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La conservation
de la diversité biologique
des forêts: gestion des zones protégées

Les activités humaines ayant de plus en plus de répercussions sur l'environnement, la conservation des ressources naturelles et, notamment, celle de la diversité biologique, devient une tâche urgente et essentielle. Deux publications récentes mettent à nouveau en garde contre les graves menaces qui pèsent sur l'avenir de la diversité biologique dans le monde. La Liste rouge 2000 des espèces menacées, établie par l'Union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources (UICN), indique que le nombre des espèces spécialement en danger a augmenté depuis la parution de la dernière liste il y a quatre ans 22. Selon cette organisation, 24 pour cent des espèces de mammifères et 12 pour cent des espèces d'oiseaux sont exposées à «un sérieux risque d'extinction dans un proche avenir». La dégradation de l'habitat constitue la principale menace. D'après une autre publication, World Resources 2000-2001: people and ecosystems, the fraying web of life, qui fait état des résultats d'une évaluation expérimentale de la santé des écosystèmes de la planète (forestiers, côtiers, pastoraux, aquatiques et agricoles), la capacité de chacun d'entre eux à préserver sa diversité biologique est en train de diminuer (Rosen, 2000).

Vu leur importance en tant qu'habitats, les forêts, en particulier les forêts tropicales, sont un des principaux secteurs sur lesquels portent les efforts engagés en vue de la conservation de la diversité biologique. D'après certaines estimations, les forêts contiennent la moitié de la biodiversité mondiale, et les forêts tropicales abritent probablement plus des quatre cinquièmes des représentants de nombreux groupes de plantes et d'animaux (CIFOR/Gouvernement indonésien/UNESCO, 1999).

Les initiatives entreprises pour conserver la diversité biologique se sont intensifiées et généralisées au cours des 20 dernières années. Durant cette période, la conservation de la biodiversité, qui n'intéressait initialement qu'un groupe relativement limité d'écologistes et de scientifiques, est devenue un élément à part entière des politiques et de la planification nationales de par le monde. Beaucoup de pays ont préparé des plans d'action nationaux pour la biodiversité, et celle-ci est également devenue une question prioritaire au niveau international. La Convention sur la diversité biologique (CBD), adoptée en 1992, fournit un cadre juridique international s'appliquant à la diversité biologique au niveau des écosystèmes, qui complète la protection internationale offerte au niveau des espèces par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES) (voir Troisième partie). La conservation de la biodiversité est une composante importante de l'aide bilatérale et multilatérale et fait aussi l'objet d'efforts concertés entrepris par des ONG dans le monde entier. Elle est considérée comme un des critères de la gestion durable des forêts telle que celle-ci est définie par les processus régionaux et nationaux (voir Troisième partie). Le Forum intergouvernemental sur les forêts (IFF) a aussi consacré des études spéciales à la diversité biologique et organisé des réunions intersessionnelles sur cette question avec l'assistance de divers gouvernements 23.

L'importance accordée à certaines valeurs contribue dans une large mesure à encourager les efforts en vue de la conservation de la diversité biologique, notamment en ce qui concerne les aspects écologique, économique, culturel, spirituel, esthétique et récréatif. Certains avancent également que la diversité biologique possède une valeur intrinsèque indépendamment de son utilité pour les êtres humains (Wilson, 1992; Noss et Cooperrider, 1994; Redford et Richter, 1999). Les valeurs régionales locales sont parfois particulièrement mises en relief, mais les efforts engagés pour conserver la diversité biologique sont de plus en plus inspirés par des valeurs universelles. Les initiatives visant à énoncer des valeurs sociales et écologiques universelles, comme la Charte de la terre 24 (publiée en mars 2000), pourraient constituer un modèle positif pour la réflexion sociale et écologique à l'instar du rôle joué par la Déclaration universelle des droits de l'homme en ce qui concerne les droits individuels.

En matière de conservation de la diversité biologique, il existe deux catégories principales de stratégies: la conservation in situ et la conservation ex situ. La conservation ex situ (par exemple les banques de gènes, les arboretums, les zoos, etc.), stratégie efficace pour la conservation au niveau génétique et à celui des espèces, n'est envisageable d'un point de vue économique et logistique que pour un nombre relativement limité d'espèces. Les stratégies in situ s'appliquent à la conservation à l'intérieur des aires protégées et à l'extérieur de celles-ci. Les aires protégées sont considérées depuis longtemps comme la pierre angulaire de la conservation, mais elles ne suffisent pas à elles seules à atteindre les objectifs de la conservation et doivent être complétées par une gestion efficace de la conservation d'autres zones. Il y a principalement quatre raisons à cela:

Il est donc essentiel d'adopter une approche intégrée de la conservation ne se limitant pas à la gestion des seules aires protégées.

Les trois stratégies de conservation sont importantes et il faut tenir compte de leur complémentarité, mais le présent chapitre porte seulement sur la conservation dans les aires forestières protégées. D'énormes changements sont intervenus dans ce domaine au cours des deux dernières décennies, et le moment est venu de faire le bilan de la situation et de mettre l'accent sur certains des principaux enjeux actuels. Dans le présent chapitre, on a examiné brièvement la question de la nature et de l'étendue des aires forestières à protéger; la situation actuelle en matière de protection; les façons d'évaluer l'efficacité de la gestion; les méthodes de gestion utilisées aujourd'hui pour les aires protégées et les moyens de couvrir le coût de la conservation.

LA SITUATION ACTUELLE DES AIRES FORESTIÈRES PROTÉGÉES: NATURE ET ÉTENDUE DES AIRES À PROTÉGER

Selon les estimations de l'Évaluation des ressources forestières mondiales 2000 de la FAO, 10 pour cent des forêts du monde sont situées dans des aires protégées25 (voir deuxième Partie).

