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Chapitre 2

Population et ressources alimentaires : les perspectives à l'horizon 2050

D'après les projections des Nations unies (on retient ici l'hypothèse moyenne), le monde va à nouveau connaître au cours des cinquante prochaines années un quasi doublement de sa population. Pour être plus précis, 9,8 milliards d'individus peupleront probablement la planète en 2050 [60], soit un accroissement de près de 75 %. Comme nous venons de le voir, certains pays connaissent déjà des situations de pénuries alimentaires graves. Comment pourront-ils faire face à une population toujours plus nombreuse ? Et où se situeront les cas critiques ? Sur un terrain « prospectif » très mouvant, nous voulons tenter de poser des balises qui pourront éclairer les citoyens et, pourquoi pas, les décideurs politiques.

Les études conduites depuis une quarantaine d'années ont révélé, contrairement à une opinion très répandue, que les besoins moyens en énergie alimentaire par habitant sont différents d'un pays à l'autre. De plus, comme nous l'avons montré dans le chapitre précédent, indépendamment des effets de la croissance démographique sur les besoins globaux, ils varient également en fonction de la composition de la population. C'est donc dans une perspective à la fois dynamique et différenciée qu'il faut cerner les problèmes. Le premier d'entre eux consiste à essayer de savoir si l'évolution des besoins énergétiques d'ici à 2050 sera couverte par les disponibilités alimentaires.

Rappelons en outre, sans faire preuve de trop d'optimisme, que les évaluations des besoins énergétiques de l'homme effectuées par les nutritionnistes ont régulièrement été révisées à la baisse depuis la fin de la seconde guerre mondiale [14].

Nous examinerons tout d'abord l'effet des transformations des populations sur le niveau de leurs besoins en nourriture, en postulant un maintien des régimes alimentaires actuels. En effet, on peut déjà affirmer que c'est bien évidemment l'augmentation du nombre d'hommes et de femmes sur la planète qui est la donnée cruciale. Mais, à trop concentrer l'attention sur les effets de nombre, on risque de manquer les effets des modifications de composition de la population. Nous envisagerons ensuite les conditions dans lesquelles les disponibilités alimentaires permettront de couvrir les besoins d'une population en forte croissance.

Projections démographiques 2050

Restons-en aux projections de populations des Nations unies publiées en 1994. En effet la révision de 1996 suppose une nette accélération de la transition démographique des pays en développement [63]. Elle postule que les pays développés n'assureront pas à long terme le remplacement des générations, hypothèse qui vient s'ajouter à d'autres suppositions déjà très optimistes des projections de 1994.

9,8 milliards d'habitants en 2050 : l'estimation retenue figure au centre d'une fourchette laissant un flou de près de deux milliards d'habitants, en plus ou en moins par rapport à la moyenne. Cet écart est dû au pronostic concernant la plus ou moins grande rapidité de la baisse de la fécondité (variante basse : 7,9 milliards, variante haute : 11,9 milliards pour 2050 [60]).

Ces deux scénarios extrêmes supposent que tous les pays adoptent, en même temps, soit des calendriers de baisse de la fécondité lents (variante haute), soit rapides (variante basse). Ces scénarios n'ont que peu de chance d'être réalisés mais ils ont le mérite de fixer un cadre. De même, l'hypothèse moyenne doit elle aussi être soumise à la critique car certains pays adopteront peut-être un rythme plus lent de baisse de la fécondité quand d'autres, dans le même temps, entameront une diminution plus rapide.

Pourtant, il ressort avec une quasi-certitude que l'Asie et l'Afrique regrouperont en 2050 la grande majorité de la population mondiale (graphique no 10). Ainsi, pour reprendre notre classification des pays selon leurs régimes alimentaires, le poids démographique des pays consommateurs de riz (graphique no 11, classe 1) se trouvera très fortement accentué. L'importance numérique des populations qui consomment principalement du blé sera nettement confortée (graphique no 11, classe 3). Le poids démographique des populations qui trouvent actuellement, et encore probablement pour longtemps, dans le manioc, l'igname ou le taro (graphique no 11, classe 6) leur principal moyen de substance sera proche de celui des populations consommatrices de maïs (graphique no 11, classe 2).

Une croissance démographique future largement inscrite dans la pyramide des âges

C'est au maintien de la fécondité à un haut niveau durant les dernières décennies que nous devons l'actuelle pyramide des âges de la population du monde [60]. Caractérisée par sa jeunesse, cette pyramide contient en germe l'accroissement rapide de la population durant les prochaines décennies et le nombre des femmes en âge de procréer augmentera encore longtemps. En effet, les femmes nées durant le premier doublement de la population du monde arrivent en nombre important et croissant à l'âge de la maternité et assurent un renouvellement de leur effectif en jeunes filles qui, elles aussi nombreuses, seront, par leur capacité à mettre au monde des enfants, à l'origine d'un accroissement rapide de la population.

Graphique no 10
Évolution de la population du monde selon la région (hypothèse moyenne entre 1950 et 2050)

Graphique 10

Afrique

Asie

Europe

Amérique latine et Caraïbes

Amérique du Nord

Océanie

Graphique no 11
Évolution de la population du monde selon le régime alimentaire de 1950 à 2050 (hypothèse moyenne entre 1950 et 2050)

Graphique 11

Riz (classe 1)

Maïs (classe 2)

Blé (classe 3)

Lait, viandes, blé (classe 4)

Mil, millet, sorgho (classe 5)

Manioc, igname, taro, plantain (classe 6)

Même si la fécondité diminuait très rapidement, nous constaterions le maintien inéluctable d'une forte croissance démographique pendant encore quelques décennies. Évidemment, le nombre des enfants à naître sera d'autant plus important que la fécondité de ces générations de femmes sera élevée, ce qui sera probablement le cas pour l'Afrique subsaharienne.

Selon l'hypothèse moyenne des projections des Nations unies, l'accroissement de la population du monde sera de 4,7 milliards entre 1990 et 2050. Près de la moitié de cet accroissement est inévitable [59]. Même à supposer un ajustement soudain de la fécondité au niveau strictement nécessaire pour assurer le remplacement des générations, l'accroissement de la population du monde dépasserait 2 milliards d'habitants.

Les projections de mortalité

À ce stade, il est utile de préciser la méthodologie qui a permis aux Nations unies d'établir ces projections.

En effet, comme nous allons le constater, l'évolution des disponibilités en ressources naturelles par habitant n'est pas prise en compte dans la détermination de ces taux d'accroissement, ni dans celle de ses facteurs (mortalité ou fécondité), alors que les manques de terres exploitables, la dégradation des sols, les pénuries d'eaux renouvelables et la pollution des nappes phréatiques peuvent mettre certains pays dans l'incapacité de subvenir à leurs besoins nutritionnels, et donc augmenter la mortalité. Ceci sans compter les conséquences éventuelles de l'apparition possible de nouveaux virus et leur expansion facilitée par les progrès de la concentration urbaine des populations et l'intensification des migrations.

