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Chapitre 32

Transformation et enrichissement des aliments

L'homme est unique dans le règne animal en ce sens qu'il est le seul à récolter, conserver et transformer les aliments qu'il fait pousser. Presque tous les animaux récoltent les aliments qu'ils vont manger, et nombreux sont ceux qui amassent ces aliments pour les consommer plus tard, mais aucun ne les fait pousser ni ne les transforme. L'homme a appris à faire pousser les aliments pour sa propre subsistance et a mis au point différents procédés pour les conserver ou pour améliorer leurs caractéristiques, diminuant ou augmentant ainsi parfois leur valeur nutritionnelle.

On cherche à conserver les aliments et à en améliorer la qualité en ayant recours à différentes techniques telles que le séchage, la mise en conserve, la fermentation, l'ajout de conservateurs chimiques, la réfrigération, la congélation et l'ionisation. L'objectif principal de ces procédés est de permettre aux aliments de rester comestibles plus longtemps, sans qu'il n'y ait une réelle détérioration. Les procédés comprennent la cuisson, l'ajout de substances pour améliorer le goût ou l'apparence des aliments, les mesures prises pour rendre les aliments plus nutritifs (par exemple, en ajoutant des micronutriments ou en faisant germer les grains), l'élimination de constituants indésirables, y compris les toxines. Certaines techniques de conservation des aliments ont des effets multiples. Par exemple, le raffinage diminue la valeur nutritive des grains de céréales, mais il peut aussi les rendre plus faciles à cuisiner et à digérer, et les céréales raffinées sont moins susceptibles de se détériorer lors du stockage.

De nos jours, la transformation des aliments inclut à la fois des techniques traditionnelles et des techniques industrielles et modernes. Presque tous les aspects de la transformation des aliments sont en rapport avec la nutrition. Les effets des différents procédés (y compris la cuisson) sur le contenu nutritif des aliments sont résumés au tableau 35. En plus de ces effets, le raffinage et la cuisson rompent les parois cellulaires, ce qui rend les nutriments plus faciles à digérer.

La recherche, l'enseignement et la vulgarisation des techniques modernes de transformation des aliments sont du domaine des sciences de l'alimentation plutôt que de celui de la nutrition. Les sciences de l'alimentation ont fait de grands progrès non seulement dans les établissements universitaires, mais aussi dans l'industrie alimentaire, où les grosses firmes ont souvent des laboratoires pointus de recherches alimentaires. De nombreux ouvrages traitent de ces disciplines, et certains sont mentionnés dans la bibliographie.

Ce chapitre, ainsi que le chapitre 34, traite des aspects de la transformation des aliments qui influencent la qualité nutritionnelle ou la salubrité des aliments consommés dans les pays en développement. L'enrichissement des aliments avec des nutriments est un aspect de la transformation des aliments qui vise directement à faire diminuer les maladies de carence.

LA CUISSON

Dans les temps anciens, et partout dans les sociétés traditionnelles, la cuisson était la principale technique de conservation des aliments, et elle le reste de nos jours. Les hommes apprirent à faire du feu, et faire cuire les aliments devint un moyen d'améliorer la qualité de leur alimentation. Les techniques de cuisson ont beaucoup évolué au fil du temps dans certaines sociétés, et très peu ailleurs. Beaucoup de gens continuent à faire cuire sur des feux et des cuisinières traditionnelles, tandis qu'une majorité de foyers occidentaux et américains ont un four à micro-ondes dans la cuisine, qui est une invention relativement récente. De la même façon, l'industrie utilise des méthodes de cuisson aussi bien anciennes que nouvelles.

TABLEAU 35

Comment la transformation modifie le contenu nutritif des aliments

Nutriment

Procédé qui diminue la quantité

Procédé qui augmente la quantité

Autres effets

Vitamine A

Le séchage, en particulier au soleil Faire bouillir longtemps sans couvercle sur la casserole

Enrichissement  

Thiamine

Lavage du riz

   

Riboflavine

Laisser le lait à la lumière du jour

   

Folate

Cuisson (par exemple, on perd 35 pour cent du folate dans les feuilles vertes, 25 pour cent dans la pomme de terre) Stockage

   

