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Chapitre 8
Quelques problèmes pratiques concernant la recherche en biotechnologie dans les pays en développement

8.1 Priorités et évolution des travaux de recherche actuels

La recherche en biotechnologie, qu'elle soit prise dans son acception la plus large (toute manipulation biologique) ou dans son acception la plus étroite (la technologie de l'ADN recombinant), exige les mêmes mécanismes pour optimaliser les progrès réalisés en matière de production animale, à savoir:

Dans les pays en développement, les principaux obstacles d'ordre nutritionnel auxquels se heutre la production animale peuvent être classés en fonction des disponibilités fourragères et de la qualité du fourrage. Dans les régions de cultures, les animaux sont principalement nourris de résidus de récoltes et de sous-produits où les carences en nutriments représentent le problème majeur. Sur les terrains de parcours, le fourrage disponible accuse une carence de nutriments et il existe une pénurie saisonnière de pâturages pendant la sécheresse, les ressources fourragères disponibles étant à cette époque encore plus dépourvues de nutriments que pendant la saison du pacage. On peut surmonter plus ou moins ces problèmes grâce à des stratégies d'alimentation de complément mettant l'accent sur une nutrition équilibrée chez les animaux et comprenant des méthodes pour accroître la digestibilité du fourrage (voir Preston et Leng, 1987).

Bien que ces deux stratégies puissent faire appel à un large éventail de biotechnologies, dans le cadre de l'aspect nutritionnel du présent rapport c'est la technologie fourragère qui offrira probablement les meilleures chances de progrès aux petits exploitants agricoles dans les pays en développement.

Dans les pays en développement, les recherches sur la technologie de l'ADN recombinant n'en sont encore qu'au stade de développement préliminaire et elles soulèvent maintes difficultés dues en particulier au manque de connaissances sur le contrôle de l'expression génique. Ces travaux sont essentiellement de caractère exploratoire, même dans les pays développés. Dans les instituts supérieurs de recherche et au niveau universitaire, ils sont surtout utiles pour développer les connaissances. Par contre, les travaux considérables effectués dans de domaine par des entreprises au niveau essentiellement pratique, et par conséquent susceptibles d'applications commerciales, sont entourés de secret et ont souvent atteint un stade très avancé.

Les entreprises multinationales auront vraisemblablement pour marché les pays développés plus riches et il est peu probable que leurs travaux aient une incidence sur les pays en développement dont les intérêts et les objectifs sont différents, compte tenu aussi du fait que la réussite d'une innovation pour accroître la production animale est en grande partie imprévisible.

Dans tous les pays en développement, l'infrastructure et les compétences dans les sciences en cause font défaut pour la recherche en biotechnologie. Il y a pénurie de personnels qualifiés et ceux qui ont reçu une formation ont tendance à travailler comme ils le faisaient quand ils préparaient leur maîtrise ou leur doctorat. Qui plus est, ces personnels sont “prélevés” en nombre appréciable par des institutions dans des pays développés s'ils font preuve des aptitudes requises, car ces pays manquent aussi de personnels qualifiés. Chaque pays en développement doit établir un bilan de la recherche sur son territoire. Il est nécessaire que ces pays répartissent les fonds et les ressources disponibles parmi les secteurs qui offrent le plus de chances d'accroître la productivité dans un délai raisonnable et qui, fait encore plus important, sont susceptibles d'être acceptés par les petits exploitants agricoles.

Dans tout pays où la majorité des scientifiques ne se préoccupent que de développer leurs propres spécialités, la politique suivie en matière de financement de la recherche fera en sorte que les fonds publics seront consacrés à la technologie de l'ADN recombinant et, d'une manière générale, ce domaine aura la priorité sur la recherche en nutrition animale qui semble revêtir un caractère plus banal. Cela paraît inévitable en dépit du fait que des essais compor-tant l'administration à des ruminants d'une ration de base composée de fourrage de qualité mé-diocre aient indiqué qu'une alimentation équilibrée permettait d'accroître de cinq à dix fois le rendement des animaux selon le lieu. D'un autre côté, les possibilités d'échec sont considéra-bles avec la technologie de l'ADN recombinant; celle-ci est coûteuse et les percées seront au moins aussi difficiles à exploiter que la recherche actuelle sur l'alimentation de complément.

