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Chapitre 3
Nouvelles approches et extensions dans
l'économie de la productivité des sols

Nouvelles approches de l'économie de la productivité des sols

Les réflexions récentes sur l'économie de la productivité des sols prennent en compte le fait que les ressources du sol ont certaines caractéristiques à considérer pour leur gestion durable. Ceci a des implications sur la façon de caractériser le problème de la dégradation des sols, et sur la conception des programmes pour aborder le problème. Par exemple, bien que la figure 3 montre que la productivité du sol est un phénomène écologiquement complexe, la plupart des analyses se sont concentrées sur les effets de l'érosion des sols ou de l'épuisement des éléments nutritifs, en tant que phénomènes isolés. De même, alors que la figure 3 montre beaucoup de possibilités d'influence indirecte de l'économie sur la fertilité des sols, la plupart des analyses économiques se sont limitées à évaluer diverses technologies de conservation ou incitations à utiliser des engrais. Les prix variables des productions, de la main d'œuvre et du crédit peuvent très bien affecter la gestion courante de la fertilité des sols par l'intermédiaire d'une des nombreuses voies possibles représentées sur la figure 3. De même, le régime foncier, l'utilisation de bois de chauffage, le pâturage et les influences de la politique macro-économique affectent également la productivité du sol et légitiment l'analyse économique.

Les études économiques écologiques prennent en compte le fait que les ressources environnementales, en tant que biens naturels, constituent des réserves de capital naturel. En ce sens, la capacité d'échange d'éléments nutritifs et la capacité de rétention d'eau du sol représentent le capital naturel qui est capable de fournir un flux de services sous forme de production agricole. Bien que le sol et tout autre capital naturel aient certaines qualités associées à d'autres formes de capital, telles que la possibilité de l'épuiser, ils peuvent avoir certaines caractéristiques qui rendent impossible le remplacement complet des capitaux une fois ceux-ci perdus (c.-à-d. irréversibilité) ou leur entière substitution par un capital exogène (c.-à-d. unicité). Une telle approche indique que la consommation de la productivité du sol par des pratiques culturales non durables entraîne à court terme une perte annuelle de production, et constitue une surexploitation des ressources du sol et une perte de richesse nationale à perpétuité. D'ailleurs, compter la part des revenus agricoles résultant de l'épuisement de la productivité du sol surestime le véritable niveau de revenu durable disponible grâce à la terre agricole, et entraîne des surestimations de la croissance du secteur agricole au niveau national.

Les engrais minéraux ne sont pas de parfaits substituts des éléments nutritifs et de la matière organique existant in situ dans le sol. Alors que les éléments nutritifs des sources organiques sont en grande partie identiques aux éléments nutritifs des sources minérales, la teneur en éléments nutritifs de la matière organique du sol (MOS) est plutôt faible et souvent insuffisante pour donner seule, et durablement, de forts rendements. Réciproquement, l'apport d'éléments nutritifs minéraux en l'absence de MOS de bonne qualité a pour conséquence une faible absorption des éléments nutritifs et d'autres problèmes. Ainsi, la matière organique et les éléments nutritifs du sol se comportent davantage comme des compléments : les apports de matière organique ont un effet plus prononcé sur les rendements quand ils sont utilisés en même temps que des arbres fixateurs d'azote ou des engrais minéraux. De plus, il est évident que les effets résultant d'interactions peuvent être substantiels (Scherr, 1999; Yanggen et al., 1998). Ces relations renforcent l'idée que la productivité in situ du sol a des qualités uniques qui, une fois dégradées, ne peuvent pas être remplacées uniquement par des apports d'engrais minéraux (ou de matière organique).

Une autre implication est que les apports d'engrais minéraux correctement gérés peuvent améliorer les rendements des cultures, et la production supplémentaire de résidus de récolte peut être retournée au sol augmentant ainsi la MOS. Ce processus fournit un effet synergique. En outre, les agriculteurs peuvent ne pas nécessairement distinguer les apports d'engrais minéraux des autres mesures augmentant la productivité du sol à court terme. Cette observation a des implications dans la conception des politiques d'incitation à l'utilisation d'engrais, car des incitations inadéquates peuvent avoir des effets pervers en termes de gestion durable des sols.