Cela représente une importante superficie, qui n'est toutefois généralement pas considérée comme suffisante pour diverses raisons. La représentation des différents types d'écosystèmes forestiers dans le réseau mondial d'aires protégées et l'efficacité de la conservation de la diversité biologique dans les différentes aires varient fortement (Miller, 1999). De nombreuses aires protégées ont été désignées comme telles sur la base de critères non liés à leur importance pour la diversité biologique, mais plutôt en vertu de leur intérêt touristique, récréatif, historique ou culturel, ou simplement parce que les terres les composant ne présentent guère d'intérêt pour d'autres utilisations. En outre, la taille, la forme et l'emplacement de nombreuses aires protégées n'offrent pas les conditions les plus adaptées à la conservation. Celles qui existent ne sont souvent pas assez vastes pour fournir un habitat adéquat à certaines espèces de plantes ou d'animaux. Du fait de leur forme ou de leur emplacement, de nombreuses aires sont également vulnérables à des influences négatives telles que la pollution, le bruit, la chasse illicite et les empiétements de l'agriculture.

Pour que les aires protégées contribuent davantage à la conservation, des efforts ont été entrepris afin d'accroître la superficie des réseaux qu'elles forment et d'en créer de nouvelles à des endroits plus stratégiques. Une attention particulière a également été accordée à l'accroissement de l'efficacité de la conservation à l'intérieur des aires existantes, à l'amélioration de la conservation de la diversité biologique à l'extérieur de ces dernières, et à la gestion intégrée des terres appartenant à ces deux catégories (voir la section suivante).

Lors d'une conférence internationale organisée par Conservation International en août 2000 à Pasadena (Californie), des responsables de la conservation et des dirigeants d'entreprise ont mis en relief le rôle absolument essentiel des aires protégées et insisté sur la nécessité de faire de la protection d'un nombre accru d'écosystèmes clés de la planète la première priorité en matière de conservation.

Au cours des deux dernières décennies, divers groupes écologistes internationaux, jugeant que le réseau des aires protégées était insuffisant et y voyant un motif d'inquiétude, ont demandé qu'au moins 10 pour cent des terres émergées du monde figurent au rang des aires protégées. Cet objectif a récemment été répété au sujet des forêts dans Forests for life - the WWF/IUCN forest policy Book (WWF/IUCN, 1996), qui demandait l'inclusion d'au moins 10 pour cent de tous les types de forêts dans le réseau des aires protégées. Cet objectif n'a guère été contesté par les spécialistes de la conservation, tout au moins jusqu'à une date récente.

La question de la nature des terres à protéger suscite davantage d'opinions différentes que celle de leur étendue. D'après Myers et al. (2000), les efforts de conservation devraient porter en priorité sur les «points chauds» 26 comportant un grand nombre d'espèces. Les sites dont on prévoit d'assurer la protection sont souvent ceux qui comptent de nombreuses espèces endémiques ou possèdent des espèces importantes pour l'étude de l'évolution (c'est-à-dire des espèces primitives). La représentativité écologique est un autre critère important pour le choix des aires protégées. Certains sont d'avis que les zones menacées de dégradation ou les habitats des espèces en danger (notamment la «mégafaune charismatique» dont on parle beaucoup) devraient être protégés en priorité, alors que, selon d'autres, les zones qui ont le plus de chances d'être protégées efficacement sont celles qui ne sont pas encore fortement menacées. La détermination des priorités en matière de conservation a été rendue plus difficile par les carences concernant l'information disponible - de nombreuses zones sont mal connues, et beaucoup d'espèces sont encore inconnues ou n'ont fait l'objet d'aucune description scientifique.

Des efforts considérables ont néanmoins été faits pour déterminer quelles zones méritent d'être protégées, et une quasi-unanimité a commencé à se dessiner au sujet des priorités, tout au moins en ce qui concerne certains groupes d'espèces. Des centres mondiaux de diversité végétale et des aires importantes pour la conservation de l'avifaune ont été identifiés (CMSC, 1992). Plusieurs organisations - notamment l'Institut mondial pour les ressources (WRI), le WWF, Conservation International, l'UICN, le CMSC et Birdlife International - ont tenté de sélectionner les sites forestiers tropicaux les plus importants pour ce qui est de la diversité biologique.

La tentative la plus récente d'identifier les aires forestières prioritaires pour la conservation a eu lieu lors d'un atelier qui s'est tenu en février 1999 à Berestagi (Indonésie), en mettant à profit les résultats des recherches antérieures. Cet atelier avait été organisé pour examiner dans quelle mesure la Convention du patrimoine mondial pourrait servir à la conservation de la biodiversité dans les forêts tropicales. Étant donné sa situation unique parmi les accords internationaux sur la conservation, la Convention est considérée comme étant susceptible de jouer un rôle clé pour la conservation de la biodiversité dans le monde entier. L'atelier a conclu que les forêts tropicales sont insuffisamment représentées dans la Liste du patrimoine mondial, qui comprend actuellement 33 sites forestiers tropicaux couvrant une superficie de plus de 26 millions d'hectares. Le groupe d'experts a proposé une liste de sites forestiers méritant d'être protégés en vertu de la Convention du patrimoine mondial (CIFOR, Gouvernement indonésien et UNESCO, 1999) et signalé que, là où la population humaine et d'autres facteurs empêchent de créer de vastes aires protégées, la seule façon d'atteindre les objectifs concernant la conservation de la biodiversité forestière était peut-être de constituer des groupes d'aires protégées ou de les réunir pour former des chaînes ou des corridors.

Un autre point de vue a également été exprimé lors de cet atelier en ce qui concerne l'étendue optimale des aires protégées. Selon Sayer et al. (sous presse), l'existence d'une centaine de sites - les sites forestiers tropicaux figurant sur la liste actuelle du patrimoine mondial et ceux qui ont été proposés à Berestagi - représentant entre 3 et 5 pour cent des forêts tropicales de la planète pourrait suffire à assurer la conservation de la majorité de la diversité biologique tropicale. Les auteurs maintiennent que les fonds consacrés à la conservation de la biodiversité et l'appui politique correspondant pourraient donner de meilleurs résultats s'ils étaient principalement concentrés sur ces sites triés sur le volet en vertu de leur richesse biologique exceptionnelle. Il est trop tôt pour dire si ce concept, qui ne concorde ni avec l'idée, communément admise depuis longtemps, qu'il vaut mieux protéger le plus de sites possible, ni avec l'objectif minimum de 10 pour cent, recevra un accueil généralement favorable. Cela montre néanmoins que les questions fondamentales concernant la nature et l'étendue des aires à protéger ne sont pas encore réglées.

