LES DIMENSIONS MACROÉCONOMIQUES
DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE1
Année: 1996. A l'ordre du jour: la sécurité alimentaire, définie comme l'accès de tous, à tout moment, la nourriture nécessaire pour mener une vie saine et active2. La FAO a entrepris d'organiser à Rome, du 13 au 17 novembre 1996 un Sommet mondial de l'alimentation dont le mot d'ordre sera: «De la nourriture pour tous». L'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) avait déjà organisé, au mois de juin 1995, une conférence ministérielle sur le même thème. Au cours des deux dernières années, l'attention s'est concentrée, à l'échelle mondiale, sur la myriade de problèmes qui entourent les multiples aspects de la sécurité alimentaire, et l'on a publié une masse considérable d'études, monographies, rapports et articles qui ont exploré, décrit et analysé, sous des angles divers, les questions posées par la sécurité alimentaire.
La FAO elle-même, à l'approche du Sommet mondial de l'alimentation, a publié trois volumes contenant 15 documents sur divers thèmes touchant à la sécurité alimentaire, allant des aspects éthiques jusqu'aux investissements (encadré 14). La FAO a, en outre, rédigé un projet de déclaration et de plan d'action destiné à être adopté par les chefs d'Etat et de gouvernement, ou leurs représentants, à l'occasion du Sommet; cette déclaration reflète les points de vue exprimés par les participants gouvernementaux et non gouvernementaux lors du processus préparatoire du Sommet.
En fait, une bonne part des travaux consacrés à la sécurité alimentaire traitent surtout de l'insécurité alimentaire; jusqu'à une époque récente, on s'est surtout préoccupé de l'insuffisance, à l'échelle mondiale ou au niveau régional, de la production alimentaire face aux besoins nutritionnels d'une population croissante. Cependant, s'il importe d'assurer une production suffisante et de poursuivre avec vigueur les efforts dans ce sens, le problème est bien plus vaste: en effet, les agriculteurs n'exploitent pas la terre par altruisme, mais pour se nourrir, ainsi que leurs familles, en consommant ou en vendant leur production et, dans la plupart des pays en développement, la majorité de la population vit de façon directe ou indirecte de l'agriculture. Par ailleurs, les consommateurs, y compris de nombreux agriculteurs, doivent acheter leur nourriture, et si leur pouvoir d'achat est insuffisant, ils ne peuvent pas constituer une demande alimentaire effective. Dans ce Chapitre Spécial, la question de la sécurité alimentaire est abordée dans une perspective macroéconomique.
Le chapitre commence, de façon peu conventionnelle, par un examen du développement économique de l'Europe au cours des cinq ou six dernières décennies, afin de cerner les éléments constitutifs de la sécurité alimentaire, de manière à disposer des paramètres permettant de comprendre les problèmes qu'elle soulève, à l'instar de la profession médicale qui étudie la santé afin de comprendre la maladie. Après un bref examen des conditions qui ont prévalu, en Europe principalement, au lendemain de la Seconde guerre mondiale et qui ont conduit à la réflexion de l'après-guerre sur la sécurité alimentaire dans les pays développés et dans les pays en développement ainsi que dans les économies en transition de l'Europe centrale et orientale et de l'ex-URSS, le chapitre fait une comparaison des prévisions de l'offre de produits alimentaires établies par la FAO, l'IFPRI et la Banque mondiale, et arrive à la conclusion que le moment n'est certes pas venu de relâcher les efforts et qu'il y a lieu de poursuivre les investissements et le progrès technologique; cependant, le principal problème n'est pas d'assurer une production alimentaire durable, même pour une population croissante. Il convient, en effet, de poser la question de la demande alimentaire effective dans les termes suivants: les populations ont-elles les moyens d'acheter la production alimentaire disponible, et dans des quantités suffisantes pour garantir un régime alimentaire adéquat?
Le chapitre analyse ensuite le rôle essentiel joué par les gouvernements, qui doivent combiner mesures monétaires, budgétaires, commerciales, et sociales et incitations à l'investissement, afin de créer un contexte économique propice à la sécurité alimentaire. Bien qu'aucun gouvernement ne soit, à lui seul, en mesure de maîtriser les paramètres économiques internationaux, et que l'économie de nombreux pays soit trop modeste pour influencer ces paramètres, il incombe à chaque gouvernement d'infléchir ses politiques nationales en fonction de ces paramètres. Suit une étude des différentes options qui s'offrent aux Etats et à la communauté internationale pour faire face aux fluctuations à court terme et aux tendances sur le long terme. Le chapitre examine alors toute une gamme de questions qui affectent l'aptitude d'un pays à assurer la sécurité alimentaire, au nombre desquelles: les politiques macroéconomiques et commerciales au plan national; la constitution de réserves alimentaires; les activités permettant d'acquérir des devises étrangères; le soutien apporté à la sécurité alimentaire par les organismes internationaux, sous forme de devises et de soutien de la balance des paiements; le recours aux marchés à terme à des fins de stabilisation; et l'importance de la réduction de la dette pour les pays à faible revenu gravement endettés. Sont également explorés les facteurs et les politiques qui affectent la croissance économique générale et leurs incidences sur les économies urbaine et rurale respectivement, de manière à analyser le problème de l'insécurité alimentaire tant dans les villes que dans les campagnes et à déterminer quelles sont les options permettant d'améliorer la sécurité alimentaire.
ENCADRÉ 14 Synthèse des documents d'information technique Volume 1 1. Alimentation, agriculture et sécurité alimentaire: évolution depuis la Conférence mondiale de l'alimentation et perspectives 2. Sécurité alimentaire: exemples de réussite 3. Cadre sociopolitique et économique pour la sécurité alimentaire 4. Besoins alimentaires et croissance démographique 5. Sécurité alimentaire et nutrition Volume 2 6. Les leçons de la révolution verte - vers une nouvelle révolution verte 7. Production vivrière: le rôle déterminant de l'eau 8. Produits alimentaires destinés aux consommateurs: commercialisation, transformation et distribution 9. Rôle de la recherche dans la sécurité alimentaire mondiale et le développement agricole 10. Investissement dans le secteur agricole: évolution et perspectives 11. Production alimentaire et impact sur l'environnement Volume 3 12. L'alimentation et le commerce international 13. Sécurité alimentaire et aide alimentaire 14. Evaluation des progrès réalisés en matière de sécurité alimentaire 15. Atlas technique |
Cependant, bien qu'il soit incontestablement nécessaire, si l'on veut parvenir à la sécurité alimentaire, d'adopter des politiques économiques rationnelles, ces dernières ne sont pas faciles à appliquer en l'absence d'un consensus politique réel. En dernière analyse, c'est aux gouvernements que revient la responsabilité ultime de la sécurité alimentaire, en conjonction avec les autorités locales et en collaboration avec les groupes et les particuliers qui constituent la société. La communauté internationale et ses divers composantes peuvent, certes, apporter une aide; cependant, elle ne peut se substituer aux mesures adoptées et à la volonté politique nécessaires à la sécurité alimentaire dans un pays donné - ce constat illustre, au demeurant, tant la portée que les limites de l'action politique.
QU'EST-CE QUE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE?
Le désir d'atteindre un certain niveau de «sécurité alimentaire» remonte aux origines de l'humanité. Jusqu'il y a 10 ans environ, la plupart des pays se préoccupaient principalement d'atteindre une production alimentaire permettant de satisfaire leurs propres besoins, les politiques nationales mettant l'accent sur l'autosuffisance en matière d'approvisionnement en produits agricoles. Il faut considérer cette orientation, notamment dans les pays développés, dans le contexte de la Seconde guerre mondiale et de ses profondes répercussions sur les esprits, au niveau des gouvernements comme des populations. Il est vrai que la Seconde guerre mondiale avait entraîné, dans toute l'Europe occidentale, centrale et orientale, de véritables pénuries alimentaires causées non seulement par les perturbations de la production agricole, mais également - et de façon encore plus marquée dans certains pays - par les réquisitions et le bouleversement du commerce international comme des structures internes de commercialisation. Les premières années de l'après-guerre ont été celles de la reconstruction économique et du strict contrôle des changes destiné à économiser les maigres réserves de devises étrangères; de sorte qu'il était plus difficile de répondre aux besoins alimentaires des populations en important des denrées agricoles ou des produits alimentaires, même si l'existence de «zones monétaires», telles que la zone sterling et la zone rouble, ou du Plan Marshall, avaient élargi les possibilités d'échanges internationaux. Le rationnement alimentaire et le contrôle des prix durant les années de guerre avaient pour but d'assurer une répartition équitable des vivres disponibles, dans les villes comme dans les campagnes et, une fois la guerre terminée, ces mesures furent graduellement éliminées. Parallèlement, des dispositions furent adoptées afin d'encourager l'expansion, sur le long terme, de la production agricole plutôt que de répondre simplement aux situations de crise; l'on vit également apparaître un type d'Etats-providence soucieux de protéger les catégories vulnérables de la population, à savoir les personnes pauvres, malades ou âgées, les chômeurs, les handicapés mentaux ou physiques et les enfants.
Cette série d'initiatives dans le domaine agricole et alimentaire s`est inscrite dans le cadre de la reconstruction de pays déjà fortement industrialisés, qui avaient un secteur agricole relativement réduit et en déclin, et une faible croissance démographique. Les mesures spéciales d'incitation prodiguées à l'agriculture n'ont toutefois pas porté préjudice à l'industrie. En Europe occidentale, s'agissant des 15 pays qui constituent aujourd'hui l'Union européenne (UE), les taux annuels de croissance des productions agricole et industrielle, pour les années 1948 à 1958, ont été de 3,5 pour cent et 7,3 pour cent respectivement, tandis que la population connaissait une croissance moyenne de 0,7 pour cent par an. Quant aux exportations, leur progression était d'environ 9 pour cent par an, contre 6 pour cent pour les importations.
Une fois achevée la période de reconstruction, on a assisté à un ralentissement de la croissance, tant industrielle qu'agricole; cependant, le volume des échanges, dont celui des produits agricoles et alimentaires, a connu une augmentation spectaculaire3, avec une progression ininterrompue des importations et des exportations à un taux annuel d'environ 11 pour cent. Le déclin relatif du secteur agricole par rapport à l'ensemble de l'économie a eu pour effet de réduire la part des crédits budgétaires destinés au soutien de l'agriculture - toujours élevée en termes absolus - par rapport à l'ensemble des dépenses nationales.
Tous les pays d'Europe, et non pas uniquement ceux concernés par la politique agricole commune (PAC) de l'Union européenne, ayant entrepris des efforts analogues pour améliorer leur production agricole, les politiques de l'après-guerre ont eu pour effet de garantir un niveau élevé d'autosuffisance de la production agricole, dépassant largement 100 pour cent pour de nombreux produits de zone tempérée, même si cela ne signifie pas que chaque pays soit entièrement autosuffisant voire en situation excédentaire pour tous les produits. L'UE est à la fois un importateur et un exportateur important de produits agricoles et alimentaires, et elle commerce avec le monde entier, même si une forte proportion de ses échanges se font à l'intérieur de son périmètre; en outre, elle a fortement contribué à renforcer l'offre mondiale de denrées alimentaires.
Devant de tels résultats, on peut s'étonner que se pose encore la question de savoir si l'UE a atteint la sécurité alimentaire, et ce que l'on entend par là. Or, la question est importante, car l'état d'esprit de l'après-guerre qui avait conduit à rechercher à toute force l'autosuffisance agricole commence à peine à se dissiper en Europe occidentale; en outre, les économies en transition de l'Europe centrale et orientale sont aujourd'hui confrontées à des questions analogues, alors qu'elles réorientent leurs politiques agricoles et alimentaires. Il est donc important de définir ce que l'on entend par sécurité alimentaire.
On a défini la sécurité alimentaire comme l'accès de tous, à tout moment, à la nourriture nécessaire pour mener une vie saine et active. Cette définition repose donc sur trois notions principales: des disponibilités vivrières suffisantes (offre effective); un accès adéquat à la nourriture (demande effective), c'est-à-dire la possibilité, pour un individu, de se procurer suffisamment de nourriture; et le tout sur une base fiable. Il est donc logique de dire que l'insécurité représente un manque de disponibilités, d'accès ou de fiabilité, ou encore une combinaison quelconque de ces trois facteurs.
Cette conception moderne de la sécurité alimentaire repose sur une compréhension du rôle joué par les producteurs et les consommateurs de denrées alimentaires en tant qu'agents économiques. La disponibilité alimentaire est représentée par l'offre de nourriture, laquelle dépend, entre autres, des prix relatifs des intrants et de la production, de même que des technologies utilisables pour la production. L'accès à la nourriture est influencé par la demande, laquelle est fonction de plusieurs variables: le prix de la denrée recherchée, le prix des produits complémentaires et de substitution, le revenu, les variables démographiques et les goûts et préférences4. Selon Barraclough, un système alimentaire capable d'assurer la sécurité doit présenter les caractéristiques suivantes:
Il convient de préciser qu'un système alimentaire fiable doit être capable de livrer les intrants et la production en temps et lieu, qu'il s'agisse de biens produits et consommés dans le pays, ou de ceux intéressant le commerce extérieur.
Compte tenu de ces précisions, peut-on dire, par exemple, que l'UE a atteint la sécurité alimentaire?
On ne saurait affirmer que le niveau élevé d'autosuffisance enregistré dans la plupart des secteurs de l'agriculture de la Communauté européenne contribue positivement au niveau de sécurité alimentaire dont jouissent les citoyens de la Communauté. Il convient d'établir une distinction entre l'autosuffisance au plan productif et l'autosuffisance du secteur agricole. En effet, les niveaux élevés d'autosuffisance de la production de la CE reposent souvent sur un usage intensif d'aliments pour animaux et de combustibles, soumis au commerce d'importation et d'exportation et, de ce fait, tout aussi vulnérable aux embargos économiques ou militaires que les denrées alimentaires qu'ils produisent; de plus, aucune mesure n'est prévue, au niveau local, pour pailler les mauvaises récoltes6.
Ce n'est donc pas l'autosuffisance agricole qui assure la sécurité alimentaire de l'UE; or, sauf cataclysme, il est indéniable que l'on peut parler de sécurité alimentaire à l'échelle de l'UE comme de chacun des Etats membres qui la composent. Les niveaux de croissance élevés qui ont suivi la guerre, conjugués à la faiblesse de la croissance démographique, ont permis une aisance matérielle en progrès constant pour la majorité, en même temps qu'une protection sociale pour les plus vulnérables. Grâce à des facteurs tels que les niveaux croissants de productivité agricole et de production globale, à l'application de nouvelles techniques de transformation et d'entreposage des aliments, à la bonne qualité de l'infrastructure de distribution, et, facteur décisif, à un système économique offrant au consommateur les biens qu'il demande, il existe une offre large et variée de produits alimentaires sains et de qualité, tant pour la consommation interne que pour l'exportation. Même si les mesures retenues pour la mise en uvre de la PAC ont porté les prix à la consommation au niveau supérieur à ce qu'ils auraient pu être, l'augmentation des revenus des consommateurs et le déclin, en termes réels, des prix agricoles continuent de réduire la part du budget des ménages consacrées aux dépenses d'alimentation. A toutes fins pratiques, l'UE participe à un système d'échanges à vocation libérale, étayé par la pleine convertibilité des devises; ce système, associé à la vigueur et à la stabilité des liens qui unissent les principaux partenaires commerciaux, lui permet d'importer à volonté. C'est ce faisceau de caractéristiques qui sous-tend la sécurité alimentaire de l'UE et du reste de l'Europe occidentale comme de pays tels que le Japon, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, la République de Corée, la Province chinoise de Taïwan, Hong-kong et Singapour. Cette observation s'applique également aux Etats-Unis, même si la dimension du pays et la nature de sa base de ressources et de ses infrastructures sont telles que, de tous les pays développés, il est peut-être le moins vulnérable aux phénomènes extérieurs.
En dépit de ces considérations, il demeure des poches d'insécurité alimentaire même dans les pays les plus riches; en effet, qui dit sécurité alimentaire au niveau national ne dit pas nécessairement sécurité s'étendant à tous les ménages d'un pays. Il se peut que les mailles du filet de sécurité sociale soient trop larges pour retenir certains individus ou certains groupes; en outre, on enregistre depuis peu, dans plusieurs pays industrialisés, une tendance à élargir encore les mailles du filet protecteur, si bien qu'une part de la population risque de connaître une pauvreté non pas simplement relative, mais absolue. Les catégories pauvres exposées à l'insécurité alimentaire se composent de différents sous-groupes, qui se distinguent en fonction du lieu d'implantation, des facteurs liés au travail, du patrimoine, de la race et autres caractéristiques ethniques, de l'âge et du sexe. On voit donc qu'au niveau du ménage ou de l'individu, un accès inadéquat à la nourriture peut être source de problèmes de sécurité alimentaire. Le rapport qui existe entre la sécurité alimentaire d'un pays et celle des ménages constitue l'un des problèmes les plus importants et les plus épineux pour les gouvernements de tous les pays, quels que soient leurs niveaux de richesse et de développement. La complexité du problème est encore aggravée par la considération suivante: «le fait qu'un ménage ait un accès satisfaisant à l'alimentation est une condition nécessaire mais non suffisante pour garantir à tous les membres de ce ménage un régime alimentaire adéquat....; or, un régime alimentaire adéquat est une condition nécessaire mais non suffisante pour maintenir un état nutritionnel sain»7. Par ailleurs, on a parfois établi une distinction entre l'insécurité alimentaire chronique et l'insécurité alimentaire transitoire au niveau du ménage8. L'insécurité alimentaire chronique suppose une carence permanente du régime alimentaire due à l'incapacité durable à se procurer de la nourriture. L'insécurité alimentaire transitoire illustre l'incapacité temporaire, pour un ménage, d'accéder à la nourriture, en raison d'obstacles liés au prix des aliments, à la production de denrées ou au revenu du ménage. Dans une telle perspective, on considère que les choix opérés par les pouvoirs publics afin de réduire l'insécurité alimentaire devront dépendre du caractère chronique ou transitoire de l'insécurité. S'agissant de l'insécurité chronique, on pourrait augmenter les disponibilités alimentaires, privilégier l'aide au développement ou les transferts de revenus au bénéfice des catégories pauvres, ou encore aider ces dernières à se familiariser avec les critères d'une alimentation saine. Lorsque l'insécurité alimentaire est transitoire, on peut y remédier en stabilisant les approvisionnements et les prix, en aidant les groupes vulnérables par des programmes spéciaux d'emploi, par des transferts de revenus ou par la distribution de denrées alimentaires. On peut débattre de l'utilité d'une telle distinction. Ainsi, qu'entend-on par «temporaire»? Par exemple, les effets indésirables, au plan de la sécurité alimentaire, des programmes d'ajustement structurel et de transition sont-ils temporaires ou chroniques? Faut-il le déterminer avant d'opter pour telle ou telle démarche?
A n'en pas douter, la réponse se doit d'être négative. Il convient d'adopter des politiques englobant tous les aspects de l'insécurité alimentaire afin d'offrir aux catégories vulnérables une certaine protection - laquelle pourra prendre des formes différentes tout au long de la vie d'un individu comme en réponse à des événements extérieurs - et créer les conditions conduisant à l'éradication de la faim endémique. La solution réside dans la croissance économique. En effet, les pays qui ont enregistré des taux de croissance négatifs ou une stagnation de leur production agricole et de leur PIB alors que leur population augmentait, ont de moins en moins à offrir - alors que, souvent, ils n'avaient déjà pas grand-chose - et à partager entre un nombre croissant de personnes. Dans de telles circonstances, on ne saurait attendre beaucoup d'une distribution plus équitable des revenus - laquelle, on l'a maintes fois constaté, suscite une résistance acharnée des catégories mises à contribution. La croissance s'impose donc, et l'expérience a d'ailleurs montré qu'il est plus aisé - quoique jamais vraiment facile - de mettre en oeuvre des mesures favorables à l'équité dans une conjoncture de croissance économique, notamment si cette dernière est suffisamment générale pour englober le secteur agricole. Il faut d'ailleurs souligner que la quasi-totalité des pays considérés aujourd'hui comme vulnérables à l'insécurité alimentaire ont, comme caractéristique, un secteur agricole dont dépend encore pour sa subsistance, de façon directe ou indirecte, une forte proportion de la population nationale; or, tel n'était pas le cas pour l'Europe de l'après-guerre. Dans les pays concernés, l'amélioration de la productivité agricole et des revenus entraîne donc une augmentation de la demande alimentaire effective; d'où son rôle essentiel pour l'amélioration de la sécurité alimentaire. Cela dit, l'histoire de l'Europe nous montre combien il est important d'adopter des politiques économiques qui, tout au moins, ne jouent pas en défaveur du développement et de la croissance du secteur agricole.
L'analyse qui précède fait clairement ressortir que le thème de la sécurité alimentaire comporte des ramifications qui s'étendent à de nombreuses disciplines techniques, dont chacune projette un éclairage partiel sur certains des problèmes complexes qu'elle soulève. Le présent chapitre, rédigé dans une perspective d'économie politique, est principalement consacré à certaines des principales politiques économiques et commerciales qui influent sur les progrès en matière de sécurité alimentaire.
QUELLES SONT LES PERSPECTIVES DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE AU NIVEAU MONDIAL ?
Au niveau mondial, la sécurité alimentaire pour tous signifie que l'offre de denrées alimentaires doit pouvoir satisfaire la demande dans sa totalité. Cependant, cette condition nécessaire est loin d'être suffisante. A l'heure actuelle, l'offre de produits vivriers suffit aux besoins de la planète; cependant, on estime qu'en 1990-1992, près de 839 millions d'habitants des pays en développement ont un accès inadéquat à la nourriture, en raison principalement de leur incapacité à en acheter ou à s'en procurer suffisamment, en d'autres termes, à exercer une demande effective. Ce chiffre, quoique d'une ampleur inacceptable, traduit néanmoins un progrès substantiel depuis le début des années 70: en effet, il était alors de 917 millions de personnes; il a donc décliné en termes relatifs, passant de 35 pour cent à 21 pour cent de la population des pays en développement; ce progrès est principalement attribuable aux résultats obtenus par l'Asie de l'Est, Chine comprise, et par certaines régions de l'Asie du Sud, telles que l'Inde et le Pakistan. C'est en Afrique que la situation est la plus grave: en effet, selon les estimations de la FAO9, le nombre de personnes souffrant de dénutrition chronique y a plus que doublé pendant la période concernée. La figure 13 illustre l'évolution passée ainsi que les prévisions concernant le nombre de personnes dénutries dans les pays en développement.