Une vue plus large indique que le capital naturel du sol n'est pas seulement soumis au désinvestissement, comme dans le cas de la surexploitation du sol. En effet, des investissements augmentant la qualité du sol peuvent l'améliorer. De même, les agriculteurs peuvent investir dans des technologies qui restaurent le capital naturel du sol plutôt que de le remplacer par des intrants exogènes. La pertinence de cette analyse devient plus évidente quand le processus de développement agricole est visualisé à partir de cette nouvelle perspective. L'approche conventionnelle voit le progrès technologique dans l'agriculture comme un processus d'innovation induite. Dans son interprétation la plus simple, l'innovation induite explique le développement des nouvelles technologies agricoles qui augmentent l'intensité de culture en réponse à l'augmentation de la population. Le développement de nouvelles technologies porte sur la substitution par des facteurs de production les plus disponibles (par exemple main d'œuvre et capital) pour pallier le déficit du facteur rare, la terre agricole. Ainsi, dans un système agricole fonctionnant correctement, on s'attend à voir émerger de nouvelles technologies à forte intensité de capital ou de main d'œuvre utilisant plus efficacement une surface de terre qui se réduit.

Cependant, ce processus n'est à l'œuvre que dans quelques endroits en ASS (par exemple certaines régions du Nigeria ou du Kenya). Dans beaucoup de zones, comme la terre devient rare, les agriculteurs augmentent l'utilisation du capital naturel du sol comme remède à la diminution de la surface de terre disponible. Ceci s'exprime par des jachères réduites et une baisse de la productivité du sol. L'intensité du capital a augmenté mais pas d'une façon durable. Une intensification, qui comprendrait des apports supplémentaires de capital adapté pour compléter l'augmentation du travail par unité de surface cultivée, ou des nouvelles technologies de culture insistant sur l'entretien ou la restauration du capital naturel du sol, pourrait être plus souhaitable.

Les tentatives précédentes de s'intéresser à la dégradation de sol n'ont pas toujours tenu compte des considérations ci-dessus. Les approches structurales comportant le contrôle du ruissellement des eaux de surface ou les travaux coûteux de creusement de rigoles ont été critiquées par les personnes associées au mouvement de gestion de la terre (Shaxson et al., 1989). Dans cette perspective, traiter le ruissellement des eaux de surface et l'érosion qui s'en suit ne s'intéresse pas au problème fondamental lié aux pratiques culturales qui empêchent l'infiltration in situ des eaux de pluie. Néanmoins, beaucoup d'analyses financières et économiques de projets et technologies de conservation des sols et des eaux (tableaux 1 et 2) se concentrent sur l'érosion du sol et le contrôle du ruissellement des eaux de surface.

L'approche de gestion des terres se concentre sur le maintien de la productivité de la terre et des sols en intégrant de bonnes pratiques dans les systèmes de production des différents exploitants. Le tableau 6 présente les deux approches et insiste sur le fait que chaque approche demande des politiques différentes pour traiter du problème. Par exemple, si le ruissellement et l'érosion sont le principal souci, alors des structures peuvent représenter la meilleure solution ; des subventions sur les matériaux et des arrangements de crédit pourraient être la décision politique la plus pertinente. Si de mauvaises procédures de gestion du sol sont en cause, alors la solution peut très bien résider dans l'utilisation de techniques participatives pour transmettre des informations sur la gestion améliorée des sols (van der Pol, non publié).

FIGURE 4

Le rôle des incitations dans les décisions des producteurs sur la productivité des sols

Source: Knowler, 1999.

La matière organique du sol et de bonnes pratiques culturales représentent des options intéressantes pour améliorer la productivité du sol (tableaux 1 à 4). Des techniques telles que le paillage, l'agroforesterie, les cultures intercalaires, les plantes de couverture, le non labour et les cultures en couloirs peuvent être des alternatives viables à des approches plus structurales (lignes de pierres, terrasses, canaux de drainage, ados et billons cloisonnés).

Une autre partie gagnant en importance étudie comment les ménages prennent des décisions au sujet de l'épuisement ou de l'amélioration de leur capital naturel. La figure 4 présente un cadre conceptuel de la façon dont un ménage utilise les ressources du sol sous son contrôle. Etant données les caractéristiques socio-économiques et les technologies proposées, le ménage prend des décisions sur l'utilisation de ses ressources en sol en tenant compte des contraintes ou des incitations que l'environnement impose. À cet égard, le régime foncier et d'autres facteurs créent et en même temps limitent les occasions disponibles pour le ménage. Par exemple, s'il n'a pas accès au capital financier, le ménage ne peut pas investir dans une amélioration de productivité du sol qui exige un important investissement initial. En revanche, l'information et l'expertise technique peuvent ouvrir la voie pour des changements des pratiques culturales qui améliorent la gestion des ressources du sol sans grande mise de fonds initiale.

