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MODIFICATIONS SUBIES PAR LES STOCKS DE POISSONS

L'abondance des populations de poissons marins varie sous le double effet des événements climatiques et de la pêche. On a pu montrer que certains stocks présentaient des fluctuations de leur abondance s'étalant sur des siècles (Cushing 1982, Soutar et Isaacs 1969), tandis que d'autres présentent des variations sensibles du recrutement sur un petit nombre d'années (Cushing 1975, 1982, Kawasaki et coll. 1991). Les événements climatiques peuvent occasionner des modifications à court terme et à long terme des stocks de poisson. Pour Cushing (1975), le lien entre le climat et la production s'expliquerait par l'adéquation, ou l'inadéquation, entre la production des larves de poisson et leur alimentation, surtout dans les eaux tempérées où les poissons ont tendance à frayer à époques fixes, alors que le cycle de la production alimentaire est variable.

On a pu observer, sur des lieux de pêche, le remplacement au cours du temps d'une espèce par une autre. C'est ainsi qu'en Ouest-Manche, vers la fin des années 20 et dans les années 30, la population de hareng a décliné et a été remplacée par la sardine pilchard (Cushing 1975). Rien ne montre que ces évolutions soient imputables à la pêche; elles semblent au contraire s'expliquer par une hausse de la température de la mer qui s'est accompagnée du remplacement d'espèces affectionnant les eaux plus fraîches par des espèces de téléostéens et d'invertébrés d'eaux plus chaudes (Southward 1963). Les stocks de sardines qui fréquentaient les côtes californiennes ont décliné au cours des années 50 pour être remplacés par des anchois (Ahlstrom 1966). Ce déclin, lié à un changement de température, s'est trouvé encore accéléré par l'effort de pêche (Beverton 1990, Cushing 1982). Les écailles de poisson conservées dans des sédiments anaérobies au large de la Californie ont permis de reconstituer la chronologie de l'abondance des poissons pélagiques: on observe ainsi des fluctuations de l'abondance des sardines et des anchois sur des centaines d'années (Soutar et Isaacs 1969).

On a de plus en plus de preuves qu'il se produit des évolutions synchrones des stocks de poisson au niveau mondial. C'est ainsi que l'on a pu constater des modifications intéressant des stocks très éloignés les uns des autres, malgré la différence des types de gestion d'une région à l'autre (Maan 1993). Par exemple, les captures de sardines des pêcheries péruviennes et californiennes ont varié de manière synchrone avec les captures de sardines au large de l'Asie du Sud-Est au cours des 80 dernières années (Maan 1993). Les phénomènes liés au courant El Niño dans le Pacifique sont responsables de faibles captures de sardines au large du Pérou et de captures importantes de chinchard au large de la Tasmanie (Maan 1993). Ces observations montrent qu'il y a tout lieu de croire que certains événements climatiques de grande ampleur ont une influence déterminante sur l'abondance des stocks de poisson et que la surveillance des événements climatiques pourrait par conséquent servir d'instrument de prévision pour la fixation des quotas de pêche (Maan 1993).

De nombreuses pêcheries ont fait apparaître un schéma d'exploitation par phases successives: effondrement d'une certaine espèce suivi de l'exploitation d'autres espèces dans le temps ou dans l'espace. C'est ainsi qu'au cours des années 60 (Garrod 1973), la pêche hauturière norvégienne est passée du hareng au capelan et de ce dernier au maquereau. Dans les pêcheries de la mer du Nord, les mises à terre sont demeurées relativement constantes à 1–1,5 million de tonnes par an pendant 50 ans, mais ont rapidement augmenté dans les années 60, avec le développement de la pêche industrielle, d'abord aux dépens des harengs et des maquereaux juvéniles et plus tard du tacaud norvégien, de l'équille et du sprat (Hempel 1978). Une fois les stocks de sole épuisés, les pêcheurs sont allés fréquenter d'autres parages (Garrod 1973). Ce schéma de remplacement n'est pas imputable à une abondance accrue d'espèces secondaires mais à une modification des buts de pêche consécutive à la surexploitation de l'espèce primaire (Daan 1980). Dans les pêcheries de saumon du Pacifique, certains stocks mineurs ont disparu par suite d'exploitation intensive (Loftus 1976). En mer d'Irlande, le pocheteau gris, Raia batis, autrefois répandu, est devenu très rare. L'espèce a une croissance lente, un âge élevé au début de la maturité et une faible fécondité, par comparaison avec les téléostéens démersaux qui sont les espèces recherchées en mer d'Irlande par la pêche au chalut (Brander 1981).

