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La Convention sur la diversité biologique: modifier le cadre déontologique et juridique de la recherche et de la prospection en matière de biodiversité

S.A. Laird

Sarah A. Laird est une consultante
indépendante s'occupant de questions
liées à l'accès aux ressources génétiques
et au partage des avantages en découlant,
ainsi qu'à la mise en œuvre de la Convention
sur la diversité biologique.

Le processus de mise en œuvre de la CBD a fourni une tribune importante aux débats liés à l'accès aux ressources génétiques, au partage des avantages en découlant, aux droits traditionnels les concernant, aux droits de propriété intellectuelle et à l'équité dans leur commerce.

Le cadre déontologique, commercial et d'intervention dans lequel se réalisent la prospection, la recherche et la conservation en matière de biodiversité a fait l'objet d'une évolution profonde ces 10 dernières années. La Convention sur la diversité biologique (CBD ) a déterminé un grand nombre de ces changements qui sont décrits ci-dessous:

Les objectifs de la CBD relatifs à la conservation, à l'utilisation durable de la biodiversité et au partage juste et équitable des avantages en découlant (Article 1) montrent qu'un équilibre s'est établi entre un large éventail de programmes et de perspectives concernant la biodiversité et les bénéficiaires de sa conservation et de son utilisation. La biodiversité mondiale est, dans une large mesure, inversement proportionnelle à la richesse technologique et industrielle des pays (Macilwain, 1998). Le processus de négociation et d'application de la CBD a mis en exergue tant les conflits qui opposent le Nord et le Sud quant aux ressources financières et naturelles que les points de vue souvent contradictoires sur les problèmes environnementaux et le sens et la valeur de la nature (McAfee, 1999). Ce processus a souligné un constat, qui est toujours ressorti de la pratique, à savoir que la biodiversité et les ressources génétiques ne sont pas seulement des ressources biologiques mais des ressources politiques aussi (Redford et Richter, 1999; Alexiades et Laird, 2001).

Exprimé plus simplement, les pays en développement dotés d'une biodiversité élevée, et à qui il est demandé de réserver ou de gérer des zones étendues de leur territoire à des fins de conservation, soutiennent qu'ils ont droit à une part équitable des revenus économiques générés par la diversité génétique des espèces et des écosystèmes qu'ils conservent (Sánchez et Juma, 1994). Les pays développés désireux de conserver la biodiversité se sont efforcés de maintenir un accès permanent aux ressources génétiques pour la recherche scientifique et commerciale. La CBD traduit l'accord conclu entre ces différents groupes et a, de ce fait, été appelée la «grande négociation» (Gollin, 1993). La CBD associe clairement les soucis écologiques aux nouveaux droits de l'homme et aux nouvelles questions commerciales; tout en établissant une terminologie générale et spécifique pour le commerce des ressources génétiques, elle reconnaît aussi la valeur des biens et services forestiers non marchands et s'engage explicitement à respecter la justice et l'équité (Downes, 1994; McNeely, 1999).

UTILISATION COMMERCIALE DE LA BIODIVERSITÉ: LA PROSPECTION

La prospection de la biodiversité, ou «bioprospection» a été définie pour la première fois par Reid et al. (1993) comme «l'étude de la biodiversité pour en tirer des ressources génétiques et des produits biochimiques présentant un intérêt commercial». Cette expression embrasse un large éventail d'activités commerciales appartenant aux secteurs de la pharmaceutique, de la biotechnologie, des semences, de la protection des cultures, de l'horticulture, de la médecine botanique, des produits cosmétiques et des soins d'hygiène personnelle, de l'alimentation et des boissons.

