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Introduction

Dans la plupart des cultures, les gens ont mis au point de nombreuses biotechnologies qu'ils continuent d'utiliser et d'adapter. On sait que certaines d'entre elles telles que la manipulation de micro-organismes en fermentation pour faire du pain, du vin ou de la pâte de poisson, ou l'utilisation de rénnine pour la fabrication du fromage, sont employées depuis des millénaires. Un important sous-secteur des biotechnologies modernes est le génie génétique, c'est-à-dire le recours aux techniques modernes de la biologie moléculaire pour manipuler le patrimoine génétique d'un organisme en introduisant ou éliminant des gènes spécifiques. On appelle organisme génétiquement modifié (OGM), ou encore organisme vivant modifié (OVM) ou organisme transgénique, tout organisme vivant possédant une combinaison de matériel génétique inédite, obtenue par recours à la biotechnologie moderne1.

La génétique classique et les biotechnologies modernes emploient comme matières premières des gènes naturels. La conservation de la biodiversité est donc un grand problème mondial

- FAO/11735/A. ODOUL

Les techniques classiques de sélection végétale et les biotechnologies modernes comprennent toutes deux certains ensembles d'outils qui ne peuvent fonctionner que si l'on utilise comme matière première des gènes qui existent à l'état naturel. La préservation de la diversité biologique est donc importante pour l'ensemble de la planète. De nos jours, aucun pays ne peut se passer de ressources venues d'ailleurs. Cette interdépendance soulève diverses questions éthiques concernant les droits des pauvres et des faibles à profiter équitablement des avantages de la science, à jouir d'un accès équitable aux technologies et aux ressources génétiques, et à avoir leur mot à dire dans le débat portant sur ces ressources. Ce sont là des questions importantes, tout comme celles qui concernent les mesures à prendre; elles sont étudiées dans d'autres tribunes et font l'objet d'autres publications.

Les zones tropicales sont celles qui possèdent la plus grande diversité génétique agricole, mais les outils de la biotechnologie moderne appartiennent principalement à des entreprises du secteur privé des zones tempérées. Des particuliers et des entreprises utilisent ces outils pour cultiver des plantes ou fabriquer des produits, y compris des OMG, en vue de leur distribution commerciale. Les outils servant à la production des OGM peuvent éventuellement permettre une adaptation plus précise des génotypes au milieu environnant, aux besoins nutritionnels et diététiques et aux préférences des consommateurs. Mais les OGM augmentent-ils la quantité de denrées alimentaires disponibles aujourd'hui et les populations sous-alimentées peuvent-elles, grâce à eux, obtenir plus facilement des aliments plus nutritifs ou, au contraire, n'ont-ils servi jusqu'à présent qu'à accroître les bénéfices des agriculteurs et les profits des grandes entreprises? Les questions d'éthique concernant les outils qu'utilisent les chercheurs pour créer des OGM pourraient porter principalement sur la façon de les utiliser pour qu'ils contribuent davantage à la sécurité alimentaire, en particulier dans les pays importateurs présentant un déficit vivrier.

Certaines de ces questions concernent le caractère d'exclusivité de la plupart des biotechnologies utilisées aujourd'hui pour produire des OGM. Dans un rapport publié récemment 2, les académies nationales des sciences du Brésil, de la Chine, de l'Inde, du Mexique, du Royaume-Uni et des États-Unis invitaient conjointement les entreprises privées et les institutions de recherche à prendre des dispositions pour diffuser la technologie du génie génétique auprès de scientifiques responsables afin de lutter contre la faim et d'améliorer la sécurité alimentaire dans les pays en développement. Cette technologie fait actuellement l'objet de brevets et d'accords de licence qui imposent des conditions très strictes.

