Page précédente Table des matiéres Page suivante


3.  COOPERATION DANS LE DOMAINE DE LA RECHERCHE

3.1   Avantages de la coopération

Losqu'un stock de poisson se déplace entre les ZEE de plusieurs pays, il est évidemment souhaitable que ceux-ci coopèrent pour les activités de recherche et pour l'aménagement et l'exploitation rationnelle de cette ressource. En même temps, cette coopération peut être difficile à instaurer; elle peut introduire une nouvelle série de rouages administratifs dans un système déjà surchargé; les réunions et les voyages d'un pays à l'autre coûtent cher, et, en particulier, certains pays peuvent être réticents, dans la période qui suit l'instauration des ZEE, à prendre des mesures qui peuvent leur apparaître comme un partage de leur souveraineté sur les pêcheries de leurs ZEE.

La coopération sera donc examinée ici sous deux angles distincts: tout d'abord, celui de l'étude scientifique des stocks, ensuite, celui de l'application effective des mesures d'aménagement. Seul le second soulève des problèmes de prérogatives. Les pays sont libres de prendre les mesures qu'ils jugent appropriées, compte tenu de leurs objectifs nationaux et des données scientifiques. Plus on en saura sur les ressources, plus l'action entreprise aura de chances d'atteindre les objectifs désirés.

Le principal avantage de la coopération internationale en matière de recherche est qu'elle rend possible d'examiner toutes les informations concernant un stock de poissons, partout où il peut se trouver. En l'absence de tels renseignements, il peut très facilement arriver à un pays de mal interpréter ce qui arrive aux stocks de sa ZEE, même s'il est bien informé sur tout ce qui s'y passe. Par exemple, un petit accroissement de l'effort de pêche national pourrait coïncider avec une importante diminution des taux de capture due à une forte intensification de la pêche du même stock ailleurs. S'il n'était pas tenu compte de ce qui se passe dans les autres zones, la situation pourrait être expliquée par la surexploitation d'un stock trop petit, ce qui pourrait conduire à l'introduction de sévères mesures de contrôle. C'est là peut-être une hypothèse exagérée et, dans la pratique, les chercheurs d'un pays donné devraient être conscients de changements aussi grossiers dans un pays adjacent, sans qu'il soit besoin d'une coopération officielle. Toutefois, il y a beaucoup de phénomènes biologiques plus subtils, comme par exemple les modifications des caractéristiques de migration, qui peuvent se répercuter sur les estimations faites par les pays, mais que l'on risque facilement de ne pas remarquer, ou de ne pas prendre pleinement en considération, en l'absence d'une étroite coopération entre tous les pays dans les ZEE desquels peut se trouver un stock ou peuvent se produire des événements susceptibles d'affecter ce stock.

Il n'est pas toujours simple de spécifier tous les pays qui devraient coopérer. Comme on l'a noté à la section précédente, le concept de “stock” est mouvant et il peut être très difficile de déterminer quels sont les pays devant participer à l'examen d'un groupe de poissons dans une zone particulière; ainsi, si la Papouasie-Nouvelle-Guinée désire être informée sur le stock de bonite à ventre rayé se trouvant autour de ses côtes, il lui faudra des renseignements des îles Salomon, mais il n'est pas certain qu'elle aura besoin de renseignements des Philippines ou d'Hawaï. La prise en considération des interactions entre les espèces complique encore l'établissement de lignes de démarcation et la détermination des pays qui ont besoin de collaborer. Par exemple, durant certaines années, les thons rouges ont été d'importants prédateurs de poissons de la mer du Nord tel que les harengs et, pour avoir une vue complète des facteurs qui affectent les stocks de harengs de la mer du Nord, il faudrait être renseigné sur l'exploitation du thon rouge lorsqu'il se trouve hors de la mer du Nord, à savoir dans le golfe de Gascogne ou dans la Méditerranée. Dans la pratique, une perspective aussi large conduirait à une masse de détails impossible et il est nécessaire d'adopter un point de vue plus étroit. La zone d'application de toute étude en coopération et les questions à examiner (par exemple une espèce particulière, toutes les espèces capturées avec un type particulier d'engin, ou encore toutes les espèces pouvant avoir une interaction avec certaines espèces-cibles d'intérêt principal) devront donc être déterminées en fonction des problèmes particuliers à résoudre.