L'utilisation commerciale de la biodiversité peut compromettre la conservation et l'utilisation durable; Pausinystalia johimbe, par exemple, est exploitée de manière non durable dans toute l'Afrique centrale pour en retirer l'écorce et la vendre sur les marchés internationaux des produits pharmaceutiques

- T.C.H. SUNDERLAND

L'exemple le plus frappant d'une essence forestière d'intérêt commercial confrontée aux défis associés à sa conservation et son utilisation durable est l'if occidental, Taxus brevifolia, dont l'écorce contient du taxol, un remède contre le cancer. Mis au point à partir de collections entreprises en 1962, dans le cadre du programme de l'Institut national de recherche sur le cancer des États-Unis, et commercialisé par la compagnie Bristol-Myers Squibb, sous la marque de fabrique Paclitaxel, ce produit a été l'un des médicaments le plus largement vendus ces dernières années; en 1998 les ventes mondiales ont atteint 1,2 milliard de dollars EU (Med Ad News, 1999). Les disponibilités sauvages de l'aire d'extension naturelle de cette essence, qui va du nord de la Californie aux États-Unis à la Colombie britannique au Canada, se sont révélées insuffisantes à justifier la production commerciale du médicament. Cependant, les préoccupations du public concernant la durabilité des disponibilités de Taxus brevifolia ont été dominées par la crainte qu'en limitant sa récolte on risque de restreindre l'accès à un produit capable de sauver des vies humaines. Des méthodes ont été élaborées en France pour convertir le composé à base de baccatine tirée de Taxus baccata qui contient le taxol, et la production en seconde source du taxol se fait aujourd'hui en Europe (ten Kate et Laird, 1999).

Des variations considérables sont observables dans et entre les différents secteurs industriels utilisant les ressources génétiques, notamment:

Vendeur de plantes médicinales à Bata (Guinée équatoriale). La plupart des secteurs commerciaux s'occupant de bioprospection font appel au savoir traditionnel

- S.A. LAIRD

Dans les secteurs de la médecine botanique, des produits cosmétiques et des soins d'hygiène personnelle, de la pharmaceutique et de la protection des cultures, quelques programmes de collecte ethnobotaniques fournissent du matériel aux entreprises commerciales, mais le passage du savoir traditionnel au secteur privé est le fait principalement de la publication dans la littérature et les bases de données des résultats de la recherche scientifique (Laird et al., 2001).

TABLEAU 1. Produit intérieur brut (PIB) et ventes annuelles des compagnies pharmaceutiques en 1997 (millions $EU)

Pays (classés en fonction du PIB)/compagnies

PIB
(millions $EU)

Revenu tiré des soins de santé

Ventes de produits pharmaceutiques

États-Unis (1)

8 083 400

   

Japon (2)

4 706 877

   

Allemagne (3)

2 128 903

   

Chine (7)

962 389

   

Brésil (8)

808 147

   

Australie (14)

390 493

   

Afrique du Sud (34)

129 803

   

Malaisie (40)

97 240

   

Bangladesh (62)

31 359

   

Merck & Co (États-Unis)

 

23 637

13 282

Johnson & Johnson (États-Unis)

 

22 629

7 696

Équateur (64)

19 428

   

Novartis Group (Suisse)

 

16 377

9 7327

Sri Lanka (75)

15 139

   

Bristol-Myers Squibb (États-Unis)

 

14 996

9 932

American Home Products (États-Unis)

 

14 485

11 076

Glaxo Wellcome Plc (Royaume-Uni)

 

13 087

13 087

SmithKline Beecham Plc (Royaume-Uni)

 

12 784

7 498

Pfizer Inc. (États-Unis)

 

12 504

9 239

Costa Rica (77)

12 067

   

Côte d'Ivoire (81)

10 453

   

Cameroun (86)

9 247

   

Fidji (132)

2 183

   

Guyana (160)

695

   

Sources: Med Ad News, 1998; Euromonitor, 1998.

FACTEURS INFLUENÇANT L'ÉLABORATION ET LA MISE EN œUVRE DES DISPOSITIONS SUR L'ACCÈS AUX RESSOURCES GÉNÉTIQUES ET LE PARTAGE DES AVANTAGES QUI ONT FAIT SUITE À LA CBD

