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FORCES S'EXERÇANT SUR LA STRUCTURE GENETIQUE DES POPULATIONS

Les principales forces qui déterminent la structure génétique des populations sont la dérive génétique, la sélection et la migration. Si la mutation et la recombinaison déterminent de nouvelles variations génétiques, il ne s'agit pas de forces majeures qui déterminent le niveau de la différenciation intraspécifique. La plupart des ouvrages consacrés à la génétique des populations fournissent des explications et des discussions sur la dérive, la sélection et la migration; on pourra trouver des comptes-rendus plus détaillés sur la sélection artificielle chez les poissons chez Gall et Chen (1993), Gjedrem (1990) et Kirpichnikov (1981), alors que les effets de la dérive et de la taille des populations sur la diversité génétique sont traités par Soule (1986, 1987), Soule et Wilcox (1980) ainsi que dans la revue Conservation Biology and Bioscience. On les trouvera brièvement résumés ci-après.

La sélection est la survie non aléatoire des génotypes, déterminée par des différences entre individus en ce qui concerne le produit de la reproduction et la survie de la descendance. Dans les conditions de la sélection naturelle, les individus les plus aptes ont une descendance plus nombreuse que les individus moins aptes. Le degré d'aptitude est mesuré par s, coefficient de sélection, moyennant lequel le génotype le plus apte reçoit une valeur de 1 et les génotypes moins aptes de 1-s. Sur plusieurs générations, un différentiel de sélection de quelques pour cent seulement peut avoir un impact significatif sur une population.

On a reconnu trois types fondamentaux de sélection dans les populations: une sélection directionnelle qui favorise un génotype ou un caractère en particulier, la sélection disruptive qui favorise deux ou plusieurs types différents et la sélection stabilisatrice qui s'exerce contre les individus extrêmes. Avec ces trois types de sélection, l'aptitude peut être considérée sous la forme d'un modèle génique simplifié unique, comme ci-après:

  Génotypes
 AAAaaa
sélection directionnelle111-s
sélection disruptive11-s1
sélection stabilisatrice1-s11-s

Avec la sélection directionnelle, les fréquences d'allèles changeront, mais les allèles ne seront pas perdus sauf si la dérive avait un impact sur une petite population, étant donné que l'allèle a est “protégé” dans la condition hétérozygote. En sélection disruptive la population pourrait diverger pour former deux sous-populations fixées pour A et a, la diversité demeurant élevée. Avec la sélection stabilisatrice, l'hétérozygote est avantagé et la proportion d'hétérozygotes dans la population atteint une valeur d'équilibre. Dans les populations naturelles, l'aptitude d'un génotype a peu de chances de rester constante dans le temps et elle évoluera avec les conditions environnementales, y compris la densité de la population. On pense que la sélection qui est fonction de la fréquence contribue de manière importante à maintenir la variation génétique lorsque des allèles rares présentent quelque avantage sélectif. Les caractères du cycle vital seront vraisemblablement polygéniques, sous la dépendance d'un grand nombre de gènes, auquel cas la réponse à la sélection modifiera la fréquence moyenne des allèles des gènes qui codent pour le trait (Bentsen 1994).

La dérive génétique se produit par échantillonnage aléatoire des gamètes à chaque génération. Il s'ensuit des fluctuations aléatoires des fréquences des allèles d'une génération à l'autre et, chez les populations exiguës, ces changements aléatoires peuvent entraîner une perte d'allèles. Il est vraisemblable que la dérive est la principale force qui détermine les fréquences de gènes chez les populations très réduites, mais que son importance est moindre dans le cas des larges populations. Les croisements entre individus apparentés se produisent aussi parmi les populations réduites. Ce type de croisement a le plus de chances de se produire parmi les petites populations isolées, comme ce peut être le cas dans les écloseries ou au sein d'une espèce en danger, où la probabilité que deux individus apparentés s'accouplent est plus grande. Les programmes d'aquaculture et de valorisation doivent prévoir des moyens d'éviter les croisements entre individus apparentés (Gall 1987).

Le taux de perte de variation sélectivement neutre due à la dérive dépend de la taille de la population et du nombre de générations et est représenté par la formule Ht = Ho(1-1/2Ne)t (Wright 1969), où H est l'hétérozygotie, Ne l'effectif de la population et t le temps exprimé en générations. Ne est généralement beaucoup plus petit que la taille de population effective, car seuls les adultes en âge de se reproduire contribuent à la population (Bartley et coll. 1992a). Ne est difficile à mesurer et l'on n'en a que peu d'estimations pour les espèces marines. Toutefois, cette donnée est importante lorsqu'on veut gérer des ressources génétiques et, du reste, les généticiens de population commencent à mettre au point des moyens d'estimer Ne à partir de données alléliques et génotypiques (Waples 1990, Bartley et coll. 1992a, par exemple).

La taille effective de la population diminue lorsqu'il y a inégalité du rapport mâles/femelles et variation du succès de la reproduction, lequel peut être important chez les espèces marines où la fécondité est élevée et où il y a chevauchement des générations (Nelson et Soule 1987). Pour que 99 % de la diversité génétique soit conservée par génération, il faudrait au minimum un Ne de 50 avec nombre égal de mâles et de femelles. Bien qu'aucune valeur de Ne ne convienne à toutes les espèces, en raison des variations des cycles vitaux (Kapuscinski et Lannan 1986), un Ne minimum de l'ordre de 500 a été proposé pour la conservation à long terme de la diversité génétique (Franklin 1980, FAO 1981).

Les différences génétiques entre les populations évoluent lorsqu'il n'y a entre elles que peu ou pas de flux de gènes et lorsqu'elles sont accrues par la sélection; la migration contrarie les effets de la dérive et de la sélection en réintroduisant des allèles dans les populations. Un volume de migration même faible entre populations suffit à éliminer la différenciation due à la dérive; par exemple, chez deux populations idéales de taille N qui échangent une proportion m par l'intermédiaire de migrants à chaque génération, aucune divergence significative ne se produira entre les populations si Nm > 1 (Lewontin 1974, Slatkin 1985). L'effectif de nombreuses espèces marines importantes sur le plan commercial a toutes chances d'être important (> 1000) et de petits nombres absolus de migrants par génération suffiront à empêcher la divergence due à la dérive.

La dérive agira sur tous les loci de la même manière, alors que la sélection pourra agir de façon différente sur les différents loci. On connaît mal les contributions relatives de la dérive et de la sélection à la variation observée de la fréquence des allèles dans les populations marines. On a des raisons de croire qu'une forte sélection s'exerce au niveau de certains loci enzymatiques, par exemple chez la moule commune Mytilus edulis (Koehn et coll. 1983) et chez les fondules Fundulus heteroclitus (Powers et coll. 1983). Toutefois, il semblerait que la dérive rende compte des différences génétiques qui séparent les saumons roses Oncorhynchus gorbuscha des années impaires et paires qui habitent le même milieu naturel (Aspinwall 1974).

La perte de diversité génétique se produit par dérive, avant tout chez les populations d'effectif réduit, et par l'enlèvement sélectif de génotypes spécifiques. En théorie, toute activité ou tout processus qui prélève sélectivement certains types ou qui réduit gravement la taille de la population modifiera la structure génétique des populations naturelles. En outre, il peut y avoir perte de diversité lorsque de petites populations sont submergées par l'introduction de nombreux individus appartenant à un pool génique différent. Cette situation devrait être rare chez les populations naturelles, mais elle pourrait se produire dans les programmes de développement et l'on en a eu des exemples avec des saumons d'élevage qui s'étaient échappés (Hindar et coll. 1991).


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