Les incitations variables déterminent les retours nets, les risques et d'autres éléments pécuniaires entrant dans le processus décisionnel. En ce sens, la structure des incitations variables impose d'autres contraintes (et occasions) à la prise de décision des ménages. Les effets de feedback et d'autres processus déterminent les caractéristiques des ressources naturelles et humaines du ménage à travers des facteurs indépendants et des secousses extérieures. Ces impacts s'expriment par la dégradation de la qualité du sol, la baisse de la production agricole par personne et l'absence saisonnière des membres de la famille cherchant un emploi dans les zones urbaines.

Les perceptions des agriculteurs sont au centre du cadre conceptuel. Les incitations variables signalent à l'agriculteur que l'utilisation des ressources de la famille peut ne plus être adéquate et que des réallocations de ressources peuvent être nécessaires. Par exemple, comme les prix relatifs des diverses productions changent, il peut être souhaitable de planter plus d'une culture et moins d'une autre et ces choix auront des implications sur la gestion des sols. Les agriculteurs doivent d'abord se rendre compte des problèmes de dégradation du sol avant de pouvoir répondre. Il y a polémique sur le point à partir duquel les agriculteurs perçoivent la détérioration progressive de leur base de ressource naturelle. La détection de la dégradation du sol résulte du fonctionnement des mécanismes de feedback (figure 4).

Beaucoup d'options sont disponibles pour les agriculteurs qui souhaitent répondre aux changements qu'ils perçoivent dans leur environnement de production. Par exemple, tous les membres de la famille - ou quelques-uns - peuvent migrer et prendre un emploi hors de l'exploitation, ou rester et modifier les pratiques agricoles. D'un point de vue critique, l'impact sur la productivité du sol peut être positif ou négatif, dépendant de nombreux facteurs. Si les ménages choisissent la migration, ils peuvent réduire l'intensité avec laquelle ils cultivent les parcelles existantes, ou abandonner leurs anciennes terres et cultiver de nouvelles terres dans des zones de défrichement. Cette dernière hypothèse peut avoir de sérieuses implications si les agriculteurs transfèrent dans de nouvelles zones des processus de gestion de sol non durables. Il y a beaucoup d'alternatives disponibles pour les producteurs qui choisissent de changer les procédures de gestion du sol existantes plutôt que de migrer. Par le fonctionnement des mécanismes de feedback (figure 4), la boucle est bouclée et le potentiel existe alors soit pour une série auto-alimentée d'améliorations de la productivité du sol, soit pour une spirale de la dégradation qui peut aboutir à l'effondrement du système agricole ou d'élevage.

Contraintes au niveau de l'exploitation pour l'adoption des méthodes améliorées de gestion du sol

Si les agriculteurs ne perçoivent pas de problème, ils auront peu de propension à améliorer la gestion de leur sol. Que les retombées économiques des procédures de gestion améliorée du sol soient a priori plus ou moins grandes a peu d'importance dans ce cas.

Diverses enquêtes concernant des agriculteurs africains dans des zones montrant un déclin connu de la productivité du sol ont recherché l'existence d'un problème d'érosion ou de fertilité du sol. Dans la plupart des cas, il y a une réponse très positive, de 60 à 90 pour cent des personnes interrogées, ou même plus (Ndiaye et Sofranko, 1994; Dejene et al., 1997; Adegbidi et al., 1999). De plus, les réponses négatives n'indiquent pas nécessairement un manque de perception du problème, car ce problème peut ne pas exister sur un territoire donné. Néanmoins, il semble que les agriculteurs détectent bien une baisse de la productivité du sol, bien que les circonstances spécifiques changent selon un certain nombre de facteurs. Les conclusions au sujet de la perception des problèmes de productivité du sol suggèrent que :

Il y a des circonstances où il est plus ou moins facile, pour les agriculteurs, de percevoir la dégradation du sol. Par exemple, il peut y avoir des différences dans la perception du problème (et dans la réponse en résultant), si le problème est relatif à l'érosion ou à la fertilité. Certains témoignages suggèrent que les agriculteurs comprennent moins facilement les problèmes d'érosion, en termes de cause et d'effet, que le déclin de fertilité (Ndiaye et Sofranko, 1994).