Les pays développés ont amélioré la production laitière par vache de 60% entre 1976 et 1986 et ce résultat a été obtenu, d'une part, par une modification de la base fourragère et, d'autre part, par une sélection qui visait simultanément à tirer profit de cette base “améliorée”. Pendant la même période, le rendement par vache a augmenté de 13% en Asie et de 7% en Afrique (Brumby, 1989). Cela indique bien l'immense potentiel qui est encore inexploité et les priorités qu'il faut observer, à savoir la manipulation de la base fourragère menée simultanément avec une amélioration génétique.

Les travaux de recherche fondamentale et appliquée effectués en Inde ont déjà montré qu'une modification de la base fourragère avec l'introduction de vaches douées d'un potentiel élevé de production laitière permet d'obtenir la forte augmentation de productivité qui est nécessaire pour que la production corresponde à la demande de protéines de haute qualité pour l'alimentation humaine. L'application des travaux de recherche par le NDDB et par d'autres institutions dans un certain nombre de pays indique qu'il est possible d'obtenir des rendements élevés avec des frisonnes ou d'autres races nourries au moyen des fourrages locaux (voir tableau 7.7). Cela met de nouveau en lumière les principes d'une recherche biotechnologique “moins perfectionnée” qui permettraient d'améliorer la production animale avec les ressources disponibles et qui peuvent être appliqués dès maintenant. Ce qu'il faut, c'est adapter la technologie aux conditions locales.

8.2 Les problèmes que pose dans la pratique l'application de la biotechnologie moderne dans les pays en développement

Nombreux sont les auteurs qui ont émis l'opinion que, pour profiter des richesses que pourrait procurer la biotechnologie moderne (s'agissant essentiellement en l'occurrence de la technologie de l'ADN recombinant), les pays en développement devraient renforcer leur capacité de recherche dans ce domaine.

Un pays peut tirer parti des progrès qui ont été réalisés grâce aux nouveaux ensembles technologiques qui, lorsqu'ils sont appliqués, permettent d'améliorer la productivité animale. Toutefois, les pays en développement devront pour l'heure acheter beaucoup d'ensembles mis au point dans des pays développés et qui ne tiennent pas compte des contraintes particulières qui pèsent sur la production dans les pays en développement. Il peut en résulter l'absence de tout bénéfice (ou même un effet négatif) puisque le prix d'achat de la technologie sera souvent supérieur à la valeur tirée d'un accroissement de la productivité (par exemple, en Inde, l'augmentation de 25% du rendement laitier grâce à des injections quotidiennes de BSt à des bufflonnes n'amortit pas le coût de ce traitement). Un pays pourra profiter d'une autre manière si l'un de ses propres spécialistes scientifiques est l'inventeur d'une technologie, en déposant un brevet valable dans le monde entier ou en réservant au moins pour le pays en question les droits de production et de distribution résultant d'une invention quelconque.

Les principaux problèmes en l'occurrence seront les mêmes que pour les petites entreprises des pays industrialisés qui cherchent à se développer avec des moyens de financement limités. Il est évident que les grandes sociétés ont le potentiel de pénétrer sur le marché, de l'absorber, d'éliminer d'autres entreprises en les achetant ou simplement en concurrençant les autres pour s'emparer des inventions prometteuses, un exemple récent nous étant fourni par la prise de contrôle de Genotec. A moins que le pays en développement en question ne soit disposé à se comporter de la même façon qu'une entreprise multinationale, toute invention susceptible de rapporter de gros bénéfices risque d'être perdue au profit des géants de l'industrie. Cela peut se produire avant même que les chercheurs aient réellement reconnu l'importance de leurs travaux.

D'une manière générale, les pays en développement ne disposent que d'un personnel "embryonnaire" qui a été formé à la biotechnologie nouvelle surtout par des scientifiques de pays industrialisés. Dans les pays en développement, les groupes de recherche sont centrés autour de quelques spécialistes scientifiques de haute qualité qui admettent la nécessité d'explorer des secteurs nouveaux (plutôt que de concurrencer les scientifiques avec lesquels ils ont été formés); ils manquent de moyens de financement et, s'ils font une découverte de grande importance, ils seront confrontés à de graves problèmes pour mettre en route les opérations de développement et défendre leurs brevets. Il est impératif que, parallèlement au développement de la biotechnologie moderne, il y ait un développement des compétences en matière d'application et de protection des brevets, de partenariats commerciaux, d'opérations de développement et d'études de marché.