EFFICACITÉ DE LA GESTION DES AIRES PROTÉGÉES

Situation actuelle

La qualité de la gestion des aires protégées est encore plus importante que leur étendue. Il est souvent fait état dans diverses publications des graves menaces qui pèsent sur les aires protégées ou des problèmes concernant leur gestion. Il est difficile de se faire une idée cohérente de la situation dans son ensemble, mais deux études récentes tentent de faire le point sur cette question dans certains des principaux pays du monde où il existe des forêts.

Van Schaik, Terborgh et Dugelby (1997) ont examiné la vulnérabilité des aires protégées à huit menaces (empiétement de l'agriculture, chasse et pêche, exploitation forestière et ramassage de bois de feu, pâturage, exploitation minière, incendies, construction de routes et énergie hydroélectrique) dans d'importants pays forestiers d'Amérique latine, d'Afrique centrale et occidentale, d'Asie du Sud et du Sud-Est, ainsi qu'à Madagascar, en Australie et en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ils ont constaté que les menaces auxquelles sont exposées les aires protégées des forêts humides sont des phénomènes pantropicaux et, selon eux, il est patent que les mesures de conservation étaient inadéquates dans tous les pays examinés sauf un.

Dudley et Stolton (1999), suite à une enquête sur des aires protégées situées dans 10 pays 27, concluent que seul 1 pour cent de ces sites pouvait être considéré comme à l'abri de menaces potentiellement graves, et qu'au moins 22 pour cent souffraient de dégradation. Ils citent une liste impressionnante de menaces et discutent des facteurs qui compromettent fortement l'efficacité de la gestion des aires protégées, notamment le manque de fonds, la pénurie de personnel qualifié, la faiblesse institutionnelle, l'absence d'appui politique, la faiblesse du cadre juridique et de l'application de la réglementation, l'insuffisance de la communication avec les résidents locaux et de leur participation à la planification de la gestion, le manque de coordination entre les organisations participant à cette gestion, l'absence de plans d'utilisation des sols de portée générale et la délimitation inadéquate des zones à protéger. Malgré les nombreuses limitations mentionnées dans leur étude, ils apportent une lueur d'espoir, notamment en constatant que seul 1 pour cent des aires protégées de ces pays étaient tellement dégradées qu'elles ne jouaient plus du tout le rôle pour lequel elles avaient été créées.

Les aires protégées sont menacées même dans les pays développés qui consacrent des ressources considérables à la conservation. La Commission sur l'intégrité écologique des parcs nationaux du Canada concluait récemment que la plupart de ces parcs subissent des stress écologiques (Parcs Canada, 2000) et mentionnait, entre autres problèmes, la fragmentation des habitats ou leur disparition, la pollution atmosphérique, l'utilisation de pesticides, la présence d'espèces exotiques et la surutilisation.

Mesure de l'efficacité des aires protégées

L'élaboration de méthodes d'évaluation de l'efficacité des aires protégées est encore relativement peu avancée. Cette question suscite toutefois un intérêt croissant, et d'importants efforts ont été réalisés à cet égard depuis quelques années, en partie à cause de la prise de conscience de l'importance de la gestion adaptative. Les gestionnaires peuvent ajuster et peaufiner leurs interventions lorsque des menaces sont détectées ou que des changements se produisent en ce qui concerne la flore et la faune. L'identification des faiblesses institutionnelles, de l'inefficacité de certaines mesures ou des impacts sociaux négatifs peut également aider les responsables à prendre des décisions cruciales.

On peut évaluer l'efficacité des aires protégées du point de vue de la protection de la diversité biologique, de la capacité institutionnelle, des impacts sociaux et du statut juridique. La plupart des initiatives correspondantes prises jusqu'à présent portent principalement sur le premier point: l'efficacité de la conservation de la diversité biologique dans les aires protégées. La tâche s'est révélée plus difficile que prévu, comme le montrent les déclarations suivantes:

«Le plus grave défaut des programmes mis en œuvre dans le passé pour conserver la biodiversité était peut-être qu'en fait, nous ne savions jamais si nous parvenions ou non à nos fins.»

(Sayer et Iremonger, 1998)

«La conservation de la biodiversité était ... la variable la plus critique que nous devions contrôler à chacun de nos sites. Nous avons tout au moins appris une chose au cours de ces dernières années: la réussite de la conservation est extrêmement difficile à définir, et encore plus à mesurer, du point de vue biologique.»

(Salafsky et al., 1999)

Les problèmes sont dus à la complexité des systèmes écologiques, aux différents niveaux de diversité biologique et à la difficulté de mesurer les objectifs de gestion. On peut imaginer combien il est difficile de déterminer dans quelle mesure on parvient à assurer la conservation de la biodiversité quand on voit quels sont les objectifs énoncés dans les exemples suivants. Aux États-Unis, un Forum sur la conservation des ressources vivantes sauvages concluait que: «Le but de la conservation devrait être de garantir la viabilité des options actuelles et futures en préservant la diversité biologique au niveau génétique, ainsi qu'à celui des espèces, des populations et des écosystèmes» (Mangel et al., 1996). Au Canada, un groupe de travail examinant la situation dans les parcs nationaux indiquait que ces derniers devaient être gérés de façon à préserver leur intégrité écologique (Parcs Canada, 2000).

Dans une aire protégée pouvant contenir des milliers ou des dizaines de milliers d'espèces, il est extrêmement difficile de les inventorier et d'évaluer l'évolution de leur situation. Il est impossible de le faire pour chacune d'entre elles et, même si cela était réalisable, cela ne constituerait pas une utilisation optimale des ressources humaines et financières. On utilise différentes méthodes pour essayer de trouver une solution, notamment:

Malgré les progrès réalisés dans ce domaine, un travail considérable reste à faire pour mettre au point des méthodes efficaces de suivi. Par exemple, l'utilisation d'espèces témoins pourrait être d'un grand secours, mais on connaît encore mal les rapports qu'elles ont avec la diversité biologique totale et le fonctionnement des écosystèmes (Lindemayer, Margules et Botkin, 2000). En outre, tant que des méthodes simples et peu coûteuses ne seront pas disponibles, il y a peu de chances qu'un suivi soit assuré, surtout dans les cas où les ressources humaines et financières pouvant être consacrées à la conservation sont limitées. Un autre problème est la détermination des niveaux acceptables de changement afin que des mesures de gestion puissent être prises lorsqu'un niveau seuil est sur le point d'être atteint. La détermination de niveaux seuils utilisables nécessitera une meilleure connaissance de la dynamique écologique que ce n'est le cas actuellement pour la plupart des écosystèmes.