Si une plus grande utilisation de l'engrais ou des semences améliorées sert à masquer un déclin fondamental dans la productivité des sols à court terme, alors les agriculteurs peuvent ne pas percevoir le problème (Anderson et Thampapillai, 1990). Les études récentes au Malawi (Evans et al., 1999) montrent que les ventes d'engrais fortement subventionnés encouragent ce processus et que l'ampleur de la perte de productivité des sols est devenue évidente seulement après le retrait de la subvention. En outre, alors que la plupart des agriculteurs se rendaient compte des changements de leurs ressources en sol, peu étaient capables de relier le déclin de la productivité avec la dégradation, et de concevoir une solution sans aide extérieure. Une telle situation constitue un argument contre la possibilité d'avoir une réponse d'innovation induite par les communautés face à la montée de la pression foncière, et donc en faveur d'une vulgarisation forte et d'une réponse orientée sur l'éducation par le gouvernement et les agences d'assistance.

Les agriculteurs peuvent percevoir un problème de dégradation du sol mais choisir de ne pas adopter une procédure de gestion du sol naturelle ou recommandée. Les modèles de retours nets sur investissements en matière de conservation des sols peuvent tenir compte d'une large gamme d'effets variables des incitations sur le comportement (figure 4), tels que les prix, salaires, taux de change, impôts et subventions. Ils peuvent également tenir compte des incitations effectuées par l'intermédiaire des taux d'escompte et des transferts de technologie. Ainsi, une évaluation des retours nets dûs à la conservation peut prendre en compte un grand éventail de facteurs qui pourraient empêcher des améliorations, mais il est indispensable qu'ils affectent le comportement seulement par leur impact sur la rentabilité d'investissement. Cette limitation réduit l'utilité des analyses simples de retours nets alors que d'autres influences peuvent gêner les améliorations de gestion du sol. Ces influences peuvent être considérées comme des contraintes pour le comportement au niveau des familles d'exploitants agricoles.

Les caractéristiques de certains investissements de conservation, à la différence des investissements axés purement sur la production, peuvent aider à expliquer pourquoi l'adoption par l'agriculteur peut être soumise à des contraintes. Par exemple, les agriculteurs peuvent percevoir les techniques telles que l'agroforesterie et les jachères améliorées comme rentables à plus long terme et plus risquées que les investissements alternatifs tels que la traction animale et les engrais. Beaucoup d'autres caractéristiques des techniques de gestion individuelle du sol peuvent atténuer leur attractivité pour les agriculteurs. De telles techniques exigent une sélection et une adaptation soigneuse aux conditions locales. La nature collective de certains travaux de conservation à la ferme (par exemple la réalisation de digues) peut entraîner un possible découragement des agriculteurs, quelle que soit leur bonne volonté. La première colonne du tableau 7 présente certaines caractéristiques d'une technologie appropriée de conservation des sols et des eaux.

Le tableau 7 contient des informations supplémentaires se concentrant sur les causes déterminantes du comportement de l'agriculteur vis à vis de l'investissement en matière de conservation des sols et des eaux : quelles sont ses priorités en ce qui concerne l'investissement pour la conservation des sols et des eaux (colonne 2), et quels facteurs empêchent l'adoption des améliorations recommandées de productivité du sol (colonne 3). Le tableau 7 prouve qu'une mauvaise adaptation entre les priorités de l'agriculteur et les innovations proposées en matière de productivité du sol mènera à un sous-investissement pour le capital naturel du sol. L'insécurité du régime foncier est un aspect plus controversé de ce problème. D'autres facteurs empêchant l'adoption des pratiques en matière de conservation, mais non cités dans le tableau 7, incluent : un manque de connaissance des améliorations potentielles de productivité du sol, une incapacité à supporter les risques; l'indisponibilité des intrants, soit en raison des insuffisances des systèmes de distribution (par exemple les engrais) soit à cause des contraintes d'approvisionnement inhérentes au système d'exploitation (par exemple le paillage et la fumure).