Compte tenu de l'éthique qui caractérise le monde des entreprises, il serait hautement improbable qu'une percée dans le domaine de la biotechnologie qui serait susceptible d'une application à l'échelle mondiale puisse être totalement mise à profit par l'inventeur ou par son pays.

Les problèmes les plus sérieux surgissent après le stade de l'invention quand il est nécessaire de commercialiser la découverte. Par exemple, pour fabriquer un nouveau produit chimique à l'échelle commerciale, le développement qui fait suite aux travaux de laboratoire coûte environ dix fois plus que les dépenses consacrées à la recherche expérimentale et le coût de la commercialisation peut même être cent fois supérieur à ce chiffre.

Les enseignements tirés ces dernières années de la mainmise sur de nouvelles découvertes en matière de biotechnologie dans des pays développés donnent à penser que le financement de la recherche en biotechnologie doit satisfaire aux conditions suivantes:

Il est peu probable que le secret puisse être maintenu pour les travaux de recherche en biotechnologie moderne qui sont financés par des organismes d'aide, étant donné les exigences actuelles et la nécessité de faire rapport à ces organismes. Le besoin d'observer le secret est dû au fait que les découvertes peuvent être extrêmement précieuses pour une entreprise commerciale. En l'absence d'un appui pour le dépôt des brevets, les opérations de développement, etc., toute invention risque de devenir en fin de compte, par le biais de diverses procédures, la propriété d'une grande société.

8.2.1 Le secret commercial dans les pays industrialisés

Il est admis de longue date que la recherche est grandement facilitée par la communication d'informations entre spécialistes scientifiques. Cependant, la grande valeur probable de certaines inventions dans le domaine de la biotechnologie moderne (par exemple on a calculé que le BSt avait un marché mondial annuel de US$ 500 millions) a détruit dans une large mesure l'éthique qui caractérisait naguère la communication et la recherche dans les milieux scientifiques. A l'heure actuelle, les personnes qui préparent un doctorat peuvent elles-mêmes être tenues de s'engager sous serment à observer le secret, leur thèse ne devant être publiée que lorsque les données qui y figurent seront déjà dépassées ou que la découverte sera entièrement protégée par un brevet. Cela constitue un inconvénient majeur pour les spécialistes des pays en développement qui n'ont que difficilement accès à la littérature scientifique, ne peuvent entretenir aucun rapport avec le personnel d'entreprises industrielles et ne disposent que de fonds très restreints pour les voyages.

La biotechnologie moderne est désormais financée en majeure partie par des entreprises commerciales qui ont sélectionné et recruté des experts scientifiques dans de nombreux domaines et qui imposent des mesures de sécurité très strictes pour leurs travaux. Un chercheur qui effectue un “décollage” ne pourra progresser et tenir tête aux services de recherche des entreprises commerciales que si ses propres travaux n'ont qu'un intérêt local ou visent des secteurs de la collectivité qui n'ont pas les moyens de payer, si bien que les inventions ou les stratégies en cause doivent être mises à leur disposition gratuitement.

8.2.2 Les pays en développement ont besoin de compétences techniques pour mettre à profit diverses découvertes

La mise sur pied d'une capacité de recherche et d'enseignement en matière de biotechnologie et la formation de spécialistes scientifiques possédant des connaissances approfondies dans ce domaine permettent à un pays de participer au développement des produits et aussi de profiter de techniques applicables sur un marché local ou restreint et auxquelles les grandes entreprises ont renoncé pour des raisons économiques. Elles permettent aussi aux pays en question d'exploiter des inventions quand les brevets y afférents viennent à expiration. La question est de savoir comment les pays peuvent conserver ces compétences quand il leur est difficile de développer des moyens de recherche en biotechnologie moderne. La seule option qui s'offre à eux semble être de créer des instituts nationaux spécialisés qu'ils financeraient eux-mêmes.


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