Des efforts ont récemment été entrepris pour mettre au point des outils permettant d'évaluer l'efficacité des aires protégées dans une optique plus générale, en incluant des facteurs institutionnels, sociaux et quantitatifs en plus des facteurs biologiques. La Commission mondiale des aires protégées de l'UICN (CMAP) a créé en 1998 un groupe de travail sur l'efficacité de la gestion et organisé deux ateliers internationaux sur cette question en 1999. Différentes méthodes devront sans aucun doute être employées pour tenir compte de la grande diversité des conditions écologiques et socioéconomiques existant dans le monde mais, de l'avis de la CMAP, elles devraient toutes être basées sur un cadre conceptuel général unique applicable à des situations très variées.

La CMAP a proposé un cadre d'évaluation (Hocking et Phillips, 1999) prévoyant cinq types d'évaluation:

D'autres méthodes d'évaluation de l'efficacité de la gestion sont actuellement testées ou utilisées. Deux d'entre elles sont discutées ci-dessous; la première s'appuie sur une approche participative, et la seconde permet d'effectuer le suivi de plusieurs sites.

D'importants changements se produiront vraisemblablement à l'avenir dans le domaine de l'évaluation de l'efficacité des aires protégées. Des progrès considérables ont déjà été réalisés, mais il faut encore améliorer les méthodes et les outils de contrôle. Tant qu'il n'en sera pas ainsi et que des systèmes appropriés ne seront pas en place et ne fonctionneront pas de façon satisfaisante, la gestion adaptative efficace des aires protégées dans le monde restera un objectif plutôt qu'une réalité.

APPROCHES ACTUELLES EN MATIÈRE DE GESTION DES AIRES PROTÉGÉES

On a pu dire que la planification et la gestion des aires protégées avaient connu un changement radical au cours de la décennie écoulée (Dudley et al., 1999). Elles se caractérisaient autrefois par le monopole du gouvernement central en matière de contrôle, le protectionnisme, l'exclusion des populations locales et, fréquemment, l'interdiction des utilisations traditionnelles de la faune et de la flore. On constate par contre aujourd'hui un changement dans le rôle des pouvoirs publics - qui est passé de la mise en œuvre à la réglementation -, une décentralisation de la prise de décisions, des efforts pour associer les parties prenantes clés à la planification et à la gestion des aires protégées, et une prise de conscience accrue du rôle crucial des politiques, des lois et des institutions pour créer des conditions favorables au changement et au développement.

En octobre 1999, la FAO a tenu une consultation technique internationale à Harare (Zimbabwe) sur la façon de concilier la gestion des aires protégées et le développement rural durable. Cette réunion a permis de constater la difficulté de cette tâche, mais également les progrès réalisés en ce qui concerne la gestion collaborative des aires protégées et la meilleure compréhension de questions telles que la réforme institutionnelle et les conditions préalables à la réussite des initiatives dans le domaine de l'écotourisme. La reconnaissance de l'importance de faire en sorte que les populations rurales vivant dans les aires protégées ou à proximité de celles-ci se sentent directement concernées par la biodiversité s'est manifestée notamment sous deux formes: les projets intégrés de développement et de conservation et la conservation communautaire.

Un deuxième changement important survenu au cours de la dernière décennie en ce qui concerne le planification et la gestion des aires protégées est l'idée que ces dernières font partie intégrante de zones plus étendues. L'approche biorégionale à la planification des aires protégées est un concept élaboré par les écologistes pour placer ces aires dans un contexte plus vaste du point de vue géographique et de celui de l'utilisation des terres. Elle s'appuie sur certains principes de la gestion des écosystèmes, méthode qui a reçu un accueil de plus en plus favorable de la part des administrateurs des ressources naturelles au cours des 10 dernières années. Ces deux approches tiennent compte de la complexité et de la dynamique des systèmes écologiques et sociaux. Toutes les deux préconisent la participation des populations locales et des parties prenantes à la prise de décisions et reflètent donc à certains égards le changement radical mentionné ci-dessus.

La section suivante examine ces nouvelles approches - les projets intégrés de développement, la conservation communautaire, l'approche biorégionale et l'approche fondée sur les écosystèmes, de même que la question des aires de conservation transfrontières.

Les projets intégrés de développement et de conservation

Étant donné qu'il y a des gens qui vivent à l'intérieur ou à proximité de nombreuses aires protégées, sinon de la majorité d'entre elles, les écologistes ont entrepris de relier les objectifs de la conservation et du développement afin que les populations locales profitent de certains des avantages qu'apportent les aires protégées. Cette idée n'est pas nouvelle, mais a simplement été intégrée de plus en plus fréquemment dans les efforts de conservation au cours des 10 dernières années. C'est un des principes qui président à la sélection et à la gestion des réserves de la biosphère, désignation accordée à diverses aires protégées du monde entier dans le cadre du programme L'Homme et la biosphère, dont la création par l'UNESCO remonte à 1972. La nécessité d'administrer les aires protégées en tenant compte des besoins et des droits des populations locales a été énoncée clairement lors du Congrès mondial sur les parcs, qui a eu lieu en 1982 à Bali (Indonésie). Par rapport aux politiques protectionnistes antérieures qui avaient souvent pour résultat de creuser un fossé entre les efforts de conservation et les populations locales, cette approche était considérée comme permettant d'éviter l'exclusion de ces dernières.