Quelles sont les perspectives à moyen terme concernant l'offre et la demande alimentaires? La FAO, l'IFPRI et la Banque mondiale se sont tous efforcés de faire des projections pour l'an 201010. En dépit de certaines difficultés de comparaison liées à des facteurs tels que les différences dans le choix des années de référence, des pays, des denrées traitées et des définitions régionales, il demeure possible d'effectuer, à titre indicatif, des comparaisons concernant la production, les utilisations totales et les échanges nets de céréales. Les résultats des trois modèles sont présentés dans les tableaux 6 à 9.
TABLEAU 6 | ||||
Données pour 1989-91 et projections pour l'ensemble des céréales(riz usiné): pays développés | ||||
Monde |
Pays développés | |||
ex-pays à économie planifiée1 |
Autres pays industrialisés2 |
Total | ||
PRODUCTION |
||||
Effective 1989-1991 |
1 726.5 |
266.0 |
597.8 |
863.8 |
Projections pour 2010 |
||||
FAO |
2 334.0 |
306.0 |
710.0 |
1 016.0 |
IFPRI |
2 405.0 |
389.0 |
785.0 |
1 174.0 |
Banque mondiale |
2 311.0 |
324.0 |
733.0 |
1 058.0 |
UTILISATIONS TOTALES |
||||
Effective 1989-1991 |
1 729.8 |
302.1 |
475.0 |
777.1 |
Projections pour 2010 |
||||
FAO |
2 334.0 |
301.0 |
553.0 |
854.0 |
IFPRI |
2 406.0 |
381.0 |
634.0 |
1 015.0 |
Banque mondiale |
2 308.0 |
308.0 |
540.0 |
848.0 |
ECHANGES NETS |
||||
Effective 1989-1991 |
3.6 |
-37.2 |
129.7 |
92.5 |
Projections pour 2010 |
||||
FAO |
... |
5.0 |
157.0 |
162.0 |
IFPRI |
-1.0 |
8.0 |
151.0 |
159.0 |
Banque mondiale |
0.0 |
15.0 |
195.0 |
210.0 |
Notes: |
TABLEAU 7 | ||||||||
Données pour 1989-91 et projections pour l'ensemble des céréales(riz usiné): pays en développement | ||||||||
Pays en développement | ||||||||
Afrique subsaharienne |
Proche Orient et Afrique du Nord1 |
Asie et Pacifique |
Amérique latine et Caraïbes |
Autres pays non repris par région |
Total | |||
Asie du Sud 1 |
Chine, y compris Taïwan2 |
Autres |
||||||
Production |
||||||||
Effective 1989-1991 |
54.7 |
76.8 |
202.8 |
326.8 |
104.6 |
97.0 |
... |
862.7 |
Projections pour 2010 |
||||||||
FAO |
110.0 |
119.0 |
292.0 |
473.0 |
165.0 |
159.0 |
... |
1 318.0 |
IFPRI |
86.0 |
118.0 |
297.0 |
426.0 |
153.0 |
152.0 |
... |
1 232.0 |
Banque mondiale |
83.0 |
97.0 |
282.0 |
475.0 |
151.0 |
144.0 |
20.0 |
1 253.0 |
UTILISATIONS TOTALES |
||||||||
Effective 1989-1991 |
64.7 |
114.2 |
203.3 |
339.8 |
119.3 |
111.4 |
... |
952.7 |
Projections pour 2010 |
||||||||
FAO |
129.0 |
191.0 |
302.0 |
488.0 |
185.0 |
185.0 |
... |
1 480.0 |
IFPRI |
118.0 |
183.0 |
307.0 |
440.0 |
176.0 |
165.0 |
3.0 |
1 392.0 |
Banque mondiale |
96.0 |
169.0 |
312.0 |
502.0 |
189.0 |
172.0 |
20.0 |
1 459.0 |
ECHANGES NETS |
||||||||
Effective 1989-1991 |
-8.5 |
-38.4 |
-3.2 |
-14.7 |
-12.7 |
-11.3 |
... |
-88.8 |
Projections pour 2010 |
||||||||
FAO |
-19.0 |
-72.0 |
-10.0 |
-15.0 |
-20.0 |
-26.0 |
... |
-162.0 |
IFPRI |
-32.0 |
-65.0 |
-10.0 |
-14.0 |
-23.0 |
-13.0 |
-3.0 |
-161.0 |
Banque mondiale |
-14.0 |
-73.0 |
-31.0 |
-22.0 |
-37.0 |
-28.0 |
-5.0 |
-210.0 |
Notes: |
TABLEAU 8 | ||||
Croissance annuelle, en pourcentage, de la production et des utilisations totales pour l'ensemble des céréales: pays développés | ||||
Total mondial |
Pays développés | |||
ex-pays à économie planifiée1 |
Autres pays industrialisés |
Total | ||
CROISSANCE DE LA PRODUCTION |
||||
Effective 1970-1980 |
2.7 |
1.4 |
2.9 |
2.4 |
Effective 1980-1991 |
1.6 |
1.4 |
0.2 |
0.6 |
Projections, de 1989-1991 à 2010 |
||||
FAO |
1.5 (1.6) |
0.7 (0.5) |
0.9 (1.1) |
0.8 (0.9) |
IFPRI |
1.7 (1.6) |
1.9 (1.5) |
1.4 (1.3) |
1.6 (1.4) |
Banque mondiale |
1.5 (1.2) |
1.0 (0.2) |
1.0 (1.0) |
1.0 (0.8) |
UTILISATIONS TOTALES |
||||
Effective 1970-1980 |
2.5 |
2.9 |
0.9 |
1.6 |
Effective 1980-1991 |
1.8 |
0.1 |
0.6 |
0.7 |
Projections, de 1989-1991 à 2010 |
||||
FAO |
1.5 (1.5) |
0.0 (-0.1) |
0.8 (0.8) |
0.5 (0.4) |
IFPRI |
1.7 (1.6) |
1.2 (0.9) |
1.5 (1.3) |
1.3 (1.1) |
Banque mondiale |
1.5 (1.4) |
0.1 (-0.4) |
0.1 (0.7) |
0.4 (0.3) |
Notes: |
TABLEAU 9 | |||||||
Croissance annuelle, en pourcentage, de la production et des utilisations totales pour l'ensemble des céréales : pays en développement | |||||||
Pays en développement | |||||||
Afrique subsaharienne |
Proche- Orient et Afrique du Nord1 |
Asie et Pacifique |
Amérique latine et Caraïbes |
Total | |||
Asie du Sud1 |
Chine, y compris Taïwan2 |
Autres |
|||||
CROISSANCE DE LA PRODUCTION |
|||||||
Eff. 1970-1980 |
1.4 |
2.8 |
2.7 |
4.0 |
3.0 |
2.4 |
3.1 |
Eff. 1980-1991 de 1989-1991 à 2010 3 |
3.4 |
3.4 |
2.9 |
3.0 |
2.5 |
0.6 |
2.7 |
FAO |
3.5 (3.4) |
2.2 (2.3) |
1.8 (1.8) |
1.9 (2.0) |
2.3 (2.1) |
2.5 (2.3) |
2.1 (2.1) |
IFPRI |
2.3 (2.4) |
2.2 (2.1) |
1.9 (2.2) |
1.3 (1.6) |
1.9 (1.9) |
2.3 (1.8) |
1.8 (1.9) |
Banque mondiale |
2.1 (3.3) |
1.2 (1.9) |
1.7 (1.6) |
1.9 (1.6) |
1.9 (1.8) |
2.0 (2.1) |
1.9 (1.8) |
TOTAL USE GROWTH RATES |
|||||||
Eff. 1970-1980 |
2.5 |
4.5 |
2.2 |
4.4 |
3.2 |
3.9 |
3.6 |
Eff. 1980-1991 de 1989-1991 à 2010 3 |
3.1 |
3.6 |
3.0 |
2.6 |
3.2 |
1.5 |
2.8 |
FAO |
3.5 (3.4) |
2.6 (2.5) |
2.0 (1.8) |
1.8 (1.9) |
2.2 (2.1) |
2.6 (2.4) |
2.2 (2.2) |
IFPRI |
3.0 (3.0) |
2.4 (2.2) |
2.1 (2.3) |
1.3 (1.7) |
2.0 (2.1) |
2.0 (1.7) |
1.9 (2.0) |
Banque mondiale |
2.0 (3.1) |
2.0 (2.4) |
2.2 (2.0) |
2.0 (2.1) |
2.3 (2.1) |
2.2 (2.5) |
2.2 (2.2) |
Notes: |
ENCADRÉ 15 Les opinions diffèrent quant au rôle réservé à la Chine sur le marché mondial des céréales. Les estimations portant sur ses importations céréalières nettes, pour les 15 à 30 années à venir, vont de la prévision d'une autosuffisance fondamentale à un besoin maximum, très improbable, de 200 millions de tonnes, en fonction des diverses hypothèses touchant à plusieurs paramètres clé. Un certain nombre de sources estiment que les importations céréalières chinoises pourraient atteindre 30 à 40 millions de tonnes, soit un volume inférieur aux importations de l'ex-URSS à la fin des années 80, qui devrait avoir peu d'effet à long terme sur les cours réels des céréales. Afin d'économiser sur les coûts des transports et sur les infrastructures, la plupart de ces importations seraient dirigées vers les grandes villes et les zones côtières, assurant par là un approvisionnement adéquat à des prix stables. A la suite des nouvelles orientations adoptées en 1994, Beijing a délégué la responsabilité de l'approvisionnement céréalier de chaque province aux gouvernements provinciaux respectifs. Ce faisant, le gouvernement central a renoncé, dans une large mesure, à contrôler le ravitaillement céréalier à l'échelle nationale, puisque les provinces dont la production céréalière est excédentaire ont la possibilité - effectivement exercée - de restreindre le volume de leurs transferts vers d'autres provinces tant qu'elles n'ont pas acquis la certitude d'avoir satisfait leurs propres besoins. C'est là une des raisons de l'instabilité des prix en 1994: l'irrégularité du mouvement des céréales entre régions excédentaires et régions déficitaires. De ce fait, le passage à un marché d'envergure nationale, qui semblait garanti par les réformes de 1993, a été différé, probablement de plusieurs années. En outre, si la Chine décide d'importer assez de céréales pour couvrir les besoins de ses grandes villes et de sa zone côtière, le marché national risque de mettre encore des décennies à voir le jour. Ces dernières années, les autorités chinoises ont acheté quelque 80 millions de tonnes de céréales sur le marché intérieur - et probablement moins en 1994 et en 1995 ; par conséquent, 40 millions de tonnes représentent un chiffre très considérable par rapport au volume de céréales commercialisé dans le pays. Même si 30 à 40 millions de tonnes d'importations céréalières représentent une hypothèse plausible pour les 10 années à venir et même au-delà - les importations de blé s'élèvent aujourd'hui à quelque 11 millions de tonnes par an -, un tel chiffre dépendra: des mesures que la Chine adoptera, pour stimuler la production céréalière intérieure, en matière de prix, de recherche, d'incitations à l'agrandissement des exploitations et de garantie d'un approvisionnement adéquat en engrais de bonne qualité; du taux de croissance de la demande de produits de l'élevage; et, de la capacité du pays à acquérir des devises étrangères. S'agissant de la politique des prix, le gouvernement a annoncé, en mars 1996, une augmentation de 20 pour cent du prix d'achat des céréales par l'Etat, afin d'encourager la progression de la production. Des informations récentes, provenant d'études effectuées sur place et de relevés par satellite, indiquent que la superficie sous céréales est loin d'avoir été entièrement déclarée: en d'autres termes, le potentiel productif est bien plus élevé qu'on ne l'avait pensé. Par ailleurs, les mêmes sources de données laissent peu de doutes sur le fait que les stocks ont été nettement sous-évalués. La question de la demande de produits d'élevage se pose dans des termes complètement différents. On constate, en effet, des disparités considérables dans les données officielles, provenant de diverses sources, concernant la production de viande et de volaille. Ainsi, les chiffres de la production de viande et de volaille indiquent une disponibilité par habitant de plus de 32,5 kg en 1993, alors que les enquêtes au niveau des ménages font état d'une consommation correspondant à la moitié environ de ce chiffre. Si la consommation par habitant était effectivement de 32,5 kg (pour passer, depuis, à près de 38 kg d'après les mêmes sources), la progression de la consommation devrait commencer à ralentir; cependant, jusqu'ici, aucune indication n'a été recueillie dans ce sens. Phénomène peut-être plus troublant, alors qu'il est fait état d'une augmentation substantielle, depuis 1985, de la production de viande et de volaille, d'après les enquêtes au niveau des ménages, les achats par habitant sur les marchés urbains sont passés seulement de 22 kg en 1985 à 24,5 kg en 1993, et la consommation rurale de 12 à 13,3 kg au cours de la même période. Dans le même temps, la production de viande et de volaille a presque doublé, passant de 19,3 à 38,4 millions de tonnes, tandis que la croissance démographique a été de 12 pour cent. Une autre série de données estime la consommation globale de viande de porc, de buf et de mouton, toujours par habitant, à 16,75 kg en 1985 et à 27,37 kg en 1993. Or, d'autres données encore , qui se réfèrent à la consommation par habitant de denrées sélectionnées, indiquent une consommation de viande et de volaille de 16,5 kg en 1985 et de 22,6 kg en 1992. Tous ces chiffres sont réunis dans l'Annuaire statistique chinois. La consommation de viande déterminera en grande partie la future demande céréalière. L'incertitude règne actuellement sur le volume de la viande produite et consommée, de même que sur la quantité de céréales utilisée pour produire la viande, le lait et les volailles. La plupart des projections publiées sur la demande et l'offre de céréales ne semblent pas tenir compte de l'ambiguïté des données relatives à la production et à la consommation des produits de l'élevage. La réaction du gouvernement à l'augmentation des importations sera aussi d'une importance cruciale1. La poursuite des investissements dans l'agriculture et dans la recherche agronomique, les politiques appropriées des prix et l'emploi accru de moyens de production importés, tels que les semences sont autant de moyens permettant d'augmenter la production intérieure. Cependant, puisqu'il est probable que les importations atteindront des volumes nettement supérieurs à ceux enregistrés à ce jour, il faudra également investir dans les infrastructures et les organismes de commercialisation pour faire face à l'expansion des échanges céréaliers. 1 S. Rozelle, J. Huang et M. Rosegrant. 1996. Why China will not starve the world. Choices, premier trimestre 1996. |
On observe, de la sorte, qu'il existe un accord général concernant l'évolution annuelle - en pourcentage - de la production et des utilisations totales à l'échelle planétaire, de même que pour l'ensemble des pays en développement et pour certains groupements régionaux de pays en développement. Les divergences d'opinion les plus marquées portent sur les ex-pays à économie planifiée, l'Afrique subsaharienne, le Proche-Orient et l'Afrique du Nord et la Chine (voir dans l'encadré 15, un point de vue différent concernant les perspectives commerciales de la Chine), de même que les utilisations totales (essentiellement la consommation) en Amérique latine et dans les Caraïbes. Les projections de la FAO et de l'IFPRI concernant les échanges nets agrégés de l'ensemble des pays développés et de l'ensemble des pays en développement sont très voisines et nettement inférieures à celles de la Banque mondiale, cette dernière prévoyant une croissance beaucoup plus rapide du commerce mondial des céréales, liée en grande partie aux progrès des importations de blé des pays d'Asie, dont les consommateurs tendent à délaisser le riz au profit d'autres céréales. Les projections de la FAO et de l'IFPRI concernant les échanges nets présentent davantage d'écart en ce qui concerne les groupements régionaux, et plus particulièrement l'Afrique subsaharienne, les ex-pays à économie planifiée et l'Amérique latine et les Caraïbes11.
Il va de soi que les résultats de telles projections dépendent étroitement de la validité des hypothèses concernant les facteurs exogènes, des fluctuations des différentes variables, de l'interaction entre ces dernières et de la précision des données de référence12. Cependant, les trois études parviennent à la conclusion que la croissance de l'offre mondiale suffira à satisfaire la demande à l'échelle mondiale; en outre, quelles que soient les faiblesses du modèle retenu, toutes trois signalent l'Afrique subsaharienne comme région suscitant des préoccupations particulières13. Selon les prévisions, le prix réel des céréales au niveau mondial devrait poursuivre son déclin sur le long terme (abstraction faite de la récente hausse)14, et le taux de croissance de la demande alimentaire en Afrique subsaharienne devrait, selon les prévisions, dépasser celui de l'offre; la capacité des pays à répondre à une telle demande devrait donc dépendre des moyens dont chacun d'entre eux disposera pour financer les importations non couvertes par l'aide alimentaire.
La conclusion à laquelle on est parvenu, à savoir que l'offre alimentaire mondiale peut progresser assez rapidement pour répondre aux besoins prévus, avec des prix constants, voire en déclin, ne doit nullement inciter à relâcher les efforts du côté de l'offre. En effet, si l'on veut que se poursuive la croissance de la production agricole, que ce soit grâce à l'expansion des surfaces cultivées - mise en culture de nouvelles terres arables, cultures multiples, ou encore réduction des périodes de jachère - ou à l'augmentation de la productivité, il importe de poursuivre les efforts d'amélioration des technologies agricoles et de leur adaptation constante; de plus, il faudra préserver, voire restaurer l'environnement afin de garantir la durabilité des augmentations de production. En d'autres termes, si l'on veut concrétiser les augmentations potentielles projetées à l'échelle mondiale comme à l'échelle des régions ou des pays, il faudra allouer en permanence des ressources suffisantes aux investissements dans le secteur agricole.
S'il n'y a pas lieu de relâcher les efforts en ce qui concerne l'offre, le laisser-aller serait encore moins justifié du côté de la demande. Les projections concernant cette dernière ne sont pas basées sur la satisfaction des besoins nutritionnels élémentaires, mais sur les prévisions de demande effective - c'est-à-dire le pouvoir d'achat. On estime que, d'ici l'an 2010, le nombre absolu de personnes souffrant de dénutrition chronique dans les pays en développement aura diminué - là encore, les estimations varient en fonction des hypothèses - pour représenter quelque 680 millions de personnes «seulement», soit 12 pour cent de la population de ces pays au lieu de 21 pour cent actuellement. Il est, certes, rassurant de s'entendre dire que le monde est en principe capable de produire suffisamment de nourriture pour répondre à la demande prévue; mais il est inquiétant d'apprendre qu'il existe probablement un nombre aussi élevé de personnes incapables d'exercer une demande effective suffisante, ne fût-ce que pour se procurer les aliments nécessaires à leur subsistance. L'expérience des pays qui ont accompli et réalisent encore des progrès notables, parfois en dépit d'une conjoncture économique internationale difficile, démontre que les gouvernements ont un rôle essentiel à jouer, dans la mesure où les politiques intérieures et celles touchant au commerce extérieur peuvent favoriser la sécurité alimentaire au niveau national, et que les politiques économiques en particulier ont, dans ce domaine, une importance considérable15.
LES GOUVERNEMENTS ET LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE
Il est difficile d'appliquer la notion de sécurité alimentaire au niveau mondial ou régional lorsqu'on sait que la notion de «région» se définit en termes géographiques plutôt qu'en termes politico-économiques. Et si l'on affirme que l'Afrique subsaharienne est une région où l'insécurité alimentaire a de fortes probabilités de s'aggraver, cela signifie, en réalité, qu'une proportion élevée des pays de cette région devraient voir leur situation alimentaire se détériorer. Inversement, certaines régions censées connaître une amélioration générale, ou du moins éviter toute détérioration, englobent des pays susceptibles de régresser de ce point de vue. Etant donné que le succès, en matière de sécurité alimentaire, dépend des mesures prises par ceux qui disposent à la fois du pouvoir et de la responsabilité d'agir, le niveau le plus élevé des entités disposant de bonnes chances de rendre opérationnel le concept de sécurité alimentaire est celui des gouvernements nationaux - la seule exception réaliste, et au demeurant partielle, pouvant être représentée par l'UE, compte tenu de son degré de cohésion politico-économique. Cela n'exclut pas la nécessité des interventions d'agents extérieurs, tels que les gouvernements donateurs, organisations internationales, ONG et les organismes multilatéraux et bilatéraux de financement, afin d'aider les gouvernements des pays en développement à s'acquitter de leurs responsabilités.
Depuis le début des années 80, les réformes amorcées dans bon nombre de pays ont privilégié l'économie de marché et une plus grande ouverture vers l'extérieur16. On s'est donc écarté du concept de développement - notamment agricole - impulsé par les pouvoirs publics. Au demeurant, cette période a donné lieu à une vive remise en question du rôle même du gouvernement, à savoir de la portée et des limites de son rôle dans une économie de marché. Dans ce contexte, il est indubitable que les pouvoirs publics ont un rôle vital à jouer si l'on souhaite voir apparaître une économie de marché fonctionnant efficacement, plutôt qu'une jungle où prévaudra la loi du plus fort, et si l'on souhaite assister à une croissance économique faite pour durer, capable de sous-tendre une sécurité alimentaire à long terme à l'échelle nationale et une croissance dont les bénéfices seront équitablement distribués.
