Bien que plusieurs groupes étudient déjà dans le monde entier la possibilité de modifier les bactéries dans la panse, la plupart des travaux de recherche en sont encore au stade préliminaire. On trouvera ci-après une description générale des méthodes appliquées.
Isolement des gènes codés pour les enzymes fibrolytiques
La méthode débute habituellement ainsi:
la première étape correspond aux méthodes normalisées qui sont utilisées pour extraire l'ADN génomique des bactéries qui digèrent les fibres (les travaux portent aussi sur la réalisation de cette opération avec des champignons);
l'ADN est fractionné par digestion partielle avec des endonucléases de restriction, après quoi des fragments de taille appropriée sont sélectionnés par fractionnement au gel ou gradué. (La taille qui convient est de 3 à 8 kilobases (kb) pour les banques de plasmides et de 30 à 40 kb pour les banques de cosmides.)
Pour l'étape suivante, il existe deux options:
les fragments d'ADN sont liés à des vecteurs appropriés tels que les plasmides pUC.18 ou pUC.19 et l'ADN de recombinalison peut ensuite être utilisé pour transformer E. coli. Une autre méthode consiste à lier les fragments à des cosmides servant de vecteurs, à encapsuler l'ADN dans des particules de phage lambda, puis à le transférer le E. coli qui sert d'hôte;
les colonies de recombinaison seront ensuite sélectionnées en fonction de leur aptitude à digérer la cellulose, l'hémicellulose ou le xylanne. Pour les cosmides, les fragments d'ADN qui sont insérés devront subir un clonage subsidiaire en plasmides pour permittre une analyse plus approfondie et ces plasmides devront être de nouveaun passés au crible pour déterminer leur activité enzymatique;
les fragments sous-clonés sont “élagués” au moyen d'enzymes de restriction afin d'éliminer progressivement les fragments d'ADN des extrémités de l'ADN isolé. Cela devrait permettre de définir les limites du gène;
on procédera ensuite au séquencage des génes recombinants “élagués” selon la méthode Sanger de fermeture de la chaîne “didésoxy” (Sanger et al., 1977);
les gènes, une fois définis, peuvent être extraits en vue de leur insertion dans un plasmide de bactérie anaérobie.
Préparation de plasmides de bactéries anaérobies utilisables pour l'insertion de gènes
Un plasmide “navette” s'est révélé le vecteur le mieux approprié. Cela s'explique par le fait que la transformation des micro-organisms anaérobies de la panse risque d'être relativement peu efficace au stade initial, si bien qu'il peut se révélér indispensable de cultiver de grandes quantités de plasmides dans des bactéries E. coli. Le premier plasmide a été préparé par combinaison d'éléments d'un plasmide de Butyrivibrio avec des éléments d'un plasmide de E. coli (Gregg, K. et Ware, C., données inédites). Les aspects essentiels de cette opération sont les suivants:
il faut que la réplication ait pour origine E. coli, et qu'il y ait un gène codé pour résister aux antibiotiques;
le micro-organisme anaérobie qui sert d'hôte doit comporter un élément originel de réplication et un gène codé pour résister aux antibiotiques;
il faut qu'il y ait un site de clonage multiple, divisible par une série d'endonucléases de restriction pour l'insertion des gènes;
le plasmide de recombinaison doit être de taille appropriée (par example de 5 à 6 kb) afin de garantir une capacité de transformation optimale, le risque d'une élimination de l'ADN ou d'un réagencement à l'intérieur du microorganisme servant d'hôte étant réduit au minimum.
Emplacement des facteurs de contrôle génomique situés en dehors des séquences de codage enzymatique
Il sera nécessaire à cette fin de soumettre les gènes clonés à des épreuves pour déterminer la neutralisation par des nutriments glucidiques simples. Quand cette caractéristique fait partie intégrante du gène enzymatique, des séquences de contrôle supplémentaires pourrant s'avérer nécessaires. Toutefois, il est possible que des fragments d'ADN distincts provenant du génome doneur originel soient nécessaires pour obtenir un système de contrôle viable. De plus, il est fort probable que le contrôle génomique puisse nécessiter l'action combinée de gènes multiples et il sera peut-être indispensable à ce stade d'utiliser des cosmides, eu égard à leur aptitude à accepter l'insertion de fragments d'ADN plus grands.
Intégration de gènes introduits dans le chromosome de la bactérie qui sert d'hôte
La méthode la plus probable est la suivante:
un court brin de l'ADN de l'hôte bactérien sera introduit dans un plasmide porteur de gènes;
le plasmide sera inséré dans la bactérie hôte et la culture sera traitée au moyen d'un agent physique ou chimique en vue de déclencher la recombinaison. On peut citer comme exemples l'emploi d'un éclairage ultraviolet ou de produits chimiques tels que le sulfonate d'éthyle méthane;
la bactérie doit alors être cultivée sous “traitement” pour favoriser l'élimination de plasmides libres. Comme agents de traitement, on pourrait essayer l'orange d'acridine ou le désoxycholate;
afin d'identifier les micro-organismes qui ont intégré dans leurs chromosomes l'ADN introduit, il faut ensuite sélectionner les bactéries pour déterminer si elles ont conservé une résistance aux antibiotiques et pour vérifier leur aptitude à digérer les fibres en l'absence de plasmides.