Cette idée a inspiré un nombre croissant d'initiatives visant à lier la gestion des aires protégées au développement social et économique local, souvent en essayant d'encourager par divers moyens les résidents et voisins des parcs à appuyer leur conservation et leur utilisation durable. Ces initiatives sont communément désignées sous le nom de projets intégrés de développement et de conservation. Elles ont reçu un solide appui de la part des pouvoirs publics, des ONG s'occupant de conservation et d'importants donateurs. La plupart des plans ou propositions concernant la gestion d'aires protégées présentés à la fin des années 90 accordaient une grande place aux rapports avec les populations locales. Toutefois, aujourd'hui, plus de 10 ans après la forte publicité faite au sujet des projets intégrés, il y a encore très peu d'aires protégées qui sont gérées en tenant pleinement compte des besoins et des aspirations des populations locales. On se rend de plus en plus compte que les projets intégrés risquent de ne contribuer efficacement ni à la conservation ni au développement.

Le Réseau de conservation de la biodiversité, constitué à titre expérimental pour examiner les liens entre les possibilités de développement et la conservation de la diversité biologique, a noté certaines réussites et fourni certains enseignements utiles pouvant améliorer les perspectives de succès d'initiatives similaires à l'avenir (Salafsky et al., 1999). Il conclut qu'une entreprise viable exerçant des activités liées à la biodiversité peut assurer efficacement la conservation de la ressource concernée dans le site où un tel projet est exécuté. Certaines conditions doivent toutefois être réunies. Il faut surmonter les limitations imposées par la commercialisation et les problèmes en rapport avec la réglementation gouvernementale et la bureaucratie. Une forte participation locale à l'entreprise est essentielle. La population doit avoir l'impression que l'entreprise ne peut fonctionner que si la diversité biologique est préservée. Cela peut donner à penser que certains des échecs des projets intégrés sont peut-être dus moins à l'incompatibilité entre la conservation et le développement qu'à des erreurs dans la conception et la mise en œuvre du projet ou à l'absence des conditions préalables nécessaires à sa réussite.

La déception suscitée de façon générale par les initiatives axées à la fois sur la conservation et le développement a toutefois intensifié les divergences de vue quant à la compatibilité entre la conservation de la biodiversité et l'utilisation durable des ressources, comme le montrent les deux opinions suivantes. La conclusion de Ntiamoa-Baidu et al. (2000) est que: «La corrélation entre l'utilisation des ressources et la conservation de la biodiversité est considérée comme absolument essentielle parce que les populations rurales sont tellement tributaires des ressources naturelles pour pouvoir simplement survivre.»Terborgh et van Schaik (1997) affirment, quant à eux, que: «Les aires protégées de façon stricte doivent ... servir de derniers bastions de la nature pour l'avenir prévisible. La protection rigoureuse des parcs doit donc devenir la priorité des efforts de conservation de la nature.»

Une opinion intermédiaire entre ces deux extrêmes est que la meilleure façon d'atteindre les objectifs de la conservation n'est pas d'exclure les gens des aires protégées, mais de gérer les activités humaines de façon à ce qu'elles ne portent pas atteinte aux valeurs qui ont présidé à la création de ces aires protégées. Certains soutiennent que, dans la plupart des cas, la biodiversité a toujours coexisté avec d'importantes activités humaines pour autant que l'ampleur des activités extractives soit assez limitée pour ne pas menacer la diversité biologique. Cette opinion va de pair avec la reconnaissance de la nécessité d'associer la population locale aux décisions de planification et de gestion des aires protégées.

Cela concorde avec le fait que, de façon plus générale, de nombreux pays s'orientent vers la décentralisation et la délégation de pouvoirs. On peut ainsi espérer que les populations locales, devenant plus directement responsables, parviendront mieux à trouver des solutions appropriées pour concilier la conservation et le développement que cela n'a été le cas quand elles n'étaient pas associées suffisamment aux efforts entrepris.

La conservation communautaire

L'expression conservation communautaire désigne des initiatives entreprises pour associer à part entière les populations locales à la politique de conservation. Le principe de base est que la participation des populations locales à la planification et à la gestion des ressources peut améliorer l'efficacité des efforts de conservation et contribuer à faire en sorte que ces populations tirent des avantages de la conservation.

Le transfert du contrôle des ressources naturelles du niveau central au niveau local et la mise en place de systèmes de gestion communautaires exploitant les possibilités offertes par la science, l'information et le savoir traditionnel sont deux aspects de l'approche de conservation communautaire testés dans différents pays.

Il est encore trop tôt pour se prononcer sur la réussite des cas où cette méthode a été appliquée à la gestion des aires protégées. Sa viabilité à long terme reste à prouver en de nombreux endroits, et on ne sait pas dans quelle mesure elle permet de préserver la biodiversité.

D'après certaines indications, la conservation communautaire pourrait constituer un modèle viable dans les pays développés, où une priorité plus élevée peut être accordée à la conservation du fait que les besoins économiques fondamentaux sont satisfaits. Divers exemples, comme le CAMPFIRE au Zimbabwe et le Sanctuaire communautaire de babouins du Belize, montrent que la conservation communautaire peut donner de bons résultats dans les pays en développement, mais son application peut causer des problèmes dans certains d'entre eux, et ce pour de nombreuses raisons. On peut comprendre que, confrontées aux problèmes que posent la pauvreté, le manque de possibilités économiques et les conflits suscités par la pénurie de ressources, les populations rurales se soucient davantage de l'amélioration de leur sort que de la conservation de la biodiversité. Il existe une grande disparité entre les avantages économiques que l'on peut raisonnablement attendre de la conservation et les besoins et aspirations des résidents des zones rurales qui vivent dans la pauvreté. Par conséquent, ces derniers pourraient fort bien rejeter la conservation si on leur proposait une façon plus rentable d'utiliser ces ressources (Hackel, 1999).

La diversité économique, sociale et culturelle, ainsi que les inégalités de pouvoir existant au sein des communautés, posent des problèmes supplémentaires. Il faut en prendre conscience, les comprendre et en tenir compte quand on élabore un programme de conservation, sans quoi celui-ci risquerait fort de ne pas atteindre ses objectifs. De même, il faut tenir compte du fait que les groupes autochtones et les autres personnes tributaires de la forêt n'ont pas tous la même attitude envers la nature; on a parfois erronément pris pour acquis qu'ils possèdent une solide éthique de la conservation qui les empêche de surexploiter les ressources comme la faune.