Vitamine C

Stockage (sauf citrons ou fruits du baobab), séchage, conserve et embouteillage, cuisson et réchauffage des racines, légumes et fruits frais (par exemple, 40 pour cent de la vitamine C des feuilles vertes se perdent à la cuisson, dans l'eau et à la chaleur); Couper les aliments en petits morceaux, les préparer longtemps à l'avance et les faire cuire longtemps avant de les manger

Faire germer les graines (les légumineuses par exemple)

 

Minéraux

Broyage

Enrichissement (on peut enrichir le sel en iode par exemple)

La fermentation et la germination augmentent l'assimilation du fer non-héminique et des autres minéraux Le broyage peut enlever une partie des minéraux, mais il peut augmenter leur absorption

Glucides, lipides et protéines

Le broyage peut diminuer la quantité de lipides, de protéines et de fibres

Le broyage peut augmenter la proportion d'amidon L'ajout de sucre pour la mise en bouteille et en conserve La friture augmente le contenu lipidique

Les ferments et le malt modifient les proportions d'amidon et de sucre La fermentation peut permettre d'ajouter de l'alcool

Eau

Déshydratation des aliments

 

En diminuant la quantité d'eau dans les aliments, la déshydratation augmente la concentration des autres nutriments

La cuisson est un procédé utilisé partout, presque par tout le monde. A l'exception des fruits et de certains légumes, la plupart des aliments sont cuits avant d'être consommés. Dans de nombreux pays d'Afrique et d'Asie, certains légumes ne sont pas consommés s'ils ne sont pas cuits, et la consommation de salades est une tradition peu développée. La cuisson des légumes contribue sans doute à protéger les consommateurs contre les maladies qui se développent par contamination fécale, y compris les infections parasitaires, bactériennes et virales de la voie gastro-intestinale. On consomme la plupart des fruits tropicaux crus, mais la peau exposée n'est pas consommée; c'est pourquoi ils ne présentent pas les mêmes risques d'infections. Les bananes, les mangues, les papayes et les agrumes, par exemple, ne sont pas dangereux parce qu'on ne consomme pas leurs peaux.

Faire cuire les aliments est une pratique universelle parce que cela permet d'améliorer le goût des aliments, de rendre comestibles des aliments non comestibles, ou de les rendre plus digestes. La cuisson tue également des germes, notamment de nombreux micro-organismes pathogènes présents dans les aliments. La cuisson des aliments riches en amidon, ce qui comprend les céréales (riz, blé, maïs, etc., la source principale de l'apport énergétique et même protéique pour la majorité des êtres humains) mais aussi les pommes de terre, les ignames et le manioc, rend ces aliments plus savoureux et plus digestes. Faire cuire les aliments permet aussi d'éliminer des composants indésirables tels que les antinutriments, comme les facteurs antitrypsiques dans le soja et les constituants toxiques dans le manioc.

La cuisson des aliments ne consiste pas seulement à les rôtir, les mettre au four, les griller ou les faire bouillir une fois qu'ils sont récoltés ou cueillis. Elle implique aussi le mélange d'aliments ou, ce qui est peut-être plus courant, l'ajout d'autres ingrédients à l'aliment principal que l'on va cuisiner, ce qui peut modifier sa valeur nutritionnelle, mais dont le but est essentiellement d'améliorer la saveur de l'aliment ou du plat. Par exemple, on ajoute des matières grasses pour la friture; du sel, du sucre, des fruits et autres produits aux aliments que l'on fait cuire au four; on fait souvent cuire l'aliment de base comme la pomme de terre à l'étuvée ou dans une soupe en y ajoutant des oignons, des tomates et un peu de viande. La cuisine peut être un art. Elle rend les aliments savoureux et appétissants. Dans la plupart des sociétés, partager un repas en famille ou avec des amis est une occasion sociale plaisante dont le but n'est pas seulement de se remplir l'estomac, d'assouvir sa faim et de se fournir en nutriments essentiels. Il nourrit les sentiments de partage et d'échange et étaye le sens d'appartenance à la communauté.

A côté de tous ses aspects positifs, la cuisson peut aussi présenter des inconvénients du point de vue nutritionnel. Faire frire les aliments à très haute température peut détruire des vitamines et produire des composants cancérigènes indésirables dans les aliments. Le fumage des aliments peut également produire de telles substances. Par ailleurs, on perd des vitamines hydrosolubles quand on jette l'eau dans laquelle on a fait bouillir des aliments.