Mais il convient également d'observer que les évaluations des seuils en matière de disponibilités en eau renouvelable par habitant (seuil d'« état d'alerte » en dessous de 1 700 m3 d'eau par an et par habitant, seuil de « pénurie chronique » en dessous de 1 000 m3 d'eau par an et par habitant), qui sont couramment utilisés, peuvent être discutés. Ils sont définis à partir des travaux d'une hydrologue suédoise, Malin Falkenmark, avec des normes suggérées par les pays les plus développés de la planète. Mais des consommations très faibles, telles que celles déclarées pour Israël, en particulier en matière d'utilisation agricole (l'utilisation dominante des eaux douces), ne sont pas accessibles à tous les pays du monde, même si les techniques agricoles appliquées en Israël sont d'ores et déjà utilisées dans le delta du Nil par les Égyptiens. Elles supposent en effet un environnement technique et une utilisation de matériels adaptés, ainsi qu'une gestion méticuleuse des ressources en eau.

En général, fondées sur des exemples historiques, les projections de croissance des populations de chaque pays reposent sur une hypothèse d'augmentation de l'espérance de vie de 2,5 ans tous les cinq ans — sauf en cas d'informations indiquant une stagnation ou un déclin de l'espérance de vie —, au début des années 1990. Dans ce cas, une stagnation, et même une diminution de l'espérance de vie peuvent être projetées après 1990, comme on l'observe probablement, par exemple, à Madagascar.

Deux autres modèles d'évolution de la mortalité, qui supposent respectivement une augmentation rapide ou lente de l'espérance de vie, ont été utilisés dans certains cas.

Après 2025, on suppose que l'espérance de vie à la naissance augmentera selon un modèle d'accroissement moyen commun à tous les pays.

Tous les modèles d'évolution appliqués supposent une plus lente progression de l'espérance de vie au fur et à mesure que la mortalité recule. A son plus haut niveau, l'espérance de vie à la naissance prévue par ce modèle atteint 87,5 ans pour les femmes et 82,5 ans pour les hommes. Celle des hommes augmentera de 2,5 ans, tous les cinq ans, jusqu'à ce qu'elle atteigne 60 ans. Le gain moyen en 5 ans est ensuite réduit jusqu'à atteindre 0,4 an à 77,5 ans et demeure à 0,4 an par quinquennat par la suite. L'espérance de vie des femmes à la naissance est estimée devoir augmenter de 2,5 ans tous les 5 ans jusqu'à 65 ans, puis le gain quinquennal est réduit progressivement jusqu'à atteindre 0,4 an pour une espérance de vie de 82,5 ans et plus.

Ceci explique que ces projections fassent état d'une réduction sensible des différentielles de mortalité ou d'espérance de vie entre les pays du monde (tableau no 5). C'est ainsi qu'en 2050 l'espérance de vie des populations d'Afrique n'est plus que de 8 ans inférieure à celle des populations d'Amérique du Nord.

L'évolution projetée pour l'Afrique se traduit par une accélération de la hausse de l'espérance de vie dans les cinq dernières années de ce siècle. D'une augmentation de 1,2 an entre les périodes 1995–2000 et 2000–2005, l'Afrique atteindrait une progression de 2,2 ans entre 2000–2005 et 2005– 2010, puis une augmentation de 2,5 ans entre les périodes 2005–2010 et 2010–2015.

Toutefois, ces projections de mortalité font preuve d'un bel optimisme. Elles semblent postuler une évolution favorable et régulière du contexte économique et alimentaire du continent africain durant les décennies à venir. De même, elles font comme si les besoins énergétiques essentiels des populations pouvaient être satisfaits, ce qui n'est pas assuré dans les pays à forte fécondité, ou dans les pays dont les ressources naturelles peuvent faire défaut en raison de forts taux d'accroissement de la population. Ces hypothèses favorables sont confirmées et leurs effets encore amplifiés selon la révision des projections mondiales de population de 1996 [63].

Tableau no 5

Espérances de vie observées de 1950 à 1990 et projetées de 1990 à 2050 [60]
PériodeAfriqueAmérique latineAmérique du NordAsieEuropeOcéanieMonde entier
1990–9553,068,576,164,572,972,864,4
1995–0054,269,876,966,273,373,865,8
2000–0555,871,077,667,974,374,767,1
2005–1058,072,178,269,475,375,668,6
2010–1560,573,278,870,876,176,569,9
2015–2063,174,279,372,176,877,371,3
2020–2565,475,179,873,277,578,172,5
2025–3067,675,980,274,178,178,873,6
2030–3569,476,680,775,078,779,374,6
2035–4071,077,481,075,979,379,975,6
2040–4572,378,081,576,779,980,376,4
2045–5073,478,681,877,480,480,877,1

Les évolutions de l'espérance de vie à la naissance programmées par les Nations unies pour les pays d'Afrique subsaharienne, en particulier pour les pays consommateurs de manioc, d'igname ou de taro (classe 6), supposent plus de vingt ans de gain d'espérance de vie, ce qui impliquerait l'élimination des déficits alimentaires importants qui caractérisent pourtant actuellement ces pays. Ces projections semblent donc en contradiction avec les simulations économiques de la FAO qui prévoient une stagnation des disponibilités alimentaires moyennes par habitant d'ici à 2010 pour l'ensemble du continent africain [2].

De la même façon, les projections des Nations unies font état d'une régression rapide de la mortalité infantile. Dans les pays d'Afrique, elle n'est plus que de 21 pour 1 000 naissances, niveau inférieur à celui atteint par les pays d'Europe en 1975–80.

La baisse programmée est un peu moins rapide que celle observée puis programmée pour les pays d'Amérique latine à partir de 1965. Néanmoins, on peut considérer qu'une telle réduction suppose également l'élimination des déficits alimentaires des pays africains considérés. C'est le cas, encore une fois, pour les pays consommateurs de manioc, d'igname, ou de taro (classe 6), pour lesquels il est projeté des baisses de mortalité infantile aboutissant à des taux inférieurs à 30 ou à 25 pour mille. Ces projections semblent, elles aussi, en contradiction avec les inversions de tendance de la mortalité infantile constatées dans certains pays d'Afrique à la suite de fortes récessions économiques.

