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5 - Conclusions

Recommandations pour la conception de programmes d’actions visant à améliorer les systèmes de distribution alimentaire des villes

L’organisation de la distribution alimentaire urbaine est relativement satisfaisante en terme de disponibilités physiques et de répartition de ces disponibilités dans la ville.

Trois principales recommandations peuvent être faites dans la perspective de programmes d’actions. Elles concernent d’une part l’accès des urbains aux produits animaux, d’autre part, l’amélioration des conditions sanitaires de préparation et de distribution, et enfin, le développement du secteur de transformation agro-alimentaire des produits locaux.

· L’amélioration de l’accès aux produits animaux

L’accès aux produits animaux à Ouagadougou est problématique pour une majorité de ménages et relève essentiellement d’un problème de prix. La viande est consommée en faibles quantités par une majorité de ménages, et de façon très occasionnelle (2 à 3 fois par mois) par les ménages défavorisés.

L’amélioration des conditions d’accès à la viande est essentiellement dépendante d’une baisse des prix. Une étude approfondie sur l’organisation de la filière viande en ville devrait permettre de déterminer si des actions telles que le crédit aux bouchers abattants ou aux bouchers détaillants serait source de diminution des prix aux consommateurs. Les bouchers abattants et détaillants sont conscients de certains problèmes d’organisation et sont dans une situation délicate où réglementation juridique et réglementation informelle se contredisent parfois. De plus la dévaluation du FCFA a sensiblement modifié les flux (exportations vers les pays côtiers) et les prix (augmentation du prix au consommateur).

Certaines recommandations sont parfois émises quant à l’organisation de la vente urbaine mais ne semblent pas toutes prioritaires.

- La vente en tas a plusieurs fois été remise en cause pour imposer la vente au kg, y compris sur les marchés. En ce qui concerne la forme de découpe de la viande, le mélange des viandes à cuisson lente et à cuisson rapide peut poser problème. Pourtant ce style de vente est parfaitement en adéquation avec les modes de consommation et d’approvisionnement. La viande est principalement consommée en ragoût, elle fait partie des condiments de sauce. Elle est assez rarement préparée à l’européenne (comme les steaks). Tant que l’accès à la viande sera aussi coûteux, peu de ménages pourront s’offrir le luxe d’offrir à chaque membre du ménage de la viande préparée à part entière (hors de la sauce). C’est certainement l’évolution des modes de consommation alimentaire et du pouvoir d’achat qui seront l’occasion de distinguer de nouveaux types de morceaux.

- Les conditions hygiéniques de vente sont parfois soulevées comme étant problématiques. Cependant, le problème d’hygiène est beaucoup moins soulevé que les conditions sanitaires d’abattage qui font l’objet d’une plus grande préoccupation. Les services vétérinaires contrôlent quotidiennement les carcasses à la sortie de l’abattoir. Les saisies effectuées occasionnent de fortes pertes aux bouchers abattants, eux mêmes surpris d’avoir acquis une bête malade. Certains d’entre-eux pratiquent ainsi l’abattage clandestin, et les risques pour le consommateur sont réels. La campagne de sensibilisation des consommateurs à ces risques semble avoir été concluante: beaucoup de ménagères recherchent le tampon de l’abattoir sur la carcasse avant d’acheter. Pourtant l’abattage clandestin est encore fréquent, notamment dans les zones éloignées de l’abattoir, et trouve des acheteurs.

Il pourrait être envisagé de placer des services vétérinaires de contrôle sanitaire plus en amont de la filière, sur les marchés du bétail en zone rurale. Les bouchers acheteurs seraient ainsi assurés d’acquérir une bête qui ne soit pas saisie par les services vétérinaires de l’abattoir.

- La question de la réhabilitation de l’abattoir frigorifique de Ouagadougou a été posée suite à la dévaluation du FCFA. Les avantages évoqués pour le marché intérieur sont d’améliorer les conditions sanitaires de distribution de la viande et de faciliter son écoulement en diminuant les besoins d’anticipation de la demande au jour le jour. Toutefois, les préférences des consommateurs pour la viande fraîche, et l’augmentation du coût de la viande que la chaîne du froid instaurerait, ne plaident pas encore en ce sens. On peut cependant envisager des améliorations sanitaires au niveau de la manipulation des viandes, et des infrastructures de vente.

