d'un bref déplacement pour qu'ils traversent une frontiére entre deux ZEE. La classification des stocks en fonction des frontières sera donc assez différente de celle fondée sur des considérations purement biologiques. On pourrait l'envisager comme suit:

(i)  stocks se trouvant entièrement dans une unique zone de juridiction nationale;

(ii)  stocks se trouvant dans deux ou plusieurs ZEE, se déplaçant de part et d'autre des frontières, mais ne présentant pas de caractéristiques de migration bien définies;

(iii)  stocks se trouvant dans deux ou plusieurs ZEE et présentant des caractéristiques de déplacement bien définies (migrations saisonnières ou déplacements liés aux stades de développement) entre une zone et une autre;

(iv)  stocks se trouvant entièrement en haute mer, au-delà des limites de juridiction nationale;

(v)  stocks se trouvant à la fois en haute mer et dans une ou plusieurs zones de juridiction nationale.

Ces catégories ne sont pas absolues et il est facile de suggérer des regroupements et subdivisions. Par exemple, on pourrait décomposer le groupe (5) de la même manière que l'on a établi une distinction entre les groupes (2) et (3), et considérer, d'une part les stocks aux migrations bien définies, saisonnières ou associées aux stades de développement (comme il en est par exemple pour le thon rouge austral dont les frayères se trouvent dans la partie sud-est de l'océan Indien tropical, les alevinières dans les eaux côtières de l'Australie et les zones de nourrissage dans les eaux océaniques tempérées qui s'étendent de L'Afrique australe à la Nouvelle-Zélande) et, de l'autre, ceux dont les déplacements, dans la mesure où ils sont connus, ont le caractère d'une dispersion au hasard (ce qui peut être le cas pour la bonite à ventre rayé). Toutefois, la présente classification est commode; certaines caractéristiques de chaque groupe sont examinées ci-dessous.

2.2.1   Stocks se trouvant dans une seule ZEE

Du point de vue du présent rapport, ce sont les stocks les moins intéressants. Leur étude et leur aménagement relèvent uniquement de l'Etat dans les eaux duquel ils se trouvent. Néanmoins, il faut reconnaître qu'il s'agit d'un groupe extrêmement hétérogène. Il comprend non seulement les nombreux petits stocks résidents, mais aussi les nombreux stocks dont les déplacements ne sont nullement négligeables mais qui ne franchissent pas les limites nationales (comme c'est le cas pour la plupart des poissons vivant au large de l'Australie, pour l'églefin autour de l'Islande, etc.). Mais il faut se garder d'admettre qu'un stock puisse être rangé dans ce groupe pour la simple raison qu'à l'heure actuelle les captures proviennent d'une unique ZEE nationale. Beaucoup des espèces, notamment de mollusques et de crustacés, qui sont partiellement ou entièrement sédentaires pendant la phase exploitée, sont mobiles aux stades précoces de leur cycle biologique, même si en fait elles se laissent simplement entraîner par les courants. La rentabilité d'une pêcherie de coquilles Saint-Jacques ou de langoustes peut donc dépendre des conditions dans des frayères situées à une certaine distance “en amont”, notamment de l'abondance des géniteurs, et elle peut-être affectée par le volume de la pêche sur ces fonds. En quel cas, il serait plus approprié d'examiner les stocks en cause dans le groupe (3).

2.2.2   Stocks partagés non-migrateurs (stocks frontaliers)

Certains déplacements de part et d'autre des frontières sont inévitables, sauf lorsque la frontière coïncide avec une barrière naturelle. Par exemple, entre les états insulaires ou entre les pays qui se font face des deux côtés d'un endroit, il y a souvent des eaux profondes qui représentent une barrière efficace pour beaucoup de poissons adultes, notamment ceux d'espèces vivant sur le fond. En tels cas, les poissons peuvent constituer des stocks distincts autour de chaque île. Par ailleurs, si deux pays occupent des positions adjacentes en bordure d'un continent et si la même espèce est trouvée dans leurs eaux territoriales, alors on peut considérer comme pratiquement certain qu'il se produit un certain échange à travers la frontière, même en l'absence de tout mouvement migratoire systématique.