LA GERMINATION DES GRAINS

Il y a maintenant un regain d'intérêt pour les méthodes traditionnelles de germination destinée à produire des aliments maltés. Depuis très longtemps, les habitants de la République-Unie de Tanzanie et d'autres pays font germer le sorgho, le mil et d'autres céréales en les faisant macérer dans l'eau durant des heures, puis en les gardant humides deux ou trois jours, et enfin en les faisant sécher, la plupart du temps au soleil. Les grains de céréale séchés sont alors écrasés à l'aide d'un pilon et d'un mortier. La farine obtenue est conservée, et une petite quantité servira à la fabrication de la bière locale (pombe). La farine de grains séchés et germés, connue sous le nom de kimea, est également utilisée pour alléger et surir les bouillies traditionnelles de maïs destinées aux enfants. Le kimea allège la bouillie parce qu'elle produit de l'amylase, une enzyme qui rompt les chaînes d'amidon en sucres simples plus faciles à digérer (voir chapitre 6).

CONSERVATION DES ALIMENTS
Traitements physiques

Le refroidissement rapide ou la congélation empêche que les aliments ne se gâtent ou ne soient plus comestibles. C'est donc une méthode de conservation des aliments qui est très importante. Il est maintenant courant de trouver un réfrigérateur dans les ménages aisés des pays en développement et dans la majorité des foyers des pays industrialisés. Le congélateur est également très répandu.

Le séchage et le fumage (photos 68 et 69) sont des méthodes traditionnelles, mais elles sont également utilisées dans l'industrie. Eliminer l'eau des aliments empêche ou réduit le développement des germes, sur ou dans ces aliments. Les organismes ainsi inhibés comprennent les moisissures productrices de toxines telles que l'aflatoxine, ainsi que des micro-organismes qui gâtent la nourriture et produisent des odeurs et un goût déplaisants. Les céréales séchées se conservent mieux, et le poisson séché reste comestible assez longtemps. Des aliments, tel que le lait, sont déshydratés dans les usines de façon à ce que le produit obtenu puisse être commercialisé, transporté et prêt à être consommé.

Traitements chimiques

Il est possible de prolonger la durée de vie des aliments en ayant recours à des substances qu'on appelle conservateurs chimiques. Ceux qui sont le plus couramment utilisés à la maison sont le sel (chlorure de sodium) et le sucre, que l'on considère rarement comme des conservateurs chimiques. Les aliments conservés dans le sel ou le sucre ont moins de risques d'être attaqués par des organismes et se conservent donc plus longtemps. L'industrie y a également recours.

Il y a plus d'un siècle, des produits chimiques peu courants dans les foyers (à part le sel et le sucre) furent introduits comme conservateurs chimiques. Certains d'entre eux ne sont plus utilisés de nos jours par crainte de toxicité; d'autres sont jugés inoffensifs et sont largement utilisés. Les problèmes d'innocuité ont été abordés lors de réunions internationales. La plupart des pays industrialisés ont répertorié et réglementé les conservateurs autorisés et les dosages recommandés. On utilise couramment l'anhydride sulfureux et l'acide benzoïque respectivement contre la prolifération des moisissures et des levures. On conserve les aliments cuits au four, comme le pain, avec de l'acide propionique, qui freine l'attaque et le développement des moisissures. Les viandes, en particulier les viandes salées telles que le bacon et le jambon, sont conservées avec des nitrites et des nitrates.

La stérilisation

A la maison comme à l'usine, on peut conserver des aliments de tous genres en les mettant en conserve, dans des boîtes en métal mais aussi en bouteille et en bocaux. En général, le procédé consiste à faire chauffer suffisamment longtemps des aliments (légumes, fruits, viandes et autres) dans des récipients hermétiquement clos à une température élevée de façon à détruire tous les organismes vivants. On a parfois recours au sel et au sucre dans le procédé. Les conserves ménagères ou la mise en bocaux d'aliments d'origine animale (surtout viande et poisson) peut être risqué. Des bactéries très résistantes telles que Clostridium botulinum peuvent survivre, et produire des toxines susceptibles de provoquer de graves empoisonnements (voir chapitre 34).