On ne sait pas encore très bien comment concilier les besoins des habitants pauvres des régions rurales et la conservation de la biodiversité. Une option consiste à améliorer la conception et la mise en œuvre des programmes afin de leur gagner l'appui effectif des populations locales et d'offrir à celles-ci des avantages tangibles directement reliés à la conservation. Brown (2000) fait une autre proposition: la formation d'alliances multisectorielles et multipartites regroupant les habitants, des entreprises commerciales et les pouvoirs publics. Toutefois, une chose est sûre: la conservation communautaire ne peut être couronnée de succès que si l'on comprend le contexte économique, social, écologique et politique local. Il n'existe aucune solution-type pouvant simplement être reproduite à loisir, et l'approche retenue doit être ajustée en fonction de la situation.

L'approche biorégionale

L'approche biorégionale repose sur l'idée que les programmes de conservation et de gestion des ressources devraient englober des écosystèmes entiers ou biorégions 28 . Elle contribue à la préservation des communautés biologiques, des habitats et des écosystèmes ainsi qu'à celle des processus écologiques lorsque le paysage est fragmenté par des routes, des établissements humains, des barrages et des activités agricoles (Miller et Hamilton, 1999).

L'approche biorégionale s'applique à la conservation de la biodiversité dans quatre types de zones. La première catégorie inclut les zones naturelles primaires qui offrent les conditions de vie nécessaires à la flore et la faune sauvages dans leurs habitats d'origine. La deuxième est composée des zones tampons qui entourent celles de la première catégorie et dans lesquelles des instruments juridiques et politiques ainsi que des mesures incitatives de nature économique encouragent les particuliers ou les collectivités possédant ou utilisant des terres à gérer leurs ressources de façon à porter le moins possible préjudice aux zones naturelles. La troisième catégorie correspond aux zones naturelles et à leurs zones tampons qui sont reliées à d'autres zones équivalentes par des corridors offrant des habitats appropriés pour la flore ainsi que pour la migration et la dispersion des animaux. La quatrième consiste en des zones naturelles, des zones tampons et des corridors insérés dans des zones dominées par les établissements humains et les activités humaines. Le but de la gestion biorégionale est de mettre en place des programmes coopératifs couvrant la totalité d'une région donnée et permettant la préservation et la restauration de la biodiversité tout en appuyant les activités professionnelles et le mode de vie des habitants.

La réussite de l'approche biorégionale (Miller et Hamilton, 1999) nécessite:

L'approche biorégionale a été utilisée dans diverses régions du monde entier présentant des conditions écologiques et socioéconomiques différentes. Nombre de ces expériences sont bien documentées et fournissent des enseignements utiles (par exemple Miller, 1996; UICN, 1999).

Une approche basée sur les écosystèmes

Les expressions «approche basée sur les écosystèmes» et «gestion des écosystèmes» peuvent être interprétées de diverses façons, mais la plupart des définitions incluent des éléments communs, notamment le concept de système, la reconnaissance de la complexité et de la dynamique des systèmes écologiques et sociaux, la délimitation des écosystèmes en fonction de critères écologiques, la prise en considération de différentes échelles de temps, une gestion adaptative pour faire face à d'éventuels changements et incertitudes, et la participation des parties prenantes à la prise de décisions. Certains considèrent que le principal objectif de la gestion est le rétablissement de l'intégrité ou de la santé de l'écosystème, alors que d'autres attachent une importance égale ou supérieure aux besoins humains (Yaffee, 1999).

La Convention sur la diversité biologique décrit l'approche basée sur les écosystèmes de la façon suivante:

«L'approche basée sur les écosystèmes est une stratégie pour la gestion intégrée des ressources terrestres, aquatiques et vivantes, qui encourage leur conservation et leur utilisation durable de façon équitable. Cette approche est fondée sur l'application de méthodologies scientifiques appropriées axées sur les différents niveaux d'organisation biologique, qui incluent la structure essentielle, les processus, les fonctions et les interactions entre les organismes et leur environnement. Elle postule que les êtres humains, avec leur diversité culturelle, font partie intégrante de nombreux écosystèmes.» 29 

De nombreux pays emploient de plus en plus une approche basée sur les écosystèmes pour la planification et la gestion de l'utilisation et de l'exploitation des ressources naturelles. En outre, les Parties à la Convention sur la diversité biologique sont convenues, lors de la cinquième Conférence des Parties en mai 2000, d'appliquer les principes de l'approche basée sur les écosystèmes, tels que décrits plus haut, à la gestion de leurs ressources naturelles. Deux conférences organisées sous les auspices de la Convention ont donné lieu à la présentation de 12 principes, communément appelés les Principes du Malawi, et cinq directives opérationnelles pour l'utilisation de cette approche (voir encadré 19).

ENCADRÉ 19

Principes et directives opérationnelles pour l'approche basée sur les écosystèmes: les Principes du Malawi

PRINCIPES:

Principe 1: Les objectifs de la gestion des ressources terrestres, aquatiques et vivantes reflètent les choix de la société.

Principe 2: La gestion doit être décentralisée au niveau approprié le plus bas.

Principe 3: Les administrateurs des écosystèmes doivent prendre en considération les effets (effectifs ou potentiels) de leurs activités sur les écosystèmes adjacents et d'autres écosystèmes.

Principe 4: Compte tenu des gains pouvant résulter de la gestion, il est généralement nécessaire de comprendre et de gérer l'écosystème dans un contexte économique. Toute gestion d'un écosystème reflétant cette approche doit:

a) réduire les distorsions du marché qui ont des répercussions négatives sur la biodiversité;

b) inclure des mesures incitatives pour promouvoir la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique;

c) internaliser les coûts et les avantages dans l'écosystème concerné dans toute la mesure possible.

Principe 5: Pour préserver les services fournis par l'écosystème, la conservation de sa structure et de son fonctionnement doit être une priorité de l'approche basée sur les écosystèmes.

Principe 6: Les écosystèmes doivent être gérés dans les limites de leur fonctionnement.

Principe 7: L'approche basée sur les écosystèmes doit être entreprise à une échelle temporelle appropriée.

Principe 8: Étant donné la variabilité des échelles temporelles et du temps de réaction qui caractérisent le fonctionnement des écosystèmes, les objectifs de la gestion d'un écosystème doivent être fixés à long terme.

Principe 9: La gestion doit prendre en compte que des changements sont inévitables.