De fortes incertitudes sur l'évolution de la pandémie de sida

Ces projections prennent en compte l'impact supposé de la pandémie de sida dans les pays fortement atteints (comme le Rwanda). Du fait des structures par âge très spécifiques dues à cette maladie, aucun modèle de table de mortalité ne représente la structure de mortalité par âge et par sexe qui prévaut dans ces pays.

Un modèle établi par l'OMS (Organisation mondiale de la santé, Chin et Lwanga, 1991) permet d'évaluer le nombre de morts causés dans l'avenir par ce fléau. On utilise pour cela des taux d'infection par le HIV ainsi que des observations et des estimations des taux de progression annuelle de la contamination vers la maladie, puis du sida à la mort. On obtient ainsi, pour chaque pays, des évaluations annuelles d'effectifs de cas d'infection adulte du sida depuis le début de l'épidémie jusqu' à l'année en cours. Une courbe gamma en forme de « S » (cumulative HIV infected adults) fournit des évaluations du cumul d'adultes atteints par le HIV. Les paramètres de la courbe sont l'année de départ de l'épidémie et le niveau actuel du cumul d'adultes atteints.

Les calculs des Nations unies prennent comme hypothèse qu'il n'y aura pas de nouveaux cas de contagion par le HIV après 2010 ; mais les cas de contagion d'enfants par leur mère continuent après cette date et les morts causées par le sida persistent encore pendant de nombreuses années à cause de la longue période de latence entre l'infection et la maladie.

Les modèles adoptés dans ce cas peuvent être discutés. En effet, s'ils rendent compte de l'évolution du phénomène en milieu urbain, il est possible qu'ils restituent imparfaitement, faute de données fiables, le calendrier de l'évolution de l'épidémie en milieu rural, et l'évolution future de la pandémie en Asie.

Les projections de baisse de la fécondité

S'agissant de la baisse de la fécondité, trois hypothèses sont retenues. En hypothèse moyenne, on suppose que la fécondité atteindra et restera à un taux de reproduction de 2,1 enfants par femme, soit un simple remplacement des générations. En hypothèse haute, on postule qu'elle se stabilisera à environ 2,6 enfants par femme, ou qu'elle approchera ce niveau s'il est actuellement inférieur. En hypothèse basse, on retient que la fécondité se stabilisera à environ 1,6 enfant par femme, soit à un niveau insuffisant pour le remplacement des générations.

Dans ces trois hypothèses, la date à laquelle la fécondité se stabilisera est déterminée en prenant en compte différents facteurs socioéconomiques : politiques et programmes démographiques, alphabétisation des adultes, scolarisation, conditions économiques (Produit Intérieur Brut - PIB - ou Produit National Brut - PNB - par habitant), mortalité infantile et mariages. Sans négliger les facteurs historiques, culturels et politiques.

Il faut préciser que la mise au point de ce calendrier d'évolution de la fécondité, fondé sur les connaissances et les données accumulées par les experts, ne résulte pas d'un modèle mathématique. Ceci s'explique par la qualité inégale des données - et même parfois leur absence -, par les difficultés, voire l'impossibilité de prévoir le niveau économique des pays à long terme, par la nature qualitative de certaines informations utiles en la matière, etc.

Le fait le plus remarquable qui ressort de ces projections est probablement la baisse de la fécondité sur le continent africain. C'est ainsi que, selon les projections des Nations unies, en hypothèse moyenne, la baisse de la fécondité que l'on pourrait y observer entre 1990–1995 et 2045–2050 serait presque aussi rapide que celle constatée et prévue dans les pays d'Amérique latine, durant une période aussi longue, entre 1960–1965 et 2015–2020.

Mais il faut se garder de tirer des conclusions hâtives de ces projections. Dans le domaine de la fécondité, il est particulièrement difficile d'atteindre un bon niveau de prévision. Par exemple, on peut rappeler que la baisse de la fécondité relevée en Amérique latine dès la fin des années 60 a surpris tous les observateurs. Une fois le phénomène constaté, les experts s'accordaient pour déclarer que les progrès de l'urbanisation et de l'alphabétisation, indices liés à la baisse de la fécondité, étaient des facteurs de déclenchement de cette baisse et qu'ils auraient pu laisser prévoir ce mouvement [16]. Pourtant, si nous connaissons relativement bien les déterminants du niveau de la fécondité des différentes catégories sociales des pays, nous ignorons tout des déterminants qui poussent à la baisse. C'est ainsi que la littérature scientifique a pu montrer, successivement, et parfois sans mettre le doigt sur la contradiction, les effets du développement, puis les effets de l'extrême pauvreté sur la baisse de la fécondité [25] [67], ce qui a progressivement modifié le sens donné autrefois à l'expression « transition démographique ».

L'exercice est d'autant plus périlleux que certaines populations n'acceptent qu'avec réticence les programmes de planification familiale. Ainsi, comme le suggèrent les communications de la délégation chinoise aux Commissions de la Population de 1994 [83] et 1995 [84], il est difficile de prévoir l'évolution future de la fécondité d'un État continent comme la Chine. La difficulté est ici d'autant plus grande que l'on sous-estime peut-être la fécondité actuelle, en particulier en milieu rural. Les efforts déployés par les autorités chinoises en matière de planification familiale pourraient se heurter à la résistance ou à l'inertie des populations. Selon l'Institut de planification familiale de Chine, qui se fonde il est vrai sur l'observation de la population de 32 villages, la fécondité des ruraux pourrait être sous-estimée de 37%, celle des citadins de 19%, ce qui, pour l'ensemble de la Chine, donnerait une sous-estimation de l'ordre de 35% [82] [68].

À l'inverse, comme le rappelait John Bongaarts lors du Symposium sur le thème « production alimentaire et accroissement de la population » (FAO, Rome, 3–5 juillet 1996), des évolutions très rapides se manifestent dans certains pays d'Afrique. Le Kenya, à la fin des années 70, connaissait un des plus fort taux de croissance démographique au monde. En moyenne, chaque femme mettait au monde 8 enfants et les experts ne voyaient pas comment la situation pourrait changer rapidement. Et pourtant. En dix à quinze ans, la fécondité a diminué d'environ un tiers, et le nombre d'enfants désiré par couple ou par femme a été réduit de moitié. Ce phénomène pourrait-il se produire dans d'autres pays ? Certes, la situation économique et sociale du Kenya a évolué, mais cette amélioration ne peut seule rendre compte de la rapidité de la baisse de la fécondité ou du changement d'attitude envers le nombre d'enfants désiré.

Alors faut-il franchir le pas comme le font certains experts et affirmer que la fécondité des pays en développement va diminuer si rapidement que c'est vers l'hypothèse basse des projections des Nations unies qu'il faudrait à présent se tourner [16]? Gardons-nous une nouvelle fois des conclusions hâtives.