Traitements microbiologiques

La fermentation, qui implique la destruction chimique des substances par des micro-organismes tels que les levures et les bactéries, est une méthode utilisée traditionnellement dans de nombreux pays pour conserver des aliments ou pour améliorer leur saveur, comme cela est le cas avec les produits à base de soja en Indonésie. On utilise également ce procédé dans l'industrie avec, par exemple, les yaourts ou les boissons alcoolisées.

La fermentation à partir de levures et autres organismes sur les glucides dans les aliments produit de l'alcool. Sans être passés par des cours de sciences des aliments, c'est un procédé connu de presque tous les hommes, et chacun sait que la consommation d'alcool modifie l'humeur et est agréable. Ainsi, avec n'importe quel hydrate de carbone, il est possible de fabriquer une boisson alcoolisée. L'hydrate de carbone peut être une céréale courante telle que le blé, le riz, l'orge ou le sorgho; mais cela peut aussi être du miel avec lequel on faisait de l'hydromel il y a très longtemps en Bretagne, et qu'on fabrique maintenant en Afrique; de la sève de cocotier pour faire un vin de coco en Océanie; du manioc ou du plantain pour fabriquer des alcools forts qu'on appelle waragi et koinage en Ouganda.

Les levures agissent aussi sur les sucres pour produire du dioxide de carbone dans les aliments. C'est le principe qu'on utilise pour faire gonfler la pâte à pain.

Dans certains aliments, on encourage la prolifération d'organismes non pathogènes pour surir les aliments. La fermentation lactique se fait quand les micro-organismes produisent de l'acide à partir des glucides. Elle permet dans une certaine mesure de prévenir la prolifération d'organismes pathogènes ou dangereux dans les aliments en augmentant l'acidité, ce qui les rend plus sûrs et les conserve plus longtemps. Les produits surs les plus courants sont les produits laitiers tels que les laits fermentés et les yaourts; les produits à base de soja fermentés tels que le tempeh, et les bouillies à base de céréales fermentées que l'on consomme en Afrique subsaharienne. Dans certains cas, cette caractéristique permet d'augmenter le contenu nutritif des aliments.

Dans de nombreux pays, notamment en Chine, la conservation dans le vinaigre des légumes et des produits à base de légumes est très répandue.

Autres procédés

Une technique de conservation purement industrielle est l'ionisation (ou irradiation). Il s'agit d'une forme de stérilisation obtenue en soumettant les aliments aux rayons gamma, qui détruisent les micro-organismes et les spores de champignons. Les aliments sont ensuite mis sous vide et sont sains jusqu'à leur ouverture. L'ionisation peut aussi être utilisée pour empêcher ou retarder la germination de certaines céréales, légumineuses ou autres graines, et permettre ainsi d'augmenter leur durée de conservation. Bien que les aliments ionisés soient généralement considérés comme sains, il subsiste un doute sur l'éventuelle radioactivité de ces aliments.

L'ENRICHISSEMENT

L'enrichissement est une forme de transformation des aliments qui est particulièrement intéressante pour les nutritionnistes. Correctement utilisée, elle peut être un moyen de prévenir et traiter les carences alimentaires. On définit l'enrichissement comme l'adjonction d'un ou plusieurs nutriments à un aliment pour en améliorer la qualité, ceci dans le but de réduire ou prévenir une carence nutritionnelle chez les personnes qui le consomment. Cette stratégie peut être applicable dans les pays ou les communautés où il y a un risque ou un problème de carence des nutriments concernés.

Dans certains cas, l'enrichissement peut être le moyen le plus facile, le plus efficace et le moins cher pour réduire un problème de carence, mais il faut éviter qu'une promotion excessive le fasse apparaître comme le remède universel au contrôle des carences nutritionnelles. Il faut peser le pour et le contre, dans chaque cas, avant d'avoir recours à l'enrichissement. Même ainsi, en tant que stratégie pour contrôler les carences en micronutriments dans les pays en développement, l'enrichissement a souvent été sous-exploité, alors que dans les pays industrialisés il est utilisé à l'excès. Il est étonnant de constater que ce sont généralement les consommateurs les moins concernés par un éventuel risque de carence en nutriments qui en reçoivent le plus.