Du fait de leur moindre fécondité (Cushing 1975) et de leur moindre longévité (Maan 1993), les espèces pélagiques semblent s'adapter de facon moins souple aux évolutions climatiques à long terme que les espèces démersales. En outre, le fait qu'ils vivent en bancs rend ces poissons plus vulnérables à la pêche industrielle (Rothschild 1986) et plusieurs espèces ont connu une chute rapide et spectaculaire de leur abondance au cours des 50 dernières années. C'est la pêche la principale cause de l'effondrement des stocks de hareng de l'Atlantique, de hareng du Pacifique, de sardine du Pacifique, de sardine du Japon, de sardine pilchard de l'Atlantique Sud, d'anchois du Pérou, de capelan de la mer de Barents et de maquereau du Pacifique (Beverton 1990). Dans neuf cas sur dix, les stocks effondrés se sont reconstitués lorsque les actions de pêche ont été suspendues ou réduites, les stocks les plus gravement atteints ayant tendance à récupérer plus lentement. Seul le stock de harengs frayant au printemps dans les eaux islandaises, qui s'est effondré à la fin des années 60 et au début des années 70, n'a manifesté à ce jour aucun signe de récupération (Beverton 1990).

Si l'“explosion des Gadidés” (Cushing 1984) et le développement des pêcheries industrielles qui l'a accompagnée en mer du Nord peuvent s'expliquer en partie par le déclin des stocks de hareng (Beverton 1990), qui a rendu disponible un certain volume de nourriture pour les recrues de gadidés, l'accroissement des stocks de Gadidés avait son origine dans l'évolution naturelle de l'écosystème. La production printanière du zooplancton Calanus, base du régime alimentaire des larves de morue, s'est trouvée retardée d'environ un mois par suite du rafraîchissement de la température de la mer au cours des années 60 et 70, offrant ainsi une meilleure adéquation entre la densité alimentaire et les larves de morue, lesquelles sont produites à époques fixes (Cushing 1984).

On a observé de profondes évolutions de la biomasse et de la composition des espèces dans les pêcheries démersales de l'Atlantique Nord-Ouest au cours des trente dernières années (Fogarty 1992). La pêcherie de Georges Bank qui était dominée par les Gadidés en 1963 était dominée par les aiguillats en 1986, évolution provoquée par la forte mortalité par pêche exercée sur la morue et l'aiglefin et par une abondance accrue d'aiguillats (Sissenwine et Cohen 1993).

Dans les situations caractéristiques, face à l'effort de pêche le stock présentera une diminution de l'âge moyen à mesure que seront éliminés les poissons les plus âgés et les plus gros, laissant une proportion plus grande de jeunes poissons à croissance plus rapide; cet effet d'“épuisement par la pêche” a été décrit pour la première fois par Baranov (1918). La croissance chez les poissons est en partie fonction de la densité, de telle sorte que lorsque la biomasse se trouve réduite par l'effort de pêche le taux de croissance peut augmenter et, en exploitation modérée, aller jusqu" à entraîner un accroissement de la taille moyenne pour l'âge. Par exemple, dans le stock de flets, Platichthys flesus, du sud de la Baltique, si l'âge moyen des poissons et les taux de capture ont diminué à mesure qu'augmentait l'effort de pêche entre 1905 et 1925, la longueur et le poids moyens des poissons avaient augmenté (Kandler 1932). Toutefois, dès 1931 la longueur moyenne avait commencé à diminuer, l'accroissement du taux de croissance ne parvenant plus à compenser le rythme de prélèvement de poissons sur la population (Kandler 1932). Ce phénomène était jugé favorable dans la mesure où il améliorait la valeur économique du stock (Kandler 1932). Dans le cas de la plie canadienne (balai), Hippoglossoides platessoides, pêchée sur les grands bancs, la taille moyenne pour un âge donné a augmenté entre les années 50 et les années 70 alors même que les taux de capture réagissaient au cours de la même période par une diminution face à l'augmentation de l'exploitation (Pitt 1975). On n'a pas relevé au cours de cette période d'évolution significative de la température qui puisse avoir influé sur les taux de croissance, mais la diminution de la densité des plies et des concurrents due à l'importance de l'effort de pêche a eu pour résultat davantage de nourriture disponible pour les plies (Pitt 1975).

L'élaboration de la théorie des pêches est à porter au crédit de Baranov en Russie et de Thompson aux Etats-Unis. Cette branche de la dynamique des populations a été élargie et développée par de nombreux autres scientifiques qui en ont fait le coeur même de la science des pêches. Les modèles d'aménagement font appel à la notion de “production excédentaire” et de production maximum équilibrée. Les populations sont réputées être en équilibre et atteignent leur taille optimale selon la capacité biotique de l'environnement. Lorsque la population diminue sous l'effet de l'effort de pêche, le recrutement et la croissance augmentent de manière à ramener la population à l'équilibre. L'accroissement compensatoire de la croissance et du recrutement en réponse à l'exploitation est fréquemment observé et décrit dans les ouvrages consacrés à la pêche. Ces modifications compensatoires ont masqué l'évolution génétique des caractéristiques du cycle vital dues à l'exploitation et rendus les effets génétiques difficiles à déceler.


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