Quel doit être, dans ces conditions, le rôle du gouvernement et quelles sont les fonctions que seul un gouvernement peut exercer? En un mot, les gouvernements doivent gouverner. Cela veut dire, selon la conception traditionnelle, garantir la sécurité des frontières et protéger la population contre les menaces extérieures aussi bien qu'intérieures et, par la même occasion, maintenir la paix sans laquelle la sécurité alimentaire se trouve menacée. Cela signifie également assurer la mise en place et le respect d'un appareil législatif et judiciaire qui définisse les droits et les devoirs des particuliers comme des personnes morales, réglemente leurs activités dans l'intérêt public et protège les droits ainsi reconnus. Pour que les activités du marché puissent contribuer à la sécurité alimentaire de tous, il importe de disposer d'un cadre législatif solide, stable et équitable afin de guider et d'encadrer les différents opérateurs du marché et de veiller, en faisant au besoin appliquer la loi, à ce qu'ils observent tous les règles du jeu. Or, seuls les gouvernements peuvent créer un contexte macroéconomique et commercial stable et propice à la réalisation de la sécurité alimentaire à l'échelle nationale. S'agissant des pays en transition, du fait de leur passage d'une économie centralisée à une économie de marché ou de la mise en uvre de politiques d'ajustement structurel, ou encore, plus simplement, sous l'effet de processus normaux liés au développement économique, le rôle des pouvoirs publics est particulièrement ardu. En effet, le gouvernement doit investir dans des infrastructures à des fins de progrès. Une telle orientation suppose que l'on adhère au postulat selon lequel les investissements destinés à mettre en valeur les ressources humaines, c'est-à-dire le capital humain que représentent les hommes et les femmes, ainsi que les mesures de lutte contre la pauvreté, loin d'affaiblir le potentiel de croissance d'un pays, contribuent à le renforcer et jouent donc un rôle essentiel dans la recherche de la sécurité alimentaire pour toutes les catégories qui composent la communauté nationale. Ces investissements comprennent, entre autres, la mise sur pied de services et d'infrastructures dans l'intérêt public, que le secteur privé ne saurait offrir dans des conditions satisfaisantes, tels que l'éducation, les soins de santé, les services publics et le réseau routier. En outre, les contraintes imposées par les ajustements ou par le développement peuvent, dans certains cas, pousser le gouvernement à offrir certains services à titre temporaire, le relais devant être pris par le secteur privé une fois ses capacités suffisamment développées par les réformes mises en uvre. Il convient cependant de planifier et de coordonner avec soin ce genre d'activités, qu'elles relèvent du gouvernement ou d'autres organismes, afin de ne pas étouffer les initiatives d'un secteur privé naissant.
Pour parvenir à une sécurité alimentaire durable, les gouvernements doivent donc développer simultanément leur action sur plusieurs fronts. Celui des échanges et de la macroéconomie, afin d'encourager une croissance économique générale et d'améliorer la compétitivité sur les marchés d'exportation - on veillera, ce faisant, à rectifier les distorsions héritées du passé et qui favorisent telle ou telle branche de l'économie au détriment des autres. Sur le front de l'agriculture, les politiques doivent viser à promouvoir la croissance dans des conditions de durabilité, de manière à accroître simultanément l'offre alimentaire intérieure et les exportations de produits vivriers pour lesquels le pays dispose d'un avantage concurrentiel. Tout en reconnaissant l'importance déterminante de la croissance économique pour combattre les causes sous-jacentes de l'insécurité alimentaire, il faut admettre que «même dans la meilleure des hypothèses, on ne saurait espérer une croissance suffisamment rapide pour éliminer, à brève échéance, l'insécurité alimentaire chronique que doivent subir certains groupes. En outre, cette même insécurité alimentaire chronique freine la croissance économique, car les personnes en déficit énergétique ne sont guère en mesure de profiter des possibilités d'amélioration de la productivité et de la production»17. A cela s'ajoutent les inégalités criantes de distribution des revenus, qui risquent d'empêcher les personnes à court de ressources de participer au processus de croissance; il faut d'ailleurs noter que certaines réformes risquent d'avoir des conséquences négatives très marquées pour les groupes vulnérables de la société. A court et à moyen terme, il faudra peut-être envisager des mesures spéciales pour remédier aux cas spécifiques d'insécurité alimentaire et pour assurer le financement d'importations de denrées essentielles. La nécessité de telles mesures se présentera encore dans le long terme, mais sans doute sous une forme différente.
Il importe de souligner à nouveau que le succès des politiques dans le domaine agricole et alimentaire ne saurait suffire à atteindre l'objectif de la sécurité alimentaire à l'échelle nationale. Il faut entreprendre, par tous les moyens, d'éliminer la pauvreté absolue, qui est à la racine même de l'insécurité alimentaire, afin d'arracher les personnes concernées au cycle de la pauvreté et de la malnutrition dans lequel elles sont engluées, génération après génération. Cependant, il n'y a pas lieu de subordonner la sécurité alimentaire à l'éradication préalable de la pauvreté. En effet, les organismes internationaux, les gouvernements donateurs, les sommets mondiaux et tous ceux qui uvrent pour le développement l'ont dit et répété: les ressources et les moyens voulus pour éliminer l'insécurité alimentaire existent; il ne manque «que» la volonté politique. En d'autres termes, si les gouvernements acceptaient de réaménager leurs priorités en conséquence, le problème serait en voie de solution - même si l'on veillait soigneusement à éluder tout débat sur les échéanciers d'application. Lorsqu'on décrit les bons résultats obtenus par tel ou tel pays, on tend à privilégier la description des politiques appliquées, sans trop insister sur la conjoncture sociopolitique qui a rendu possibles de telles mesures. Il est rare, toutefois, que l'on s'interroge sur les raisons d'un tel manque de volonté politique:
L'expression «volonté politique» est un condensé journalistique qui évoque tout à la fois la nécessité de surmonter les conflits d'intérêts, les illères idéologiques et les contraintes structurelles qui, en général, se liguent pour empêcher les gouvernements d'accomplir ce qui est à l'évidence nécessaire et techniquement réalisable pour résoudre un problème grave. Si l'expression convient au journalisme, elle ne rend guère justice aux sciences sociales. Il reste donc aux experts en sciences sociales à expliquer le pourquoi du manque de volonté politique et les moyens éventuels pour la susciter18.
A ce propos, les conclusions des recherches effectuées sur les systèmes alimentaires par l'Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social (UNRISD) se distinguent par leur originalité: en effet, elles soulèvent de façon explicite le problème du manque de volonté politique. Ecartant les obstacles strictement techniques, elles mettent en doute les possibilités politiques d'améliorer rapidement l'accès des populations très pauvres à la nourriture. Ces observations s'appliquent aussi bien aux pays riches et industrialisés, qui présentent toute une gradation en matière d'indigence sociale et économique, que les pays se situant à d'autres étapes du développement. Il est vrai qu'en dernier ressort, les gouvernements sont redevables à certains groupes du soutien qu'ils leur apportent; de là, une dépendance qui réduit d'autant leur marge de manuvre.
Si, comme le pense l'équipe de l'UNRISD, le problème est véritablement systémique, il faudra, pour en venir à bout, une transformation radicale au niveau politique comme au niveau social, avec comme corollaire des rapports de pouvoir nouveaux entre les particuliers, les classes sociales, les groupes et les pays. De telles transformations sociales ne se font pas sans heurts. Ce n'est pas en persuadant les gouvernants que la faim et la pauvreté sont des problèmes sociaux graves mais solubles, que l'on suscite pour autant la volonté politique - même si cela peut être utile dans certains cas.... Dans la lutte contre la faim, les considérations politiques ont leur importance.... Comment s'y prendre pour exercer des pressions politiques suffisamment puissantes pour contraindre les gouvernements à adopter des stratégies efficaces entraînant une diminution rapide de la pauvreté et de la faim? On ne peut répondre à une telle question qu'au cas par cas. Cependant, lorsque se sont présentées des forces sociales capables d'engendrer de telles politiques, on a pu voir à l'uvre au moins trois processus sociaux de grande ampleur et étroitement imbriqués19.
Ces trois processus sociaux, porteurs de modernisation, sont: l'incidence sociale de la croissance économique et de l'évolution technique; la disponibilité accrue et la diffusion rapide de l'information, qui alimentent les transformations sociales en modifiant les perceptions et les idéologies; enfin, la participation populaire, c'est-à-dire la mobilisation et l'organisation, au sens vrai, de ceux qui, jusque-là, étaient exclus par manque de ressources ou d'influence sur les instances gouvernementales. Les interactions des systèmes et des processus politiques, sociaux, économiques et écologiques, en tant que paramètres de l'accès à la nourriture - à l'échelon local, mais aussi à l'échelle nationale ou internationale - sont extrêmement complexes, et il n'existe pas de solution simple. On l'a d'ailleurs fréquemment observé, il est rare que l'on trouve une solution simple, d'ordre technique, à un problème complexe. Pour prendre un exemple simple, imaginons qu'il soit possible d'augmenter le rendement des récoltes en intensifiant les applications d'engrais. Or, l'application effective des engrais dépendra elle-même d'un grand nombre de facteurs, tels que: le gouvernement considère-t-il les importations d'engrais comme suffisamment importantes pour débourser, à cette fin, un flux continu de devises? Le réseau de distribution sera-t-il capable de livrer les engrais en temps et lieu? Les prix à la ferme de la production ainsi obtenue justifient-ils l'emploi d'engrais? Les agriculteurs disposeront-ils, de toute façon, des ressources nécessaires aux achats? Et certains agriculteurs subissent-ils des restrictions d'accès aux engrais pour des raisons politiques ou pour d'autres raisons non liées à l'économie?20 Il est important de noter qu'il ne s'agit pas ici de la détermination politique à faire intervenir l'Etat ou à instaurer des subventions pour encourager une utilisation d'engrais contraire aux lois de l'économie, mais bien de la volonté politique d'éliminer des distortions ou des privilèges existants.
L'insécurité alimentaire soulève un grand nombre de questions techniques - touchant à un large éventail de disciplines professionnelles - qui exigent des réponses d'ordre technique. Ainsi: faut-il employer les engrais? Certainement si un certain nombre de conditions agroécologiques sont réunies, dans le but d'augmenter les rendements. Cependant, étant donné que les problèmes fondamentaux entraînant l'insécurité alimentaire ne sont pas d'ordre purement technique, les solutions ne sont pas non plus exclusivement techniques. Dans ces conditions, va-t-on appliquer les engrais? Seulement si le contexte politique, social et économique y conduit. Dans la suite de ce chapitre, sont examinées certaines des questions économiques liées à la sécurité alimentaire, ainsi que leurs implications par les gouvernements concernés.
LA FIABILITÉ, COMPOSANTE DE LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE: FLUCTUATIONS À COURT TERME
ET TENDANCES À LONG TERME
Il est un précepte reconnu en matière juridique, selon lequel la jurisprudence des affaires difficiles débouche sur une législation inefficace: on pourrait dire, tout aussi justement, que les crises affectant le court terme sont à l'origine de politiques erronées. Tout au long de ce chapitre, on verra se dessiner en filigrane la crise mondiale des céréales. Cette crise qui, par sa nature, affecte le court terme, n'en a pas moins de graves répercussions à plus long terme sur nombre de pays à faible revenu et à déficit vivrier (PFRDV). C'est pourquoi, tout en cherchant à répondre à une situation d'urgence, il est important de ne pas perdre de vue les horizons plus éloignés.
Le volet de la sécurité alimentaire touchant à la fiabilité concerne tant la disponibilité que l'accès; en outre, on confond souvent fiabilité et stabilité - et la question de savoir de quelle stabilité il s'agit, et à qui elle profite, n'est que rarement abordée de façon explicite. Ainsi, les aléas climatiques et autres phénomènes naturels affectent la stabilité des approvisionnements; les variations abruptes de la demande se répercutent sur la stabilité des prix; enfin, l'interaction des politiques macroéconomiques et sectorielles, ou celles des différents pays, peuvent affecter et l'une et l'autre.
Comme à court terme, l'élasticité-prix de la demande globale de céréales est assez limitée, les fluctuations liées à l'offre ont une incidence disproportionnée sur les prix. Les perturbations d'origine météorologique sont l'une des causes majeures de l'instabilité des approvisionnements: on en a eu une illustration en 1973, avec une chute de la production céréalière de 3,5 pour cent au-dessous de la tendance; en 1995, la production est à nouveau tombée à 3 pour cent au-dessous de la tendance, et les effets en sont encore perceptibles aujourd'hui. Le déficit de 3,5 pour cent enregistré en 1973 était imputable aux mauvaises conditions météorologiques en Amérique du Nord, en Europe septentrionale et dans une bonne partie de l'ex-URSS, de même qu'à la mousson insuffisante en Asie du Sud. Ce facteur, associé au fait que, vers la fin des années 60, le Gouvernement américain avait décidé de ne plus constituer de stocks importants, devait coïncider avec un certain nombre d'autres facteurs, tels que le premier choc pétrolier et ses conséquences, l'augmentation des prix de bon nombre d'intrants agricoles, ou encore le changement de politique de l'Union soviétique, qui avait décidé d'importer des céréales pour combler le déficit de la production locale plutôt que d'abattre du bétail; ce faisceau d'éléments devait entraîner une augmentation aussi marquée que rapide des prix des céréales sur les marchés internationaux (figure 14).
Un phénomène analogue, toujours d'origine météorologique, s'est produit à nouveau en 1995, entraînant une chute de la production mondiale de 3 pour cent au-dessous de la tendance. Au cours de la même année, les prix mondiaux des céréales ont connu une forte augmentation, laquelle risque de se poursuivre en raison de la faiblesse inhabituelle des stocks résultant des décisions gouvernementales - et des conditions difficiles que connaissent plusieurs régions productrices. De janvier à juin 1996, le prix du blé américain à l'exportation a augmenté d'environ 30 pour cent par rapport à l'année précédente, ce qui se traduit souvent, au demeurant, par une augmentation réelle d'au moins 50 pour cent, par suite de la réduction ou de l'élimination de la subvention du prix d'exportation. Ainsi, le prix à l'exportation du maïs américain, la principale céréale secondaire, a augmenté de 46 pour cent pendant la même période, se répercutant directement sur la facture des importateurs. Le prix du riz a également enregistré une augmentation marquée, en dépit de la constitution de stocks importants en Inde et en Chine. En réalité, les coûts subis par de nombreux pays importateurs ont augmenté encore davantage puisque les principaux exportateurs ont, dans une grande mesure, suspendu les subventions de prix à l'exportation. L'offre à l'exportation reste limitée, et les stocks mondiaux de céréales sont tombés à leur niveau le plus bas depuis le début des années 70, avec un rapport stocks-utilisation des céréales atteignant à peine 14 pour cent.
L'analyse des informations recueillies sur les marchés indique qu'il faudra, pour que la situation se détende, que l'on ait une indication précise du volume de production pour l'année 1996. Or, les perspectives de graves sécheresses et d'autres signes précurseurs d'un important déficit de production risquent de faire augmenter les prix et d'en aggraver l'instabilité. Si les campagnes se déroulent normalement, le marché du blé devrait se détendre de façon très perceptible une fois rentrée la récolte de l'hémisphère Nord, c'est-à-dire vers octobre-novembre, et une fois confirmée l'abondance de la récolte au Canada. Quant au marché des céréales secondaires, il est encore plus exposé à l'instabilité en raison de la dépendance marquée à l'égard d'une seule région géographique: la «Cornbelt» des Etats-Unis.
On voit donc que le marché des céréales est voué aux fluctuations à court terme - augmentations brutales et réductions plus progressives des prix, dans un contexte de déclin à long terme des prix réels des céréales à l'échelle mondiale. Il va de soi que la baisse des prix préoccupe moins les pays importateurs et davantage les pays exportateurs, dont les politiques visent plus à atténuer les effets de la baisse que ceux de la hausse. Bien que le déclin général donne des signes de ralentissement, rien ne démontre qu'il ait atteint son niveau minimal. En outre, même la quotation maximale atteinte en 1995-1996 reflétait un prix réel inférieur au prix le plus bas enregistré depuis 1985, et n'a jamais dépassé environ 45 pour cent du prix réel de 1974 (figure 14). Quant aux marchés des principales denrées tropicales d'exportation, ils sont plus vulnérables encore aux variations de prix, ces derniers accusant un déclin encore plus marqué à long terme.
Les répercussions, au niveau des prix, de la baisse des disponibilités survenue en 1973 et en 1995 par suite des mauvaises conditions météorologiques, se sont prolongées au-delà de ce qu'elles auraient été dans un contexte de marché ouvert et de libre échange. En effet, tant les pays exportateurs que les pays importateurs ayant adopté des politiques visant à isoler le marché intérieur du marché international, les signaux de prix émis par ce dernier ne parviennent pas aux producteurs et consommateurs des marchés intérieurs, qui ne procèdent donc pas aux ajustements nécessaires. Ces pays contribuent ainsi à perpétuer l'instabilité du marché international, avec comme double conséquence que les ajustements se produisent dans les pays relativement ouverts aux échanges agricoles, mais que ces ajustements sont accentués du fait qu'il n'y a pas un partage équitable du fardeau entre tous les pays concernés.
Quelques exemples spécifiques permettent d'illustrer les effets des politiques sur la stabilité du marché international. L'UE a, depuis longtemps, mis en place un régime de soutien aux producteurs de blé qui garantit la stabilité du prix qu'ils obtiennent, c'est-à-dire généralement bien au-dessus du cours international, grâce à un système de droits modulables qui maintiennent à un niveau constant le prix de seuil, celui que versent les importateurs de blé dans l'UE. Ce prélèvement ou ce droit de niveau variable est fonction de la différence entre le prix de seuil et le prix du marché international. Afin de favoriser l'écoulement de la production excédentaire de blé vers les marchés d'exportation, on verse aux exportateurs une restitution à l'exportation basée sur la différence entre le prix de soutien intérieur et le prix du marché international.
Lorsque se sont produits les déficits de production de 1973 et de 1995, le prix international du blé a dépassé le prix de seuil ou prix d'intervention, et l'UE est passée du système de prélèvement variable et de restitution à l'exportation à une taxe à l'exportation destinée à maintenir le niveau du prix de seuil. De la sorte, tout comme on évitait aux producteurs de l'UE de devoir s'adapter par une réduction de leur production aux prix internationaux, généralement plus bas et fluctuants, on les décourageait parallèlement, au moyen de la taxe à l'exportation, de chercher à profiter d'un prix international plus élevé en augmentant leur production. Par ailleurs, du fait de la stabilisation des prix, les consommateurs étaient dissuadés d'adapter leurs choix en fonction de l'évolution des marchés mondiaux. Sous l'effet de ces mécanismes, l'UE, l'une des principales régions productrices de blé, n'a donc pas rectifié sa production à la baisse pour répondre au déclin des prix internationaux et s'est mise à exporter ses excédents, accentuant encore la baisse des prix. Mais elle n'a pas non plus augmenté sa production en réponse à l'augmentation des prix internationaux, restreignant ses exportations et alimentant, de ce fait, la hausse des prix internationaux. Dans le premier cas, les producteurs des pays exportateurs qui s'étaient adaptés ont fait les frais de l'opération, tandis que les consommateurs ou les gouvernements des pays importateurs en profitaient; dans le deuxième cas, les producteurs des pays exportateurs qui s'étaient adaptés ont été les bénéficiaires, tandis que les consommateurs ou les gouvernements des pays importateurs se sont retrouvés perdants. Les réformes de la PAC adoptées au début des années 90 - dont une disposition de mise en réserve des terres -, ont amorti de tels effets mais sans les éliminer complètement. L'Afrique du Sud a adopté elle aussi, vers le milieu de l'année 1995, des mesures destinées à stabiliser les prix intérieurs en mettant fin aux contrats d'exportation de céréales. Quant aux Etats-Unis, ils ont commencé par un découplage partiel puis intégral des paiements compensatoires; cependant le programme de stimulation des exportations [Exports Enhancement Programme (EEP)] a été maintenu tout au long de cette période, même s'il a été suspendu lorsque les prix ont connu une forte hausse en 1996. En outre, tant les Etats-Unis que l'UE ont encore atténué le potentiel de réaction des producteurs aux fluctuations de prix en appliquant des programmes de mise en réserve des terres.
Si, dans le paragraphe précédent, il est fait état des consommateurs ou des gouvernements c'est qu'un certain nombre de pays importateurs de blé cherchent également à protéger leurs consommateurs des fluctuations - et notamment des augmentations - des prix internationaux. Ces pays, quelque fois par l'intermédiaire d'un office para-étatique de commercialisation, achètent le blé sur le marché international et le vendent sur le marché intérieur à un prix plus élevé (au moyen d'une taxe) lorsque le cours mondial est bas ou à un prix plus bas (au moyen d'une subvention) si le cours mondial est élevé. De la sorte, les consommateurs de ces pays importateurs ne sont pas obligés de s'adapter aux conditions du marché international et présentent donc une demande trop forte ou trop faible contraignant le marché international à s'adapter. Cependant, ces mécanismes alourdissent la tâche d'ajustement des pays qui prennent ces opérations en charge.
Comme le fait observer très justement Johnson:
«Une bonne part des fluctuations de prix sur le marché international sont imputables aux politiques adoptées par de nombreux gouvernements. En bref, lorsque les gouvernements entreprennent de stabiliser les prix appliqués à leurs consommateurs ou à leurs producteurs, ils accentuent la variabilité des prix internationaux, sauf lorsqu'ils assurent la stabilité des prix intérieurs en constituant des stocks suffisamment importants pour obtenir une courbe d'élasticité parfaite de l'offre du produit alimentaire concerné. Cependant, à l'exception du Canada, de l'Inde et des Etats-Unis, aucun pays n'a constitué de réserves d'une telle ampleur; par conséquent, la quasi-totalité des régimes nationaux de stabilisation des prix s'appuient sur une modulation des importations et des exportations destinée à équilibrer l'offre et la demande intérieure selon un cours pré-établi et stabilisé. De la sorte, tous les effets que pourraient avoir, en matière de prix, les variations de l'offre et de la demande intérieure sont répercutés sur le marché mondial»21.
On observe toutefois une évolution du contexte dans lequel se déroulent les échanges à l'échelle mondiale; il faudra d'ailleurs, si l'on veut préserver la sécurité alimentaire de la planète comme des pays, innover par rapport aux stratégies du passé. Il est tout aussi indéniable, toujours dans l'optique de la sécurité alimentaire, qu'il convient de trouver des réponses différentes aux fluctuations à court terme et aux tendances à long terme.