Il ne faut pas préconiser systématiquement l'enrichissement dans n'importe quel pays. Ce sont les professionnels locaux qui doivent être associés à la planification, la mise en œuvre et la surveillance d'un programme d'enrichissement. Il est important d'avoir une image précise de la situation locale: carences nutritionnelles, habitudes alimentaires, pratiques culinaires, lieux de transformation des aliments, pratiques commerciales, etc. L'enrichissement est plus facile quand il ne concerne qu'un seul aliment, le sel par exemple, et quand il y a très peu de fabricants ou producteurs de ce produit. Dans ces circonstances, l'enrichissement est possible, pourrait marcher et jouer un rôle capital dans l'amélioration de l'état nutritionnel et la réduction du risque de carences, même au niveau local. Dans le passé, on a essayé de trouver l'aliment idéal à enrichir en vitamine A et en fer. Maintenant, on recommande aux pays qu'ils envisagent l'enrichissement de plusieurs aliments en même temps.

Deux types d'enrichissement ont été particulièrement efficaces dans de nombreux pays: l'adjonction d'iode au sel (iodation) et l'adjonction de fluor à l'eau (fluoration). L'ajout de fluor dans le réseau d'eau potable permet d'obtenir un niveau optimal (1 ppm) pour réduire l'incidence des caries dentaires et de dents gâtées.

Dans les pays industrialisés, et dans les pays en développement dans une certaine mesure, on a recours à l'enrichissement pour ajuster le contenu nutritif des aliments transformés de façon à obtenir des niveaux nutritifs proches de ceux d'avant la transformation. Par exemple, on peut rajouter des nutriments aux céréales raffinées telles que la farine de blé pour compenser ceux qu'on a perdus durant le blutage. L'autre solution serait d'insister sur le fait qu'il ne faut pas trop raffiner les céréales ou même de réglementer cette pratique.

Micronutriments

D'autres chapitres de ce livre décrivent les carences importantes en micronutriments et les moyens de les prévenir et de les traiter. L'enrichissement des aliments est une stratégie importante, en particulier des trois plus grandes carences en micronutriments, à savoir iode, vitamine A et fer. Dans les pays en développement, c'est l'enrichissement avec ces trois nutriments qui devrait recevoir la plus haute priorité. Avec l'iode, l'enrichissement seul, sous la forme de sel iodé, est souvent la seule stratégie à laquelle on ait recours. Avec la vitamine A et le fer, l'enrichissement devrait être utilisé en combinaison avec d'autres interventions. Il faut faire particulièrement attention aux risques de toxicité de la vitamine A, surtout chez les femmes enceintes ou désireuses de l'être. Les avantages de l'enrichissement par rapport aux autres stratégies de lutte contre les carences en vitamine A et en fer sont souvent mal connus et méritent plus d'attention.

Comme nous l'avons indiqué ailleurs dans le livre, il y a parfois des carences importantes en autres micronutriments dans certains pays. Là encore, l'enrichissement peut être un bon moyen de réduire la prévalence des carences en niacine, thiamine, riboflavine, folate, vitamine C, zinc et calcium par exemple.

Macronutriments

Un genre d'enrichissement un peu différent est l'adjonction de macronutriments aux aliments. Cela peut consister en l'ajout de matières grasses ou d'huile dans un aliment pour en augmenter sa densité énergétique; l'ajout d'acides aminés à des produits à base de céréales pour en améliorer la qualité protéique; ou l'ajout de protéines, sucres ou huiles et de micronutriments à une préparation alimentaire, par exemple un aliment de sevrage industriel ou un complément nutritionnel tel que le mélange maïs/soja/lait/ pour les ravitaillements d'urgence.

Critères ou principes

On a énuméré un certain nombre de principes dont il faut tenir compte avant de décider d'enrichir un ou plusieurs aliments pour améliorer l'état nutritionnel. Ils s'appliquent surtout à l'enrichissement destiné à combattre les carences en micronutriments.

La carence en nutriment dans la population est connue. Les données alimentaires, cliniques existe jusqu'à un certain degré chez un nombre significatif de personnes et que cette carence ou carence potentielle, est liée à leur régime alimentaire habituel.

L'aliment qui doit être enrichi est largement consommé par la population à risque. L'aliment qui est enrichi avec le nutriment considéré doit être consommé par un nombre significatif de personnes ayant cette carence. Si la maladie de carence apparaît seulement chez les très pauvres, et qu'ils achètent rarement l'aliment qui est enrichi, cela n'aura aucun intérêt. Ainsi, enrichir un aliment de sevrage relativement cher avec de la vitamine A n'aura aucun effet bénéfique sur les enfants pauvres parmi lesquels la prévalence de xérophthalmie est la plus élevée si leurs parents n'ont pas l'argent pour acheter cet aliment.