En tout état de cause, entre 1995 et 2050, comme durant les cinquante ans qui viennent de s'écouler, l'augmentation des besoins sera principalement influencée par l'évolution des effectifs des populations, effectifs qui, quelle que soit l'hypothèse retenue, seront en très forte augmentation.

L'effet des changements de répartition des populations sur les besoins énergétiques moyens

À l'échelle d'un pays, l'évolution du volume global des besoins en énergie alimentaire dépend évidemment de l'accroissement de la population, mais aussi de l'évolution des besoins moyens par habitant. C'est par cette deuxième série de facteurs que nous allons commencer, car elle est la plus mal connue.

L'évolution des besoins moyens en énergie alimentaire

Nous avons évalué la progression des besoins en énergie alimentaire depuis la seconde guerre mondiale jusqu'à nos jours en respectant strictement la méthode adoptée par la FAO en matière d'évaluation des besoins énergétiques. C'est cet examen qui a été présenté au chapitre 1 (graphiques no 4 à 9).

Par les résultats prospectifs livrés maintenant [60]1, nous avons calculé ces besoins futurs - sans modification des régimes alimentaires - en prenant en compte les effets des modifications de répartition par âges, ceux de l'urbanisation décrite dans les projections des Nations Unies [61], ceux de la diminution de la proportion de femmes enceintes (et de la diminution corrélative des compléments d'énergie alimentaire qui leur sont nécessaires) ainsi que les effets d'éventuelles augmentations de taille physique des populations. Ils peuvent avoir des effets importants, voire contradictoires, sur l'évolution des besoins en énergie alimentaire.

1 Ils proviennent de l'application du programme ENREQ2 aux estimations de populations par année d'âge, par sexe, par appartenance rurale et urbaine des projections des Nations Unis par pays en hypothèse basse, moyenne et haute.

L'évolution des besoins nutritionnels à l'échelle du monde

Cette prise en compte de l'urbanisation et de l'accroissement de la taille des individus nous a conduit à apporter quelques correctifs aux données fournies par les services statistiques de la FAO. Nos évaluations de besoins en énergie alimentaire pour 2050 sont en général un peu inférieures à celles de la FAO (en hypothèse moyenne des projections des Nations unies) tant pour les pays en développement que pour l'ensemble du monde. En effet, la baisse probable de l'activité physique des populations (résultat de l'urbanisation) tire à la baisse les besoins nutritionnels. Elle a un peu plus d'impact que l'augmentation de la taille des individus (résultat d'une meilleure alimentation aux âges jeunes, elle est estimée à un centimètre tous les dix ans), qui pousse, elle, à la hausse les besoins des populations en énergie alimentaire. Nous y reviendrons un peu plus loin.

Dans le cadre de l'hypothèse moyenne (Nations Unies 1995 [60]), les besoins nutritionnels de l'ensemble de la population du monde devraient augmenter approximativement de 2 210 à 2 245 calories entre 1995 et 2050, soit une faible augmentation.

L'évolution des besoins en énergie alimentaire devrait être encore plus faible pour les pays développés (2 285 en 1995 à 2 295 calories). Celle des pays en développement devrait être légèrement supérieure, passant de 2 190 à 2 235 calories (valeurs arrondies). Il s'agit là de données moyennes qui masquent de profondes disparités. L'augmentation pourrait être bien plus importante dans certains pays africains. C'est le cas, en particulier, pour les populations qui consomment principalement du mil, du millet ou du sorgho (classe 5) : leurs besoins estimés passeraient de 2 175 en 1995 à 2 312 calories en 2050. Pour les pays de la classe 6 (manioc, igname, taro), ils évolueraient de 2 130 en 1995 à 2 297 calories en 2050, car leur fécondité est encore très forte et, de plus, elle a de grandes chances de diminuer durant la période, entraînant de fait un vieillissement des populations.

Les conséquences des modifications de la structure par âge

Il faut garder en mémoire que les besoins nutritionnels augmentent durant les 20 premières années de la vie (jusqu'à 18 ou 25 ans selon les cas et selon les sources) et qu'ils diminuent légèrement à partir de 60 ans. Dans une première étape, le vieillissement d'une population conduit donc à une augmentation des besoins en énergie alimentaire par habitant, avec la diminution de la proportion de population aux plus jeunes âges. Par la suite, le vieillissement de la population induit une baisse légère des besoins par habitant, au fur et à mesure que la proportion des populations les plus âgées augmente.

Plus la fécondité actuelle est forte, plus les besoins nutritionnels moyens augmenteront du fait de la baisse ultérieure de la fécondité et de la diminution de l'importance relative des populations jeunes. À l'inverse, dans les pays développés, l'augmentation des effectifs de personnes âgées (en poids relatif) tire à la baisse les besoins nutritionnels moyens.

Ainsi, entre 1995 et 2050, l'effet de la structure par âge varie-t-il entre deux extrêmes : d'un côté, une augmentation de 7 % de la ration énergétique moyenne sera nécessaire pour l'Afrique ; de l'autre, on constate une diminution de 1 % pour les pays développés (tableau no 6).

On peut apporter quelques précisions pour le continent africain. L'augmentation sera de 7, 8 % pour les populations qui consomment du manioc, de l'igname ou du taro, de 8, 1 % pour les populations qui consomment du mil, du millet ou du sorgho, de 8, 2 % pour l'Afrique centrale, et 8, 5 % pour l'Afrique de l'Est.

Quand les « grands » consomment plus

On sait que la taille des populations dépend largement de l'alimentation donnée aux enfants. Une alimentation plus équilibrée des jeunes a pour effet de provoquer un accroissement de la taille moyenne. On a même pu observer des réponses très rapides à des changements d'alimentation [65]. Dans certaines régions de Chine par exemple, on a constaté, après des modifications de régime alimentaire, un accroissement de taille dépassant assez largement 1 centimètre en 10 ans.

Dans la double hypothèse d'une amélioration des rations alimentaires des pays en développement et d'une disparition progressive de la sous-alimentation d'ici à 2050, l'accroissement de taille de ces populations pourrait atteindre 1 centimètre par décennie. C'est ce qui a été programmé en limitant la taille à 1,75 mètre. Rappelons que cet accroissement de la taille moyenne des populations induira une augmentation de leurs besoins énergétiques moyens.

On estime ainsi qu'entre 1995 et 2050, cet accroissement de taille pourrait avoir comme conséquence une augmentation de 1, 4 % des besoins nutritionnels moyens du monde (tableau no 7).