La CBD traite de multiples façons les questions liées à la recherche et à la prospection en matière de biodiversité. L'Article 15 établit les droits souverains des États sur leurs ressources naturelles et encourage les Parties à la Convention à faciliter l'accès aux ressources génétiques. L'accès, lorsqu'il est accordé, doit être régi par des conditions établies d'un commun accord, et soumis au consentement préalable en connaissance de cause de la Partie qui fournit lesdites ressources, en vue de partager de manière juste et équitable les résultats de la recherche et de la mise en valeur, ainsi que les avantages découlant de l'utilisation commerciale et autres des ressources génétiques. L'Article 16 encourage le transfert de technologie aux pays qui offrent l'accès à leurs ressources génétiques. L'Article 19 promeut la participation effective des pays qui fournissent les ressources génétiques aux activités de recherche biotechnologique. L'Article 8j porte sur les connaissances, innovations et pratiques des communautés autochtones et en favorise l'application sur une plus grande échelle, avec leur accord et leur participation, et encourage le partage équitable des avantages découlant de l'utilisation de ces connaissances, innovations et pratiques.

La CBD est le fruit d'une série de tendances exprimées par les communautés intéressées à la conservation, au développement et à la recherche, y compris la reconnaissance des liens entre le développement durable et la conservation; la prise de conscience de l'importance de faire participer un grand nombre de parties prenantes aux prises de décisions en matière de gestion des ressources; et les mesures élaborées pour assurer que les populations autochtones et les collectivités locales accordent leur consentement en connaissance de cause aux activités et bénéficient des avantages en découlant.

La conception et la mise en œuvre de la CBD ont également été influencées par des facteurs extérieurs au domaine de la conservation des forêts et de la biodiversité, tels que:

CAPACITÉ SCIENTIFIQUE ET TECHNOLOGIQUE ACCRUE D'ÉTUDIER ET D'UTILISER LES RESSOURCES GÉNÉTIQUES

Les progrès scientifiques et technologiques réalisés dans des domaines utilisant la biodiversité (et dans certains cas les connaissances traditionnelles), comme la biologie, la chimie, la génomique et les technologies de l'information, ont été rapides et ont changé le mode d'utilisation des produits naturels dans la recherche-développement. Simultanément, de nouvelles technologies comme la chimie combinatoire, les techniques de dépistage ultrarapides et les technologies des puces ont accéléré de façon spectaculaire le rythme de la recherche, y compris dans le secteur des produits naturels (ten Kate et Laird, 1999).

Intensification de la mondialisation, des partenariats stratégiques et de l'unification du secteur privé

Au sein des secteurs commerciaux et entre eux, les entreprises instaurent des partenariats qui leur permettent de participer à une recherche de plus en plus spécialisée. La fragmentation et la spécialisation croissantes associées à la prospection de la biodiversité empêchent les individus, voire même les groupes, de disposer de toutes les infrastructures ou les compétences techniques nécessaires. Au niveau mondial, des réseaux complexes de collaboration et de partenariat sont désormais la norme (ten Kate et Laird, 1999). Les partenaires des entreprises commerciales sont souvent des instituts de recherche scientifique, et cette tendance à la collaboration et à la recherche de sources extérieures a fait s'estomper la ligne de démarcation entre la recherche scientifique et la recherche commerciale.

Simultanément, de nombreuses entreprises se sont unies par des fusions et acquisitions, et les limites définissant les secteurs tendent à se confondre, les entreprises cherchant de nouvelles synergies intersectorielles leur permettant d'élaborer de nouvelles connaissances et de nouveaux produits. Désormais, les grandes entreprises des sciences de la vie unissent sous une même rubrique leurs divisions pharmaceutiques, alimentaires, semencières et chimiques (Mytelka, 1999; Nayak, 1999). Cette intensification de l'unification fait que des entreprises de dimensions déjà respectables tendent à s'accroître davantage et que leurs revenus amenuisent le produit intérieur brut (PIB) des pays dont elles souhaitent obtenir les ressources génétiques (tableau 1), d'où la méfiance des principaux pays producteurs de biodiversité qui n'ont les moyens financiers nécessaires ni pour négocier des partenariats ni pour en surveiller les effets.