Il existe une inquiétude diffuse à l'égard du risque de perturbation des marchés mondiaux des céréales, sous la forme d'une flamblée des prix que pourrait causer une augmentation massive de la demande en provenance de grands pays importateurs comme la Chine et l'Inde, dont les dimensions, ainsi que la diversité du point de vue géographique et agricole, permettent d'amortir quelque peu les baisses de disponibilités intérieures causées par les mauvaises conditions météorologiques, tout en leur donnant un fort potentiel d'exportation durant les bonnes années. On trouvera, dans les encadrés 15 p. 276, 16 p. 288 et 17 p. 290, une synthèse de la situation et des politiques de ces deux pays, ainsi qu'un aperçu de l'évolution des politiques du principal exportateur de céréales, les Etats-Unis.
Au cours des quatre dernières décennies, les Etats-Unis ont été le principal détenteur de céréales (d'une saison à l'autre); l'UE entretient, pour sa part, des réserves importantes de céréales depuis qu'elle est devenue, vers la fin des années 70, exportatrice nette de céréales; le Canada a également maintenu des stocks, quoique moins importants à certaines périodes; quant à l'Australie et à l'Argentine, ni l'une ni l'autre n'ont les moyens d'entreposage nécessaires. Jusqu'à une époque très récente, les réserves alimentaires de l'Inde étaient strictement réservées à l'usage interne du pays. La constitution de stocks par les Etats-Unis et par l'UE était la conséquence de politiques agricoles qui maintenaient les prix intérieurs au-dessus des niveaux d'écoulement du marché; de ce fait, les gouvernements devaient acheter et entreposer les céréales jusqu'au moment où, le prix du marché atteignant un certain niveau, ils pouvaient les commercialiser. Par ailleurs, les différents programmes de mise en réserve de terres, y compris à des fins de conservation, représentaient un stock virtuel de céréales, mais sous forme de terres non cultivées plutôt que de réserves véritables de céréales. A mesure que se poursuivra la libéralisation des marchés et des échanges, ces stocks imposés par les pouvoirs publics sont voués à être réduits de façon draconienne, voire éliminés. On ne pourra donc plus compter sur ces réserves pour atténuer les répercussions, sur les cours mondiaux, d'un déficit de production.
Cette situation soulève deux problèmes distincts quoique connexes. Le premier concerne la prévision des comportements que pourrait adopter le marché mondial des céréales dans un contexte de libéralisation accrue des échanges et des marchés. La FAO, parallèlement à d'autres organismes, a entrepris d'analyser cette question; toutefois, on ne dispose encore malheureusement que des résultats des travaux préliminaires. On peut néanmoins, à partir de la théorie économique et d'une connaissance pratique des marchés, proposer des estimations valables, d'ordre qualitatif. Dans l'hypothèse d'une réduction de la production mondiale et en l'absence des stocks tampons établis par les pouvoirs publics, il est probable que l'augmentation des cours mondiaux consécutive au déficit de production sera plus marquée; cependant, dans un contexte d'économie plus ouverte et de marchés fonctionnant plus librement, la transmission des prix mondiaux sera meilleure, atteignant davantage de producteurs et de consommateurs dans un plus grand nombre de pays, de sorte que l'ajustement de l'offre et de la demande s'accomplira de façon plus rapide et sur une plus vaste échelle en fonction des variations de prix; on verra les exploitants augmenter leur production et les consommateurs réorienter leur choix en faveur de produits alimentaires plus accessibles. On peut donc prévoir que, dans l'avenir, les cours mondiaux connaîtront des hausses plus soudaines mais de moindre durée. On peut se demander dans quelle mesure le secteur privé assurera le relais des gouvernements dans la fonction de constitution de stocks. Il est probable qu'il le fera sur une échelle plus modeste, car il n'est guère rentable de conserver des stocks trop importants. Cependant, les réserves répondant aux critères de rentabilité que le secteur aura constituées auront pour effet d'amortir l'impact des fluctuations de prix et d'en modérer l'amplitude.
L'analyse a été principalement consacrée aux hausses de prix. L'examen de la figure 14 p. 284 montre que les mouvements à la baisse ont été beaucoup moins brusques et moins marqués; ce phénomène s'explique par les politiques de certains grands producteurs de céréales, qui visent à protéger leurs agriculteurs des chutes brutales de prix. Dans la mesure où la libéralisation et les nouvelles orientations tendent à éliminer ou, en tout cas, à réduire les effets de telles politiques, les marchés internationaux connaîtront probablement des variations à la baisse plus marquées que dans le passé. Ainsi, en période de récolte abondante, les prix devraient chuter de façon plus nette, permettant aux pays importateurs d'acheter dans de bonnes conditions, et incitant peut-être le secteur privé à profiter des conditions pour constituer des réserves.
Le deuxième problème tient au fait qu'un certain nombre de pays jugeront peut-être nécessaire de maintenir un certain niveau de réserve alimentaire de sécurité, quels que soient les stocks d'exploitation détenus par les importateurs et les négociants du secteur privé - ne pas prendre une telle précaution signifierait s'exposer aux conséquences de l'instabilité du marché. Pour ce faire, ils ont deux solutions possibles: constituer des stocks de denrées ou mettre de côté une réserve de devises étrangères spécifiquement destinée à la sécurité alimentaire. Cette deuxième option a comme avantage principal d'épargner aux pays concernés les coûts non négligeables associés à la conservation et à la gestion de réserves de céréales, outre le fait que le compte en devises étrangères leur rapportera des intérêts; cependant, l'injection de ces réserves de devises sur les marchés en périodes de pénurie mondiale ne peut qu'alimenter la flambée des prix. Il s'agit donc de faire un bilan comptabilisant, d'une part, le coût supplémentaire des achats réalisés en périodes de prix élevés (dont on aura déduit les gains sous forme d'intérêts produits par le compte en devises étrangères) et, d'autre part, les frais occasionnés par la détention de stocks alimentaires en prévision des besoins.
La constitution d'un fonds libellé en devises étrangères pour assurer la sécurité alimentaire a des conséquences tant budgétaires que monétaires, telles que la nécessité de réaliser des recettes fiscales ou d'emprunter pour constituer le fonds, la création d'un poste positif de la balance des paiements et la production d'intérêts jusqu'au moment où le fonds est utilisé; quant à la constitution de réserves sous forme de denrées, ses conséquences sont principalement d'ordre budgétaire lorsque les achats se font sur place, mais également monétaires en cas d'acquisition sur les marchés extérieurs. Il faut, en premier lieu, décider si la réserve sera constituée au moyen de fonds empruntés ou de recettes fiscales. Se pose ensuite la question des coûts associés à cette réserve, tels que l'administration, le transport, l'entreposage, la manutention et le roulement des stocks, qu'il faudra financer à partir des mêmes sources. Enfin, lorsqu'on tire sur la réserve alimentaire de sécurité, conformément aux règles d'utilisation pré-existantes, il faut ajouter les coûts de distribution et de reconstitution. En théorie, les stocks doivent être reconstitués lorsque les prix sont bas, et ponctionnés en période de prix élevés. Encore faut-il, comme on l'a observé, que les réformes susceptibles de donner lieu à des réductions substantielles des prix pénètrent suffisamment les ramifications du marché international. Par ailleurs, le budget alloué par un gouvernement à la constitution, à l'exploitation et à la gestion de la réserve de denrées alimentaires présente un coût d'opportunité qui dépasse le coût monétaire, qu'il soit supporté par les pouvoirs publics ou par le secteur privé. Ce coût d'opportunité sera d'une ampleur variable, en fonction des options retenues pour l'emploi des fonds. Or, compte tenu de la pénurie que connaissent les pays en développement, tant du point de vue des fonds destinés aux investissements que des crédits budgétaires périodiques, il est probable que, calculé de façon rigoureuse, ce coût d'opportunité se révélera extrêmement élevé.
ENCADRÉ 16 L'Inde a fait de la sécurité alimentaire l'une de ses préoccupations prioritaires. Le pays, qui dans les années 70 était un importateur net de vivres, a presque atteint l'autosuffisance en céréales au début des années 80, pour la dépasser dans les années 90 et peut même, actuellement, compter sur un niveau élevé de stocks régulateurs. La Food Corporation of India (FCI), instituée en 1965, est l'organisme principal chargé de l'achat, de l'entreposage et du transport des céréales réparties par le système public de distribution, ainsi que de la conservation des stocks régulateurs. Les prix d'achat et de vente des céréales vivrières sont fixés par le gouvernement; le prix de vente ne couvre pas en totalité le coût économique, et la différence constitue une subvention accordée par les pouvoirs publics aux consommateurs. Le gouvernement subventionne également les dépenses de fonctionnement des stocks régulateurs, soit environ 30 pour cent de leur valeur. Ces dernières années, la production céréalière a considérablement augmenté, passant de quelque 180 millions de tonnes en 1992/93 à près de 192 millions de tonnes en 1994/95. En mars 1995, les stocks avaient atteint 28,7 millions de tonnes, mais les problèmes de transport et d'entreposage ont ralenti les achats, en dépit de la production accrue. Néanmoins, la plus grande partie du blé mis sur le marché en 1995 a été achetée par la FCI et par d'autres offices publics, dans le cadre d'opérations de soutien des prix, les négociants privés traitant seulement des quantités modestes de céréales de très haute qualité à des prix bien supérieurs au prix subventionné. A la fin de la récolte de la campagne d'été, les stocks avaient atteint entre 36 et 37 millions de tonnes, pour ensuite descendre, en novembre 1995, à 29 millions de tonnes. Malgré le coût croissant d'entretien de stocks toujours plus élevés, il a fallu, en raison des contraintes budgétaires, différer la réduction prévue des prix du blé et du riz pratiqués par les points de vente au détail de l'Etat, dont l'objet était de compenser les hausses des années précédentes. Les restrictions aux exportations ont été assouplies, pour permettre que soient exportées 2,5 millions de tonnes de riz et 2 millions de tonnes de blé par an; par ailleurs, le Ministère de l'agriculture a fait pression pour que l'on supprime les plafonds fixés, de manière à pouvoir se baser davantage sur les exportations et sur les importations pour gérer l'approvisionnement en céréales vivrières. L'obstacle majeur à l'augmentation des exportations est l'insuffisance des infrastructures d'entreposage et de transport et des installations portuaires. Toutefois, la suppression du monopole du secteur public sur des éléments d'infrastructure essentiels, y compris les ports, encourage le secteur privé à investir, et le réaménagement des ports devrait être achevé en 1997. Si cet objectif est atteint, certains experts pensent que, d'ici l'an 2002, l'Inde pourrait exporter 3 millions de tonnes de blé et 4 millions de tonnes de riz (les stocks de riz s'élèvent actuellement à 16 millions de tonnes). Cela ferait d'elle un intervenant de poids sur le marché mondial du riz, marché relativement restreint et où ses prix sont compétitifs. En revanche, sur le marché du blé, les prix indiens sont moins concurrentiels. Les divers partis politiques semblent unanimes dans leur détermination à poursuivre le processus de libéralisation économique tout en soutenant le développement agricole et en faisant de la sécurité alimentaire une question prioritaire. Il est donc probable qu'à l'avenir, l'Inde s'engagera davantage sur les marchés céréaliers internationaux et qu'elle décidera, à un moment donné, de réduire ses stocks régulateurs, très importants et coûteux, pour s'en remettre dans une plus large mesure aux importations. Dans cette hypothèse, une fois modernisées et étendues ses installations portuaires, l'Inde pourrait encore accroître son rôle sur les marchés mondiaux. |
La constitution de réserves destinées à la sécurité alimentaire - sous forme de denrées ou de réserves financières, à l'échelle nationale ou sous forme multilatérale grâce aux différents mécanismes de financement offerts - représente une équation économique extrêmement complexe. Lorsqu'on y incorpore les facteurs non économiques, de même que les conditions propres à chaque pays - économiques et non économiques - il devient évident que chaque pays doit se poser le problème dans sa propre perspective, et reconsidérer la question chaque fois que les variables importantes évoluent. Avant de fixer leur politique en matière de réserve alimentaire de sécurité, les gouvernements doivent faire le point de l'activité du secteur privé en matière d'échanges et de stockage de céréales, et délimiter les rôles respectifs du secteur public et du secteur privé.
Aucun pays d'importance modeste ne peut prétendre influencer le marché mondial. Il faut donc chercher à déterminer quelles dispositions, outre celles touchant les politiques économiques liées aux échanges commerciaux qui sont traitées dans la section suivante, peuvent adopter les gouvernements des pays à faible revenu et importateurs de denrées alimentaires, pour s'assurer un accès fiable à la nourriture, face aux fluctuations à court terme, mais aussi à plus long terme. A titre d'exemple, l'IFPRI préconise quatre ensembles de mesures:
De nombreux pays en développement ont constaté que les stratégies visant à maintenir les céréales à un prix accessible pour les consommateurs, telles que le maintien d'importants stocks publics de céréales ou la fixation de prix plafonds, reviennent beaucoup trop cher. Ils peuvent toutefois prendre les dispositions suivantes:
Le premier point, à savoir les réserves de denrées alimentaires a été traité dans cette section. Le dernier point fera l'objet de la section suivante, qui a pour cadre les politiques économiques liées aux échanges commerciaux. Quant aux deuxième et troisième volets, une section distincte sera consacrée à chacun d'entre eux: en effet, les organismes internationaux et les experts en développement tendent de plus en plus à insister sur le rôle joué par le soutien de la balance des paiements et le recours aux marchés à terme comme instruments essentiels de la sécurité alimentaire des pays en développement; or, l'analyse suivante porte à conclure que, s'agissant des pays les plus pauvres devant importer des denrées alimentaires, ces deux méthodes n'ont qu'une portée très limitée. En revanche, la question du fardeau de la dette extérieure touche d'infiniment plus près plus de 30 pays à faible revenu. Même s'il s'agit principalement d'une préoccupation à long terme, elle a indéniablement des répercussions sur la capacité de faire face aux fluctuations à court terme des prix des denrées alimentaires: c'est pourquoi une section est consacrée dans ce Chapitre spécial à l'analyse des répercussions de niveaux élevés d'endettement sur la sécurité alimentaire.
LES POLITIQUES ÉCONOMIQUES TOUCHANT AUX ÉCHANGES EXTÉRIEURS
Les politiques économiques adoptées par un pays en matière de commerce extérieur ont un effet indirect sur la sécurité alimentaire, du fait qu'elles influencent la croissance de l'ensemble de l'économie et de certains secteurs en particulier. Elles ont également une incidence plus directe sur la sécurité alimentaire et sur la nutrition car elles influent sur des facteurs tels que les revenus des ménages ruraux et urbains, la capacité d'importation de denrées alimentaires pour faire face aux pénuries à l'échelle nationale et pour répondre à la demande d'articles non produits sur place, de même que les recettes en devises étrangères permettant de financer la part, variable, des importations alimentaires par rapport à l'ensemble des importations:
L'essor du commerce agricole a aidé à mettre à la disposition de populations toujours plus nombreuses une alimentation plus abondante, de meilleure qualité, plus variée et moins coûteuse. Ce commerce est aussi directement et indirectement une source de bien-être et de revenus pour des millions de personnes. De nombreux pays en tirent l'essentiel des devises dont ils ont besoin pour financer leurs importations et leur développement. Tandis que pour d'autres, la sécurité alimentaire dépend en grande partie de la capacité de financer les importations de vivres.... Les politiques de commerce agricole ont longtemps été influencées par l'idée très répandue qu'en raison de son importance et de sa vulnérabilité, le secteur agricole ne saurait être exposé de plein fouet aux rigueurs de la concurrence internationale sans que cela ait des conséquences politiques, sociales et économiques inacceptables. Cette idée est à l'origine de la forte protection dont bénéficie un peu partout ce secteur23.
On a soutenu que l'instabilité des marchés des denrées, qui résulte apparemment des protections accordées à l'agriculture, a contribué à renforcer encore ces protections. Que cette observation soit fondée ou non, nombreux sont les pays en développement qui ont appliqué des politiques économiques contraires à la production de vivres destinés aux échanges, et notamment aux exportations, et contraires à la production agricole en général. Ainsi, le secteur agricole a été fortement imposé dans de nombreux pays, comme l'illustre une étude de grande envergure de la Banque mondiale, portant sur 18 pays pendant une période de 25 ans: «L'imposition indirecte de l'agriculture découlant de la protection de l'industrie et des politiques macroéconomiques était d'environ 22 pour cent en moyenne....soit près de trois fois l'imposition directe découlant des politiques des prix agricoles (environ 8 pour cent). Le total de l'imposition, directe et indirecte, était donc de 30 pour cent»24. Il en est résulté un transfert de revenu global au détriment de l'agriculture représentant, en moyenne, 46 pour cent du PIB agricole, dans une fourchette allant de 2 pour cent pour les pays qui protégeaient leur agriculture à 140 pour cent pour ceux où l'imposition était la plus lourde. Dans ces pays, les investissements au titre de la production alimentaire ont ainsi été inférieurs au seuil optimal, et la croissance du secteur agricole a été entravée, de même que celle de l'économie dans son ensemble. Les réformes des politiques économiques liées aux échanges extérieurs et les programmes d'ajustement structurel en cours devraient corriger ce vieux préjugé anti-agricole, afin que les réformes puissent être appliquées avec détermination et homogénéité. «En Afrique, le processus d'ajustement démontre plusieurs faiblesses. Des mesures récemment adoptées indiquent que les gouvernements africains n'ont pas encore fait la preuve de leur engagement réel envers les réformes. On observe encore de nombreux déséquilibres macroéconomiques .... même dans les pays qui ont entrepris ces ajustements depuis plus d'une décennie. Les gouvernements, quant à eux, continuent d'intervenir dans le fonctionnement des marchés»25. Les mêmes auteurs soulignent le rôle critique joué par les politiques de taux de change pour ce qui est de stimuler la croissance et de réduire la pauvreté grâce à la correction des déséquilibres économiques.
Le maintien de taux de change surévalués a une incidence de premier plan, car il constitue, en fait, une taxe à l'exportation et une subvention des importations. Cet instrument, dont le coût d'utilisation est très élevé, a été employé pour stabiliser et plafonner les prix intérieurs des produits vivriers destinés aux consommateurs urbains, au détriment de l'offre nationale de produits agricoles concurrents des importations et aptes à l'exportation, et souvent alors même que faisait rage, à l'échelle nationale, une inflation mal maîtrisée, et parfois exacerbée par les politiques économiques. On observe donc, à long terme, des effets dommageables pour la sécurité alimentaire, et cela pour plusieurs raisons: l'évolution des goûts et des préférences des consommateurs urbains qui ne tiennent pas compte des prix internationaux réels, de même que l'augmentation des revenus urbains, contribuent à maintenir, voire à augmenter, le niveau des importations alimentaires; le pouvoir d'achat nécessaire à ces importations a été entamé par les entraves imposées à l'expansion de l'agriculture et des exportations de produits alimentaires, lesquelles représentent, pour de nombreux pays à faible revenu, la principale source de recettes d'exportation; l'inflation intérieure élevée a empêché que soient recueillis les avantages à long terme du déclin du prix réel des céréales; enfin, la surévaluation accrue du taux de change est liée à une croissance ralentie du PIB. C'est pourquoi les gouvernements se doivent d'accorder la priorité, de façon durable, à des réformes telles que la correction de la surévaluation des taux de change, qui a pour effet d'augmenter le prix intérieur des produits alimentaires échangés, et la lutte contre l'inflation, afin de ralentir la hausse des prix nationaux des denrées alimentaires et de réduire le coût des mesures de stabilisation. Plutôt que de retarder des ajustements macroéconomiques douloureux, qui devront viser à une croissance sectorielle équilibrée en éliminant les partis pris à l'encontre de l'agriculture, les gouvernements seraient peut-être mieux avisés de mettre en uvre des interventions compensatoires ciblées en faveur des groupes les plus vulnérables aux augmentations des prix des denrées alimentaires soumises aux échanges.
Comme noté plus haut, il semble que se manifeste, à longue échéance, une tendance des termes de l'échange à s'écarter des cultures d'exportation traditionnelles, en faveur des cultures vivrières. Ainsi, avec le temps, les avantages comparatifs d'un pays sont destinés à changer. Il faut donc que les politiques commerciales et macroéconomiques, de même que les mesures d'établissement des prix au niveau sectoriel, donnent au secteur agricole la possibilité de s'adapter à l'évolution des avantages comparatifs par une réaffectation des ressources. Cependant, il convient que les gouvernements, dans la perspective de ces changements, investissent dans le développement à long terme de l'agriculture et de l'économie rurale.
La mise en uvre de politiques commerciales et macroéconomiques appropriées est déterminante pour un autre aspect important de la sécurité alimentaire: la capacité de financer les importations de denrées que le pays ne produit pas, en tout cas pas en quantité suffisante, pour faire face aux fluctuations à court terme des prix, mais aussi pour pouvoir satisfaire de façon fiable les besoins permanents d'importation.
Les augmentations marquées des prix des céréales des années 1995-1996 ont gonflé les factures d'importations de plusieurs pays. Bon nombre de pays africains, en Afrique de l'Est notamment, ont de sérieuses difficultés liées à l'importation de céréales. Par ailleurs, les besoins en céréales de l'Afrique du Nord sont beaucoup plus élevés qu'à l'ordinaire, en raison des carences des récoltes au Maroc et en Tunisie - précisons que les niveaux d'absorption énergétique généralement assez élevés dans cette région offrent sans doute une certaine souplesse en matière de taux d'utilisation à court terme. Seuls quelques pays d'Asie semblent avoir de graves problèmes d'importation, mais le volume de céréales en cause pourrait être assez considérable: c'est sans doute au Bangladesh et en Afghanistan que se posent les problèmes les plus aigus. Par ailleurs, plusieurs pays d'Amérique latine et des Caraïbes sont aux prises avec les cours plus élevés des céréales d'importation, étant donné que la production céréalière ne s'est remise que lentement de la sécheresse de l'année précédente.