Les besoins des populations des pays en développement s'en trouveraient accrus de 1,6 % (2,2 % pour l'Amérique latine et les Caraïbes, 1,8 % pour l'Afrique et 1,7 % pour l'Asie). L'augmentation pourrait atteindre 2,7 % dans la partie sud de l'Afrique. Mais les plus fortes augmentations de besoins liés à un accroissement de la taille des populations de 1 centimètre en 10 ans se trouveront en Asie (2,8 % en Asie de l'Est, ou 2,4 % en Asie du Sud-Est).

Tableau no 6

Effets des changements de répartition par âges sur les besoins moyens en énergie alimentaire des populations en 2050
 Hypothèses d'évolution de la fécondité (Projections des Nations Unies [60])
BasseMoyenneHaute
Niveau de développement1 : Pays développés2 : En développement3 : Ensemble du monde
 123123123
Coefficient multiplicateur (1)0,991,041,030,991,031,020,991,021,01
Continents et sous-continents1 : Afrique3 : Europe5 : Amérique du Nord
2 : Asie4 : Amérique latine et Caraïbes6 : Océanie
 123456123456123456
Coefficient multiplicateur(1)1,081,030,991,021,001,011,071,020,991,021,001,001,061,010,981,010,991,00
Classes de régime alimentaire des pays1 : Riz3 : Blé5 : Mil, millet, sorgho, etc.
2 : Maïs4 : Produite d' origine animale et blé6 : Manioc, igname, taro, etc.
 123456123456123456
Coefficient multiplicateur (1)1,021,031,051,001,091,091,021,021,050,991,081,081,011,021,040,991,071,07

(1) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050, si l'on ne tient compte que des effets des modi-fications de répartition par âges.

Tableau no 7

Effets de l'accroissement de la taille physique des populations sur leurs besoins moyens en énergie alimentaire en 2050
 Hypothèses d'évolution de la fécondité (Projections des Nations Unies [60])
BasseMoyenneHaute
Niveau de développement1 : Pays développés2 : En développement3 : Ensemble du monde
 123123123
Coefficient multiplicateur (1)1,001,021,011,001,021,011,001,021,01
Continents et sous-continents1 : Afrique3 : Europe5 : Amérique du Nord
2 : Asie4 : Amérique latine et Caraïbes6 : Océanie
 123456123456123456
Coefficient multiplicateur (1)1,021,021,001,021,001,001,021,021,001,021,001,011,021,021,001,021,001,01
Classes de régime alimentaire des pays1 : Riz3 : Blé5 : Mil, millet, sorgho, etc.
2 : Maïs4 : Produits d'origine animale et blé6 : Manioc, igname, taro, etc.
 123456123456123456
Coefficient multiplicateur (1)1,021,021,011,001,011,031,011,021,011,001,011,021,021,021,011,011,011,02

(1) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050, si l'on ne tient compte que des effets des modi-fications de répartition par âges.

… les citadins mangent moins

Nous avons rapidement signalé au premier chapitre les conséquences, au point de vue de l'alimentation, de la concentration des individus dans les villes, et surtout dans des villes de plus en plus gigantesques. Pour bien comprendre l'influence de l'urbanisation sur le niveau des besoins énergétiques, il faut se souvenir que la définition même de ces besoins intègre le niveau des activités physiques des individus.

Les chiffres que nous donnons ici, avec toute la prudence qui s'impose, ne sont pas le fruit du hasard. Ils s'appuient sur la notion de « métabolisme de base » : en effet, on a pu calculer que les besoins moyens des populations sont proportionnels à ceux de leur métabolisme de base. En l'occurrence, ils correspondent aux besoins nécessaires pour maintenir un individu à son poids, en l'absence de toute activité physique. Pour les adolescents (à partir de 10 ans) et pour les adultes, ces besoins sont une fonction linéaire du poids dont l'équation est modulée selon l'âge et le sexe [48]. Ils varient d'ailleurs faiblement selon les personnes. Le coefficient de variation - résultat de la division de l'écart type par la moyenne d'une distribution - est de 6 % pour les hommes et de 8 % pour les femmes, (ou de 10 % selon les sources). Mais ces différences entre les individus d'une même population n'ont pas de conséquence sur les différences entre les populations.

Si les mesures en laboratoire sont précises pour une activité donnée à un moment précis, il est beaucoup plus difficile d'être précis sur une période d'une année et, a fortiori, quand on s'attaque à l'ensemble de la population d'un pays. Faute de mieux, on en est réduit à utiliser des moyennes très approximatives.

Les besoins en énergie alimentaire nécessaires à l'activité physique sont exprimés au moyen d'un coefficient qui s'applique aux besoins pour le métabolisme de base. Ils sont estimés pour trois niveaux types d'activité physique : légère, modérée et intense, et dépendent aussi du sexe. Les coefficients retenus figurent dans le tableau ci-dessous. On constatera qu'ils augmentent fortement avec le niveau d'activité. Ils varient de 1,55 à 2,10 pour les hommes et de 1,56 à 1,82 pour les femmes quand on passe d'une activité légère à une activité intense (tableau no 8).

Tableau no 8

Coefficients multiplicateurs à appliquer aux besoins en énergie alimentaire nécessaires au métabolisme de base pour tenir compte de l'activité physique, selon le sexe [48]
 Activité physique
LégèreModéréeIntense
Hommes1,551,782,10
Femmes1,561,641,82

Cependant, ces coefficients ne sont pas suffisants pour rendre compte des besoins nutritionnels d'une population. On doit intégrer les caractéristiques des populations qui ont une influence sur le niveau d'activité physique. Et c'est là qu'intervient l'urbanisation de façon différenciée selon le niveau de développement. La répartition de la population entre le monde rural et le monde urbain, selon le niveau de développement, doit donc être prise en considération. Comme le montre le tableau no 9, l'activité physique est plus importante chez les ruraux que chez les urbains, elle est aussi plus forte dans les pays en développement que dans les pays développés.

Tableau no 9

Proportions de populations ayant une activité légère, moyenne ou intense, selon l'appartenance rurale ou urbaine des populations et le niveau de développement [48]
 Activité physique
LégèreModéréeIntenseTous niveaux
 Pays développés
Population urbaine75 %25 % 100 %
Population rurale 100 % 100 %
 Pays sous-développés
Population urbaine50 %50 % 100 %
Population rurale 75 %25 %100 %

À l'heure actuelle, les projections en matière d'urbanisation à l'échelle de la planète s'arrêtent en 2025 [61]. Afin de respecter la période de projection adoptée pour notre étude, nous avons donc été contraint d'estimer un ordre de grandeur de l'urbanisation en 2050. Pour ce faire, nous avons prolongé de façon linéaire, pays par pays, la tendance prévue entre 2015 et 2025, en prenant bien soin de contrôler le résultat pour chaque pays. Seuls certains pays, situés entre le point d'inflexion et l'asymptote de la courbe logistique représentative de la proportion de population urbanisée, ont fait l'objet d'une correction. Il nous semble que ce type d'approximation ne porte pas à conséquence car l'effet sur les besoins est faible par rapport aux autres facteurs et qu'il fournit des ordres de grandeur utiles et nécessaires.