Le poisson est beaucoup plus accessible que la viande en terme de prix, s’il est utilisé en condiment de sauce. Mais dès que l’on souhaite augmenter les quantités, notamment consommer du poisson entier (frais ou fumé), il devient moins accessible.

Une étude de la filière poisson serait, comme pour la viande, souhaitable afin de déterminer l’organisation qui permettrait au mieux de réduire les coûts.

Les poissons de mer et poissons d’eau douce n’apparaissent pas comme deux filières concurrentes, au regard de leurs utilisations dans les plats. Il ne semblerait donc pas contradictoire de réduire la taxation sur les poissons de mer importés, tout en favorisant la production locale de poissons d’eau douce. Concernant ce dernier, le développement de la production mais aussi des ateliers de séchage et fumage des poissons pourrait être utile.

Différents axes de développement pourraient être ainsi envisagés:

- faciliter l’équipement des pêcheurs en matériel de pêche (ouverture d’un magasin de vente de matériel à crédit);

- formation des pêcheurs (la pêche n’est pas une activité traditionnelle au Burkina, et a été initiée par des migrants maliens);

- former des femmes qui interviennent dans le séchage et fumage. L’introduction de fumoirs améliorés a été initiée;

- rechercher des moyens de lutte contre les insectes ichtyophages;

- développer des moyens de réfrigération ou congélation plus accessibles en terme de manutention et de coût (action initiée par l’IBE).

Nombreux aliments locaux, riches en protéines végétales, sont disponibles sur les marchés (annexe 6). Les consommateurs ne sont cependant pas toujours conscients des apports nutritionnels de ces produits locaux. Des stratégies commerciales, publicitaires, ou informationnelles peuvent aider à revaloriser ces produits, notamment auprès des jeunes qui sont les premiers à les déprécier. La diffusion d’informations sur la valeur nutritionnelle de ces produits peut paraître intéressante, mais n’est pas forcément une condition suffisante pour rehausser l’image de ces produits auprès des consommateurs qui ont aussi d’autres attentes que celles nutritionnelles. Les stratégies de valorisation des produits locaux qui passent par la création de nouveaux produits, de nouvelles gammes, de nouvelles utilisations, ou de nouvelles présentations sont à étudier.

· L’amélioration des conditions sanitaires de préparation et de distribution alimentaire

Des programmes d’amélioration des conditions sanitaires autour de l’alimentation pourraient prendre deux directions.

- La réhabilitation des marchés: constructions en dur (notamment sols cimentés, toitures et murs). De telles installations n’existent que pour le grand marché et pour les hangars de vente de viande dans certains marchés. Elles permettraient de parer aux vents de poussière (fréquents en période d’Harmattan), et d’éviter que les produits, parfois exposés par terre sur des sacs, soient mêlés à la poussière. Il serait d’ailleurs souhaitable de généraliser la mise en place de bennes à ordures en différents points des marchés, pour éviter la dégradation des produits frais «périmés» à même le sol.

- La proposition de services de conseils en matière d’hygiène sur les conditions de vente et de préparation des produits (y compris pour les vendeuses qui préparent à domicile). Il faudrait envisager que les intéressés par ces programmes bénéficient en retour, sous contrôle régulier quant au respect de certaines règles, d’un signe de reconnaissance légal, visible par les consommateurs. Ce signe jouerait le rôle d’assurance sur le respect de normes d’hygiène.

· La transformation des produits locaux

Les produits locaux, notamment céréaliers, peuvent faire l’objet d’une meilleure valorisation agro-alimentaire.

La recherche de diversification alimentaire des ménages urbains, et pour certaines ménagères, d’une réduction des activités de transformation domestique, justifie l’intérêt déjà porté au développement d’un secteur de transformation agro-alimentaire. Il semble toutefois utile de profiter des enseignements qu’apporte l’analyse des pratiques d’approvisionnement.

- L’incertitude sur la qualité des produits: dans de nombreuses situations, les consommateurs sont dans l’incertitude lors de l’acquisition des produits. Cette incertitude est particulièrement marquée en ville où le marché s’agrandit et les règles du commerce se modifient. Les consommateurs achètent à des intermédiaires (commerçants) et non aux producteurs, à des vendeurs et non à des parents. Cette incertitude est particulièrement marquée pour des produits qui incorporent une large part de services (produits transformés). Les consommateurs sont amenés à suspecter une partie des commerçants et même des préparatrices, sous prétexte que leur seul objectif est de faire du profit, et que l’apprentissage des savoir-faire n’est plus ce qu’il était.