3.2   Besoins en matière de recherche scientifique

La question qui se pose ensuite est celle de la nature des avis scientifiques et des types d'étude à effectuer si l'on veut conseiller convenablement les responsables des décisions en matière d'aménagement et d'exploitation des ressources. Elle a été examinée à diverses reprises (par exemple, CIEM, 1977; CCRRM, 1974, 1980) et il n'y a pas lieu de recommencer ici. La chose à souligner est que les avis scientifiques ne doivent pas se limiter au calcul d'une quantité à prélever (captures totales admissibles). Il faut tenir compte d'une part de l'existence d'objectifs sociaux et économiques variés et, de l'autre, des complexités de l'écosystème naturel.

Les réalités sociales et économiques n'impliquent pas, ni ne doivent impliquer, que les biologistes s'efforcent d'inclure des facteurs économiques ou autres dans leurs analyses, mais elles supposent qu'ils formulent des avis, suffisamment détaillés pour que les économistes, etc., puissent déterminer les conséquences de différentes initiatives. A cette fin, des questions telles que le coût de la pêche (rapporté aux taux de capture et à l'abondance du stock) et la distribution saisonière et spatiale des prises peuvent avoir autant d'importance que l'ordre de grandeur des captures totales. Les résultats des analyses scientifiques doivent donc être présentés de manière suffisamment détaillée pour que ces caractéristiques de la pêcherie et les effets sur celles-ci de différentes mesures d' aménagement apparaissent directement ou puissent être déduits par des analyses économiques ou sociales. Ces dernières seront normalement effectuées au niveau national plutôt que dans le cadre d'une étude biologique coopérative internationale.

Les facteurs biologiques complexes dont il importe de tenir compte pour la formulation d'avis scientifiques englobent les interactions entre les espèces et les variations naturelles. Nous avons déjà dit que les interactions entre les espèces peuvent rendre nécessaire la prise en considération de zones géographiques beaucoup plus étendues (et donc d'un nombre de pays plus important). En l'état actuel des connaissances scientifiques et avec les moyens présents de contrôle de la pêche, certaines de ces généralisations n'ont qu'un intérêt théorique. Par exemple, il serait difficile d'évaluer les répercussions sur les stocks de harengs de la mer du Nord de différents modes d'exploitation du thon rouge, et peu réaliste d'escompter que les mesures d'aménagement des stocks de thons prises dans la Méditerranée puissent être modifiées pour accélérer la reconstitution de ces stocks de harengs appauvris. Si l'on se limite à des zones plus restreintes, les interactions entre espèces sont plus importantes et il y a plus de chances qu'elles soient prises en considération. Quoique leur existence soit bien connue et que l'on admettre souvent la nécessité d'en tenir compte (FAO, 1978; May et al., 1979) , on possède très peu de données quantitatives en ce qui les concerne et en ce qui concerne l'ampleur probable de certains des principaux facteurs qui les conditionnent (par exemple la quantité de nourriture consommée par un poisson individuel). La possibilité de construire des modèles montrant le comportement de systèmes plurispécifiques en fonction du mode d'exploitation dépend très fortement des connaissances disponibles sur des séries spécifiques de chaînes alimentaires et de processus énergétiques. Dans certains cas, ces modèles semblent se rapprocher suffisamment de la réalité pour permettre de déterminer dans quel sens se répercuteront les mesures d'aménagement; ainsi, une pêche accrue de l'anchois aura pour effet une certaine diminution de la croissance des espèces prédatrices. Les modèles et les renseignements utilisés pour les construire ne sont toutefois pas encore suffisamment précis pour donner des réponses quantitatives fiables et permettre, par exemple, de déterminer dans quelle mesure la croissance des poissons prédateurs (et les captures de ces poissons) sera (seront) réduite(s) par une augmentation donnée de la pêche de l'anchois.

Les incidences des variations naturelles, par exemple des courants océaniques, sur les pêcheries, peuvent être très diverses. D'importantes fluctuations de l'abondance de nombreux stocks de poissons peuvent être observées d'une année à l'autre ou sur de plus longues périodes. Dans le contexte qui nous intéresse ici, les modifications de la distribution revêtent un intérêt particulier. Elles peuvent changer la proportion d'un stock qui se trouve dans la ZEE d'un pays particulier ou le degré auquel les pêcheries d'un pays donné sont affectées par ce qui se passe dans d'autres ZEE. Par exemple, le stock de sardines vivant au large de l'Afrique du Nord-Ouest a étendu les limites de son habitat vers le sud et alors que jadis il intéressait presque uniquement le Maroc, il est maintenant partagé dans une large mesure avec les pays voisins. Autre exemple: du fait de l'établissement d'un stock de morues au sud du Groënland consécutivement au réchauffement des eaux intervenu dans les années trente, une importante proportion des morues frayant au large de la partie sud-ouest de l'Islande passent depuis cette époque la première partie de leur vie dans les eaux du Groënland.