Dans ce genre de situation, l'augmentation de l'aide alimentaire représente souvent la meilleure solution; cependant, elle ne semble guère applicable dans ce cas, tout au moins pour 1996-1997. En effet, on a récemment assisté à un déclin général de l'aide alimentaire, déclin qui devrait se poursuivre cette année. On peut penser, par ailleurs, que l'augmentation des prix réduira encore le volume de l'aide octroyée puisque celle-ci est, dans la plupart des cas, planifiée et budgétisée en fonction de sa valeur. Il faut donc espérer, face à ces réductions, qu'il sera pour une utilisation rigoureuse des crédits alloués afin de répondre aux besoins des régions et des pays les plus gravement touchés, ce qui laissera un nombre important d'autres pays en développement, dont la capacité de financement des importations de céréales demeure marginale par rapport à leurs besoins, dans l'obligation de chercher d'autres sources de financement en périodes de prix élevés.
A long terme, se pose le problème des recettes d'exportation, dont la progression doit suivre celle des factures d'importation de produits alimentaires. Le déclin relativement rapide des prix réels des denrées agricoles soumises à exportation a été aggravé par le fait que plusieurs pays à faible revenu ont augmenté leurs exportations de ces denrées. Or, lorsqu'un petit pays augmente ses exportations, le cours mondial ne s'en trouve pas affecté, mais, lorsqu'ils sont nombreux à opérer de la sorte, le déclin des prix s'en trouve accentué et accéléré. Les accords sur les denrées de base n'ont guère réussi à soutenir les prix mondiaux, et il est peu probable qu'ils bénéficieront de façon sensible aux pays exportateurs pris dans leur ensemble. Schiff et Valdés sont d'avis que «s'agissant des quelques produits d'exportation pour lesquels les pays en développement sont en mesure d'influencer le marché, il y a lieu d'imposer des mesures appropriées de taxation ou de contingentement des exportations»26. Cependant, il ne sera sans doute guère aisé de parvenir à un accord en la matière, car ce qui constitue une taxe ou un contingent approprié dans un pays est fonction des niveaux fixés par d'autres pays exportateurs de la même denrée. En outre, la capacité des pays exportateurs à appliquer ces taxes ou ces contingents est limitée par les contre-mesures que pourraient adopter les pays ou les sociétés qui importent les denrées concernées.
Les gouvernements qui souhaitent améliorer leur capacité de financement des importations de produits alimentaires peuvent envisager tout un éventail de mesures. Ainsi, certaines dispositions agissant sur le long terme sont de nature à accroître le potentiel de recettes d'exportation d'un pays, mais aussi à augmenter la production alimentaire nationale tout en réduisant les coûts de production, de transformation et de commercialisation. Les gouvernements peuvent, en effet, appliquer des mesures non créatrices de distorsions afin d'améliorer les capacités de recettes d'exportation du secteur agricole et alimentaire. Il ne s'agit pas, pour autant, de promouvoir les cultures d'exportation au détriment des cultures vivrières, ni d'encourager les exportations alimentaires au détriment de la sécurité alimentaire. Il s'agit plutôt d'améliorer l'exportabilité, ce qui signifie tenir compte de la demande internationale ainsi que de l'amélioration de la disponibilité alimentaire dans le pays, composante importante de sa sécurité alimentaire. En effet, si l'on veut obtenir un potentiel d'exportabilité optimal pour un nombre important d'exploitants opérant dans des conditions agroécologiques différentes, il faut que le réseau intérieur de commercialisation soit en mesure de livrer les intrants et les récoltes en temps et lieu, afin de réduire les coûts de production et de commercialisation et de répondre à la demande du marché dans des conditions concurrentielles.
C'est pourquoi les mesures visant à améliorer la commercialisation, à l'intérieur du pays comme vers l'extérieur, doivent répondre aux besoins en matière d'infrastructures matérielles mais aussi institutionnelles, c'est-à-dire offrir un cadre adéquat pour la recherche agricole et alimentaire et pour sa vulgarisation; améliorer les techniques et les installations de transformation, de conservation et d'entreposage; veiller sur les normes applicables aux produits locaux et aux produits d'importation, et procéder au contrôle et au classement qualitatifs afin de répondre aux exigences internationales; diffuser les informations nécessaires en matière de production, de marchés intérieurs, de nutrition et de marchés internationaux; renforcer, avant l'exportation, la valeur ajoutée à la denrée de base ou s'orienter vers les productions à valeur élevée telles que les fruits et les fleurs, ou encore mettre au point de nouveaux produits; promouvoir les exportations; garantir les crédits aux exportations et assurer ces dernières.
Les gouvernements devraient également se prévaloir, dans toute la mesure du possible, de programmes tels que le STABEX et le Programme d'importation sectorielle de l'UE27, et explorer la possibilité d'obtenir une aide accrue sous forme de devises étrangères - par opposition à une assistance concernant la balance des paiements. Ils devront également se renseigner sur les possibilités d'aide à court terme au financement des importations commerciales, en vertu de la décision de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce/Organisation mondiale de commerce (GATT/OMC) sur les mesures concernant les effets négatifs possibles des programmes de réforme sur les pays moins avancés importateurs nets de denrées alimentaires, bien que cette question mérite encore quelques éclaircissements.
LE RECOURS AUX CONTRATS À TERME ET AUX MARCHÉS DES OPTIONS
Dans les pays développés, les opérateurs du marché ont largement recours aux contrats à terme pour se protéger contre les risques de fluctuations à court terme des prix et des revenus. En revanche, dans les pays en développement, à l'exception peut-être des négociants opérant sur de gros volumes à l'échelle internationale, le recours à ces méthodes est relativement limité. Or, les transformations subies par les politiques agricoles à l'échelle mondiale, la tendance à la libéralisation du commerce international des denrées de base, et l'apparition d'instruments financiers sophistiqués destinés à gérer le risque ont conduit certaines organisations, telles que la Banque mondiale et l'IFPRI, à considérer de tels instruments comme pouvant avoir un effet stabilisateur salutaire pour les pays en développement et donc susceptible de les aider à atteindre la sécurité alimentaire. Il semble toutefois, d'après les investigations exposées ci-dessous, qu'il faille se montrer beaucoup plus prudent en la matière, notamment en raison du fait que les marchés des contrats à terme et des options n'entraînent pas nécessairement une stabilisation des prix, et jamais d'une saison à l'autre. C'est pourquoi les éventuels effets positifs sur la sécurité alimentaire ne se feront probablement sentir que de façon indirecte, par le biais d'une réduction des risques liés aux échanges et, partant, de leurs effets sur la balance des paiements.
Il y a longtemps que l'on utilise les marchés à terme afin d'atténuer les risques liés aux fluctuations des prix au comptant des denrées alimentaires puisque cette pratique remonte à 1865 aux Etats-Unis28. En raison de leur facilité d'utilisation, les contrats à terme ont connu une expansion spectaculaire, qui touche aujourd'hui des marchés nombreux et de nature très diverse dans le monde entier. Ainsi, au début des années 70, près de 13 millions de contrats à terme, concernant principalement des denrées agricoles, ont été négociés aux Etats-Unis. Au début des années 90, le nombre des contrats - à terme ou d'options sur marchés à terme - avait atteint 421 millions dont 17 pour cent (soit plus de 70 millions) concernant les marchés agricoles. Cette progression des échanges a pour cause principale la création de marchés à terme pour toute une série de denrées et d'instruments financiers, ainsi que le lancement, en 1982, de contrats d'options, portant également sur les denrées agricoles.
Le recours aux marchés des options, afin de réduire les risques de fluctuations des prix à court terme par les céréales et les graines oléagineuses, le bétail sur pied et la viande, mais aussi des denrées ou fibres telles que le café, le cacao, le sucre et le coton, est devenu chose courante aux Etats-Unis pour les transformateurs, les fabricants de produits alimentaires, les négociants en denrées ainsi que, dans une moindre mesure, les exploitants agricoles. Bien que l'on ne dispose pas de données précises, le volume des transactions opérées, sur les marchés à terme américains de produits agricoles, par des négociants et des transformateurs étrangers, a connu une augmentation substantielle au cours des dernières décennies. Dans plusieurs autres pays, de tels marchés existent déjà ou sont en cours de création. Cependant, aucun d'entre eux ne saurait se comparer en envergure, en volume de liquidités et en éventail d'instruments disponibles au Chicago Board of Trade (CBOT), qui constitue de ce fait la place de référence pour une bonne partie des transactions à terme sur les denrées agricoles. Malgré la carence de données, on peut penser que l'utilisation des marchés à terme par les négociants et par les transformateurs sur les marchés intérieurs, par opposition aux transactions internationales, est beaucoup plus répandue dans les pays développés que dans les pays en développement et en général, les exploitants agricoles y ont beaucoup moins recours que les négociants et les transformateurs - avec une utilisation quasi-inexistante pour les exploitants des pays en développement. On a tenté d'expliquer de plusieurs façons les raisons pour lesquelles les pays en développement, à quelques notables exceptions près, ont si peu recouru aux marchés à terme et aux options pour se protéger des fluctuations de prix.
Le coût trop élevé des transactions de couverture, ou «hedging». Le «hedging» peut s'effectuer au moyen de contrats à terme ou de contrats d'options. Dans les deux cas, l'acquéreur comme le vendeur doivent verser une commission de courtage pour l'exécution de la transaction. La commission varie en fonction du type de prestation et du montant de la transaction; cependant, dans les marchés liquides et compétitifs, présentant un volume important de transactions, de tels coûts ne sont pas prohibitifs.
Alors qu'un contrat à terme a valeur contraignante pour l'acheteur et pour le vendeur, un contrat d'options donne le droit, sans en imposer l'obligation, d'acheter ou de vendre le contrat à terme à un prix et à un moment spécifiques. L'acquéreur de l'option verse au vendeur une prime, à l'instar du client prenant une police d'assurance auprès d'une compagnie. Les coûts correspondants de ces options (valeur intrinsèque et valeur temporelle) sont substantiels et risquent donc d'être prohibitifs pour les pays en développement qui ont du mal à se procurer des crédits ou des devises étrangères.
Les contrats à terme précisent souvent la qualité du produit ou le lieu de livraison, ce qui rend l'opération de couverture peu attrayante pour les pays en développement. Les contrats à terme ont des stipulations précises en ce qui concerne le respect des catégories et de la qualité, le prix et le lieu de livraison pour chacune des denrées soumises à transaction. Aux Etats-Unis, le respect intégral de ces dispositions contractuelles normalisées est garanti par l'organisme compétent pour la denrée concernée, qui opère lui-même sous l'égide d'un office fédéral chargé de la réglementation du marché. En effet, une bourse des transactions à terme ne peut jouer convenablement son rôle que si les contrats sont normalisés et si l'on a l'assurance que les acquéreurs comme les vendeurs s'acquitteront de leurs engagements.
La plupart des opérations de couverture ne donnent pas lieu à un échange matériel de marchandises entre l'acheteur et le vendeur, et les contrats à terme à vocation de protection sont généralement liquidés grâce au mécanisme de compensation avant la date de maturation. Les marchés à terme n'ont pas pour vocation de servir aux transactions au comptant, mais plutôt d'offrir les instruments financiers permettant d'atténuer les risques de changement de prix sur les marchés au comptant. De ce fait, dans la majorité des opérations de «hedging», le contrat ne contient pas de spécifications quant à l'échange matériel auquel donne lieu la denrée.
Dans les cas où la transaction sur le contrat à terme débouche sur l'acquisition ou la livraison matérielle de la marchandise, les spécifications liées à la catégorie et à la qualité du produit ou au lieu de livraison risquent de rendre les conditions du contrat peu attrayantes pour des négociants situés dans un pays en développement éloigné. Ces questions doivent donc être prises en considération lorsqu'on envisage une transaction sur marché à terme. En tout état de cause, il faut établir une distinction très nette entre la transaction à vocation de couverture, ou «hedging», et celle ayant pour objet la spéculation et l'échange matériel de denrées.
Les périodes couvertes par les contrats à terme risquent d'être plus courtes que l'horizon de couverture du pays en développement. A l'heure actuelle, la durée maximale d'un contrat à terme portant sur les céréales et les graines oléagineuses à la bourse de Chicago (CBOT) est de 18 mois (maïs). En réalité, il y a peu de liquidités dans les contrats à terme au-delà de neuf mois, de sorte que les contrats à terme offrent peu de perspectives pour les pays en développement importateurs qui souhaitent se couvrir contre les risques de variation des prix des denrées sur une période de plusieurs années. Techniquement parlant, un pays importateur pourrait utiliser un enchaînement ininterrompu de contrats à court terme, de manière à fixer un prix à une date ultérieure se situant au-delà d'une seule campagne agricole. Ce procédé, connu sous le nom de «rolling over» (roulement) des contrats à terme, présente deux limites: l'accumulation des coûts de transaction et la vulnérabilité à plus long terme aux variations défavorables du taux de couverture. Compte tenu de ces limites, il est probable que les pays en développement auront plutôt recours aux contrats à terme pour se couvrir contre les variations de prix à court terme (intrasaisonnières), ou comme complément de programmes à plus long terme (intersaisonniers) de stabilisation des prix.
De nombreux pays en développement ont du mal à se procurer les crédits et les devises fortes nécessaires. Même si la couverture offerte par les contrats à terme offre la possibilité de réduire le risque de variation des prix, l'acheteur ou le vendeur de ces contrats doit supporter des risques de marge; or, ces derniers peuvent prendre des proportions non négligeables sur les marchés fluctuants des denrées agricoles.
En matière de couverture, la base, c'est-à-dire la différence entre le prix comptant, ou «spot», de la marchandise donnant lieu à couverture et le prix fixé par le contrat à terme, est d'une importance capitale. Bien que les prix au comptant et à terme évoluent, en gros, de façon parallèle du fait qu'ils réagissent aux mêmes facteurs sous-jacents liés à l'offre et la demande, leur corrélation est loin d'être parfaite. La base peut, à l'occasion, accuser des déviations marquées, en fonction des attentes de l'acheteur ou du vendeur, de la disponibilité et de la qualité des informations dont ils disposent concernant le marché , mais aussi, entre autres facteurs, de l'activité des spéculateurs. Toutefois, en règle générale, la base tend à être plus stable et plus prévisible que les prix réels au comptant et à terme, et sert donc de principal indicateur pour le placement et le retrait de couvertures efficaces.
Les acheteurs et les vendeurs de contrats à terme doivent déposer une caution destinée à garantir qu'ils s'acquitteront des obligations découlant du contrat. La fourchette minimale de ces cautions varie généralement entre 5 et 18 pour cent de la valeur nominale du contrat en fonction de l'instabilité du marché sous-jacent. Les entreprises de courtage peuvent exiger une couverture plus importante; dans le domaine agricole, les marges de couverture sont en général parmi les plus élevées, en raison de l'instabilité des prix.
La marge initiale de couverture d'un acheteur et d'un vendeur de contrats à terme est ajustée quotidiennement par une modulation de la base du contrat - c'est ce que l'on appelle «marquer le marché». Les changements négatifs de la base qui ramènent le compte de couverture à un niveau spécifié antérieurement entraînent un «appel de marge» destiné à rétablir le compte à son niveau initial. Etant donné qu'un contrat à terme est toujours soumis à un très fort effet de levier (selon un facteur de 10 à 20 en fonction de la denrée et de la marge de couverture) et n'est disponible que par unités marginales fixées par la bourse des marchandises (5 000 boisseaux pour les céréales et les graines oléagineuses), une modification minime de la base peut se répercuter sous forme de besoins en espèces beaucoup plus importants pour les appels de marge. De ce fait, le capital nécessaire pour toute la durée de la couverture peut être sensiblement supérieur à la couverture initialement prévue, si bien que pour les opérateurs manquant de liquidités, les appels de marge risquent de poser un sérieux problème.
Etant donné, par ailleurs, qu'une bonne part des transactions sur des marchés à terme sont libellées en dollars ou dans d'autres devises fortes, l'opérateur du pays en développement s'expose également au risque de change. Il peut décider, afin de se prémunir contre ce risque, de se couvrir en prenant des contrats ou des options à terme sur le marché financier, s'exposant ainsi aux appels de marge tant pour les marchandises que pour les devises. Cependant, l'adoption de stratégies plus sophistiquées risque d'entraîner des coûts prohibitifs. C'est pourquoi les opérations de couverture ne sont pas toujours indiquées - ni techniquement réalisables - pour les pays en développement qui ne peuvent se procurer rapidement une quantité suffisante de devises fortes. En fait, ce sont justement les difficultés d'obtention de crédit et l'insuffisance des réserves de devises étrangères qui, dans nombre de pays en développement, semblent constituer le principal obstacle à un recours plus large aux contrats à terme comme couverture contre les variations des prix des marchandises.
Bien entendu, toutes les modifications de la base, qu'il s'agisse de contrats sur denrées ou de contrats financiers, ne sont pas nécessairement négatives pour les intérêts financiers de l'opérateur du pays en développement. A titre d'exemple, il a été démontré, grâce à une analyse des possibilités de couverture croisée de denrées et de devises en Egypte et en République de Corée, toutes deux importatrices nettes de céréales à l'époque, qu'il existait pour les deux pays une possibilité de gains nets substantiels, bien que découlant davantage de la couverture sur devises que de la couverture sur marchandises29.
Un savoir-faire insuffisant en matière de finances et de gestion. Pour obtenir de bons résultats en matière de couverture, un opérateur doit avoir une connaissance approfondie des procédures et des mécanismes des marchés à terme, et être disposé à réagir avec promptitude à leurs fluctuations. Même s'il est possible de recourir aux courtiers ou aux prestations sur commission, rares sont les opérateurs disposés à déléguer totalement les principales responsabilités décisionnelles. En conséquence, l'acquisition d'un savoir-faire approprié constitue, pour un pays en développement, un préalable à des opérations efficaces de couverture.
La difficulté d'accès à des informations fiables et communiquées en temps voulu. En dépit de la communication électronique, qui permet d'obtenir et de transférer les informations concernant les marchés de façon infiniment plus efficace qu'il y a quelques années, les opérateurs des pays en développement doivent être prêts à investir d'importantes ressources afin de mettre sur pied et d'entretenir des systèmes permettant d'obtenir, en temps utile, les données nécessaires à des échanges efficaces.
Les perceptions concernant les transactions sur les marchés à terme. Les transactions sur les marchés à terme sont parfois perçues comme intrinsèquement spéculatives ou encore comme excessivement transparentes, et risquent d'être exposées au regard inquisiteur d'un public inapte à en comprendre l'utilité. Il peut également exister une réticence à transférer l'autorité à un agent étranger. Enfin, les opérateurs publics des pays en développement peuvent considérer que le risque politique découlant du risque financier lié aux appels de marge et aux pertes causées par les opérations de couverture est trop élevé.
Secteur public et secteur privé. Dans les pays en développement, les organismes publics sont souvent extrêmement rigides et leur bureaucratie très lente à se mettre en mouvement, si bien qu'il est impossible de compter sur de tels organismes pour opérer avec efficacité sur les marchés à terme. Quant au secteur privé, il risque d'être très sous-développé, notamment dans les pays ayant connu, ou connaissant encore, une concentration monopolistique ou monopsoniste entre les mains d'un office national du commerce. En outre, les opérateurs du secteur privé risquent d'avoir du mal à se procurer des devises fortes dans des conditions satisfaisantes.
Cette brève analyse illustre les raisons, aussi multiples que valables, pour lesquelles les pays en développement n'ont que peu utilisé les marchés à terme. On peut en conclure que les opérations de couverture sur les marchés à terme, sous forme de contrats et d'options, peuvent avoir une fonction très limitée quoique utile à certains pays en développement dans leurs échanges internationaux de produits agricoles. En théorie, les opérations de couverture offrent aux pays en développement importateurs ou exportateurs de céréales et de graines oléagineuses le moyen d'atténuer les risques de fluctuation à court terme ou intrasaisonnière des prix. Cependant, elles ne permettent pas d'éviter ou d'éliminer l'instabilité des prix inhérente à de nombreux marchés des produits agricoles; elles ne doivent pas non plus être encouragées sans discernement lorsqu'elles ne conviennent manifestement pas à la situation, et il ne serait guère responsable de pousser certains pays à s'endetter davantage pour des résultats qui risquent fort d'être décevants au plan économique. En d'autres termes, les opérations de couverture n'améliorent pas nécessairement le résultat financier global des échanges, mais, lorsque les circonstances s'y prêtent et qu'elles sont exécutées de façon efficace, elles peuvent réduire le risque inhérent aux échanges en renforçant les chances d'obtenir le résultat recherché.
Lorsque ces opérations sont entravées par le manque de crédit ou de devises fortes, les gouvernements peuvent étudier la possibilité de mettre des lignes de crédit supplémentaires à la disposition des opérateurs privés, ou encore de garantir des prêts accordés par des organismes de crédit privés lorsqu'il est démontrable que le «hedging» convient à la situation et a de bonnes chances d'être exécuté de façon efficace. On pourrait utiliser, comme caution de tels prêts, la denrée sous-jacente ou d'autres actifs de l'emprunteur. Par ailleurs, on pourrait solliciter auprès de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) l'octroi de lignes supplémentaires de crédit libellées en devises fortes afin d'encourager les opérations de couverture, lorsque les conditions y sont favorables, comme volet de leurs programmes d'aide au développement.
LE SOUTIEN DE LA BALANCE DES PAIEMENTS
Le FMI dispose, en vertu de son mandat, de fonds et de programmes lui permettant de mettre des ressources à la disposition des Etats membres pour les aider à résoudre certains problèmes de balance des paiements, au nombre desquels les difficultés découlant d'une augmentation du prix international des céréales. Le FMI peut offrir une assistance financière, soit en recourant à un fonds spécial, soit en apportant des aménagements à ses mécanismes habituels.
La Facilité de financement compensatoire et de financement imprévus (FFCI). C'est pour un fonds spécial destiné à venir en aide aux pays en cas d'insuffisance de leurs recettes d'exportation ou lorsque les coûts d'importation des céréales sont excessifs. Il s'agit de l'un des instruments de financement pouvant contribuer à établir un dosage approprié de compléments de financement et d'ajustements pour venir en aide aux pays qui, par suite de perturbations exogènes, ont du mal à maintenir l'élan de leurs programmes d'ajustement.