Une deuxième série de questions d'éthique relatives à la biotechnologie moderne concerne les conséquences potentielles de l'utilisation des OGM ou de toute autre technologie nouvelle pour intensifier la production de denrées alimentaires dans le but d'améliorer la sécurité alimentaire. Suite à l'expérience acquise lors de la révolution verte il y a 40 ans, certains observateurs ont conclu que les variétés dont le rendement était influencé positivement par les intrants profitaient plus rapidement et de façon disproportionnée aux agriculteurs les plus riches. Dans les zones disposant d'une infrastructure adéquate dans lesquelles la révolution verte a été pratiquée, la commercialisation de la production a eu pour résultat net d'accroître la quantité et de réduire le prix des denrées alimentaires, tandis que les secteurs moins favorisés accusent toujours un certain retard. La situation des femmes est une source de préoccupation particulière, étant donné qu'elles participent très activement à l'agriculture durable et à la préparation de la nourriture pour leurs familles. Elles risquent de subir fortement les répercussions économiques et sociales entraînées par la disparition des cultures traditionnelles ou les modifications des modes d'utilisation des terres, ainsi que par tout problème éventuel concernant la santé des membres de leurs familles.

L'état nutritionnel des femmes et de leur famille peut être gravement compromis par la perte des cultures vivrières traditionnelles

- FAO/20005/J. SPAULL

La troisième et dernière série de questions d'éthique liées à l'utilisation potentielle d'OGM pour assurer la sécurité alimentaire tient aux conséquences imprévues des mesures prises. À mesure que les OGM pénétreront dans les chaînes d'approvisionnement de denrées alimentaires et de fibres, ils se disperseront de plus en plus dans les écosystèmes, y compris les écosystèmes agricoles. Les expériences précédentes concernant les bases génétiques végétales et animales trop limitées, les doses excessives d'engrais et de pesticides, et les écoulements de déchets provenant des unités pratiquant un élevage intensif, donnent à penser que les impacts sur l'environnement touchent d'abord les fonctions de production des écosystèmes agricoles avant de s'étendre aux écosystèmes environnants. En plus des modifications qu'ils entraînent dans la production agricole, ces impacts peuvent perturber d'autres services utiles rendus par ces écosystèmes tels que le piégeage du carbone et la correction des effets écotoxicologiques.

Avant de passer à l'examen du débat mondial sur les OGM, qui porte dans une large mesure sur la sécurité sanitaire des aliments et l'environnement, il convient de noter que l'on confond souvent les questions découlant de l'application potentielle de la biotechnologie moderne en matière de sécurité alimentaire et celles que pose la diffusion proprement dite des OGM sous forme de produits par l'entremise des chaînes d'approvisionnement.

Diverses opinions sur les OGM
(Exemples extraits des médias de langue anglaise)

La sécurité alimentaire

«Pour nourrir, d'ici l'an 2050, 10,8 milliards d'êtres humains, nous devrons convertir 15 millions de miles carrés de forêts vierges, de zones naturelles et de terres marginales en terres arables exploitées au moyen de produits agrochimiques. Les cultures génétiquement modifiées offrent les meilleures possibilités de régler les problèmes futurs découlant de la nécessité de nourrir 5 milliards de bouches supplémentaires au cours des 50 prochaines années.»

Michael Wilson, Scottish Crops Research Institute, 1997

«Ce qui menace le plus la sécurité alimentaire sur la terre est la concentration de la chaîne alimentaire entre les mains de quelques acteurs riches et puissants... En cherchant ainsi à contrôler la chaîne alimentaire par la mise au point d'organismes génétiquement modifiés, ils risquent de devenir des fauteurs de famine au troisième millénaire.»

George Monbiot, , journaliste, Socialist Worker, 1999

Impact sur les pays en développement

«Si les importations [de semences d'OGM] ... sont inutilement réglementées, les véritables perdants seront les pays en développement. Au lieu de tirer profit de décennies de découvertes et de recherches, les gens de l'Afrique et de l'Asie du Sud-Est resteront prisonniers d'une technologie dépassée. Leurs pays risquent d'en souffrir fortement pendant de longues années. Il est crucial qu'ils rejettent la propagande des groupes extrémistes avant qu'il ne soit trop tard.»

Jimmy Carter, ancien Président des États-Unis, 1998

«Il y a encore des gens qui ont faim ... mais ils ont faim parce qu'ils n'ont pas d'argent et non pas parce qu'il n'y a pas de denrées alimentaires à acheter... nous n'admettons pas que l'on prenne faussement prétexte de notre pauvreté pour se gagner l'appui de la population européenne.»

(En réponse à un scientifique européen qui avait déclaré: «Ceux qui veulent qu'on interdise les OGM compromettent la situation des populations affamées».)