Un autre facteur rendant plus difficile la fourniture d'avis scientifiques, et découlant directement de l'instauration des ZEE, est qu'il est devenu nécessaire d'en savoir beaucoup plus sur la distribution, les migrations et la structure des stocks de poissons. Le présent document met en évidence que le problème des “stocks partagés” est lié aux caractéristiques de déplacement et il indique diverses situations possibles. Ce qui n'en ressort pas clairement est que, pour beaucoup - de fait probablement la majorité - des espèces de poisson trouvées dans le monde, on ne possède que très peu ou pas du tout de renseignements sur les migrations, la distribution et la structure des stocks. Il faudra recueillir beaucoup plus d'informations sur ces questions pour que les pays soient en mesure de déterminer le mode de collaboration nécessaire pour l'aménagement de leurs ressources.

Tous ces facteurs - nécessité de données scientifiques plus détaillées pour permettre les analyses économiques, précision sur les interactions entre les espèces et étude plus détaillée de la distribution et des migrations - ajouteront au travail des chercheurs. Une étroite coopération entre les pays en sera donc d'autant plus avantageuse, puisqu'elle aura pour effet d'accroître l'efficacité de la recherche scientifique et permettra d'arriver à la “masse critique” de compétences techniques requise pour s'attaquer à ces difficiles problèmes.

3.3   Disposition à prendre pour la coopération dans le domaine de la recherche

Assurer la coopération dans le domaine de la recherche a toujours été l'une des principales fonctions des nombreux organismes régionaux des pêches, relevant ou non de la FAO. Il n'y a pas lieu d'examiner ici la structure et les méthodes de fonctionnement de ces organismes, mais il convient de faire ressortir quelques points.

Le premier est la question de la programmation. Traditionnellement, les gouvernements ne se décident à agir que lorqu'il n'y a plus le moindre doute sur la nécessité de le faire.

Le premier est la question de la programmation. Traditionnellement, les gouvernements ne se décident à agir que lorsqu'il n'y a plus le moindre doute sur la nécessité de le faire. On peut donc s'attendre à ce que, souvent, ils n'entreprennent de programmes de recherche en coopération qu'une fois démontré leur caractère indispensable pour l'aménagement des pêcheries. D'autre part, l'expérience a montré qu'il faut longtemps pour qu'un groupe de chercheurs s'habitue au travail en équipe, ainsi que pour mettre sur pied des programmes coopératifs efficaces, et qu'il faut encore plus longtemps - habituellement plusieurs années de plus - pour que les résultats de ces programmes puissent être analysés et mis à la disposition des dirigeants. Pour prendre un exemple évident, une expérience de marquage visant à déterminer les itinéraires suivis pendant les migrations suppose l'observation d'une période minimale pendant laquelle le poisson marqué pourra se déplacer d'une zone à une autre - et pour les poissons qui vivent longtemps il peut s'agir de plusieurs années. Quelques-unes des recaptures les plus intéressantes de thons rouges australs qui avaient été marqués au stade de juvéniles au large de l'Australie ne sont faites que maintenant par les palangriers japonais, quelque quinze ans après le marquage initial. On voit donc que dans les cas où il n'a pas encore été pris de dispositions pour coopérer dans le domaine de la recherche, il est urgent de le faire.

Un deuxième point concerne la structure des arrangements et le cas échéant, les responsabilités du secrétariat. Ce sont les pays développés qui ont l'expérience la plus étendue d'une collaboration régionale, notamment dans le cadre du CIEM dans l'Atlantique nord-est. Dans ces régions, les pays concernés ont, dans l'ensemble, de bonnes compétences techniques et les fonctions essentielles du secrétariat concernent des questions de routine telles que la fourniture des installations nécessaires pour les réunions, la préparation de rapports, etc., et des activités techniques limitées telles que la mise en forme des statistiques communiquées par des instituts nationaux.