Le tableau 8 récapitule les résultats des études qui ont évalué certaines de ces hypothèses au sujet de l'investissement dans des améliorations de la gestion du sol et des terres au niveau de l'exploitation dans des pays africains. Ces études ont appliqué des techniques de recherche d'adoption de technologies agricoles aux pratiques de conservation considérées isolément. Par conséquent, l'interprétation de leurs résultats exige une grande attention. En terme de variables économiques, les résultats empiriques soutiennent plusieurs des propositions, par exemple le revenu hors exploitation agricole et le salaire non agricole sont négativement associés à l'adoption de technologies de conservation, de même que la distance aux routes goudronnées, la variation des prix et la location de la terre. Cependant, il existe des anomalies et des résultats contraires à l'intuition, tels que l'influence négative des prix à la production sur l'adoption de technologies de conservation, ou l'influence ambiguë de la taille des parcelles ou des exploitations. Certaines variables ont une influence positive sur l'adoption des technologies de conservation mais l'effet inverse sur l'utilisation d'engrais (par exemple pente, années de culture). Une explication est que les agriculteurs seront peu disposés à appliquer de l'engrais sur des pentes raides avec un fort ruissellement et plus disposés à investir dans des technologies de conservation. De nombreuses variables statistiquement significatives mais non-économiques indiquent l'importance des contraintes sur le comportement. Cependant, en considérant de manière peu explicite les retours nets relatifs de la conservation ou de l'utilisation d'engrais, les études peuvent omettre une préoccupation essentielle.

Les études des secteurs agricole ou pastoral ne fournissent pas de conclusion évidente de ce que la privatisation de la terre ou la distribution de titres a augmenté les investissements dans la terre ou motivé des pratiques durables. Parfois, elle a eu l'effet opposé. Les producteurs peuvent accepter un titre parce que cela garantit leurs droits à la terre, mais ceci ne signifie pas qu'ils vont changer forcément leur stratégie d'utilisation des ressources naturelles. De nombreuses études indiquent que les institutions traditionnelles régissant l'accès aux ressources en terre sont flexibles, répondant aux pressions internes et externes. Le tableau 9 récapitule les conclusions d'un certain nombre d'études en Afrique comparant le titre de propriété et le régime foncier coutumier. D'une manière générale, il indique que le titre de propriété n'accorde aucun avantage par rapport au régime foncier usuel, en termes d'incitations à l'investissement. Cependant, une étude estime que la possession d'un titre de propriété entraîne un retour positif d'environ 12 pour cent et attribue ceci à un accès amélioré au crédit (Lopez, 1997).

Une autre considération est la dimension coopérative ou collective des actions visant à apporter des améliorations de productivité du sol ou, plus généralement, de gestion du sol. Avec les problèmes plus habituels de gestion des ressources en propriété commune associés aux pâturages ou forêts, la discussion peut inclure la gestion des terres cultivées avec des droits d'usage privés (encadré 1). Beaucoup de technologies de gestion des sols impliquent un élément de coopération pour leur installation et entretien, en dépit de leur emplacement sur des parcelles individuelles (par exemple ados sur courbes de niveau, terrasses, drainage et travaux dans les bassins versants). Pour amener des gains individuels, tels que des pertes de récoltes réduites ou des améliorations de productivité, un réseau d'installations communes (par exemple digues, drainage et barrages de contrôle) ou une main d'œuvre insuffisante dans l'exploitation (par exemple pour des terrassements) rendent nécessaire une réponse collective.

L'examen des conditions qui amènent à améliorer les perspectives d'action collective sur des questions de gestion de ressources naturelles est de même pertinent pour la productivité du sol. Les considérations importantes sont : taille du groupe, homogénéité ethnique et de revenu, perspectives pour la réciprocité; gain potentiel à court terme (intérêt) et présence d'un leader dans le groupe. La probabilité pour les ménages individuels de participer aux arrangements collectifs traitant des problèmes de productivité des sols et de gestion de la terre s'améliore :

Les caractéristiques susceptibles d'influencer de manière positive l'activité de gestion des sols et des bassins versants dans certaines communautés et pas dans d'autres incluent : la taille du village; l'homogénéité ethnique; le fait que les ménages aient adopté précédemment la conservation des sols et des eaux, l'emplacement dans le captage et une expérience précédente avec les contrats informels d'échange de travail. Cependant, une étude de coopération sur des travaux dans les bassins versants à Haïti a constaté que les communautés en aval n'étaient pas plus volontaires pour coopérer, bien qu'elles puissent vraisemblablement récupérer le plus possible des améliorations de l'amont (White et Runge, 1994). Au lieu de cela, les occupants des parties inférieures des bassins versants étaient pour réfréner l'accès libre aux terres de ravin avec des droits d'utilisation contestés ou peu clairs, et ceci a sensiblement réduit les incitations à participer pour les propriétaires fonciers voisins.