Ainsi, il apparaît que l'urbanisation conduirait à une réduction des besoins nutritionnels des populations. Cette réduction serait principalement perceptible pour les pays en développement, puisque le processus d'urbanisation, compte tenu de tous les éléments dont nous disposons, a toutes les chances d'y être très rapide. Elle se traduirait alors par une baisse des besoins de 3 % entre 1995 et 2050. C'est en Asie (- 4 %) et en Afrique (- 3 %) que l'augmentation de la concentration urbaine aurait le plus d'effet (tableau no 10).

Nous avons bien conscience que d'autres facteurs liés au progrès technique ou aux changements de mode de vie peuvent avoir des effets sur le niveau des besoins en énergie alimentaire. Mais, en l'absence de données, ils ne peuvent pas être mesurés à l'échelle des pays.

Moins de femmes enceintes, d'où une baisse des besoins en énergie alimentaire par personne

La mesure des besoins supplémentaires en énergie alimentaire des femmes enceintes n'a pas échappé aux règles à calcul des experts.

Pendant la grossesse, ils sont estimés à 285 calories par jour si les femmes continuent leur activité, hypothèse retenue pour les pays en développement. En cas de réduction de l'activité physique - hypothèse retenue pour les pays développés -, les besoins sont moindres ; ils sont mesurés à 200 calories par jour. De plus, quel que soit le niveau d'activité de la femme, il convient d'ajouter 100 calories par jour afin de tenir compte des besoins du métabolisme de base propre aux femmes enceintes. On estime, en outre, que les naissances gémellaires compensent les grossesses qui n'arrivent pas à terme. Les besoins pour les grossesses sont calculés en fonction du nombre de naissances multiplié par 0,75 pour tenir compte de la durée de la grossesse (trois quarts d'année).

On obtient ainsi l'évaluation suivante du besoin moyen en calories par jour, par naissance, pour une année :

On considère les besoins supplémentaires de la mère qui allaite comme égaux aux besoins de l'enfant en cas d'allaitement artificiel.

Au final, le résultat obtenu montre que la baisse de la fécondité n'aura qu'un effet très faible sur les besoins des populations (tableau no 11). Cet effet sera une baisse de l'ordre de 1 % pour les pays en développement. En cas de forte baisse de la fécondité, par exemple pour l'Asie de l'Ouest, la baisse atteindra 2 %.

Le poids des structures démographiques pèse sur les besoins en énergie alimentaire des pays « jeunes »

Les phénomènes démographiques influent sur l'évolution des besoins du seul fait des évolutions des structures des populations. Cependant, comme le montre le tableau no 12, leurs conséquences sur les besoins moyens par personne restent modérées à l'échelle des pays de la planète (+ 2 %).

Néanmoins, compte tenu du fort impact de la composition par âge des populations sur les besoins nutritionnels moyens, les pays en développement, caractérisés par la jeunesse de leurs populations, verront leurs besoins augmenter (+ 3 %). Ce sera le cas en particulier des pays africains (+ 7 %), qui seront les plus fortement influencés par les structures démographiques. L'incidence dépasse même 8 % pour les pays qui consomment du manioc, de l'igname, du taro, ou du plantain.

Tableau no 10

Effets de l'urbanisation sur les besoins moyens en énergie alimentaire des populations en 2050
 Hypothèses d'évolution de la fécondité (Projections des Nations Unies [60])
BasseMoyenneHaute
Niveau de développement1 : Pays développés2 : En développement3 : Ensemble du monde
 123123123
Coefficient multiplicatateur (1)0,990,960,970,990,970,970,990,970,97
Continents et sous-Continents1 : Afrique3 : Europe5 : Amérique du Nord
2 : Asie4 : Amérique latine et Caraïbes6 : Océanie
 123456123456123456
Coefficient multiplicateur (1)0,970,960,990,980,990,990,970,960,990,980,990,990,970,970,990,980,990,99
Classes de régime alimentaire des pays1 : Riz3 : Blé5 : Mil, millet, sorgho, etc.
2 : Maïs4 : Produits d'origine animale et blé6 : Manioc, igname, taro, etc.
 123456123456123456
Coefficient multiplicateur (1)0,960,980,970,990,970,970,960,980,970,990,970,970,970,980,970,990,970,97

(1) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050, si l'on ne tient compte que des effets des modi-fications de répartition par âges.

Tableau no 11

Effets des compléments alimentaires nécessaires aux femmes enceintes sur les besoins moyens des populations en énergie alimentaire en 2050
 Hypothèses d'évolution de la fécondité (Projections des Nations Unies [60])
BasseMoyenneHaute
Niveau de développement1 : Pays développés2 : En développement3 : Ensemble du monde
 123123123
Coefficient multiplicateur (1)1,000,990,991,000,990,991,000,990,99
Continents et sous-continents1 : Afrique3 : EuropeAmérique du Nord
2 : Asie4 : Amérique latine et Caraïbes6 : Océanie
 123456123456123456
Coefficient multiplicateur (1)1,000,991,001,001,000,991,000,991,001,001,001,001,000,991,001,001,001,00
Classes de régime alimentaire des pays1 : Riz3 : Blé5 : Mil, millet, sorgho, etc.
2 : Maïs4 : Produits d'origine animale et blé6 : Manioc, igname, taro, etc.
 123456123456123456
Coefficient multiplicateur (1)0,991,000,991,001,001,000,991,000,991,001,001,000,991,000,991,001,001,00

(1) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050, si l'on ne tient compte que des complémentsalimentaires nécessaires aux femmes enceintes.

Tableau no 12

Effets des changements de répartition des populations par âges, tailles physiques, proportions de femmes enceintes, degrés d'urbanisation, sur leurs besoins moyens en énergie alimentaire en 2050
 Hypothèses d'évolution de la fécondité (Projections des Nations Unies [60])
BasseMoyenneHaute
Niveau de développément1 : Pays développés2 : En développement3 : Ensemble du monde
 123123123
Coefficient multiplicateur (1)0,991,041,030,981,031,020,981,021,01
Continents et sous-continents1 : Afrique3 : Europe5 : Amérique du Nord
2 : Asie4 : Amérique latine et Caraïbes6 : Océanie
 123456123456123456
Coefficient multiplicateur (1)1,081,030,981,040,991,001,071,020,981,030,991,001,061,010,981,030,991,00
Classes de régime alimentaire des pays1 : Riz3 : Blé5 : Mil, millet, sorgho, etc.
Maïs4 : Produits d'origine animale et blé6 : Manioc, igname, taro, etc.
 123456123456123456
Coefficient multiplicateur (1)1,021,041,050,991,071,091,021,041,050,991,061,081,011,031,040,981,051,06

(1) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050, si l'on tient ne compte que des changements derépartition des populations par âges, tailles physiques, proportions de femmes enceintes, degrés d'urbanisation.