La mise en forme des données peut nécessiter un travail très important. Au minimum, il peut s'agir simplement de la mise en mémoire et de la reproduction de statistiques nationales. Mais les chercheurs en exigeront vite davantage, par exemple récapitulation des prises totales, indépendamment du pays de capture, habituellement ventilées par catégories telles que zone de pêche, engins utilisés, taille ou âge du poisson. A cet effet, il sera nécessaire de traiter les données et probablement aussi de travailler avec des instituts nationaux pour assurer la conformité aux normes de présentation. En dernier ressort, il sera possible que les travaux scientifiques bénéficient de la création d'un centre de données perfectionné, possédant d'importants moyens de traitement de l'information. La mesure dans laquelle le secrétariat central devra faire progresser les travaux relatifs à des stocks particuliers dépendra des besoins des chercheurs, ainsi que de la composition des instituts nationaux. Dans les régions en développement, les besoins immédiats seront peut-être relativement réduits, mais il pourrait être profitable pour la conduite du travail que les chercheurs nationaux disposent de moyens techniques de meilleure qualité que ceux accessibles ailleurs.

Lorsque certains ou la totalité des pays concernés sont des pays en développement, on ne peut s'attendre à ce qu'ils possèdent suffisamment de compétences techniques et le secrétariat devra peut-être assurer un input professionnel considérable. Par ailleurs, pour la prise des décisions concernant les stocks partagés (et plus spécialement pour ce qui concerne l'attribution éventuelle de parts des captures), il est très improbable que les pays se reposent sur des avis à la formulation desquels leurs proches chercheurs n'auront pas participé. Les activités d'un secrétariat scientifique, aussi qualifié et indépendant soit-il, peuvent compléter mais non remplacer celles des chercheurs nationaux.

En tel cas, le rôle le plus utile du secrétariat peut être de contribuer à assurer une direction scientifique qui risquerait sans cela de faire défaut (le parallèle avec la fourniture éventuelle de moyens perfectionnés de traitement des données est évident).

Un input professionnel et technique du secrétariat aura toutes chances d'être nécessaire lorsqu'il existera des problèmes scientifiques d'interprétation et lorsque les divergences seront susceptibles d'avoir des répercussions pratiques; ainsi, une interprétation pourra être favorable à ce que tel pays considèrera comme son intérêt national, une autre sera favorable à un pays différent. Les stocks de poisson sont difficiles à étudier. Les renseignements normalement disponibles, fournis par les prospections et les études biologiques ou provenant des registres des captures commerciales, donnent au mieux des informations indirectes sur l'effectif des populations de poissons et sur le nombre de sujets qu'il est possible de capturer pour maintenir le stock dans un certain état désiré. Le projet de texte de la nouvelle Convention sur le droit de la mer appelle les Etats côtiers à tenir compte “des données scientifiques les plus fiables dont ils disposent” pour prendre des mesures d'aménagement, mais, par suite de ces difficultés scientifiques, on ne peut s'attendre à ce que ces informations indiquent toujours sans équivoque la mesure particulière qui représenterait l'initiative “correcte” permettant d'atteindre un objectif spécial. Beaucoup dépendra de l'interprétation des informations par les chercheurs intéressés. Il est inévitable qu'elle soit plus ou moins subjective. Il est presque tout aussi inévitable que les divers chercheurs proposent des interprétations différentes et, de plus, celles-ci pourront - consciemment ou inconsciemment - tendre à favoriser les intérêts du pays ou autres groupes auxquels ils appartiennent. Les divergences d'intérêts entre les groupes et la tendance réelle ou soupçonnée à formuler des interprétations partiales sont, depuis quelques années, l'un des obstacles à la formulation d'avis scientifiques “concertés” en ce qui concerne les baleines. Il est facile d'imaginer des difficultés analogues pour les stocks partagés. Par exemple, s'il est possible d'exploiter les juvéniles d'un certain stock dans une ZEE et les adultes dans une autre, le lieu où il convient de pêcher si l'on veut maximiser le poids capturé (en admettant que ce soit là l'objectif préféré) dépend, peut-être à un degré crucial, du taux de mortalité naturelle. Celui-ci est toujours difficile à mesurer et on peut assez raisonnablement admettre que les chercheurs du premier pays auront tendance à l'estimer à un niveau assez élévé(qui rendrait plus profitable la récolte des juvéniles), et ceux du second à un niveau plus faible (signifiant qu'il serait souhaitable d'attendre que le poisson ait grandi).

Dans ces conditions, le rôle des hommes de science “neutres” devient très important. Non parce qu'ils doivent s'efforcer d'aboutir à une unique estimation “correcte”, mais plutôt parce qu'ils peuvent aider à cerner les différences entre les interprétations et à apprécier les conséquences des unes ou des autres. Il appartiendra ensuite aux autorités administratives de chaque pays de décider, conjointement ou individuellement, des mesures à prendre à la lumière des données qui leur auront été présentées.


Page précédente Début de page Page suivante