Cela ne signifie pas que les deux pays se partagent un stock unique. Comme elles n'accomplissent pas de déplacements systématiques, beaucoup d'espèces tombant dans cette catégorie sont susceptibles de former un certain nombre de stocks. Souvent, il n'y a pas de distinction bien définie entre un “stock”, se trouvant par exemple dans une certaine baie, et le suivant. C'est le cas pour beaucoup d'espèces côtières de poissons et de crustacés. C'est ainsi que, dans tout le sud et le sud-est de l'Asie, les artisans-pêcheurs exploitent dans une très large mesure le même groupe d'espèces, les différences entre un secteur et un autre étant principalement fonction des conditions écologiques locales (nature du fond, etc.). Des échanges mutuels seront observés à travers la plupart des frontières maritimes nationales, par exemple entre la Thaîlande et la Malaisie, ou entre l'Inde et le Bangladesh, mais les poissons en cause n'iront probablement pas très loin. Par suite, ce qui se passe d'un côté de la frontière n'aura guère de chances de se répercuter à une distance de plus de quelques kilomètres dans la ZEE adjacente. Peut-être serait-il utile d'appliquer un qualitatif distinct à cette catégorie de stocks; nous suggérons le terme “stocks frontaliers”. L'une de leurs caractéristiques est que les relations tendent à être symétriques, c'est-àdire que les conditions ont tendance à être analogues de part et d'autre de la frontière, et que les déplacements de poissons à travers celle-ci dans une direction ont toutes chances d'être égaux à ceux effectués par des poissons de taille analogue, en nombres analogues, dans la direction opposée. Pour que les mouvements de traversée de la frontière s'équilibrent exactement, il faut que les opérations de pêche menées de part et d'autre, ainsi que les poissons, soient semblables. Il en est souvent ainsi, mais, quelquefois, il peut y avoir de brusques modifications des facteurs sociaux ou économiques dans des pays adjacents ayant une frontière marine commune. Il peut en résulter des différences dans les méthodes de pêche utilisées et/ou l'intensité de celle-ci, ce qui entraînera un flux net de poissons de la zone peu pêchée vers la zone plus intensément exploitée. Cette symétrie générale et biologique peut être mise en contraste avec l'absence de symétrie souvent observée dans la catégorie suivante.

2.2.3   Stocks migrateurs partagés

Cette catégorie comprend un grand nombre de stocks, peut-être même la majorité de ceux qui alimentent des pêches industrielles de grande envergure. A l'intérieur de ce groupe important, les détails varient considérablement, notamment en ce qui concerne la proportion du stock total qui traverse la frontière et l'ampleur des différences de composition ou de comportement du stock des deux côtés de celle-ci.

Les déplacements ordonnés des stocks de cette catégorie impliquent presque inévitablement certaines différences dans les conditions trouvées aux deux extrémités de la route de migration. Par conséquent; les effets de l'exploitation en un lieu plutôt qu'en un autre, et les profits qui peuvent être retirés de ces pêcheries, n'ont guère de chance d'être égaux. Il en est clairement ainsi dans le cas des déplacements associés á la croissance et au développement des poissons - de l'alevinière à la zone de nourrissage des adultes et à la frayère. Dans la littérature sur la dynamique et l'aménagement des stocks de poisson, on trouve une multitude d'études montrant les effets des variations de l'âge de capture du poisson. Elles montrent qu'il y a une baisse de rendement lorsque les poissons sont capturés avant que leur croissance ne commence à se ralentir et que l'équilibre ne soit atteint avec les pertes dues à la mortalité naturelle. Cette situation est susceptible de créer des problèmes lorsque les alevinières se trouvent dans une ZEE et le stock adulte se trouve dans une autre. Par exemple, dans l'Atlantique nord-est, une partie des alevinières du stock de morues frayant autour des îles Lofoten, dans la partie septentrionale de la Norvège, se trouvent dans la ZEE de l'URSS (Dannevig, 1954; Maslov, 1944). Quoique l'on trouve également des sujets plus âgés dans cette zone, les poissons capturés ont tendance à être d'une dimension inférieure à la taille optimale de début de capture. Champagnat et Domain (1978) ont montré que le long de la côte ouest-africaine, de la Mauritanie à la Guinée, les adultes et les juvéniles de plusieurs espèces démersales ont des aires de répartition distinctes, situées souvent dans des pays différents.