C'est dire que ces effets sont loin d'être négligeables dans certaines régions du globe.

Les facteurs de hausse des besoins énergétiques l'emportent sur les facteurs de baisse

À ce stade de notre étude, nous pouvons constater que le cumul des effets des facteurs de hausse des besoins en énergie alimentaire des populations peut dépasser largement 10 %, alors que le cumul des effets des facteurs qui jouent à la baisse n'atteint jamais 5 %.

Fait remarquable, l'évolution de la composition par âge de la population peut diminuer les besoins nutritionnels moyens du fait de l'augmentation, en poids relatif, des populations âgées. C'est ainsi que, sous les effets cumulés du vieillissement et de l'urbanisation, le niveau des besoins en énergie alimentaire de l'Europe diminuera de 2 %.

Les quatre effets de structures démographiques (structure d'âge, taille, urbanisation, femmes enceintes) examinés précédemment se contrarient dans les pays en développement, ce qui contribue à en limiter le résultat final. Les effets de l'évolution de la structure par âge l'emportent toujours sur les effets des autres facteurs.

Mais il convient de souligner que la croissance des besoins moyens des populations liée à l'augmentation de la taille des individus annule la baisse des besoins consécutive àl'urbanisation et à la moindre proportion de femmes enceintes dans les pays à forte fécondité. C'est ainsi que l'effet résultant est égal à l'effet d'âge, par exemple, pour l'Afrique (+ 7 %).

Même constat, mais à un niveau plus élevé, pour les pays d'Afrique où la fécondité est la plus élevée. Par exemple pour les pays qui consomment du manioc, de l'igname ou du taro, l'effet résultant est égal à l'effet d'âge mais à hauteur de + 8 %.

L'effet de l'ensemble des facteurs démographiques sur les besoins énergétiques globaux(tableau no 13)

Les effets de l'accroissement des populations

Le tableau no 13 résume les éléments que nous venons de décrire. Il appelle cependant des développements complémentaires.

L'accroissement des effectifs de populations ne manquera pas d'entraîner une très forte augmentation de leurs besoins en énergie alimentaire, d'un ordre de grandeur incomparable avec l'augmentation de besoins induite par les modifications de répartition de ces populations.

Tableau no 13

Effets des facteurs démographiques - changements de répartition des populations (âges, tailles physiques, proportions de femmes enceintes, degrés d'urbanisation), et accroissement des populations - sur les besoins moyens en énergie alimentaire en 2050
 Hypothèses d'évolution de la fécondité (Projections des Nations Unies [60])
BasseMoyenneHaute
Niveau de développement1 : Pays développés2 : En développement3 : Ensemble du monde
Coefficient multuplicateur (1)123123123
Répartitions des populations0,991,041,030,981,031,020,981,021,01
Effectifs des populations0,841,531,391,041,901,721,242,292,08
Tous effets démographiques0,831,591,431,021,951,761,222,342,10
Continents et sous-continents1 : Afrique3 : Europe5 : Amérique du Nord
2 : Asie4 : Amérique latine et Caraëbes6 : Océanie
Coefficient multiplicateur (1)123456123456123456
Répartitions des populations1,081,030,981,040,991,001,071,020,981,030,991,001,061,010,981,030,991,00
Effectifs des populations2,461,330,781,391,031,292,941,660,931,741,331,613,482,011,112,171,631,94
Tous effets démographiques2,651,360,761,441,021,283,141,690,911,801,311,613,672,031,072,231,601,91
Classes de régime alimentaire des pays1 : Riz3 : Blé5 : Mil, millet, sorgho, etc.
2 : Maïs4 : Produits d'origine animale et blé6 : Manioc, igname, taro, etc.
Coefficient multiplicateur (1)123456123456123456
Répartitions des populations1,021,041,050,991,071,091,021,041,050,991,061,081,011,031,040,981,051,06
Effectifs des populations1,251,401,910,932,782,731,571,712,311,153,233,261,912,102,761,383,723,86
Tous effets démographiques1,271,462,010,922,992,961,601,782,421,133,433,511,932,162,861,353,894,10

(1) Nombre par lequel il faut multiplier les besoins de l'année 1995 pour obtenir les besoins de l'année 2050, si l'on ne tient compte que des facteurs démographiques : i) Changements de répartition des popu-lations (âges, tailles physiques, proportions de femmes enceintes, degrés d'urbanisation, ii) Accroissement des populations.

D'ici à 2050, pour les pays développés, l'accroissement de la population (estimé à + 4 %, selon l'hypothèse moyenne des projections des Nations unies) compense l'effet de la modification de la pyramide des âges (- 2 %). Mais ces pays constituent un cas à part car, à l'échelon planétaire, la seule croissance démographique a beaucoup plus d'effets sur le niveau des besoins en énergie alimentaire que les évolutions mêmes des structures démographiques.

En effet, le panorama change du tout au tout pour les pays en développement. Qu'on en juge. L'accroissement de leurs besoins dû à la croissance démographique atteindra + 95 %, alors que l'effet cumulé des changements de structure dépassera à peine + 3 %. Il en résultera une augmentation des besoins de 76 % pour l'ensemble du monde : + 74 % dus à la croissance démographique et + 2 % dus aux changements de structures démographiques.

La démographie des pays en développement responsable d'un doublement des besoins globaux en énergie alimentaire

À l'échelle de la planète, les effets combinés des mouvements généraux de population laissent prévoir une augmentation de 75 % des besoins en énergie alimentaire.

Pourtant, pris globalement, ce résultat n'est ni surprenant, ni particulièrement inquiétant. Actuellement, la raison qui explique la stagnation, voire la régression de la production agricole totale mondiale - ou de la production agricole par habitant -, est le coup de frein à la production opéré par les grands pays exportateurs de céréales, qui ont ainsi bloqué leurs capacités d'expansion.

Mais il ne faut pas voir là une conclusion importante de notre étude. Il apparaît en revanche que les pays du monde en développement verront probablement doubler leurs besoins en énergie alimentaire entre 1995 et 2050 (tableau no 13).