Ce financement compensatoire a été inauguré en 1963 en vue d'atténuer les problèmes de balance des paiements résultant de déclins temporaires des recettes d'exportation. En 1981, ce mécanisme a été étendu à la couverture des déficits de balance des paiements occasionnés par des coûts excessifs d'importation des céréales. Un volet de financement d'urgence devait être introduit en 1988, et associé au financement compensatoire et au mécanisme de financement d'importation de céréales, afin de mettre sur pied la FFCI. En dépit de certaines retouches de détail, les éléments fondamentaux de ce mécanisme continuent de fonctionner sur la base de conditions assez complexes, exposées à l'encadré 18.
Entre 1981 et 1989, le total des tirages effectués par les cinq pays en développement à faible revenu qui se sont prévalus de ce mécanisme n'a guère représenté que 179,1 millions sous forme de Droits de tirage spéciaux (DTS), dont 21,7 millions de DTS ont donné lieu à un rachat immédiat par suite de surcompensation, ce qui donne un montant réel de 157,4 millions de DTS. Cinq pays à revenu moyen ont tiré un total de 563,2 millions de DTS pour financer leurs importations de céréales. Plus récemment, l'Algérie, la Moldova et l'Afrique du Sud ont mis à contribution le volet de la FFCI consacré aux céréales pour effectuer leurs achats. Cependant, il n'y a pas eu d'achats de céréales appuyés par ce mécanisme au cours des derniers mois et, comme l'indiquent les chiffres ci-dessus, il n'a été sollicité que de manière limitée tout au long des années 80.
ENCADRÉ 18 Le volet de compensation applicable aux importations céréalières est conçu pour procurer rapidement des financements de relais, dans des limites établies, aux Etats membres dont les importations de céréales représentent un surcoût temporaire. Le calcul d'un tel surcoût, pour une année donnée, revient à déterminer dans quelle mesure la facture d'importation des céréales dépasse la moyenne arithmétique des factures d'importations céréalières sur une période de cinq ans en prenant pour année médiane l'année en question. La demande de financement compensatoire doit être présentée par le pays membre dans un délai de six mois à compter de la fin de l'année de coût. L'année de surcoût spécifiée peut être la dernière pour laquelle on dispose de données, ou elle peut être plus récente et comprendre la période en cours, ce qui nécessite de s'appuyer en tout ou en partie sur des données estimées, à condition toutefois que celles des deux années précédentes soient disponibles. Cependant, si l'on utilise des données estimées pour au moins neuf mois de l'année de surcoût, l'accès au financement sera échelonné sur deux achats. Lors du premier achat, on peut employer jusqu'à 65 pour cent du montant du financement disponible. Le deu-xième achat pourra être effectué six mois au moins après l'obtention de données concrètes concernant l'année des surcoûts. Pour ouvrir droit au financement compensatoire, le surcoût des importations céréalières doit être temporaire, dépasser largement les possibilités du pays membre et occasionner un besoin de financement de la balance des paiements. Par ailleurs, les surcoûts des importations céréalières ne pourront être couverts par cette caisse qu'après calcul des recettes d'exportation du pays en question et déduction de tout excédent de ces recettes. Le montant des fonds que l'on peut mettre à la disposition d'un pays membre est le plus petit des deux chiffres suivants: le surcoût des importations céréalières, calculé après ajustement éventuel dû à des bénéfices d'exportations supérieurs à la normale, ou le plafond d'encours disponible du pays membre auprès de la FFCI. Les conditions d'accès aux crédits de la FFCI varient selon que les problèmes de balance des paiements du pays membre sont ou non imputables à une perturbation spécifique des marchés, et en fonction de ses antécédents de collaboration avec le FMI. Si la situation de la balance des paiements est satisfaisante par ailleurs, l'accès de base concernant le volet céréalier peut atteindre 65 pour cent du quota. Si, au contraire, les difficultés touchant à la balance des paiements sont plus générales, l'accès est limité à un pourcentage plus faible du quota, se situant habituellement entre 15 et 35 pour cent, toujours selon les antécédents du pays et l'appréciation portée sur ses politiques économiques. Le FMI fournit généralement son aide financière aux Etats membres en leur vendant des Droits de tirage spéciaux (DTS), libellés en devises d'autres Etats membres, en échange d'une contrepartie en devises du pays bénéficiaire. Ainsi, aux termes de la plupart des programmes, l'Etat membre effectue un «achat» auprès du FMI au lieu de recevoir un prêt. A l'expiration de la période stipulée ou d'un échéancier fixé, le compte est apuré par une transaction inverse, par laquelle le pays «rachète» ses propres devises. Les ressources financières obtenues par l'intermédiaire de la FFCI sont soumises aux mêmes conditions, notamment financières, que les tranches de crédit ordinaires du FMI. Le rachat/remboursement doit être effectué dans un délai allant de trois ans et trois mois à cinq ans après la réception des fonds. Le coût correspond à celui des ressources générales du Fonds, assimilable aux taux commerciaux favorables, établi dernièrement à environ 5 pour cent par an. Les financements obtenus par le biais de la FFCI viennent s'ajouter aux fonds provenant d'accords réguliers avec le FMI. |
Un examen rapide des conditions exposées à l'encadré 18 démontre que le programme présente plusieurs caractéristiques qui limitent l'accès des pays importateurs de céréales: la méthode de calcul des surcoûts des importations de céréales; les plafonds de tirage; le rachat des tirages; les conditions d'octroi des tirages; enfin, l'intégration des surcoûts d'importation et des excédents de recettes d'exportation. L'usage très limité auquel donne lieu actuellement la FFCI a probablement deux causes principales dont, en premier lieu, l'augmentation du prix des denrées exportées par de nombreux pays, augmentation qui atténue les difficultés d'échéance des paiements, réduisant l'admissibilité du pays membre aux avantages offerts par la FFCI. A ce propos, l'intégration des surcoûts des importations de céréales et des excédents des recettes d'exportation a été critiqué à plus d'un titre; on a dit, en particulier, que l'on établissait ainsi un lien injustifié entre deux composantes de la balance des paiements, comme ce serait le cas si l'on importait un intrant particulier pour produire un bien d'exportation spécifique. «Rien ne justifie l'hypothèse selon laquelle un excédent concernant un poste spécifique inscrit aux recettes de la balance des paiements pourra toujours servir à financer un poste déficitaire, également spécifique mais sans lien avec le premier, du côté des dépenses»30. A titre d'exemple, il pourrait y avoir concomitance entre des prix élevés des céréales et des prix également élevés des importations autres que céréalières. Il est probable qu'un découplage du soutien de la balance des paiements apporterait une meilleure réponse à l'argument, lié à la sécurité alimentaire, préconisant que l'on donne la priorité au financement des importations de céréales, mais des études concrètes indiquent que cela conduirait à une augmentation substantielle du volume des tirages au titre de la FFCI, mettant ainsi à rude contribution les ressources limitées dont dispose le FMI. On pourrait, entre autres solutions, envisager de resserrer les restrictions concernant les contingents ou limiter l'assistance à une tranche des surcoûts d'importation des céréales, ou encore instaurer d'autres mécanismes de soutien de la balance des paiements ou d'aide à l'obtention de devises étrangères.
La deuxième explication du recours limité à la FFCI tient au fait que la plupart des utilisateurs potentiels ont accès à un autre mécanisme du FMI, offrant des conditions plus favorables: la Facilité d'ajustement structurel renforcée (FASR).
Les pays membres à faible revenu et pour qui les surcoûts d'importation des céréales rendent nécessaire un soutien de la balance des paiements, préfèrent demander à profiter de la FASR, pour lequel le FMI prévoit des prêts bonifiés. La FASR a été récemment utilisée pour atténuer des surcoûts d'importation occasionnés par des prix des céréales anormalement élevés. Le financement par la FASR se fait au moyen de prêts à des taux concessionnels de 0,5 pour cent par an, avec des remboursements semi-annuels commençant cinq ans et demi et finissant 10 ans après chaque débours. Au cours de la période récente, 81 pays à faible revenu étaient autorisés à recourir à la FASR et, fin février 1996, 27 d'entre eux s'en étaient prévalus pour un montant total approuvé de 3,25 milliards de DTS et des soldes non tirés de DTS de 1,43 milliard.
Pour obtenir un financement au titre du programme, on peut incorporer une disposition d'urgence et/ou augmenter le plafond prévu par l'accord en vigueur. Le mécanisme d'urgence peut être utilisé lorsque le programme, tel qu'établi en vertu d'un accord au titre de la FASR, autorise l'ajustement automatique des objectifs de programme afin de prendre en compte tout ou partie des surcoûts d'importation des céréales. Cette approche pourrait contribuer à maintenir le fonctionnement du programme d'ajustement structurel en cas de perturbation exogène telle qu'une augmentation du prix des céréales.
Quant à l'autre possibilité, à savoir l'augmentation du plafond afin de répondre à des besoins accrus de financement suscités par une perturbation extérieure, elle pourra être envisagée en temps utile, soit au moment de la révision programmée des conditions, soit à la demande du pays membre. Lors de tels examens, on procède à une évaluation basée sur les conditions récentes, notamment l'augmentation des coûts d'importation des céréales et la possibilité d'obtenir une assistance de la part de donateurs ou une aide alimentaire afin de déterminer le besoin d'ajustement du mécanisme.
Le soutien à court terme de la balance des paiements permet de répondre à un problème immédiat de fluctuation des prix mais il n'offre pas de réponse satisfaisante en cas de difficultés ayant pour cause sous-jacente une évolution tendancielle défavorable des prix, à moins que - et c'est le cas pour la FASR - le soutien ne soit utilisé pour permettre la poursuite du processus d'ajustement aux changements à long terme.
L'assistance directe apportée par la Banque mondiale aux pays à faible revenu pour les aider à financer leurs importations alimentaires joue en général un rôle subsidiaire, quoique complémentaire, par rapport à l'action du FMI. On peut toutefois considérer sans conteste comme faisant partie du mandat de la Banque, les mesures visant à aider un pays à surmonter une crise alimentaire ou des difficultés du même ordre. C'est tout particulièrement le cas lorsqu'un pays est obligé d'importer des denrées alimentaires pour faire face à une conjonction d'événements inhabituels, et lorsque le refus d'une aide extérieure aurait probablement des conséquences négatives sur les progrès des politiques de gestion macroéconomiques et des programmes sectoriels. Le rôle de la Banque mondiale consiste en grande partie à offrir un soutien assez large en matière de balance des paiements pendant que le pays concerné s'attache à surmonter un problème alimentaire temporaire.
Il est relativement fréquent de voir la Banque mondiale adapter ses projets et l'utilisation de ses ressources pour faire face à des problèmes alimentaires provoqués par la sécheresse ou par une augmentation des cours internationaux des denrées alimentaires. Elle peut, par exemple, modifier le calendrier des dépenses au titre de certains projets afin d'offrir au pays concerné davantage de marge financière pour régler ses difficultés; elle peut également accorder de nouveaux prêts pour aider l'économie à se redresser après une période de sécheresse ou d'autres difficultés affectant la production. Enfin, elle peut privilégier le développement rural afin de renforser la production alimentaire et les revenus des ruraux dans le but d'atténuer l'impact de chocs futurs.
S'agissant du réaménagement des calendriers de débours concernant des projets, la Banque mondiale et le gouvernement du pays touché peuvent s'entendre sur les modalités de réallocation des tranches de financement afin de couvrir le surcoût des importations alimentaires. Les fonds ainsi réaffectés seront probablement utilisés pour financer des activités liées aux importations alimentaires telles que le transport et l'entreposage plutôt que pour le financement direct des importations. Cependant, étant donné que ces fonds sont libellés en devises étrangères fongibles, le pays peut utiliser de façon indirecte ces crédits pour importer des denrées alimentaires, ou encore pour soutenir de façon générale les activités d'importation.
Les prêts au redressement économique. Ils visent généralement à aider les exploitants agricoles à reconstituer leur potentiel productif suite à un événement tel que la sécheresse ou un autre phénomène naturel ayant gravement affecté l'offre intérieure de denrées alimentaires. Ces prêts, qui ne constituent sans doute pas de bons instruments face aux hausses temporaires des prix mondiaux, pourraient constituer une forme indirecte d'aide à la balance des paiements en réduisant la demande à moyen terme pour des importations supplémentaires.
Les pays qui se prévalent de tels mécanismes doivent non seulement s'adapter aux limites et aux restrictions que comportent les programmes de soutien de la balance des paiements, mais ils alourdissent en outre le fardeau de leur dette. Comme le montre la section suivante, il n'est pas rare que les pays ayant besoin d'une assistance en matière de balance des paiements soient précisément des pays à faible revenu déjà lourdement endettés. C'est pourquoi, dans de tels cas, le soutien de la balance des paiements soulève d'importantes questions de politique tant pour les emprunteurs que pour les bailleurs de fonds.
La crise de la dette des années 80, qui a surtout affecté les pays à revenu moyen, portait principalement, dans sa phase initiale, sur la dette commerciale et, à ce titre, était considérée comme une menace pour la stabilité du système financier mondial. Le plan Brady, entre autres initiatives, constituait une réponse à cette crise, qui semble avoir perdu beaucoup de son acuité. Au cours des années 90, on a vu apparaître un type différent de problème lié à la dette, mais qui trouve également son origine dans les années 80 - l'endettement de pays à faible revenu envers, principalement, des gouvernements de pays développés et des bailleurs de fonds multilatéraux. Une bonne partie des prêts ainsi accordés visaient à aider les pays pauvres à faire face à la chute des prix des denrées à l'exportation, mais aussi à l'augmentation des taux d'intérêt à l'échelle mondiale et au renchérissement des échéanciers de remboursement des banques commerciales. La figure 15 illustre l'évolution de la dette extérieure totale en tant que pourcentage du PIB, ventilée par région, depuis 1970. L'Afrique subsaharienne, dont l'endettement continue de progresser rapidement, alors qu'elle est la région la moins à même de soutenir un tel fardeau, suscite des préoccupations particulières; quant à l'amélioration générale observée en Amérique latine et Caraïbes et en Asie, elle masque les graves difficultés rencontrées par un petit nombre de pays.
En fait, 32 pays sont aujourd'hui classés par la Banque mondiale dans la catégorie des «pays à faible revenu gravement endettés» (SILIC) c'est-à-dire dont le taux d'endettement pour la période 1991-1993 s'exprime soit par un ratio du service de la dette par rapport au PNB de plus de 80 pour cent, soit par un ratio du service de la dette par rapport aux exportations de plus de 220 pour cent, ces deux ratios étant exprimés en valeur actuelle nette. Vingt-cinq de ces pays se trouvent en Afrique subsaharienne, trois en Amérique latine et Caraïbes, trois en Asie et un au Proche-Orient31. Les remboursements au titre du service de la dette pour l'Afrique subsaharienne ont représenté près de 20 pour cent des recettes d'exportation en 1995, contre 17,3 pour cent en 1994. Cependant, ce chiffre ne reflète pas la gravité croissante et durable de la situation: dans de nombreux pays, l'alourdissement de la dette tient au fait que les remboursements réels ont été inférieurs à ceux prévus par les échéanciers; depuis 1991, les arriérés ont doublé et représentent aujourd'hui les trois quarts des recettes annuelles d'exportation. A titre d'exemple, les remboursements prévus au titre du service de la dette pour l'Afrique subsaharienne étaient, en 1994, supérieurs à 20 milliards de dollars EU, alors que les remboursements réels ont été de 13 milliards de dollars EU. Le montant total de la dette des SILIC était à peine inférieur à 210 milliards de dollars en 1994, soit quatre fois plus qu'en 1980. En outre, alors que, toujours en 1980, l'endettement total représentait environ un tiers du revenu national, en 1994, il était d'environ 110 pour cent; le rapport entre l'endettement de la région et le total des recettes d'exportation a atteint 389 pour cent - et plus de 800 pour cent pour trois des pays à faible revenu gravement endettés contre 150 pour cent pour l'ensemble des pays en développement. «L'explosion des arriérés de taux d'intérêt (11 milliards de dollars EU depuis 1990) et des arriérés des remboursements de capital (23,5 milliards de dollars EU) illustre tout simplement à quel point la situation est devenue intenable32.»
Le Club de Paris, qui est l'organisme chargé de coordonner les négociations concernant le rééchelonnement et la restructuration des crédits accordés par les gouvernements occidentaux, a adopté une série de mesures afin de réduire la dette en souffrance de certains des pays les plus pauvres; cependant, les conditions dont sont assorties ces réductions en limitent gravement la portée. Il reste néanmoins qu'un quart de la dette, et la moitié des paiements au titre de son service pour la période 1991-1993, concernent des créanciers multilatéraux33. La Banque mondiale, en conjonction avec son organisme affilié spécialisé dans les prêts concessionnels, l'Association internationale de développement (IDA), est titulaire d'un peu plus de la moitié de la dette multilatérale totale, le FMI et la Banque africaine de développement en détenant chacun 14 pour cent. Des négociations ont été amorcées entre la Banque mondiale et le Fonds monétaire international afin de trouver des modalités permettant de réduire le fardeau d'endettement des pays à faible revenu gravement endettés, et le soutien des gouvernements du G7 sera déterminant dans la recherche d'une solution à ce problème. Quelle que soit l'option retenue, il faudra veiller à ce que les conditions posées à l'allégement de la dette, y compris la définition de ce qui constitue un fardeau d'endettement insoutenable, ne soient pas si rigoureuses que quelques pays seulement puissent espérer en bénéficier.
L'endettement comporte de nombreuses répercussions négatives sur la sécurité alimentaire, dont la moindre n'est pas la réduction du potentiel d'importation de produits alimentaires ou non alimentaires permettant d'augmenter la production vivrière d'un pays. Il est pour le moins paradoxal que 14 des pays à faible revenu gravement endettés bénéficient de dispositions de la FASR susceptibles de les aider à équilibrer leur balance des paiements en cas d'augmentation des prix des céréales, mais ayant pour effet d'augmenter, par là-même, leur endettement à plus long terme. On voit donc que les problèmes suscités par un endettement extérieur élevé débordent largement les questions de balance des paiements et risquent d'entraver gravement la croissance économique à long terme, y compris celle du secteur agricole.
En premier lieu, l'utilisation, aux fins de service de la dette, des recettes en devises fortes a entraîné une compression des importations qui s'est répercutée sur l'industrie, étant donné qu'il a fallu réduire les importations d'intrants essentiels, d'où une sous-utilisation de la capacité industrielle; ce phénomène a également affecté l'agriculture, du fait de la réduction des approvisionnements en intrants agricoles non produits dans le pays. Il est en outre probable que les effets multiplicateurs des ralentissements de croissance sectorielle, voire, dans certains cas, de taux de croissance négative, ont été plutôt marqués. Parmi ces effets, il faut citer le rétrécissement de l'assiette fiscale et les répercussions que cela implique pour les recettes gouvernementales, et également la réduction du potentiel d'importation de biens d'investissement. A cela s'ajoute l'incidence, sur les budgets nationaux, des obligations découlant du service de la dette extérieure, lorsque les gouvernements doivent recourir à des sources de financement internes, aux taux d'intérêt plus élevés, pour financer les dépenses publiques: cette ponction a pour effet d'augmenter les taux d'intérêt et de raréfier les capitaux disponibles pour les investissements.
Ce sont souvent les catégories les plus pauvres qui subissent le plus durement le contrecoup des réductions de dépenses publiques et des tentatives de recouvrement de coûts, et, en particulier, dans les zones rurales, étant donné qu'il est parfois plus facile, politiquement parlant, de supprimer des postes d'agents de santé dans les campagnes que dans les hôpitaux des villes, ou encore des postes d'instituteurs de village plutôt que de professeurs d'université. On assiste, de ce fait, à un désinvestissement à l'égard du capital humain dont les conséquences se font sentir à très long terme. Pour mettre le problème en perspective, selon le Fonds des Nations Unies pour l'enfance (UNICEF), en investissant 9 milliards de dollars EU de plus par an, on obtiendrait les ressources nécessaires à l'Afrique subsaharienne pour atteindre les principaux objectifs de bien-être fixés au Sommet mondial de l'enfance, en 1990, parmi lesquels l'accès universel à une eau potable et à de bonnes conditions sanitaires, ainsi qu'à l'éducation primaire34. Comme observé plus haut, les remboursements réels - par opposition aux remboursements programmés - auxquels a donné lieu la dette, ont été de 13 milliards de dollars EU en 1994.
Facteur aggravant supplémentaire, l'expansion de l'agriculture - et, partant, de l'offre alimentaire intérieure - se trouve entravée par la carence de financements destinés au développement: en effet, une portion substantielle de l'aide publique au développement - un quart, selon certaines estimations35 - est transférée aux créanciers multilatéraux pour servir au financement de la dette multilatérale; or, parallèlement, la Banque mondiale et le FMI s'efforcent de refinancer la dette au moyen de prêts aux conditions plus favorables; de ce fait, en 1994, par exemple, l'IDA a déboursé un total de 2,9 milliards de dollars EU, dont près de 2 milliards ont été utilisés pour rembourser les créances de la Banque mondiale, et une partie du solde pour financer les paiements au FMI! Il y a donc non seulement une réduction quantitative de l'aide effective, mais également un déclin qualitatif, à mesure que des montants croissants de crédits destinés à l'assistance sont détournés vers le soutien de la balance des paiements plutôt que d'aider à lutter contre la pauvreté. De toute évidence, les efforts tendant à assurer la sécurité alimentaire s'en trouvent compromis.
Il faut ajouter que l'existence de tels fardeaux de dette extérieure a contribué à forcer la cadence des programmes d'ajustement structurel; le coût des ajustements augmente parallèlement à leur rythme et la croissance se ressent généralement des ajustements imposés de façon trop brutale36. Ce constat a comme corollaire que des ajustements plus échelonnés nécessitent un surcroît de soutien financier extérieur, et donc une aggravation de l'endettement afin de maintenir le pays à flot jusqu'à ce que l'équilibre macroéconomique soit rétabli.