- L’importance du commerce de proximité: pour réduire leur incertitude sur la qualité des aliments qu’elles acquièrent, les ménagères établissent des relations de proximité avec certaines vendeuses (ou vendeurs), notamment à travers la fidélisation, mais aussi par le contact direct, et éventuellement la vérification des conditions de préparation ou de transformation des produits sur le lieu de production.

- La souplesse des prix et des unités de vente: face aux variations de prix, de taille du ménage, ou de disponibilités monétaires, les ménagères ajustent leurs achats grâce à la souplesse et à la diversité des unités de ventes (tas, unité, yoruba, tine, sac, cuillère...), et des prix (les volumes se négocient souvent plus que les prix).

- La diversité des pratiques d’approvisionnement d’un produit selon le plat dans lequel il est incorporé et le contexte dans lequel il est consommé: la valorisation des produits doit être réfléchie en fonction des plats consommés, des ingrédients qui les composent, des modes de préparation, des exigences de qualité variables selon les situations.

- Le maintien d’un contrôle domestique de la qualité: les femmes salariées qui envoient une parente ou un enfant au marché pour des achats quotidiens, continuent à s’approvisionner elles-mêmes en demi-gros le week-end pour certains produits. C’est une façon de se garantir d’une certaine qualité. De même, le maintien de la transformation domestique des céréales en farine est un moyen de garder un contrôle sur la qualité des grains, les conditions de séchage et de transformation.

- Des exigences sur le savoir-faire des préparatrices de produits traditionnels. Le cas du soumbala, mais aussi des farines de céréales, révèle que pour les produits traditionnellement consommés, les exigences en matière de savoir-faire sont très fortes. La qualité hygiénique et sanitaire est une préoccupation, mais elle passe après le besoin de garantie sur le savoir-faire dans la transformation.

Il est ainsi nécessaire de traiter différemment la qualité des produits nouveaux de ceux traditionnels ou à usages traditionnels. Pour ces derniers, les exigences sont fortes et trouvent leurs modèles de référence dans la préparation domestique du produit. Les caractéristiques organoleptiques souffrent de peu de possibilités de modifications, et en ce sens la mécanisation des procédés doit rester prudente. La situation est différente si les objectifs sont de promouvoir de nouveaux produits, ou des produits traditionnels dont on souhaite véhiculer une autre image que celle traditionnelle.

- Le secteur de distribution alimentaire dominant est le secteur «informel». La fréquentation des «boucheries modernes» ou des «magasins d’alimentation» concerne seulement une petite partie de la population et reste occasionnelle. La quasi-totalité des achats est réalisée sur les marchés, les produits consommés sont essentiellement bruts ou transformés artisanalement.

La valorisation des produits locaux peut prendre deux directions complémentaires: d’une part, la mise à disposition de produits transformés qui sont traditionnellement produits à domicile, de façon à alléger les ménagères de certaines étapes de la transformation; d’autre part, la mise à disposition de produits agro-alimentaires nouveaux à base de produits bruts locaux. Ces deux directions doivent concourir à favoriser la diversité des produits et des filières.

Les propositions concernant le premier point sont de favoriser le développement du secteur artisanal de transformation agro-alimentaire. Ce secteur permet de préserver un commerce de proximité, une souplesse d’adaptation aux évolutions des ménages et aux diversités culinaires, une maîtrise technique du procédé qui soit compatible avec les exigences de qualité sur les produits traditionnels, notamment grâce au savoir-faire des artisanes. Un système d’appui, de conseil et de crédit aux petites entreprises est une condition importante. Il permettrait de favoriser le développement d’unités de production artisanales de plus grande taille que la plupart de celles qui existent déjà. Par exemple, la demande de certaines ménagères en farine de maïs de très bonne qualité et dont la qualité soit reconnue, pourrait être satisfaite par la mise en place d’unités de production artisanales qui puissent faire de la vente directe sur le lieu de production et à domicile: les ménagères seront alors à même de vérifier la qualité des grains sélectionnés et les conditions de séchage. La qualité du produit, si elle est reconnue, devrait favoriser la réputation de ces types de lieux. Cette réputation passe avant tout par la reconnaissance d’un savoir-faire, en respect avec des pratiques de préparation et de consommation commune. La normalisation de tels lieux, par exemple le contrôle de la qualité hygiénique par des services sanitaires nationaux, peut aider à la réputation de l’unité de production en matière de qualité, mais elle n’est pas une condition suffisante. La réputation de tels lieux est d’abord fondée sur le savoir-faire, plutôt que sur une norme étatique.