De grandes disparités régionales

Cette évolution moyenne des besoins en énergie alimentaire des pays dissimule de très fortes différences régionales. Alors qu'entre 1995 et 2050 les pays d'Europe verront leurs besoins diminuer, et que les pays d'Amérique du Nord n'auront à faire face qu'à une augmentation d'un tiers de leurs besoins, les pays d'Asie et d'Amérique latine auront probablement à affronter des accroissements de leurs besoins atteignant respectivement 69 et 80 %.

Les pays qui trouvent le principal de leur énergie alimentaire dans le blé, ou les pays arabes - en particulier ceux de la périphérie méditerranéenne - verront probablement leurs besoins en énergie alimentaire augmenter de 142 % (tableau no 13, classe 3). Ceci laisse penser que les importations de grains destinées à ces pays vont progresser sensiblement, sous réserve qu'ils en aient les moyens financiers.

L'Afrique devra faire face à un triplement de ses besoins en énergie alimentaire et connaîtra probablement une extrême diversification des situations alimentaires. Aux pays situés au nord du Sahara, qui seront confrontés à un doublement de leurs besoins en énergie alimentaire, s'opposeront les pays du sud du Sahara qui auront à faire face, pour des raisons démographiques, à un large triplement de leurs besoins.

Les pays de la classe 5 (mil, millet, sorgho) et ceux de la classe 6 (manioc, igname, taro, plantain) verront, pour leur part, leurs besoins augmenter respectivement de 242 % et de 251 %.

L'importance primordiale de la baisse de la fécondité

Les projections des Nations unies nous ont permis de travailler jusqu'ici dans une hypothèse moyenne d'évolution de la fécondité qui verrait celle-ci se stabiliser, à terme, au niveau de remplacement des générations, c'est-à-dire à 2,1 enfants par femme. Cependant, et nous l'avons déjà dit, il s'agit là d'un scénario globalement favorable. Il suppose qu'à une augmentation de l'espérance de vie des populations consécutive à l'amélioration des conditions d'existence et d'alimentation, soit associée une baisse rapide de la fécondité. Pourtant, il est peu probable que tous les pays du monde soient en mesure de suivre le destin qui leur est ainsi programmé. Certains progresseront plus rapidement, d'autres moins vite.

En dépit de son caractère improbable, il nous faut aussi évoquer une autre hypothèse : la stabilisation du nombre des enfants à un niveau nettement inférieur à celui permettant le remplacement des générations (soit 1,6 enfant par femme). Elle aurait un impact considérable sur l'évolution du niveau des besoins énergétiques des populations. Au lieu du doublement de leurs besoins correspondant à l'hypothèse moyenne, ce n'est plus qu'à une augmentation de 59 % que les pays en développement seraient confrontés. Elle se situerait à 165 % en Afrique, et non à plus de 200 % comme le programme l'hypothèse moyenne (+ 214 % exactement).

Mais lorsque l'on émet, à l'inverse, l'hypothèse que, pour une raison ou pour une autre, la transition démographique soit différée (la fécondité se stabilisant par exemple à 2,6 enfants par femme), les résultats deviennent très inquiétants. C'est alors une fraction beaucoup plus importante du monde qui aurait à affronter des menaces d'une toute autre dimension (tableau no 13).

L'Afrique pourrait ainsi avoir à répondre à une augmentation de plus de 250 % de ses besoins en énergie alimentaire. Les pays consommateurs de maïs, ou même de riz, pourraient connaître un doublement de leurs besoins, quand les pays consommateurs de blé devraient faire face à un triplement de leurs besoins ou presque ; quant aux pays consommateurs de mil, de millet ou de sorgho, et aux pays consommateurs de manioc, d'igname, de taro ou de plantain, leur évolution démographique aboutirait à multiplier par 4 leurs besoins entre 1995 et 2050 (respectivement classes 3, 5 et 6). De quoi donner le vertige aux planificateurs.

Les effets marginaux de la baisse de la fécondité en cas de déclenchement tardif de la transition démographique

Toujours est-il que, dans les situations extrêmes - correspondant à une absence de transition démographique, ou à un déclenchement tardif de celle-ci - les résultats n'en seraient en fait que modérément modifiés. Les pays consommateurs de mil, de millet ou de sorgho (classe 5), ou les pays consommateurs de manioc, d'igname, de taro ou de plantain (classe 6) verraient quadrupler leurs besoins, alors qu'en hypothèse moyenne ils augmenteraient de 250 % entre 1995 et 2050.

En fait, le défi ne changerait pas réellement d'échelle pour des pays qui connaissent un déficit alimentaire aussi chronique. C'est le mode de développement qui est entièrement à repenser dans ce cas.

La Conférence Internationale sur la Population et le Développement qui s'est tenue au Caire en 1994 a eu l'occasion de se pencher sur toutes ces hypothèses et a pu prendre toute la mesure des défis politiques et économiques ainsi posés à de nombreux pays [62] [79]. Encore faudraitil pouvoir mettre en œuvre les recommandations prescrites.

Ne pas trop demander à des hypothèses

Les incertitudes quant au niveau qu'atteindra la fécondité dans un demi-siècle sont grandes dans tous les cas de figure. Elles prennent tout leur sens pour les pays de l'Asie de l'Est. En effet, comme nous l'avons souligné, l'évolution de la fécondité y est définie avec d'autant moins de précisions que le niveau actuel est encore très mal connu. Dans ces régions, un nouveau doublement des besoins en nourriture imposerait aux populations une « révolution verte » d'une vigueur encore plus soutenue que durant la précédente « révolution », puisque cette dernière a largement bénéficié de l'allocation des meilleures terres, en particulier de terres irriguées. Ou alors, c'est des recettes du développement économique général national que l'on tirera les contreparties des importations de vivres.

De même, il n'est pas impossible que certains pays de l'Afrique subsaharienne diffèrent leur transition démographique. Les conséquences d'une telle situation seraient probablement très graves. La réponse au quadruplement des besoins en énergie alimentaire que nous avons évoqué précédemment suppose probablement une toute autre infrastructure de base, un tout autre contexte macro-économique si les pays ne peuvent faire appel à des importations de céréales.

Gardons-nous néanmoins de sombrer dans le catastrophisme en accordant trop de crédit à de telles hypothèses. On observe, depuis quelques années, que le déclenchement de la transition démographique semble se généraliser en Afrique, en dépit de la pauvreté des pays. En effet, la forte corrélation entre pauvreté et forte fécondité n'a pas valeur causale, à telle enseigne que la baisse de la fécondité intervient aussi dans les zones déshéritées. En outre, l'urbanisation semble être un puissant facteur poussant à la baisse de la fécondité. Mais, à l'inverse, il se pourrait bien que l'instabilité économique et politique joue un rôle de frein à la « transition démographique ».


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