Réduire le fardeau de la dette des pays à faible revenu gravement endettés n'est certes pas une panacée pour tous les fléaux liés à la pauvreté et à l'insécurité alimentaire, mais, si l'on tient compte des conséquences à long terme pour la balance des paiements et pour la croissance, on ne voit guère d'autres facteurs qui, pris isolément, puissent avoir des effets positifs d'une ampleur comparable, à condition que les ressources allouées soient utilisées aux fins prescrites. Toute analyse ayant pour thème la réduction de la dette débouche invariablement sur des considérations d'ordre éthique. Il faut reconnaître, à ce propos, que, tout comme les emprunteurs, les bailleurs de fonds bilatéraux, multilatéraux ou appartenant au secteur privé ont, eux aussi, des responsabilités; les nombreux cas de prêts accordés à mauvais escient, par suite de pressions politiques ou institutionnelles du côté des bailleurs de fonds, ou de prêts accordés à des gouvernements n'ayant pas d'assise populaire et tombés depuis, ou de crédits accordés à des projets ne convenant pas véritablement aux besoins du pays concerné, ou enfin de prêts destinés à favoriser la consommation ou les investissements mais dont le rendement ne suffisait pas à couvrir le service de la dette, plaident en faveur d'une approche plus souple à l'égard du problème général de l'endettement. Toutes les parties ont commis des erreurs, et il faut en tirer les enseignements. Si l'objectif primordial consiste véritablement à aider les pays les plus pauvres à sortir du dénuement et à atteindre la sécurité alimentaire, c'est précisément cet objectif qui doit servir de guide aux décisions et inciter à fournir à ces pays les ressources permettant de réduire leur niveau d'endettement, plutôt que de se borner à subventionner, en partie, le service de leur dette. Peut-être une telle idée serait-elle plus acceptable pour les créanciers si toute réduction du montant de la dette était systématiquement assorti d'une clause garantissant qu'une proportion préétablie des avantages obtenus sera utilisée selon des modalités déterminées, afin d'atténuer la pauvreté et l'insécurité alimentaire dans le long terme.
LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE RURALE ET URBAINE: UNE CROISSANCE ÉQUITABLE
Dans les pays ayant un secteur agricole important, les politiques qui visent à assurer la sécurité alimentaire au niveau national, et peut-être plus encore au niveau des ménages, doivent comprendre un volet destiné à l'agriculture et à l'économie rurale dans laquelle elle s'inscrit. Cela est si évident que l'on a parfois tendance à négliger l'insécurité alimentaire des ménages des zones urbaines. Cette section examinera donc quelques-uns des rapports entre l'économie rurale et l'économie urbaine, ainsi que les politiques macroéconomiques qui affectent les deux secteurs, et en particulier celles touchant au revenu, à l'emploi, aux impôts et aux dépenses publiques, qui jouent un rôle déterminant pour assurer l'accès aux disponibilités alimentaires; la compréhension des relations économiques entre les secteurs urbain et rural montre sous un jour différent les effets de ces politiques sur les ménages des deux secteurs.
L'une des conséquences principales du parti pris à l'encontre de l'agriculture en matière de politique économique - parti pris qui a entravé sa croissance dans de nombreux pays en développement - a été l'incidence extrêmement élevée de la pauvreté rurale et de son corollaire, l'insécurité alimentaire. Autre conséquence, le taux d'urbanisation, qui aurait été moins rapide en l'absence d'un tel préjugé. Plus des trois quarts de la population pauvre de l'Afrique subsaharienne et de l'Asie du Sud vivent dans des zones rurales. Malgré la forte croissance de la population urbaine qui, depuis 1960, s'est élevée à près de 6 pour cent par an en Afrique subsaharienne, aboutissant à un taux d'urbanisation de près d'un tiers de la population totale, le nombre global des ruraux continue d'augmenter37. Le niveau d'urbanisation est légèrement inférieur en Asie du Sud et du Sud-Est, ainsi que le taux annuel de croissance de la population urbaine, actuellement en-dessous de 4 pour cent. Bien que l'Amérique latine et Caraïbes soit beaucoup plus urbanisée (plus de 70 pour cent), une part importante de la population pauvre est composée de ruraux. C'est pourquoi, si l'on veut parvenir à la sécurité alimentaire, il faut adopter des politiques qui encouragent le développement de l'économie rurale. L'ampleur de ces chiffres ne doit pas, toutefois, faire oublier que de nombreuses couches de population urbaine sont de plus en plus affectées par l'insécurité alimentaire - encore aggravée par les réformes liées aux politiques structurelles38 - et que les gouvernements se doivent d'affronter ce problème. Il faut ajouter qu'en raison du manque d'homogénéité des définitions et des carences de données, il est difficile de comparer l'incidence réelle de la pauvreté et de l'insécurité alimentaire dans les villes et dans les campagnes, et d'apprécier les effets de l'urbanisation progressive sur l'insécurité alimentaire dans les agglomérations:
Si les poliques gouvernementales relatives à la sécurité alimentaire favorisent souvent les populations urbaines, une bonne partie des recherches spécifiques sur la sécurité alimentaire sont tournées vers les ruraux. On a constaté depuis longtemps que les gouvernements des pays en développement accordent davantage d'attention aux pauvres des villes qu'à ceux des campagnes, moins enclins à réclamer. Le parti pris des politiques alimentaires en faveur des citadins a été critiqué par les chercheurs, et à bon droit, surtout si l'on considère que les transferts concernant la consommation vivrière ont été financés par les pauvres des campagnes, par le biais de l'imposition implicite et explicite de l'agriculture39.
La différence entre économie urbaine40 et économie rurale n'est généralement pas établie par les économistes, qui tendent à percevoir le système comme comprenant la macroéconomie au niveau d'agrégation maximale, et un ensemble de secteurs - au premier échelon de ventilation. Cependant, une telle approche analytique présuppose un ensemble solide et complet de liaisons entre les divers secteurs, ce qui manifestement n'est pas le cas dans bon nombre de pays en développement. La distinction entre urbain et rural constitue peut-être une subdivision plus utile à des fins d'analyse et d'élaboration de politiques, et valide quel que soit le stade de développement d'un pays, mais elle est particulièrement pertinente pour les pays les moins avancés car les liens entre économie urbaine et économie rurale, qui passent en particulier par les marchés de la main-d'uvre et des produits vivriers, sont souvent plus importants que ceux qui existent entre les principaux secteurs économiques tels qu'on les définit traditionnellement. Autrement dit, l'absence de développement des secteurs non agricoles de l'économie rurale signifie que l'on trouve, dans un secteur comme celui de l'industrie manufacturière, peu de liens verticaux qui traversent la frontière urbain-rural et forment des liaisons croisées avec le secteur agricole; parallèlement, le secteur des services urbains peut n'avoir que des liens verticaux ténus avec la fourniture de services dans les zones rurales; on pourrait, par exemple, trouver une trame plus serrée entre l'économie urbaine en général et le secteur agricole au niveau de la distribution comme celle des biens importés.
La différence entre urbain et rural est également pertinente dans les pays en transition, qui passent d'une économie planifiée à une économie de marché, et dont les politiques de réforme agraire ont eu un impact considérable sur l'économie rurale. La fourniture de nombreux services économiques et sociaux dans les zones rurales, comme l'entretien des chemins ruraux, les crèches et les infrastructures culturelles et de loisirs, était placée antérieurement sous la responsabilité des fermes collectives et des coopératives, et la privatisation des exploitations agricoles a créé un vide dans la fourniture de services en zones rurales. En même temps, la brusque réduction des subventions agricoles entraîne une contraction de l'activité agricole, avec comme conséquence le chômage et l'exode vers les villes, même si dans certains pays de transition, on a parfois observé un flux considérable de main-d'uvre non qualifiée passant de l'industrie à l'agriculture.
Dans la plupart des pays en développement, l'agriculture reste le pilier de l'économie rurale et, directement ou indirectement, la source principale de revenus ruraux: d'où la tendance à mettre en évidence la nécessité d'un développement agricole comme but premier, selon l'argument que, dans les pays essentiellement agricoles, l'insuffisance de capitaux limite la capacité des zones urbaines à absorber la main-d'uvre qui abandonne l'agriculture. Ainsi, la croissance de l'agriculture, et celle des entreprises qui dépendent d'elle, constituent le moyen principal d'augmenter l'emploi et les revenus sur une large base. Le progrès technologique qui potentialise l'exploitation des sols représente la clé d'une productivité agricole plus élevée entraînant la baisse du prix des produits vivriers et l'augmentation du revenu national. Cette baisse du prix des vivres a également un effet multiplicateur sur le revenu intérieur, dans la mesure où les salaires des zones urbaines n'ont pas besoin d'augmenter autant, avec comme résultat la création de nouveaux emplois et une production accrue pour l'ensemble de l'économie. La croissance agricole a aussi d'autres effets multiplicateurs; une production agricole plus élevée engendre une demande effective de biens et de services offerts par les secteurs non agricoles de l'économie; ainsi, les prix relatifs (les termes de l'échange) évoluent en faveur des secteurs non agricoles, et les ressources, y compris la main-d'uvre et les capitaux, passent d'une utilisation agricole à d'autres secteurs, dont la croissance se trouve stimulée. L'impact positif des stratégies de développement orientées sur l'agriculture, lorsqu'elles sont appropriées, est amplement démontré par des études concrètes41.
Cependant, la question présente des aspects plus complexes. Un développement sectoriel axé sur l'agriculture - qui, du fait du parti pris contre l'agriculture et de la priorité accordée aux autres secteurs, apparaît comme plus marqué - masque le fait que l'agriculture, en tant que secteur, opère essentiellement dans le contexte de l'économie rurale, qui constitue un sous-ensemble de l'économie nationale s'étendant au-delà de chaque secteur. Une telle option néglige en outre le fait que la population rurale pauvre dépend de plus en plus de sources de revenus non agricoles, comme l'artisanat, les services, les envois de fonds et les salaires non agricoles, dont le total peut égaler, voire dépasser, la part du revenu d'origine agricole42. Ce phénomène n'est pas limité aux ruraux pauvres et sans terre; il englobe aussi un grand nombre de petits exploitants qui sont acheteurs nets de vivres. Si l'on veut vraiment s'attaquer à l'insécurité alimentaire des zones rurales, il faut donc mettre en valeur non seulement l'agriculture mais l'économie rurale dans son ensemble, ce qui aura pour effet de réduire l'insécurité alimentaire des villes en augmentant leur approvisionnement en vivres à des prix plus abordables.
Les autres secteurs de l'économie rurale sont liés au secteur agricole par des relations en amont et en aval, ainsi que par les effets multiplicateurs agissant sur la consommation et la production. Selon Von Braun «un examen des relations agricoles/non agricoles dans les zones rurales de l'Afrique subsaharienne semble indiquer que les multiplicateurs de croissance agricoles jouent un rôle notable, quoique moins marqué que dans certains pays d'Asie»43. Cela signifie que, pour que le développement agricole conduise à une croissance de l'économie rurale sur de larges bases, et pour que le secteur agricole s'intègre aux économies nationale et internationale, les politiques, et en particulier celles destinées à l'Afrique subsaharienne, doivent avant tout viser la création de liaisons nouvelles, au lieu de se limiter à renforcer celles qui existent déjà (Voir Les politiques économiques touchant aux échanges extérieurs, p. ...). Parallèlement, le développement agricole a lui-même besoin que soient tissées et que s'étendent les liaisons au sein de l'économie rurale et avec l'économie nationale (urbaine) et internationale, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives d'emploi et de revenus ruraux. S'agissant, par exemple, des approvisionnements en intrants (liaison amont), il y aura une hausse de la demande de biens d'équipements, tels que les outils et les machines agricoles, ainsi que des services liés aux intrants. Les relations en aval comprennent des éléments comme la commercialisation de la production et la transformation des produits vivriers. On pourra également produire dans les zones rurales certains biens de consommation dont la demande augmentera parallèlement à celle des revenus agricoles - et ruraux non agricoles.
Une telle importance accordée à la mise en valeur de l'économie rurale, l'impulsion étant donnée par le développement agricole, pourrait comporter de grands avantages, sur le long terme, pour l'économie urbaine. A l'heure actuelle, la situation des nombreux pays en développement qui n'ont pas fondé leur croissance sur de larges bases est plutôt difficile. La stagnation de l'économie rurale a stimulé à un tel point l'exode des campagnes vers les villes que le secteur structuré de l'emploi n'est plus en mesure de l'absorber. Les allocations de vivres aux consommateurs urbains ont constitué une incitation supplémentaire, plus particulièrement peut-être en Amérique latine et Caraïbes et dans certaines autres régions où la structure agraire bimodale a entraîné la paupérisation et l'indigence. Observant l'Afrique subsaharienne, par exemple, Gleave soutient que «les niveaux et les taux actuels d'urbanisation ainsi que la dimension des grandes villes du sous-continent ne sont pas le produit du développement économique mais le reflet de son absence. ... Parmi ces problèmes, il y a l'emploi (et le chômage), le logement, les encombrements de la circulation, la fourniture de courant électrique et d'eau, le réseau d'égouts et l'évacuation des ordures»44. (Cette situation contraste fortement avec celle des pays nouvellement industrialisés d'Asie où l'urbanisation a augmenté parallèlement aux possibilités d'emploi.) Les politiques de réduction de la demande qui font partie de nombreux programmes d'ajustement structurel45 ont exacerbé une situation déjà difficile, surtout dans les agglomérations urbaines; les réductions d'emploi dans le secteur public, la diminution des subventions vivrières, l'institution d'impôts indirects et la chute des salaires réels représentent un fardeau excessif pour la population pauvre des villes, qui voit en outre se détériorer sa sécurité alimentaire. Les perspectives réduites offertes à la main-d'uvre et la baisse des salaires réels dans le secteur structuré, augmentent l'offre de travail dans le secteur parallèle et exercent une pression à la baisse sur les rémunérations du travail. Ce phénomène se produit en dépit de la hausse du prix des vivres, qui se traduit en général par une hausse des salaires, car la main-d'uvre du secteur parallèle n'est pas organisée de manière à présenter une demande efficace de salaires plus élevés. Les relations avec le secteur rural, principalement par le biais de la main-d'uvre, du marché vivrier et des envois de fonds, transmettent certains de ces effets négatifs à l'économie rurale.
Une croissance économique à long terme et sur une large base constitue une condition préalable à l'amélioration de la sécurité alimentaire. Elle doit nécessairement comporter le développement de l'économie rurale dans sa totalité, ce qui exige la croissance du secteur agricole et le renforcement des liens au sein de l'économie rurale, et des liens entre celle-ci et l'économie urbaine. Mais la croissance en elle-même, tout en étant nécessaire, n'est pas suffisante. La croissance doit être équitable pour toute la population, tant rurale qu'urbaine, car même si le nombre absolu des personnes vulnérables à l'insécurité alimentaire est plus élevé dans les zones rurales, la malnutrition affecte encore beaucoup de monde dans les zones urbaines. Or, du fait des liens existant entre zones urbaines et rurales, la pauvreté et l'insécurité alimentaire ne manqueront pas d'avoir des effets négatifs réciproques.
A plus long terme, pour qu'il y ait croissance équitable, il faut que les pauvres touchés par l'insécurité alimentaire exercent un plus grand contrôle sur les ressources, de manière à garantir un partage plus juste des bénéfices de la croissance, ce qui entraînera, à son tour, davantage de croissance. Dans l'immédiat, on pourrait prendre des mesures pour améliorer les conditions de sécurité vivrière des plus démunis46, en tenant compte de la nécessité de protéger les plus vulnérables contre les effets négatifs des programmes d'ajustement structurel, tout en garantissant que soient retirés les avantages à long terme que comportent de tels programmes du point de vue de la croissance économique générale.
Régime fiscal. Les politiques fiscales affectent les catégories pauvres de manière cruciale. Les modifications de l'assiette d'imposition qui augmentent les recettes gouvernementales par les impôts indirects plutôt que par les impôts directs frappent généralement les pauvres de manière disproportionnée. L'imposition directe est plutôt progressive, tandis que les impôts indirects sont régressifs lorsqu'ils sont appliqués aux biens et services que se procurent les pauvres (vivres, transports en commun, combustibles pour cuisiner), ou aux intrants de ces biens et services; les impôts indirects peuvent avoir un effet progressif s'ils sont appliqués aux produits et aux services de luxe. De ce fait, alors que la réduction d'une charge fiscale directe et indirecte excessive sur le secteur agricole supprime certaines distorsions antiagricoles et antirurales des politiques précédentes, le passage à des mesures fiscales mal conçues peut causer aux pauvres un préjudice encore plus grand.
Dépenses publiques. L'orientation des dépenses publiques joue un rôle aussi important que les politiques fiscales. Il est possible de réduire ces dépenses tout en sauvegardant les crédits alloués aux services essentiels, comme l'enseignement primaire et les soins de santé de base, tant dans les villes que dans les campagnes. Une telle politique est sans aucun doute plus facile lorsque l'économie est en expansion, même si les réductions entraînent une diminution temporaire de la dépense par habitant. Une croissance économique négative pose des problèmes bien plus ardus, mais l'on peut accorder la priorité aux services indispensables aux plus pauvres. Dans la pratique, on constate trop souvent que les pouvoirs publics privilégient la population urbaine à revenu élevé et moyen, la priorité étant accordée, par exemple, aux crédits pour les hôpitaux et pour l'enseignement secondaire et supérieur, plutôt que de garantir aux plus indigents, qu'ils soient urbanisés ou ruraux, l'accès gratuit à des services plus élémentaires qu'ils ne peuvent se permettre mais qui sont essentiels au développement des ressources humaines47. Si l'on veut atteindre les objectifs du développement à long terme, il est nécessaire d'investir dans les infrastructures et d'allouer les crédits nécessaires à leur entretien. Négliger l'entretien s'avère toujours une fausse économie.
Les choix concernant les dépenses publiques doivent également tenir compte des subventions alimentaires car elles constituent un important mécanisme de péréquation en faveur des ménages pauvres qui consacrent la plus grande partie de leur revenu aux dépenses alimentaires. Les subventions vivrières, souvent de type universel, ont surtout bénéficié aux consommateurs des villes. Des raisons essentiellement budgétaires ont amené à préférer aux subventions universelles les subventions ciblées, et il a fallu beaucoup de temps et d'efforts pour mettre sur pied les programmes correspondants. Il est indéniable que le fait de remplacer les subventions universelles par des subventions ciblées en a réduit les coûts, mais il est beaucoup moins certain que les subventions ciblées aient entièrement atteint leur objectif de couverture intégrale des groupes ciblés. Steward explique cette difficulté par quatre raisons principales: le manque d'informations des groupes visés; le coût de l'admissibilité comme prestataire des projets ciblés; les critères d'admissibilité qui excluent aussi bien certains pauvres que les non-pauvres; enfin, l'opprobre48. Bien qu'une analyse serrée des coûts et des avantages des interventions ciblées puisse donner des résultats positifs, une telle approche ne tient pas compte des coûts réels qu'emporte l'exclusion d'une partie des nécessiteux: pertes à la fois à court et à long terme de la productivité de la main-d'uvre, ou encore répercussions intergénérationnelles liées à la malnutrition maternelle et aux troubles de la procréation. Il faut noter également que si, dans certains cas, les subventions universelles peuvent profiter aux groupes plus favorisés en termes absolus - tout comme, dans l'absolu, le soutien aux prix agricoles profite davantage aux grandes exploitations - les avantages en termes de revenus sont plus considérables pour les groupes plus pauvres, en raison de la proportion sensiblement plus élevée de revenu qu'ils consacrent aux vivres. En outre, si la portée des programmes de subventions vivrières, qu'elles soient universelles (dans le sens que tous les acheteurs de blé importé et de dérivés du blé, pour prendre un exemple, bénéficient des subventions) ou qu'elles soient ciblées, ne s'étend pas aussi bien aux zones rurales qu'aux zones urbaines, la majorité des pauvres ne bénéficieront de toute façon pas des subventions. L'idée couramment admise selon laquelle les ruraux pauvres, en tant que producteurs de vivres, tirent davantage profit des subventions sous forme de soutien aux prix agricoles, est battue en brèche par le fait que dans de nombreux pays en développement une grande partie des ruraux pauvres, qu'ils soient agriculteurs de semi-subsistance ou paysans sans terre, se trouvent être acheteurs nets de produits vivriers. Une hausse des prix des vivres aura donc souvent tendance à réduire les effets positifs, sur les revenus, de prix à l'exploitation plus élevés. C'est pourquoi l'octroi de subventions alimentaires et la forme qu'elles prennent influent directement sur la sécurité alimentaire et sur la capacité des ménages à améliorer cette dernière, par le biais d'une meilleure productivité de la main-d'uvre et des effets sur les revenus.