Favoriser le développement agro-alimentaire des produits transformés traditionnels pose aussi la question de l’apprentissage et du transfert de savoir-faire en zone urbaine. En ville, pour subvenir en partie aux dépenses alimentaires, beaucoup de femmes «s’improvisent» commerçantes ou préparatrices. Dans le domaine agro-alimentaire il n’existe cependant pas de formations formelles qui permettent d’acquérir le savoir-faire nécessaire à la mise en oeuvre des procédés traditionnels. Ces formations sont assurées dans le cadre domestique et sont soumises à des règles sociales de transmission du savoir qui ne rendent pas possible d’apprendre à n’importe qui un savoir socialement transmis de génération en génération (Bricas et Cheyns, 1995). La confiance qui est établie chez les ménagères lorsqu’elles s’approvisionnent chez des «vieilles du quartier», parce qu’elles sont du village et ont le savoir-faire, indique l’intérêt du professionnalisme du secteur artisanal. Ce professionnalisme ne peut se maintenir que par des échanges de savoir-faire qui mériteraient d’être appuyés.

La création ou l’appui de «soumbalaneries» artisanales, si elles sont reconnues pour leur qualité, est par exemple une voie de maintien et d’évolution des savoir-faire qui concoure à la valorisation des produits locaux transformés.

Dans le secteur artisanal, le modèle de l’entrepreneur renvoie souvent à l’image du commerçant, du gain et du profit. C’est une image difficilement compatible avec la production de produits artisanaux transformés de qualité, surtout quand il s’agit de produits traditionnels. Le modèle du professionnel est par contre un modèle fondé d’une part sur une compétence spécialisée et légitime, d’autre part sur une certaine éthique (ou «code de conduite» professionnel), éthique que l’on ne trouve traditionnellement que dans un système corporatiste ou d’échanges intra-communauté. L’objectif serait de trouver des moyens de légitimation et de reconnaissance des professionnels par les consommateurs. Ceci doit peut-être passer par la légitimation officielle par l’Etat, la création de porte-parole officiels de la profession (juridique), le développement d’organisations professionnelles, etc.

Concernant la mise à disposition de produits transformés nouveaux, ou de produits traditionnels à caractère «nouveau» (nouvelles présentations, nouvelles gammes), les voies artisanales et industrielles ou semi-industrielles sont intéressantes. Les exigences des consommateurs sont plus souples car ces produits nouveaux ne s’insèrent pas dans une dimension historique de l’agencement des produits aux plats et aux pratiques. L’exigence du savoir-faire en respect avec une tradition se pose moins.

L’industrialisation de la transformation renvoie cependant à «l’anonymat» du commerce: vente sous sachet, achat des produits au commerçant et non au producteur, représentation du lieu et des conditions de production floues parce que non connues. Cet anonymat pose la question de la confiance sur la qualité du produit, de façon différente que pour les produits traditionnels. Des études et tests d’acceptabilité de ces nouveaux produits sont nécessaires pour bien les positionner par rapport à la demande notamment sur le prix, la qualité et l’emballage.

Les deux orientations précédantes s’inscrivent dans la perspective de favoriser la diversité la plus large possible en produits spécifiques pour un même produit générique.

La qualité (au sens de prestige ou de renommée) d’un produit peut être liée à sa fréquence d’utilisation (plus il est rare, plus il est prestigieux), mais aussi à la coexistence de plusieurs produits spécifiques. Ainsi un produit générique qui n’existe que sous une seule forme est moins porteur de «qualité» qu’un produit générique qui existe sous de multiples formes. C’est par la différenciation des produits que ceux-ci gardent un pouvoir de différenciation sociale ou identitaire ou de marqueur d’un événement. Par exemple: utilisation du soumbala du village pour préparer une sauce de tô à une femme qui vient d’accoucher; utilisation d’un soumbala ordinaire pour un jour ordinaire. Ce pouvoir de différenciation ou de marquage contribue à maintenir le produit générique à un indice de qualité élevé.

Il est ainsi souhaitable de favoriser, pour un même produit, différentes filières et une gamme assez large des variations du produit (différents types de farines de tô, différents types de soumbala...). Ceci est particulièrement important quand il s’agit de produits de consommation courante et à large diffusion, ce qui est souvent le cas des produits locaux.


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