Privatisation des ressources biologiques par l'extension des droits de propriété intellectuelle

Le système des brevets - qui accompagne les progrès scientifiques et technologiques - a fait l'objet d'un processus de mondialisation et d'harmonisation réglementé, et la marge de ce qui est considéré comme brevetable s'est «élargie silencieusement» (Drahos, 1999). Ces dernières années, les bureaux de brevets ont commencé à octroyer des brevets pour la découverte d'informations qui existaient déjà dans le monde naturel, comme les séquences génétiques des organismes vivants, ainsi que pour des végétaux, des animaux et des micro-organismes contenant des gènes modifiés en laboratoire. L'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a incorporé ces tendances. Elles ont suscité des préoccupations liées à la privatisation excessive du monde naturel, la détention inéquitable des ressources et des connaissances et l'appropriation des ressources des pays en développement et de leurs systèmes de savoir traditionnel par les sociétés privées (Dutfield, 1999; Shiva, 1998; Ekpere, 1999).

MESURES NATIONALES D'ACCÈS AUX RESSOURCES GÉNÉTIQUES ET DE PARTAGE DES AVANTAGES

La CBD, en tant que convention-cadre, énonce des objectifs et des obligations et droits généraux juridiquement contraignants pour les Parties, mais les activités spécifiques sont réglementées par des protocoles à la Convention ou par d'autres instruments comme le droit national. On peut grouper en cinq catégories les lois régissant l'accès aux ressources et le partage des avantages qui ont été promulguées à ce jour (Glowka, 1998): lois-cadres relatives à l'environnement; lois sur le développement durable, la conservation des ressources naturelles ou la biodiversité; lois nationales spécifiques et décrets réglementant l'accès aux ressources génétiques; modification des lois et règlements en vigueur; et mesures régionales (tableau 2).

TABLEAU 2. Mesures législatives régissant l'accès aux ressources génétiques et le partage des avantages, et pays envisageant ou appliquant ces mesures

Mesures législatives stratégiques régissant l'accès aux

Pays appliquant ces mesures ressources et le partage des avantages

Lois-cadres générales concernant l'environnement (qui renvoient à une législation future les décisions concernant l'accès aux ressources et le partage des avantages)

Gambie, Kenya, Malawi, République de Corée, Ouganda

Lois-cadres relatives au développement durable, à la conservation de la nature ou à la biodiversité (qui établissent certains principes pour l'accès aux ressources et le partage des avantages, mais exigent une législation plus complète)

Costa Rica, Érythrée, Fidji, Mexique, Pérou

Lois ou décrets-lois nationaux spécifiques réglementant l'accès aux ressources génétiques

Philippines et, au niveau étatique, Sarawak (Malaisie)

Modification des lois et règlements en vigueur - comme ceux régissant la faune et la flore sauvages, les parcs nationaux, la foresterie et la pêche - pour y inclure des dispositions concernant l'accès aux ressources génétiques et le partage des avantages

Nigéria, Malaisie et, au niveau étatique, Australie-Occidentale (Australie)

Lois-cadres régionales (établissant des principes et procédures communs, mais exigeant une législation nationale de suivi)

Les pays du Pacte andin (Bolivie, Colombie, Équateur, Pérou et Venezuela); considérées aussi par les pays de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE) et de l'Organisation de l'unité africaine (OUA)

Source: Barber, Glowka et La Vina, 2001, fondé sur Glowka, 1998.

Les cas des espèces particulières présentant un intérêt commercial ont permis de stimuler l'application de mesures relatives à l'accès aux ressources et au partage des avantages dans de nombreux pays. C'est ainsi que les collections aléatoires constituées pendant les années 80 à partir de la flore variée au plan biologique de la forêt du parc national de Korup au Cameroun ont permis un grand nombre de découvertes importantes, notamment le composé anti-HIV michellamine-B tiré de la liane forestière Ancistrocladus korupensis. Bien que l'on ait arrêté les recherches sur ce composé en raison de sa toxicité, ce produit a fait preuve pendant de nombreuses années d'un potentiel énorme dans le programme de l'Institut national de recherche sur le cancer des États-Unis.