Une certaine distinction entre les zones habitées aux différents stades du cycle biologique peut être faite pour presque tous les poissons. Très souvent, la principale différence est que les jeunes poissons vivent dans des eaux côtières peu profondes (souvent saumâtres). Par suite, les déplacements depuis l'alevinière ou les fonds habités par les juvéniles vers les fonds où vivent les adultes ont tendance à se faire perpendiculairement à la côte. Ils sont donc généralement parallèles aux frontières entre les ZEE nationales et ne les traversent pas. Par ailleurs, les estuaires des cours d'eau constituent d'importantes alevinières pour beaucoup d'espèces et ils représentent aussi fréquemment la frontière entre des Etats. Cela augmente la probabilité que les déplacements des poissons vers le large á partir des alevinières leur fassent traverser la frontière entre les ZEE nationales. Dans l'ensemble, la part imputable à ce type de déplacements dans l'interaction entre des pêcheries situées dans différentes ZEE est moindre que sa fréquence ne pourrait le suggérer, mais elle est certainement importante pour quelques stocks. Par exemple, lorsque le stock de crevettes dont les alevinières se trouvent au large de la Casamance, au Sénégal, se déplace vers le large - vers les fonds habités par les adultes - il pénètre dans la ZEE de la Guinée-Bissau. Souvent, l'effet est le même que celui d'un certain degré de dispersion au hasard; c'est-àdire que si dans les ZEE de deux pays adjacents on trouve à la fois des alevinières le long de la côte et des habitats d'adultes au large, on ne peut s'attendre à ce que, dans leur mouvement vers le large, les poissons restent précisément dans leur ZEE d'origine; il y aura au contraire un certain mélange.

Les déplacements saisonniers des poissons adultes (les “migrations” au sens trict) revêtent un caractère moins général; ils sont plus communs dans les eaux tempérées que dans les eaux tropicales où les modifications saisonnières sont moins marquées. Ces déplacements se font souvent vers le nord et vers le sud, et ils ont tendance à maintenir les poissons dans des conditions de vie assez semblables, par exemple pour ce qui est de la température de l'eau; ils sont ordinairement parallèles à la côte. Une plus forte proportion des stocks traversera donc les frontières nationales. Par exemple, au large de l'Afrique du Nord-Ouest, la plupart des espèces pélagiques importantes (sardinelle, maquereau, etc.) traversent deux ou trois ZEE au cours de l'année. Pendant ces déplacements, il peut y avoir d'importantes modifications dans le comportement et l'état des poissons. Ceux-ci peuvent se disperser pendant la saison de nourrissage, puis se rassembler en bancs denses - et faciles à capturer - juste avant et pendant le frai. A la fin de la saison de nourrissage, ils sont gras, en bon état physique et donc susceptibles de rapporter un prix élevé, tandis qu'après le frai, ils risquent d'être maigres et d'avoir peu de valeur marchande. Ainsi donc, les espèces attrayantes pour les pêcheurs ne seront pas les mêmes dans toutes les parties de l'habitat. A l'extrême, la pêche ne peut être valable qu'en certains moments et lieux. Par exemple, dans l'Atlantique nord-est, il existe un grand stock de merlan bleu à l'ouest et au nord des îles Britanniques. Pendant la saison de nourrissage, ce stock remonte vers le nord et il se trouve en grande partie dans la ZEE de la Norvège et des îles Féroé; mais, à cette époque, les poissons sont si dispersés que les taux de capture ne sont pas suffisants pour assurer la rentabilité de la pêche. Pendant la saison du frai, les poissons descendent vers le sud et pénètrent dans la ZEE britannique, et ils forment des concentrations qui peuvent alimenter des opérations de pêche aux fins de la consommation humaine et de la fabrication de farine de poisson.


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