Principe 10: L'approche basée sur les écosystèmes doit chercher à concilier de façon appropriée la conservation et l'utilisation de la biodiversité et à intégrer ces deux aspects.

Principe 11: L'approche basée sur les écosystèmes doit prendre en considération toutes les formes d'information pertinentes, y compris les connaissances, innovations et pratiques aussi bien scientifiques qu'autochtones ou locales.

Principe 12: L'approche basée sur les écosystèmes doit faire appel à tous les secteurs concernés de la société et à toutes les disciplines scientifiques pertinentes.

DIRECTIVES OPÉRATIONNELLES

1. Mettre l'accent sur les relations fonctionnelles et les processus existant à l'intérieur des écosystèmes.

2. Faire en sorte que les avantages soient mieux partagés.

3. Appliquer les méthodes de la gestion adaptative.

4. Mettre en œuvre les activités de gestion à l'échelle appropriée à la question visée, en procédant à une décentralisation vers le niveau le plus bas possible.

5. Assurer une coopération intersectorielle.

L'application de l'approche basée sur les écosystèmes est une tâche complexe, certainement plus ardue que les systèmes utilisés traditionnellement pour gérer les aires protégées ainsi que la faune et la flore. Le directeur du United States Fish and Wildlife Service signale qu'un administrateur qui met en œuvre cette approche ne peut plus utiliser la méthode traditionnelle consistant à traiter chaque espèce isolément (Clark, 1999). Il fait également remarquer que les administrateurs nécessiteront l'aide des scientifiques pour déterminer les buts et les objectifs qu'il doivent atteindre.

Aires de conservation transfrontières

Les aires de conservation transfrontières ne constituent pas une nouveauté, mais elles ont récemment suscité une attention considérable (par exemple le Biodivertisy Support Program, 1999). Leur importance est due à des raisons aussi bien écologiques que politiques.

Zbicz (1999) a constaté l'existence de 136 ensembles regroupant des aires protégées contiguës, c'est-à-dire des complexes transfrontières d'aires protégées, qui représentent au moins 10 pour cent de l'ensemble de celles de la planète. Les complexes existants ou proposés représentent en tout 205 zones transfrontières pouvant contribuer à la conservation de la biodiversité.

L'importance écologique de ces aires tient au fait que beaucoup de zones possèdant une biodiversité particulièrement intéressante chevauchent deux ou plusieurs frontières nationales. La gestion efficace des écosystèmes transfrontières n'est possible que si elles est utilisée selon des modalités compatibles par les pays voisins, et peut permettre de créer des aires protégées transfrontières.

Au plan politique, il a été proposé de constituer des aires de conservation transfrontières qui pourraient devenir des «parcs de la paix» et servir à résoudre les conflits internationaux le long des frontières. Cette idée a suscité un intérêt considérable et beaucoup l'appuient, mais elle a aussi ses détracteurs. Certains affirment que la création et l'exploitation de parcs transfrontières est une tâche extrêmement complexe et que les ressources correspondantes seraient investies plus utilement dans l'amélioration de la gestion des réseaux nationaux d'aires protégées.

Quelle que soit la valeur politique des aires protégées transfrontières, il est clair que les préoccupations d'ordre écologique concernant les problèmes transfrontières sont justifiées et méritent d'être examinées de plus près.

COUVRIR LE COÛT DE LA GESTION DES AIRES PROTÉGÉES

Le manque chronique d'argent pour couvrir le coût des mesures requises est un des principaux facteurs qui limitent l'efficacité de la conservation de la biodiversité dans la plupart des pays en développement. La nécessité d'améliorer le financement national des réseaux d'aires protégées et d'obtenir des sources internationales de fonds fait l'objet d'un débat permanent et d'initiatives novatrices.

Outre le problème du sous-financement, les organismes gouvernementaux sont fortement handicapés par leur fréquente incapacité à conserver les fonds collectés dans les aires protégées. Les organismes responsables de la conservation ne sont guère incités à mettre en œuvre des programmes générateurs de recettes s'ils sont obligés de remettre celles-ci au trésor public, comme cela arrive fréquemment. Leur manque d'autonomie financière décourage souvent les initiatives visant à établir des liens avec le secteur privé (James, 1999). Une réduction de leur dépendance financière à l'endroit des pouvoirs publics, la mise en place de sources novatrices de financement et la conservation par ces organismes des revenus qu'ils obtiennent pour pouvoir les consacrer à la gestion des aires protégées amélioreraient la situation.

La modification des structures institutionnelles pourrait être un autre moyen d'apporter des changements importants aux modes de financement de la gestion des aires protégées. Une comparaison entre des services gouvernementaux traditionnels et des organismes parapublics financièrement et opération-nellement autonomes s'occupant tous de conservation en Afrique a révélé que ces derniers consacrent 15 fois plus d'argent à la gestion des aires protégées que les services gouvernementaux (James, 1999). Leur culture institutionnelle est en effet différente. Les administrateurs parapublics ont pris des mesures pour accroître et diversifier leurs sources de financement. Tous les organismes financièrement autonomes ont signalé qu'ils avaient mis en place de nouveaux programmes pour collecter des fonds, par exemple en augmentant les droits acquittés par les visiteurs, en créant des fonds fiduciaires et en sollicitant des dons auprès d'une vaste gamme d'organisations publiques et privées, en invitant le secteur privé à soumettre des offres pour participer à des projets conjoints d'écotourisme, etc.

Ceux qui réclament une augmentation du financement international des efforts de conservation font valoir que, si l'importance de la diversité biologique et les avantages qui en découlent concernent l'ensemble de la planète, le coût de sa conservation devrait être assumé à l'échelle mondiale. D'un point de vue plus pragmatique, certains signalent que, si les pays les plus riches ne couvrent pas une partie des dépenses nécessaires, les mesures de conservation resteront insuffisantes puisque les pays pauvres manquent en permanence des fonds nécessaires.