Feuilles d'Ancistrocladus korupensis séchant au soleil dans le parc national de Korup (Cameroun); ces feuilles seront envoyées à l'Institut national de recherche sur le cancer des États-Unis et entreront dans la préparation de médicaments

- S.A. LAIRD

Le potentiel commercial apparent d'A. korupensis a influencé la Loi de 1994 réglementant la foresterie, l'exploitation de la faune et de la flore sauvages et la pêche, ainsi que la Loi-cadre de 1996 sur l'environnement, qui contiennent des dispositions confirmant la souveraineté des États sur les ressources génétiques et qui imposent le consentement préalable en connaissance de cause et le partage des avantages découlant de toute utilisation commerciale des ressources génétiques du Cameroun. À la suite de ce cas, un Comité ministériel de haut niveau a été créé pour examiner les questions relatives à la commercialisation des plantes médicinales, et l'accent a été mis très fortement sur les bienfaits que tirerait le Cameroun de la recherche menée sur sa biodiversité (Laird, Cunningham et Lisinge, 2000).

Des chercheurs, des représentants de gouvernement, des ONG et d'autres personnalités s'entretiennent dans le jardin botanique de Limbe (Cameroun), de questions relatives à l'exploitation d'Ancistrocladus korupensis (visible au premier plan), à la commercialisation des plantes médicinales et aux avantages que le Cameroun pourrait en retirer

- S.A. LAIRD

De même, l'adoption de l'Ordonnance du Sarawak sur la biodiversité en 1998 est partiellement due à la prise de conscience suscitée par le cas de Calophyllum lanigerum cueillie dans les forêts du Sarawak (Malaisie) en 1987 par les botanistes du Département des forêts de l'État du Sarawak et d'une université des États-Unis. Lorsque cette espèce a fourni les composés anti-HIV (+)-Calanolide A et (-)-Calanolide B, un accord a été signé entre le Gouvernement du Sarawak et l'Institut national de recherche sur le cancer des États-Unis. En 1996, la compagnie Medichem Research des États-Unis et le Gouvernement du Sarawak ont formé une entreprise commune pour mener à bien la mise au point clinique de ces composés, pour faciliter la recherche d'autres médicaments éventuels tirés des forêts du Sarawak et pour former des scientifiques malaisiens (ten Kate et Laird, 1999). Bien que cette entreprise commune n'ait donné aucun produit commercial à ce jour, le cas a mené indirectement à l'élaboration de la nouvelle ordonnance, qui a établi une nouvelle structure juridique et administrative pour régir l'accès aux ressources et le partage des avantages. Elle a également donné lieu à la création du Conseil de la biodiversité du Sarawak, qui a le pouvoir de réglementer la collecte, la protection et l'utilisation de la biodiversité du Sarawak, y compris la recherche, l'expérimentation et l'accès y relatifs, et le transfert de toute ressource génétique appartenant à l'État.

Les mesures nationales réglementant l'accès à ces ressources et le partage des avantages ont suscité des questions et tendances complexes qui se sont régulièrement heurtées à des difficultés. L'un des problèmes rencontrés communément est la méconnaissance et l'incompréhension au sein des gouvernements et des ONG des objectifs des industries qu'ils espèrent réglementer par le biais de ces mesures. Pour les rendre plus efficaces dans ce domaine, les gouvernements doivent disposer d'informations sur le profil scientifique, technologique et commercial de chaque industrie. Ils doivent apprendre à optimiser les avantages obtenus par la constitution de partenariats, se familiariser avec les contrats de biodiversité et être en mesure de les évaluer, et connaître les moyens novateurs de partager les avantages financiers par des mécanismes tels que les fonds fiduciaires.

Pour aborder toutes ces questions il importe d'adopter une approche empirique et souple. Les Philippines, par exemple, ont mis en vigueur pour la première fois un règlement régissant l'accès aux ressources et le partage des avantages, et ont ensuite adapté et ajusté les règlements nationaux en fonction de l'expérience pratique. En mai 1995, à la suite d'une consultation nationale, le Décret no 247 «prescrivant un cadre réglementaire pour la prospection des ressources biologiques et génétiques, leurs produits secondaires et dérivés, à des fins scientifiques et commerciales et autres» a été signé par le président Fidel V. Ramos. En juin 1996, le Règlement administratif départemental 96-20 «mettant en vigueur les règlements sur la prospection des ressources biologiques et génétiques» a été établi par le Département de l'environnement et des ressources naturelles. Le Décret impose à tous ceux qui cherchent à accéder aux ressources génétiques de conclure soit un accord de recherche scientifique, soit un accord de recherche commerciale avec le gouvernement (Barber, Glowka et La Vina, 2001). Des représentants de l'industrie pharmaceutique et de nombreux chercheurs scientifiques ont estimé que le décret et les règlements de mise en vigueur étaient trop longs et coûteux à appliquer, et les entreprises ont critiqué la demande de conférer une licence aux Philippines pour l'application des technologies. Le gouvernement a réagi en remaniant certaines normes administratives et autres du règlement pour éviter qu'il ne décourage directement la recherche.