Politiques au niveau national en tant que facteur de la productivité des sols

La figure 4 montre les liens entre la production du sol et les politiques économiques nationales, ces dernières se composant des mesures fiscales et monétaires ou des politiques commerciales et tarifaires. Ces politiques peuvent fonctionner isolément ou en tant qu'élément de PAS de grande envergure. Historiquement, la prise de décision en politique économique au sens large en Afrique, particulièrement en Afrique occidentale, a été interventionniste. Cette position de politique macro-économique a traditionnellement favorisé l'industrie et la substitution d'importations aux dépens du secteur agricole (Cleaver, 1985; Lensink, 1996). En plus des tendances commerciales, les prix de détail artificiellement bas de certaines nourritures de base encouragent leur consommation dans les zones urbaines au détriment des nourritures de base plus traditionnelles, non subventionnées. Ainsi, les farines de blé, de riz et de maïs sont maintenant préférées au manioc, au mil et au sorgho. L'intérêt ici est l'influence que ces politiques peuvent avoir sur les incitations pour que les exploitants agricoles contrôlent leurs ressources en sol de manière durable. Les politiques au niveau national peuvent modifier les retours nets de la culture et, par extension, modifier l'attractivité de l'adoption des meilleures procédures de gestion de sol. Alternativement, les politiques nationales peuvent créer des contraintes comme présentées ci-dessus mais laisser les retours financiers nets relativement inchangés.

Les changements des incitations au producteur émanant de ces politiques de niveau national peuvent affecter la production agricole et la gestion du sol de manière subtile. Par exemple, les brusques expansions ou contractions dans les secteurs qui concurrencent l'agriculture pour la main d'œuvre peuvent amener à changer les conditions du marché de la main d'œuvre dans le secteur agricole. De même, bien que le lien entre le commerce et la gestion du sol soit le plus immédiatement visible dans la production et le marketing des produits agricoles et animaux exportés, son influence s'étend au delà, à la catégorie plus large des produits commercialisables. Les changements dans les conditions du marché du travail, de la production et la gestion des produits commercialisables peuvent avoir des effets de grande ampleur sur l'utilisation de la terre et, par conséquent, sur la gestion du sol. D'ailleurs, les incitations (variables) au niveau de l'exploitation résultant de l'environnement macro-économique influencent la gestion du sol d'une manière plus détournée. C'est en raison des effets dominants des politiques économiques au sens large qui visent de larges variables macro-économiques telles que l'inflation, l'emploi ou la balance des paiements (figure 4). Les modèles sophistiqués, qui associent divers secteurs de l'économie et incorporent des opérations d'ajustement et des mécanismes de feedback, peuvent analyser comment de tels processus complexes affectent les incitations de gestion du sol au niveau de l'exploitation (Knowler, 1999).

Pour l'Afrique, les divers liens de politique macro-économique qui affectent la gestion des ressources naturelles (y compris la productivité du sol) sont :

Bien que les politiques économiques générales agissant sur les prix à la production aient une influence significative sur la gestion du sol, parallèlement d'autres distorsions peuvent compliquer ce mécanisme. Les échecs du marché et de la politique dans l'utilisation des ressources naturelles, coexistant avec des politiques inadéquates au niveau macro-économique, peuvent également participer à l'explication de la dégradation du sol. De telles distorsions peuvent ainsi inclure une tarification trop basse des ressources naturelles en présence d'externalités ou des droits de propriété mal définis pour ces ressources. Si ces échecs du marché et de la politique n'existaient pas, alors des réformes macro-économiques générales bien conçues pourraient entraîner des améliorations de gestion du sol. Cependant, avec l'échec actuel du marché et de la politique, les réformes de la politique macro-économique choisie peuvent ne pas être optimales. Par exemple, un pays a pu ajuster sa politique monétaire afin d'essayer de corriger un déséquilibre du marché du travail et provoquer le plein emploi. S'il y a échec de la politique dans le secteur des ressources, comme par exemple un droit de propriété défaillant, cette action peut entraîner une dégradation du sol comme effet secondaire involontaire de la correction macro-économique initiale. Dans les économies d'Afrique occidentale avant l'ajustement structurel, de tels effets secondaires involontaires ont entraîné peu de dommages pour les ressources, car l'activité économique était limitée et beaucoup de politiques inefficaces. Cependant, si les résultats macro-économiques s'améliorent grâce aux réformes instituées, des soucis peuvent voir le jour. L'encadré 2 montre comment les économistes ont analysé de telles complexités en utilisant un modèle économique des effets comparatifs des réformes fiscales et autres politiques sur la gestion des sols au Ghana.