Le Fonds pour l'environnement mondial (FEM) constitue le mécanisme international de financement le plus important pour la conservation dans les pays en voie de développement. C'est également lui qui finance les activités de la Convention sur la diversité biologique. La communauté internationale contribue aussi aux dépenses engagées pour la conservation dans les pays en voie de développement par le biais de l'aide bilatérale et multilatérale, et les ONG spécialisées s'emploient également depuis longtemps à collecter des fonds à cette fin. À l'heure actuelle, toutes ces sources de soutien à la conservation à l'échelle internationale fournissent leur contribution de façon ponctuelle, imprévisible et non systématique. Il est manifestement nécessaire de pouvoir compter sur un soutien systématique et constant pour assurer la conservation de façon efficace et durable. La création d'un mécanisme international permanent de financement de la conservation de la biodiversité pourrait être un objectif à moyen ou à long terme mais, en attendant, de nouveaux mécanismes conçus pour l'aide à la conservation et de nouvelles sources de financement ont fait leur apparition.

Conservation International a récemment mis au point un nouveau mécanisme pour la conservation de la biodiversité: une «concession pour la conservation». En septembre 2000, cette organisation a obtenu du Gouvernement du Guyana une vaste concession forestière au prix du marché. Sa gestion sera axée sur la conservation de la biodiversité plutôt que sur la production de bois. Ce mécanisme commercial assure un certain niveau de protection de la forêt tout en garantissant au pays des rentrées régulières de devises. Conservation International a l'intention de collaborer avec d'autres gouvernements pour conserver la biodiversité forestière dans d'autres pays en utilisant ce mécanisme.

Les ONG de ce secteur concluent de nouvelles ententes avec des partenaires non traditionnels pour soutenir leurs activités, comme dans le cas de l'Alliance forestière créée en 1998 par la Banque mondiale et le WWF. Deux des buts de cette alliance sont de collaborer avec les gouvernements et la société civile pour accroître de 50 millions d'hectares les aires forestières protégées et pour assurer d'ici 2005 la gestion efficace d'une étendue identique de zones forestières protégées existantes mais fortement menacées. Un autre exemple est le Critical Ecosystem Partnership Fund, créé au milieu de l'année 2000 par la Banque mondiale, Conservation International et le FEM pour protéger les points chauds de la diversité biologique dans toute la planète. Les trois partenaires verseront chacun une contribution de 25 millions de dollars EU et s'efforceront de réunir un montant supplémentaire de 75 millions de dollars afin de disposer d'un total de 150 millions de dollars à consacrer aux activités de conservation.

Un autre développement récent est que la conservation attire maintenant des fonds privés. Dans certains pays comme les États-Unis, des particuliers et des entreprises font depuis longtemps des dons pour la conservation, mais les efforts internationaux en vue de la conservation commencent à recevoir des fonds provenant de sources nouvelles.

La Fondation pour les Nations Unies (UNF) constitue l'une de ces sources de nouveaux fonds. Les sommes qu'elle a actuellement affectées à la conservation de la biodiversité seront utilisées pour des projets concernant des sites du patrimoine mondial. Cette fondation a récemment offert un don de 3 millions de dollars EU pour quatre sites qui se trouvent en République démocratique du Congo et dont trois sont des aires forestières protégées.

Le secteur des communications électroniques et de l'Internet participe de plus en plus au financement des activités de conservation de diverses façons, qui vont de la création de fonds fiduciaires pour gérer des aires protégées déterminées au soutien des activités de recherche et de conservation réalisées par des ONG. Des entreprises du secteur de l'Internet ont ainsi versé récemment 5 millions de dollars à The Nature Conservancy pour l'aider à acheter une zone appartenant à l'écosystème des prairies dans le nord-ouest des États-Unis. Un cofondateur de la société Intel a également fait don de 35 millions de dollars à Conservation International pour la création de son Centre for Applied Biodiversity Science.

CONCLUSIONS

Depuis une dizaine d'années, l'intérêt suscité par la conservation de la diversité biologique forestière s'est fortement accru. Maintenant que des scientifiques possédant une longue expérience de la recherche arrivent à la conclusion que les réserves forestières tropicales sont en état de crise (van Schaik, Terborgh et Dugelby, 1997) et qu'un biologiste spécialiste de la conservation hautement respecté parle de «l'assaut mondial contre la biodiversité» (Ehrenfeld, 2000), la recherche d'une solution à ce problème est considérée comme de plus en plus urgente.

Cette préoccupation a donné lieu à des initiatives nationales et internationales très diverses concernant la conservation de la biodiversité et la gestion des aires protégées. Les idées relatives à la façon de gérer efficacement les aires protégées à long terme ont beaucoup évolué, comme le montrent les efforts entrepris pour concilier les exigences de la conservation et du développement, associer les populations locales et les autres parties prenantes à la conservation et administrer les aires protégées dans le cadre de complexes géographiques, écologiques et sociaux de plus grande ampleur.

Malgré les changements intervenus, d'importantes choses restent à faire, notamment:

Les progrès nécessaires à ces différents égards nécessiteront recherche, expérimentation, réflexion, discussion et détermination aussi bien au niveau des responsables politiques que sur le terrain. On peut toutefois trouver un certain encouragement dans la façon dont les problèmes qui se posent sont abordés tant dans les aires protégées et à l'extérieur de celles-ci que dans les approches novatrices qui ont fait leur apparition depuis quelques années.


22 www.iucn.org/redlist/2000/french/news.html

23 Pour soutenir les activités de l'IFF, divers gouvernements ont parrainé des réunions sur la conservation des forêts et des aires forestières protégées qui ont eu lieu à Canberra (Australie) en 1998 et à San Juan (Puerto Rico) en 1999. Le document de travail International forest conservation: protected areas and beyond (Kanowski et al., 1999) a été publié à l'issue de la réunion de Canberra.

24 voir www.earthcharter.org/

 25 Aires incluses dans les catégories I-VI du système de classification de l'UICN (voir tableau 9, p. 54).

 26 Les écosystèmes qui possèdent une diversité biologique particulièrement importante et qui risquent d'être détruits.

27 Brésil, Chine, Fédération de Russie, Gabon, Indonésie, Mexique, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Pérou, République-Unie de Tanzanie et Viet Nam.

28 Une biorégion est une zone géographique contenant un ou plusieurs écosystèmes et dont le périmètre est défini par les limites des systèmes écologiques ou des communautés humaines.

 29 www.biodiv.org/EcosysApproach/Description.html


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