Parmi les principales leçons tirées de la mise en vigueur du règlement sur l'accès aux ressources et le partage des avantages aux Philippines figurent les suivantes (Barber, Glowka et La Vina, 2001):

Parmi les changements signalés dans les pratiques industrielles à la suite de la CBD et des mesures nationales d'accès aux ressources et de partage des avantages, on peut citer la réduction des activités de collecte, réunies dans un nombre plus limité de pays ayant des lois et procédures claires et efficaces, et l'accent accru mis sur la récolte intérieure; le recours plus intense au matériel détenu dans les collections ex situ; une dépendance majeure vis-à-vis des intermédiaires qui instaurent les rapports autorisant l'accès aux ressources et le partage des avantages et fournissent les échantillons; et le recours accru à des accords de transfert de matériel pour clarifier les conditions des partenariats (ten Kate et Laird, 1999).

AIRES PROTEGÉES, ACCÈS AUX RESSOURCES ET PARTAGE DES AVANTAGES

Les gestionnaires des aires protégées sont confrontés de plus en plus souvent à des problèmes nés des répercussions commerciales de collectes réalisées dans les aires protégées, comme dans le cas d'Ancistrocladus korupensis dans le parc national de Korup au Cameroun exposé ci-dessus. Ces gestionnaires s'efforcent eux aussi de constituer des partenariats novateurs avec des entreprises et des chercheurs pour renflouer des budgets décroissants ou chroniquement insuffisants. C'est ainsi que l'Institut national de la biodiversité (INBio) du Costa Rica organise des collectes dans des zones protégées par le biais de partenariats commerciaux constitués avec des entreprises comme Diversa et Bristol-Myers Squibb (États-Unis), Givaudane Roure (Suisse-États-Unis), Indena (Italie), Analyticon (Allemagne), La Pacifica (Costa Rica) et le Groupe technologique britannique (Royaume-Uni) pour financer la recherche et la conservation en matière de biodiversité et l'appui au système national des aires de conservation. INBio a été établi par le Ministère de l'environnement et de l'énergie en tant qu'organisation privée à but non lucratif pour contribuer à la conservation, l'étude et l'utilisation de la diversité biologique du pays. Ainsi qu'il est énoncé dans un accord de coopération conclu entre le ministère et INBio, ce dernier allouera au ministère 10 pour cent environ du budget annuel global de tout projet touchant aux aires de conservation réalisé dans le pays, et 50 pour cent de tous les gains financiers découlant de la mise au point d'un produit commercial résultant de collectes effectuées dans des zones protégées. En 1999, les accords de prospection de la biodiversité d'INBio ont rapporté plus de 390 000 dollars EU au ministère, 710 000 dollars aux aires de conservation et 710 000 dollars aux universités publiques, ainsi que 740 000 dollars qui ont servi à couvrir les activités d'INBio, notamment l'inventaire national de la biodiversité (ten Kate et Laird, 1999).