Transformation directe des bactéries anaérobies de la panse
On a déjà identifié des plasmides capables de réplication dans des micro-organismes anàrobies de la panse (Teather, 1982) et quelques plasmides de recombinaison ont été élaborés en vue de leur croissance dans des micro-organismes anaérobies du côlon humain (Smith, 1985).
Les problèmes à étudier sont les suivants:
l'éventualité que les bactéries qui servent d'hôte contiennent des endonucléases de restriction non caractérisés qui soient capables de digérer n'importe quel ADN introduit;
l'éventualité que les plasmides déjà élaborés en vue de la croissance dans des micro-organismes du côlon (par exemple Bacteroides fragilis) puissent ne pas posséder les caractéristiques qui sont nécessaires pour garantir leur maintien dans les Bacteroides de la panse.
Ces problèmes peuvent avoir pour résultat prévisible que la présence d'endonucléases de restriction non caractérisés aboutisse à réduire considérablement l'efficacité de transformation, encore que, une fois cultivé dans une espéce donnée, le plasmide sera protégé contre toute nouvelle transformation chez cette espéce. Si les plasmides disponibles sont dépourvus des caractéristiques nécessaires pour assurer le maintien des espéces dans la panse, cela aboutira à l'impossibilité totale pour le plasmide de se développer, ce qui pourrait nécessiter la recherche de plasmides naturellement présents dans les bactéries de la panse afin d'obtenir des séquences de contrôle de la réplication satisfaisantes.
Recherches nécessaires une fois créées des bactéries de recombinaison dans la panse
Compte tenu des progrès rapides de la génétique moléculaire, il y a tout lieu d'espérer que seront créées de nouvelles souches de micro-organismes de la panse douées d'une plus grande capacité de digérer les fibres (par fermentation). Les capacités requises ne sont pas parfaitement connues, mais il s'agirait d'obtenir des microbes ayant les caractéristiques suivantes:
une production enzymatique renforcée;
des systèmes multi-enzymatiques permettant aux nouvelles souches d'accepter un éventail plus large de supports nutritifs (par exemple, un micro-organisme qui effectue surtout la fermentation de la pectine pourrait être doté de l'aptitude à digérer la cellulose et l'hémicellulose);
des systèmes multi-enzymatiques pour la fixation de l'ammoniac; cela pourrait être extrêmement important pour assurer la capacité des bactéries de survivre. Si une bactérie pouvait changer d'enzymes pour s'adapter à une modification du niveau d'ammoniac, cela lui permettrait effectivement de survivre dans la panse et pourrait aussi la rendre compétitive, en particulier si elle était également capable d'utiliser un certain nombre de supports glucidiques;
les microbes devraient posséder des enzymes modifiées par manipulation des protéines, ce qui pourrait permettre un fonctionnement plus efficace in vivo.
La création de tels micro-organismes et leur croissance dans un milieu de culture ne devraient guère soulever de difficultés puisqu'on leur aura aussi conféré une résistance aux antibiotiques par clonage. Par contre, le maintien de ces micro-organismes dans la panse sera extrémement difficile en raison des mécanismes d'interaction et de compétition de l'écosystéme microbien complexe de la panse.
Des recherches très poussées sont nécessaires pour élaborer des techniques permettant d'examiner la niche écologique de ces micro-organismes, leur aptitude à survivre, les facteurs qui interviennent dans leur maintien dans la panse et leurs caractéristiques de croissance.
Il sera nécessaire de contrôles l'effectif de chaque espèce afin d'estimer sa représentation dans la biomasse de la panse et ses caractéristiques de croissance. Les microbes de la panse forment généralement deux grands réservoirs qui procédent à des échanges mais qui ne sont pas nécessairement dans un état d'équilibre (à savoir le réservoir libre dans le milieu liquide (le réservoir de colonisation) et le réservoir de microbes attachés aux particules (le réservoir séquestré)). C'est pourquoi il sera assez difficile d'estimer la contribution individuelle des différents micro-organismes.
Pour résoudre le problème, il faudra recourir à la technologie des isotopes associées au génie génétique. Au cours de travaux préliminaires effectués dans notre laboratoire, nous procédons au marquage de bactéries au N15, au S35, au C14 et au H3 à la fois in vivo et in vitro. Nous déterminons la relation spécifique radioactivitédurée des microbes “marqués” dans la panse afin de chiffrer le taux de croissance bactérien. Seules sont examinées à l'heure actuelle des populations mixtes de microorganismes de la panse, mais cette technologie conduira a la longue au marquage de micro-organismes individuels qui seront ensuite placés de nouveau dans la panse pour marquer le réservoir de ces micro-organismes. Pour suivre la dilution (le mélange et, par conséquent, la taille du réservoir et la croissance ultérieure du micro-organisme), il faudra recenser des espéces individuelles parmi les populations mixtes de microorganismes de la panse. On y parviendra en mettant au point des sondes d'ADN d'hybridation pour les différentes espéces individuelles de la panse.
Une fois vérifiés dans des conditions de laboratoire la croissance, le renouvellement et la capacité de survie des microbes de la panse, il faudra adapter la technique de laboratoire et la mettre à l'épreuve dans les conditions correspondant à celles qui régnent chez l'éleveur.