Politiques gouvernementales et marché du travail. La seule ressource dont disposent beaucoup de pauvres est leur capacité de travail, généralement limitée par le manque de qualifications; quant à leur productivité, elle risque d'être altérée par la malnutrition, la mauvaise santé et l'absence de moyens permettant d'accéder à l'instruction ou à une formation. Une croissance basée sur l'emploi constitue néanmoins, le moyen le plus efficace pour lutter contre la pauvreté et l'insécurité alimentaire, dans les zones urbaines comme dans les campagnes49. Pour y parvenir, les politiques gouvernementales doivent améliorer la productivité de la population active; mettre les pauvres en condition d'accéder aux possibilités d'emploi50, supprimer ou éviter les obstacles que rencontre la main-d'uvre sur le marché du travail; permettre, dans l'échelonnement des réformes politiques, l'ajustement plus graduel du marché du travail par rapport au marché des capitaux. La Banque mondiale a fait le constat suivant:
De nombreux pays font baisser le prix des importations de biens d'équipement (en réduisant les droits de douane et en surévaluant les taux de change), offrent des dégrèvements fiscaux sur les immobilisations de capital et subventionnent le crédit. Toutes ces mesures tendent à réduire le coût du capital. Les subventions accordées aux prix de l'énergie aggravent souvent cette distorsion et, de surcroît, ont des conséquences néfastes pour l'environnement. Par contraste, les contributions destinées à la sécurité sociale, la législation du travail et les hauts salaires - en particulier dans les industries où la compétitivité est faible - tendent à faire augmenter le coût de la main-d'uvre dans le secteur structuré... Les politiques du marché du travail... visent généralement à accroître le bien-être social ou à réduire l'exploitation des travailleurs. Mais, dans le même temps, elles contribuent à faire monter le coût de la main-d'uvre dans le secteur structuré et à réduire l'offre de travail. Des études effectuées dans les années 70 et 80 ont montré que les normes sur la prévention des accidents de travail ont réduit, sur le long terme, la demande de main-d'uvre d'environ 18 pour cent en Inde et de 25 pour cent au Zimbabwe. Dans le secteur structuré, en tout cas, la pauvreté est un phénomène peu répandu. Pourtant, en essayant d'améliorer le bien-être des travailleurs, les gouvernements ont fait baisser l'emploi dans le secteur structuré et croître l'offre de main-d'uvre dans les secteurs parallèles rural et urbain, réduisant ainsi les revenus du travail là où le taux de pauvreté est le plus élevé51.
Dans la plupart des pays en développement et, plus particulièrement, dans les pays qui appliquent les programmes d'ajustement structurel, l'emploi structuré ne constitue qu'un faible pourcentage du travail disponible. Reconnaissant l'importance du secteur parallèle, des organismes comme l'Organisation internationale du travail (OIT) et la Banque mondiale sollicitent de plus en plus l'adoption de politiques capables de renforcer le secteur parallèle en réduisant ou en supprimant les restrictions imposées à ses activités même si, à court et à moyen terme, ces politiques présentent des aspects négatifs:
Les pays en développement n'ont pas le choix: ils doivent accumuler des investissements suffisants, afin de parvenir à un taux élevé de croissance à forte intensité d'emploi. La création d'emplois est l'unique moyen permettant d'atteindre cet objectif, car c'est à la fois une composante essentielle de la prospérité et le mécanisme le plus efficace de distribution des revenus. Si l'on veut parvenir à un régime de croissance axé sur la promotion de l'emploi et sur la réduction du chômage et de l'indigence, il faut mettre en uvre une stratégie cohérente de lutte contre la pauvreté52.
Les gouvernements, parfois en association avec les organismes internationaux, ont mis en uvre, avec un succès variable, une gamme considérable de programmes de création d'emplois53. Dans le meilleur des cas, ces programmes fournissent un emploi productif aux plus pauvres - productif dans le sens que le travail effectué crée des infrastructures sociales utiles, comme les routes, les adductions d'eau et les structures sanitaires, ou s'attaque à des contraintes relatives aux ressources comme la qualité des sols ou l'irrigation. Alors que les gouvernements ou les financements internationaux peuvent fournir les moyens nécessaires (en espèces ou en vivres servant de salaires) on peut, dans certains cas, avoir recours au secteur privé pour la phase d'exécution. Quel que soit le stade de développement d'un pays, il est souvent plus facile de construire une infrastructure que d'en assurer l'entretien une fois que la responsabilité en est transférée à un autre service gouvernemental sans que soient alloués des fonds supplémentaires à cet effet. Bien que la plupart des projets aient été réalisés dans des zones rurales, rien ne s'oppose, en principe, à la conception de projets appropriés aux zones urbaines. Le rôle joué par le choix du lieu dépend, dans une large mesure, de la mobilité physique et financière de la main-d'uvre. La planification est également importante, pour des raisons budgétaires ainsi que pour garantir le soutien institutionnel et technique indispensable au succès.
Toute politique visant à améliorer la sécurité alimentaire doit disposer d'informations établissant quelles sont les populations touchées par l'insécurité alimentaire, leur localisation et dans quelle mesure les politiques adoptées ont prise sur le problème. L'objet et la méthode de contrôle relèvent des décisions que chaque gouvernement prend en fonction du contexte national; les organismes internationaux peuvent aider dans ce sens. On trouvera, dans l'encadré 19, un résumé d'une intéressante initiative de la FAO et du Save the Children Fund en matière de surveillance et d'identification des situations d'urgence; on pourrait éventuellement s'en inspirer pour des situations plus courantes.
Ce chapitre a fait ressortir que la croissance économique (même lorsqu'elle est équitable) ne peut pas résoudre à elle seule tous les problèmes liés à la pauvreté, à l'insécurité alimentaire et à la malnutrition. Cependant, sans une croissance équitable, il est difficile d'entrevoir une solution. La mise en uvre d'une politique de croissance équitable dépendra, tout compte fait, de la volonté politique. Mais, partout, les gouvernements sont portés au pouvoir et soutenus par diverses coalitions d'intérêts, et lorsque ceux-ci ont une base étroite, la maîtrise des ressources - y compris l'expression politique - échappant à une large part de la population, il est difficile d'entreprendre une action contraire à ces intérêts. L'expérience montre que la distribution des ressources est plus facile lorsque l'ensemble de l'économie est en expansion. Il est également vrai qu'il est plus facile d'obtenir un soutien politique si les avantages accordés aux pauvres sont étendus, dans une certaine mesure, aux non-pauvres. Ainsi, par exemple, la substitution des subventions alimentaires universelles par des subventions ciblées a, dans certains cas, fait perdre au programme le soutien politique dont il jouissait. C'est aux gouvernements qu'il incombe de prendre des décisions difficiles quant aux choix réalistes et aux compromis qui relèvent de leur pouvoir; les conseillers en matière de politiques - y compris les économistes - ne peuvent en définitive qu'émettre des avis sur les solutions et les résultats possibles:
Depuis des millénaires, les utopistes prêchent contre l'égoïsme humain sans grand succès... Parfois, il peut être plus efficace de s'adresser à l'intérêt à long terme des puissants au lieu de tabler sur leur altruisme. Or, une main-d'uvre bien nourrie et instruite est essentielle pour un avenir de profit et de prospérité. La pauvreté et la faim engendrent la criminalité, la maladie, les émeutes, la révolution et la guerre. Les pauvres ne sont pas des clients intéressants. La destruction de l'environnement prive les générations futures de leurs droits vitaux. Tous ces faits sont bien connus. Mais ils n'ont pas suffi, jusqu'à présent, à susciter la détermination politique nécessaire à l'adoption de stratégies efficaces, capables d'éliminer la pauvreté et la faim ou de protéger de manière adéquate l'environnement, même dans les pays riches, pour ne rien dire des pays pauvres où les obstacles d'ordre économique et technique sont bien plus contraignants54.
Même s'il semble nécessaire de souligner les problèmes qu'il reste à affronter sur la voie de la sécurité alimentaire, il faut cependant rappeler que, dans de nombreux pays, les bons résultats obtenus jusqu'ici dans ce domaine sont véritablement dignes de mention. L'économie, il est vrai, a bien triste réputation en tant que science; mais ce sont des politiques économiques valables, défendant la nécessité d'une croissance équitable, qui ont contribué aux bons résultats - et qui, dans l'avenir, pourront y contribuer encore.
ENCADRÉ 19 Le Save the Children Fund (SCF) travaille, conjointement à la FAO, à un projet parrainé par l'UE et visant à élaborer une méthode assistée par ordinateur qui permette, en cas de famine, des alertes rapides plus fiables. La méthodologie de base intègre une approche d'économie vivrière au niveau des ménages à une évaluation sur la sécurité alimentaire, en vue de fournir des informations sur les changements affectant l'accès concret aux vivres et non pas seulement sur leur disponibilité. Il s'agit, par ce moyen, de prendre en considération les diverses sources de revenu des ménages ruraux et leurs différentes stratégies pour affronter des situations qui menacent d'aggraver l'insécurité alimentaire. Le programme est en mesure de gérer des données provenant d'un grand nombre de sources, y compris les opinions des experts et des informations officieuses sur les conditions locales; ce dernier facteur est très important, car les données officielles couvrent un champ limité, elles sont peu différenciées et ne tiennent guère compte de la complexité des microsystèmes alimentaires. D'après les informations générales du SCF concernant le projet, qui est encore en phase d'élaboration, le modèle se compose de trois éléments: la base de données, comportant la description de chaque économie vivrière (définie par une implantation, une production et des facteurs commerciaux suffisamment homogènes), étudiée en fonction de ses sources habituelles de disponibilités alimentaires, de sa tendance excédentaire ou déficitaire, ainsi que de l'emplacement et des caractéristiques des marchés servant aux échanges commerciaux à l'embauche de main-d'uvre; Ce modèle fournit des informations sous forme de cartes, de graphiques et de rapports écrits identifiant les zones qui présentent des besoins, et il établit des estimations sur la proportion de la population souffrant de déficit vivrier et le degré de ce déficit. Bien que ce modèle de carte des risques ait été conçu à des fins d'alerte rapide en cas de famine et qu'il ait de bonnes chances de constituer un outil très utile dans ce domaine, on peut raisonnablement escompter que l'approche en question aura un potentiel d'application beaucoup plus étendu: les effets de catastrophes naturelles telles que la sécheresse ou les inondations, ou de désastres provoqués par l'homme, comme les guerres, se prêtent à ce type d'analyse, tout comme les schémas «normaux» de l'insécurité alimentaire. On pourrait ainsi, à l'avenir, adapter ce modèle pour aider les gouvernements à surveiller la disponibilité de vivres dans les zones notoirement exposées à l'insécurité alimentaire et à évaluer les résultats des politiques visant à améliorer la sécurité alimentaire. |
1 Ce chapitre a été commandé par la FAO auprès d'auteurs extérieurs afin d'explorer dans une perspective nouvelle certaines des questions macroéconomiques liées à la sécurité alimentaire, de manière à élargir, approfondir et enrichir le débat sur ce sujet des plus importants. Cette initiative tient compte du fait que les économistes professionnels ont, en toute bonne foi, des divergences profondes quant à leur interprétation et leur évaluation des faits et des données touchant à de nombreux problèmes, y compris ceux liés à la sécurité alimentaire. La FAO accueille cette contribution au débat, sans pour autant adopter de position officielle quant à son contenu.
2 FAO. 1983. Rapport du Comité de la sécurité alimentaire mondiale, 8ème session. Document CL83/10. Rome. Cette définition a été entérinée par la Conférence internationale sur la nutrition de 1992; à quelques variations près, cette formulation est aujourd'hui largement utilisée par les spécialistes de la pauvreté et de la sécurité alimentaire.
3 On trouvera une description de l'évolution du commerce mondial et régional dans FAO. 1995. Le commerce agricole: à l'aube d'une ère nouvelle? dans La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1995. Rome.
4 Pour une analyse plus détaillée concernant la demande alimentaire et la distinction entre demande et consommation, voir FAO. 1995. Le consommateur face aux réformes, dans La situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture 1995. Rome.
5 S.L. Barraclough. 1991. An end to hunger? The social origins of food strategies. Rapport préparé pour l'United Nations Research Institute for Social Development (UNRISD) et pour la Commission du Sud sur la base de recherches effectuées par l'UNRISD sur les systèmes alimentaires et la société. Zed Books Ltd en association avec l'UNRISD. London and Atlantic Highlands. New Jersey, Etats-Unis.
6 A. Swinbank. 1992. The EEC's policies and its food. Food Policy, février 1992, p. 53-64.
7 P. Diskin. 1994. Understanding linkages among food availability, access, consumption and nutrition in Africa: empirical findings and issues from the literature. Michigan State University International Development Working Paper No. 46. Departement of Agricultural Economics/ Department of Economics. Michigan State University.
8 Banque mondiale. 1986. Poverty and Hunger. Etude de la Banque mondiale. Washington. Il semble que la Banque mondiale ait en grande partie abandonné cette distinction dans son récent document de stratégie: H.P. Binswanger et P. Landell-Mills. 1995. The World Bank's strategy for reducing poverty and hunger: a report of the development community. Washington. Banque mondiale. On insiste, aujourd'hui, sur les mesures à court et à moyen termes visant à répondre à ces deux types d'insécurité. Cependant, certains auteurs ont cherché à maintenir la distinction précédente.
9 FAO. 1996. Alimentation, agriculture et sécurité alimentaire: évolution depuis la Conférence mondiale de l'alimentation et perspectives. Sommet mondial de l'alimentation. Document d'information technique n° 1, Rome.
10 Les principaux résultats de ces travaux sont présentés et analysés dans IFPRI. 1995. Populations and food in the early twenty-first century: meeting future food demand of an increasing population. Publié sous la direction de N. Islam. IFPRI Occasional Papers. Washington.
11 A l'occasion de révisions ultérieures de modèles de projections jusqu'à l'an 2020, les résultats donnés par l'IFPRI pour l'an 2010 ont été remaniés, notamment en ce qui concerne les ex-pays à économie planifiée (production et consommation) et l'Afrique subsaharienne (importations nettes); les projections de l'IFPRI sont à présent beaucoup plus proches de celles de la FAO.
12 On trouvera une analyse approfondie des questions de méthodologie, des projections de population et des conclusions concernant les principaux groupes régionaux dans IFPRI, op. cit. note 10. Les problèmes régionaux sont, en outre, passés en revue dans plusieurs numéros de la série de documents de base édités par l'IFPRI sur l'alimentation, l'agriculture et l'environnement.
13 L'un des analystes considère que les conclusions concernant les perspectives de sécurité alimentaire dans l'Afrique subsaharienne sont d'un pessimisme excessif. Voir G.I. Abalu dans IFPRI, p.121-126, op. cit., note 10.
14 Ce point est traité un peu plus loin dans ce chapitre.
15 Il existe une documentation très riche sur ce sujet, à tous les niveaux de technicité. La FAO publie un vaste éventail de documents sur des aspects spécifiques de cette question, et les documents techniques de base du Sommet mondial de l'alimentation 1996 (voir l'encadré 14 p. 263) traite en détail de nombreux aspects de la sécurité alimentaire. On trouvera une synthèse utile dans Banque mondiale. 1995. World Bank Development Report 1995. Oxford University Press, New York; P. Pinstrup-Andersen et R. Pandya-Lorch. 1994. Alleviating poverty, intensifying agriculture and effectively managing natural resources. Food, Agriculture and the Environment Discussion Paper No.1. IFPRI. Washington. En outre, plusieurs documents de base, établis dans le cadre de l'initiative Vision 2020 de l'IFPRI, traitent une large gamme de sujets connexes.
16 Les principales pressions qui ont déterminé ces réformes sont décrites dans FAO. 1995. Le consommateur face aux réformes, dans La situation de l'alimentation et de l'agriculture 1995. Rome.
17 Banque mondiale. 1986. Poverty and hunger. Etude de la Banque mondiale. Washington.
18 Barraclough, op. cit., note 5, p. 266.
19 Ibid.
20 On a eu connaissance de cas où, un organisme gouvernemental réservait l'approvisionnement en engrais, pour prendre un exemple, aux sympathisants d'un parti politique donné.
21 D. G. Johnson. 1984. Alternative approaches to international food reserves. Document établi pour le Colloque de la FAO sur la sécurité alimentaire mondiale, Rome, 3-7 septembre 1984. ESC:FS/SYMP/84/5.
22 P. Pinstrup-Andersen et J.L. Garrett. 1996. Rising food prices and falling grain stocks: short-run blips or new trends? 2020 mémoire No. 30, IFPRI, Washington.
23 FAO, op. cit., note 3, p. 265.
24 Les résultats ont été publiés en cinq volumes dans Banque mondiale. The political economy of agricultural pricing policy. Baltimore, Maryland, Etats-Unis et Londres, Johns Hopkins University Press. On trouvera un résumé des principales conclusions dans M. Schiff et A. Valdés. 1992. The plundering of agriculture in developing countries. Banque mondiale. Washington.
25 L. Demery et L. Squire, 1996. Macroeconomic adjustement and poverty in Africa: an emerging picture. The World Bank Research Observer,11 (1): 39-59. Les auteurs s'appuient sur des données détaillées recueillies auprès des ménages pour décrire la situation dans six pays d'Afrique.
26 Schiff et Valdés, op. cit., note 24.
27 Le Programme d'importation sectorielle de l'UE vise à permettre l'obtention des devises nécessaires à l'importation de certains produits hautement prioritaires, tels que les engrais, les produits agrochimiques, les machines et les pièces détachées nécessaires à la transformation des produits agricoles, et les équipements de pêche. Le programme est proposé aux opérateurs du secteur privé comme aux organismes gouvernementaux, et il suppose le dépôt d'un montant équivalent en devises locales.
28 Une importante littérature a été consacrée à la fonction et à l'utilisation des marchés de contrats à terme, y compris à la distinction entre les opérations de couverture, ou «hedging», et la spéculation, de même qu'aux différentes utilisations qui en sont faites par les producteurs, les négociants, les transformateurs et les spéculateurs. On trouvera une bonne introduction aux marchés des contrats à terme dans le domaine des denrées agricoles dans D.M.G. Newbery et J.E. Stiglitz. 1981. The theory of commodity price stabilization: a study in the economics of risk. Clarendon Press. Oxford, Royaume-Uni.
29 K.M. Gordon. 1982. Food Security: a mean-variance approach. Department of Agricultural and Resource Economics, University of California, Berkeley, Etats-Unis. (thèse).
30 H. Ezekiel. 1993. Integration between export compensation and cereal financing under the IMF Cereal Financing Scheme. Dans P. Berck et D. Bigman, éds. Food security and food inventories in developing countries. CAB International. Wallingford, Royaume-Uni.
31 Les 32 pays à faible revenu gravement endettés constituent l'essentiel des 41 pays classés par la Banque mondiale comme pays pauvres lourdement endettés (Tableau de la dette internationale 1994-1995). On trouve, parmi les autres pays cités, sept pays qui ont reçu un traitement de faveur du Club de Paris et deux pays à revenu moyen-inférieur qui sont récemment passés dans la catégorie «IDA seulement». Voir S. Claessens, E. Detragiache, R. Kanbur et P. Wickham. 1996. Analytical aspects of the debt problems of heavily indebted poor countries. Policy Research Working Paper No. 1618. Bureau régional pour l'Afrique de la Banque mondiale, Bureau de l'Economiste principal; Bureau régional pour l'Asie orientale et le Pacifique, Bureau du Vice-Président régional, et Département des études du Fonds monétaire international.
32 Financial Times, 20 mai 1996.
33 La disparité entre le montant de la dette et les paiements liés à son service découlent du fait que les créanciers multilatéraux sont les premiers à être remboursés, en raison des lourdes pénalités applicables à un pays défaillant dans ses remboursements au FMI ou à la Banque mondiale. Pour une analyse détaillée de cette question, voir Oxfam. 1996. Multilateral debt: the human costs. Oxfam International Position Paper. Oxford, Royaume-Uni.
34 Ibid.
35 Ibid.
36 T. Killick. 1993. The adaptive economy: adjustment policies in small, low-income countries. EDI Development Studies. Banque mondiale. Washington.
37 M.B. Gleave. éd. 1992. Tropical African Development. Harlow, Royaume-Uni, Longman Scientific and Technical et New York, John Wiley and Sons Inc.
38 Voir Demery et Squire, op.cit., note 25, p. 294, qui observent que les preuves amènent à penser que la pauvreté urbaine a sensiblement augmenté. Ils soulignent aussi que le problème des données continue de se poser, malgré la récente progression du nombre d'enquêtes sur les ménages.
39 J. Von Braun. 1987. Food security policies for the urban poors. Réimpression no 169. Washington; IFPRI. De A. Kopp, éd., 1987. Scientific positions to meet the challenge of rural and urban poverty in developing countries. Documents d'une conférence organisée par la Fondation allemande pour le développement international et par le Centre de recherche sur le développement régional de l'Université Justus-Liebig de Giessen, du 22 au 26 juin 1987, Hambourg, Allemagne, Verlag, Weltarchiv GMBH.
40 On ne dispose pas d'une définition type d'urbain en termes de dimension de la ville. En outre, les définitions peuvent comprendre l'importance administrative et commerciale et des critères excluant l'activité agricole. Ainsi, dans le contexte d'un pays en développement, l'urbanisation est davantage caractérisée par la diversité de la base économique, accompagnée d'une faible dépendance à l'égard de l'agriculture, que par son importance. Voir Gleave, op.cit., note 37.
41 On trouve un bon résumé sur la question dans T.L. Vollrath. 1994. The role of agriculture and its prerequisites in economic development. Food policy, 19(5): 469-478.
42 J. Von Braun. 1989. The importance of non-agricultural income sources for the rural poor in Africa and implications for food and nutritional policy. Réimprimé no 189. Washington, IFPRI, PEW/Cornell Lecture Series on Food and Nutrition Policy.
43 Ibid.
44 Gleave, op. cit., note 37 p. 312.
45 Pour une analyse théorique et pratique des différentes composantes des programmes d'ajustement structurel et de leur incidence sur la pauvreté, voir F. Steward. 1995. Adjustment and poverty: options and choices. Londres et New York, Routledge.
46 F. Stewart, ibid., propose un exposé plus détaillé des thèmes qui vont suivre.
47 Voir Demery et Squire. op.cit., note 25, p. 294.
48 Stewart, op.cit., note 45.
49 Voir Demery et Squire, op.cit., note 25, p. 294.
50 «Lorsque les pauvres sont concentrés à la périphérie des agglomérations urbaines, comme cela arrive dans beaucoup de pays en développement, le coût et la disponibilité des transports en commun deviennent des facteurs déterminants de leur capacité d'obtenir un emploi». Banque mondiale. 1994. World Development Report 1994. Oxford University Press, New York.
51 Banque mondiale. 1990. World Development Report 1990. New York, Oxford University Press.
52 J. Von Braun, éd. 1995. Employment for poverty reduction and food security. IFPRI, Washington.
53 J. Von Braun, ibid., présente un bon compte rendu des types de programmes qui ont été mis à l'essai dans divers pays et des enseignements qu'on peut en tirer.
54 Barraclough, op.cit., note 5, p. 266.