Dans un autre exemple, la polymérise de l'enzyme de l'ADN (polymérise Taq) a été obtenue à partir d'un thermophile nommé Thermus aquaticus collecté, au titre d'un permis de recherche scientifique non contraignant daté de 1966, dans les mares thermales du parc national de Yellowstone aux États-Unis. Cette enzyme est utilisée dans une panoplie d'applications biotechnologiques et procure des ventes annuelles dépassant les 200 millions de dollars EU (Lindstrom, 1997), alors que le budget d'exploitation annuel du service des parcs nationaux des États-Unis ne s'élève qu'à quelque 20 millions de dollars. Ce résultat a incité le Service des parcs à prendre des mesures visant à réglementer l'accès aux ressources et à exiger le partage des avantages, mesures qui ont débouché en 1997 sur l'Accord de recherche et de développement conjoint entre Diversa et Yellowstone. Aux termes de cet accord, Diversa fournira au parc des sommes payées d'avance, du matériel, des cours de formation et des redevances si un produit commercial est mis au point grâce aux ressources du parc (ten Kate, Touche et Collis, 1998; Chester, 1996). Cependant, certains groupes de surveillance se sont plaints que le public n'ait pas été consulté, que les détails de l'accord n'aient pas été diffusés et que l'impact potentiel sur l'environnement des activités de collecte soit resté inconnu (Smith, 1999). De même que pour la législation nationale, les détails de la constitution des nouveaux partenariats d'accès aux ressources et de partage des avantages entre les entreprises et les instituts de conservation imposeront des consultations publiques transparentes et des approches souples et innovatrices.

LA RECHERCHE SUR LA BIODIVERSITÉ ET LA CBD

La CBD et les mesures nationales d'accès aux ressources et de partage des avantages régissent tant la recherche scientifique que la recherche commerciale. En fait, la distinction entre ces deux types de recherche tend de plus en plus à s'estomper. Les chercheurs scientifiques concluent souvent des contrats pour le compte d'entreprises commerciales et les données scientifiques sont fournies au secteur privé par le biais de publications et de bases de données. De ce fait, il est important pour les chercheurs aussi bien scientifiques que commerciaux de faire en sorte que la recherche se réalise de façon à respecter les droits des groupes locaux. Reste la nécessité d'apprendre à la communauté scientifique - qui établit les normes pour la plupart des recherches - à apprécier la nouvelle enveloppe déontologique et juridique au sein de laquelle se déroule la recherche, et à faire en sorte que la recherche sur la biodiversité contribue de manière tangible à la réalisation des objectifs sociaux et de conservation élargis, tout en promouvant les connaissances scientifiques (Alexiades et Laird, 2001; Orr, 1999; Greaves, 1994; Farnsworth et Rosovsky, 1993).

Outre les politiques et lois aux niveaux international et national, des politiques d'accès aux ressources et de partage des avantages sont élaborées à l'intention des institutions de recherche, et des groupes de recherche professionnels rédigent des codes de conduite et des directives qui incorporent les objectifs de la CBD. Parmi les politiques institutionnelles figurent les Directives pour la recherche sur la biodiversité et la bioprospection de l'Université du Pacifique Sud, les Normes relatives au jardin botanique de Limbe dans la Politique d'accès aux ressources et de partage des avantages du Cameroun, et les Directives communes pour la préparation de politiques institutionnelles fondées sur les «Principes d'accès aux ressources génétiques et de partage des avantages pour les institutions participantes» énoncées par un groupe de jardins botaniques et d'institutions de recherche. Parmi les codes de déontologie, les directives pour la recherche et les autres documents traitant de questions relatives à l'accès aux ressources et au partage des avantages, et au respect des droits traditionnels aux ressources, figurent ceux de la Société internationale d'ethnobiologie, de la Société de botanique économique, de la Société américaine de pharmacognosie, de l'Association anthropologique américaine et du Colloque asiatique sur les plantes médicinales.

CONCLUSION

La Convention sur la diversité biologique a fourni une instance précieuse pour l'échange d'idées et la promotion de programmes qui n'ont reçu ailleurs qu'une attention limitée de la part des gouvernements. Dans le domaine de l'accès aux ressources génétiques et du partage des avantages, ces programmes traitent des droits traditionnels aux ressources, de l'équité dans le commerce et l'échange des ressources génétiques, du consentement en connaissance de cause des communautés locales et d'autres questions plus générales soulevées par les relations qui se sont instaurées entre les entreprises, les chercheurs et les groupes locaux. Nombre de ces préoccupations sont exprimées à l'intersection des questions relatives à l'environnement, au commerce et à la déontologie traitées dans la CBD. Toutefois, l'accès aux ressources génétiques et le partage des avantages font, en quelque sorte, partie d'un nouvel ensemble de politiques, et exigeront de nombreuses années d'innovation, de dialogue et de tests aux niveaux local, national et international pour être mis en œuvre de manière efficace.

Bibliographie


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