Encadré 1: Liens entre la fertilité des sols et la coopération au niveau de la communauté en Inde

Wade (1987) débat du fait que la coopération peut être conforme à l'intérêt personnel, mais seulement quand l'avantage collectif est suffisamment important pour être considérablement supérieur aux coûts de transactions impliqués. Dans ces cas-là, pour provoquer la coopération, la part individuelle de l'avantage collectif, diminué de son coût, doit excéder les avantages potentiels de la non-coopération. Wade a étudié les incitations pour la collaboration dans les villages avec et sans irrigation en Inde méridionale et a constaté que la fertilité et la position de la parcelle sur le système d'irrigation ont joué un rôle crucial pour déterminer la présence d'institutions de coopération. Dans les zones basses du système de distribution, les terres tendent à avoir des sols noirs plus productifs tandis que l'approvisionnement en eau est plus limité et incertain. Ces conditions ont comme conséquence de plus grandes incitations pour coopérer parce que les avantages marginaux de l'utilisation de l'eau sont plus forts, et la coordination avec les bergers de passage, qui offrent le fumier en échange du pâturage des chaumes, offre plus aux deux parties.

L'étude de cas de l'encadré 2 et la discussion précédente font partie d'une controverse plus importante concernant l'efficacité de l'utilisation a) de politiques macro-économiques de niveau général ou b) de politiques ciblées sur l'environnement, pour traiter des problèmes de dégradation. De nombreux auteurs préfèrent la correction des erreurs de marché et de politique, car les politiques macro-économiques sont des instruments beaucoup moins pointus qui ne visent pas directement des variables environnementales. D'autres auteurs croient que les améliorations complémentaires des deux approches sont très souhaitables (Low, 1992; Daly, 1996; Hansen, 1996; Johnstone, 1996; Maler et Munasinghe, 1996; Panayotou et Hupe, 1996). De même, les avocats de la réforme "taxe verte" voient un besoin de remplacer les impôts sur le revenu et la valeur ajoutée par des impôts sur l'épuisement des ressources naturelles et la pollution. Ils maintiennent que de telles réformes produisent un double dividende : une gestion améliorée des sols et plus d'avantages en matière d'efficacité économique. Cependant, les politiques pour corriger les échecs du marché peuvent avoir des effets s'étendant à toute l'économie et ne pas donner un résultat plus intéressant à long terme.

Encadré 2: Politiques macro-économiques et dégradation des sols au Ghana

L'étude (Lopez, 1996) a examiné les liens existant entre la productivité du sol et la politique macro-économique au Ghana, en utilisant un modèle empirique considérant la biomasse couvrant les terres en jachère dans la région occidentale comme un intrant dans une fonction régionale de production agricole. La biomasse sert d'indicateur utile de l'état de fertilité du sol, montrant la fonction de régénération de la terre apportée par la jachère. Le modèle a testé les effets de diverses réformes de la politique sur la fertilité du sol, mesurée par sa couverture de biomasse. Ces réformes corrigent la taxation de l'agriculture, la protection de la fabrication, l'expansionnisme fiscal et les droits de propriété mal définis. Cette dernière est une forme d'échec institutionnel qui permet la mise en culture excessive du sol, comme démontré par le raccourcissement de la jachère en dessous des périodes optimales. Les politiques macro-économiques qui encouragent l'augmentation de la production agricole interréagissent avec cet échec institutionnel, entraînant une réduction de la productivité durable du sol, et contrebalançant tout effet direct sur la production provenant des réformes de la politique macro-économique.