Tewolde Berhan Gebre Egziabher, Institute for Sustainable Development, Addis Abeba (Éthiopie), 1997

Nutrition

«La technologie génétique pourrait aussi améliorer la nutrition. Si les 250 millions d'Asiatiques souffrant de malnutrition et se nourrissant actuellement de riz pouvaient cultiver et consommer du riz génétiquement modifié contenant de la vitamine A et du fer, l'incidence de la carence en vitamine A ... diminuerait, de même que celle de l'anémie.»

Robert Paarlberg dans Foreign Affairs, 2000

«C'est un abus de confiance envers la population: les paysans asiatiques reçoivent du riz doré génétiquement modifié (dont les bienfaits n'ont pas été prouvés), et l'«or» tombe entre les mains des sociétés de biotechnologie.»

Rural Advancement Foundation International, 2000

Le débat mondial sur les OGM

Au cours des dernières décennies, la biotechnologie moderne a offert de nouvelles possibilités dans des secteurs très variés, de l'agriculture à la production pharmaceutique, mais l'ampleur du débat mondial sur les OGM est sans précédent. Ce débat, très vif et parfois empreint d'une forte charge affective, a polarisé tant les scientifiques, les producteurs de denrées alimentaires, les consommateurs et les groupes de défense de l'intérêt public que les pouvoirs publics et les décideurs.

Initialement très localisé, ce débat a rapidement gagné toutes les régions du monde. De ce fait, l'intérêt qu'il suscite et le nombre de partisans et d'adversaires de certaines options qui s'y rattachent se sont fortement accrus - à un point tel que, même dans les journaux de diffusion locale, la publication d'articles sur les denrées alimentaires génétiquement modifiées est devenue presque banale (voir quelques exemples récents p. 3 et 4).

Objectifs du présent rapport

Les diverses questions qui ont été soulevées à propos des OGM révèlent certains des problèmes plus généraux auxquels sont confrontées l'agriculture 3, la, science, la technologie et la société à l'heure actuelle. En tant que tribune intergouvernementale, il incombe à la FAO d'examiner les questions concernant l'alimentation, la nutrition et l'agriculture, de déterminer comment promouvoir l'équité et la justice, et d'assurer la sécurité alimentaire. La FAO facilite l'échange d'idées et d'opinions afin de promouvoir la sécurité alimentaire, le développement rural et la conservation des ressources naturelles dans le monde entier et, plus particulièrement, dans les pays en développement (en adoptant une approche éthique). En outre, la FAO fournit une assistance technique, principalement aux pays en développement qui en sont membres. C'est dans ce contexte qu'elle a un rôle important à jouer pour ce qui est d'examiner et d'évaluer les différents points de vue qui constituent une part essentielle du débat mondial sur les OGM.

Le présent rapport 4 cherche à éclaircir et examiner certains aspects de ces points de vue dans une optique éthique. Son principal objectif est de mettre en relief le rôle des considérations éthiques en ce qui concerne l'alimentation et l'agriculture, aussi bien à la lumière du débat sur les OGM qu'en ce qui concerne la sécurité alimentaire et l'environnement. Il met aussi en évidence certaines mesures en vue de leur examen par la communauté internationale et le grand public.


1Cette définition de OVM est extraite du Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques, article 3, alinéa g).
À l'alinéa i) de l'article 3, la «biotechnologie moderne» est définie comme «l'application de [techniques telles que]:
a. techniques in vitro aux acides nucléiques, y compris la recombinaison de l'acide désoxyribonucléique (ADN) et l'introduction directe d'acides nucléiques dans des cellules ou organites,ou
b. la fusion cellulaire d'organismes n'appartenant pas à une même famille taxonomique,
qui surmontent les barrières naturelles de la physiologie de la reproduction ou de la recombinaison et qui ne sont pas des techniques utilisées pour la reproduction et la sélection de type classique».
2 Transgenic plants and world agriculture. Publié sous les auspices de The Royal Society of London. Juillet 2000. National Academy Press, Washington.
3 L'agriculture inclut la foresterie et les pêches; le présent rapport s'appuiera toutefois principalement sur la fonction de production alimentaire de l'agriculture pour examiner les questions d'éthique liées à la mise au point et à l'utilisation des OGM.,
4 Une version préliminaire de cette publication a servi de documentation au Groupe d'experts éminents en matière d'éthique alimentaire et agricole à sa première session en septembre 2000.

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