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Chapitre 4 - La croissance urbaine et ses conséquences

L'urbanisation est un phénomène universel et a connu une accélération particulière en Afrique subsaharienne. Cette croissance forte s’est faite dans un contexte économique particulier marqué, ces dix dernières années, par des politiques de rigueur. Les effets des programmes d'ajustement structurel ont certainement amplifié les mutations concernant les structures et les comportements démographiques, ainsi que l'évolution des structures familiales. L'ampleur de la diminution des revenus risque de rendre inopérantes les régulations sociales opérées jusqu'à présent par les réseaux sociaux de solidarité.

En Afrique, les politiques d'ajustement frappent de plein fouet les habitants des villes depuis plusieurs années, et rendent plus précaires les stratégies jusqu'ici mises en œuvre. Les classes moyennes sont à leur tour touchées par la crise, le salariat concerne de moins en moins de personnes et les salariés assurent de plus en plus difficilement leur rôle de redistributeurs. Les embryons de systèmes sociaux (systèmes de retraites, d’assurances sociales, de logements sociaux, etc.) mis en place dans certains États se désagrègent. Les jeunes, qui restent de plus en plus longtemps dépendants des aînés, trouvent difficilement leur place. Les modes de solidarité, qui constituent encore la soupape de sécurité face à la faillite de certains États, s’essoufflent et ne serviront plus longtemps encore d’amortisseur aux conséquences de la crise. Le désengagement de l’État a des effets directs sur les services publics. L’éducation subit de plein fouet les conséquences de la crise alors qu’elle constitue un des moteurs des transformations sociales. Dans les villes, la paupérisation s’accroît, même si parfois l'intense circulation des biens et des hommes en atténue la rigueur. La situation des migrants est paradoxale. D'une part, ils sont confrontés à des risques de marginalisation et d’exclusion dans les villes, bien que souvent le dynamisme de leurs réseaux sociaux leur permette d'accéder plus rapidement à certaines ressources urbaines concernant l'emploi ou le logement, d'autre part, ils constituent, à leur lieu d’origine, une soupape à la crise grâce à leurs envois de fonds, et sont vecteurs de changements sociaux.

Les populations adaptent leurs comportements économiques et sociaux à une crise devenue chronique. Les réactions, les initiatives fourmillent. Les groupes sociaux et les institutions de toute nature ont, dans le contexte de la crise et de l'ajustement, des perceptions et des comportements nouveaux. La ville constitue un fantastique terreau pour une remise en cause et une réinterprétation de valeurs héritées et pour l'émergence de nouvelles valeurs. Une culture urbaine se forge peu à peu. La ville favorise des processus d'individualisation propices à une prise de conscience critique vis-à-vis de certaines formes de solidarité, et à l'émergence de nouveaux liens sociaux fondés sur l'adhésion individuelle. Espérons que les dynamiques nouvelles fourniront une issue positive à la crise. Ces évolutions sociales vont aussi se traduire par une évolution du comportement des consommateurs de produits alimentaires: l’individualisation, le gain de temps dans la préparation, mais aussi le recours aux produits locaux risquent de marquer la période à venir.

Cette situation économique est commune à la plupart des agglomérations africaines. Trois facteurs d’atténuation des conséquences de la crise peuvent être identifiés. Le secteur informel a peut-être moins souffert de la crise, mais on peut s'interroger sur les limites de ses capacités d'absorption et du devenir de ses débouchés quand l'ensemble des revenus urbains diminuent. L'espace de vie des urbains est large et les liens avec la zone d'origine sont toujours maintenus. La multi-résidence des familles, la non résidence des épouses en ville, l'envoi des enfants dans les villes de l'intérieur, offrent certainement encore des possibilités d'adoucir les conséquences des diminutions des revenus et de maintenir la circulation de produits alimentaires entre membres de la famille. Les réseaux sociaux de solidarité ont certainement amoindri les effets des compressions d'emplois et de réduction des revenus.

Figure 3: Taux d’urbanisation en 2020 dans les pays d’Afrique francophone.

Liste des notes de bas de page

1 Résultat de la différence entre 1,5 % de croissance naturelle, moins 1 % d’exode rural.

2 Et encore provisoires.

3 On peut dater des 6e-7e siècles les premières villes du royaume du Ghana (Koumbi), mais certains auteurs pensent que sur le site de l'actuel Djenné (au Mali) se trouvait une ville qui comptait 4000 habitants vers l'an 200. Tous les grands royaumes africains successifs eurent des centres urbains importants (Bairoch, 1985).


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