Les essais du modèle effectués en excluant cette dernière distorsion environnementale et assumant une amélioration de 5 % de chacune des variables de la politique macro-économique ont indiqué que toutes les politiques amèneraient une expansion à court terme de la zone cultivée, aux dépens de la régénération du sol. Les essais prenant en compte la distorsion environnementale ont indiqué qu'une protection douanière entraînerait des impacts clairement négatifs sur le bien-être, alors que des réductions fiscales feraient l'opposé. La réduction de l'imposition du secteur d'agriculture a donné un résultat ambigu, selon que les distorsions du marché du travail ont été corrigées ou pas. Ainsi, ignorer l'échec institutionnel fondamental qui entraîne l'expansion excessive de la zone cultivée réduit les avantages en matière de bien-être des réformes de politique et peut amener à des choix politiques inadéquats. De façon générale, l'étude montre que les politiques macro-économiques peuvent exercer une forte influence sur les décisions au niveau de l'exploitation concernant la productivité du sol. Le degré à partir duquel ces décisions peuvent être salutaires ou nocives dépend en partie du cadre institutionnel en place.

Avantages au niveau mondial de la gestion améliorée des sols

Les agriculteurs et les planificateurs nationaux peuvent très bien ignorer complètement les implications mondiales de la dégradation des sols. Ceci a comme conséquence un niveau d'investissement suboptimal pour inverser la dégradation du sol. Une telle situation fournit une raison à l'aide internationale pour financer des améliorations de productivité du sol.

La notion que la dégradation du sol est d'importance mondiale est controversée. Dans une certaine mesure, les coûts des dommages au niveau national indiqués dans le tableau 5 plaident en faveur de l'affirmation d'une importance mondiale. Quelques évaluations des dommages au niveau mondial ont produit des chiffres importants (Pimentel et al., 1995). Cependant, quelques auteurs affirment que les coûts associés peuvent être surestimés (Metz, 1991; Bojo et Cassells, 1995). D'autres suggèrent que la dégradation des sols ne représente pas une menace pour la production mondiale de nourriture et que c'est un problème régional avec divers points chauds exigeant une intervention extérieure (Norse, 1994; Crosson, 1995).

Cependant, le débat pour une intervention au niveau international peut tenir aussi longtemps que la dégradation des sols impose des coûts régionaux ou mondiaux, ou aussi longtemps qu'il y a des avantages mondiaux à améliorer la productivité des sols. Le tableau 10 explique comment il pourrait en être ainsi. La première colonne du tableau 10 présente une classification des diverses fonctions des écosystèmes associées aux ressources mondiales en sol. Celles-ci s'étendent des services habituels tels que permettre la croissance des plantes ou le cycle hydrologique à des phénomènes complexes tels que la régulation des cycles élémentaires impliquant les gaz de l'atmosphère.

Le tableau 10 indique les services que les ressources en sol fournissent d'une manière conforme au concept de la valeur économique totale (VET) d'une ressource environnementale. Généralement appliqué aux écosystèmes complexes tels que les zones humides ou les forêts tropicales, le concept est également valide dans le cas des complexes de sol. L'aspect essentiel est que l'agriculture a besoin des fonctions ou des services que les sols rendent, c.-à-d., leur valeur indirecte d'utilisation. La VET inclut habituellement des valeurs d'utilisation et de non-utilisation avec les premières comportant des utilisations directes et indirectes. En théorie, il pourrait y avoir quelques valeurs d'utilisation directes associées aux sols, aussi bien que des valeurs de non-utilisation telles que la valeur d'existence de la biodiversité du sol. Diverses techniques d'évaluation hors-marché peuvent fournir des estimations de la valeur des services assurés par les sols. Par exemple, le coût de la fourniture des éléments nutritifs par l'intermédiaire des engrais peut donner une évaluation de la valeur de la fonction d'apport nutritif (Stocking, 1986; Daily et al., 1997).

Là où existent des excédents mondiaux ou régionaux, les impacts en résultant au niveau extra national représentent des externalités mondiales, et leurs coûts associés seront distincts des externalités de niveau national. Si la gestion des sols se caractérise par des externalités mondiales, alors il y aura un investissement insuffisant pour des améliorations de productivité des sols au niveau national, car les planificateurs nationaux ne considéreront pas ces effets mondiaux, sauf s'ils peuvent être associés à une source de revenus (exemple de la séquestration du carbone).

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