Adaptabilité de l'aliment avec le nutriment. Rajouter le nutriment à l'aliment ne doit créer aucun problème organoleptique sérieux. Les ingrédients doivent bien s'allier et le mélange ne doit provoquer ni réaction chimique indésirable, ni goût déplaisant, ni changement de l'odeur ni autre caractéristique inacceptable.

Faisabilité technique. Il faut que l'ajout du nutriment à l'aliment soit techniquement réalisable.

Le nombre de producteurs doit être limité. Un programme d'enrichissement national ou même local est plus efficace s'il n'y a sur le marché qu'un très petit nombre d'industries agro-alimentaires pour produire l'aliment en question. S'il y a des centaines de fabricants de sel, un programme d'iodation sera difficile à gérer, et s'il y a plusieurs fabricants de farines, il sera plus difficile de programmer l'enrichissement des céréales.

Pas d'augmentation importante du prix de l'aliment. Il importe de considérer l'impact de l'enrichissement sur le prix de l'aliment à enrichir. Si ajouter un nutriment augmente énormément le prix d'un aliment, sa consommation baissera, en particulier parmi les familles pauvres qui sont le plus susceptibles de souffrir d'une carence. Si l'enrichissement augmente vraiment le prix de l'aliment, il faut envisager d'en subventionner le coût.

Ecart dans la consommation de l'aliment. Il est nécessaire de tenir compte des écarts habituels de consommation de l'aliment choisi pour l'enrichissement. Si par exemple, ceux qui consomment le moins l'aliment à enrichir représentent 25 pour cent de la population et ceux qui en consomment le plus également 25 pour cent, il peut être difficile de décider du taux d'enrichissement du nutriment. Si un grand nombre de personnes à risque pour cette carence en nutriment ne consomme qu'une petite quantité de l'aliment, ils ne bénéficieront pas vraiment de cet enrichissement. Si un nombre significatif de personnes consomment trop de cet aliment, le taux d'ingestion de ce nutriment sera toxique. Cet aliment ne convient donc pas. En général, la consommation de sel est très variable (en moyenne 20 g par jour), mais pratiquement personne ne consomme 200 g par jour, tous les jours. Il importe d'éviter une situation où les quantités de nutriments ajoutées sont supérieures à celles qui sont souhaitées, en particulier dans le cas des vitamines liposolubles ou des nutriments connus pour être toxiques s'ils sont consommés en trop grandes quantités.

Législation. Quand un gouvernement s'attelle sérieusement à lutter contre une carence grave en micronutriments en ayant recours à l'enrichissement, il faut vérifier que la législation en vigueur s'y prête. De nombreux pays industrialisés ont une législation qui assure que les niveaux minimums requis de vitamines B, et parfois de fer, sont bien présents dans la farine de blé et autres produits à base de céréales. Certains pays, du Nord et du Sud, ont une législation qui exige que le sel vendu soit iodé, selon un taux précis. Les gouvernements et parfois les municipalités (comme aux Etats-Unis) sont mandatés pour contrôler les taux de fluor contenus dans les approvisionnements en eau.

Surveillance et contrôle de l'enrichissement. Il est utile de surveiller l'enrichissement des aliments de façon à pouvoir fournir des informations. Cela est particulièrement important dans les pays où l'enrichissement est légiféré. Dans ce cas, le non-respect d'un enrichissement adéquat peut entraîner la condamnation des responsables d'usines concernées. La surveillance par les gouvernements dépend de la disponibilité d'équipements de laboratoire et du personnel qualifié. De nombreux pays n'ont pas les équipements nécessaires pour surveiller l'iodation du sel, et les vendeurs de sel savent qu'ils peuvent vendre du sel qui n'est pas iodé du tout ou pas iodé au taux exigé par la loi. Un bon système de surveillance doit comprendre des analyses, peut-être sur des sites sentinelles partout dans le pays. Dans le cas de la fluoration, ce sont souvent les villes qui surveillent le contenu en fluor de leurs eaux, mais il est utile qu'un laboratoire national le surveille également.

Méthodes d'enrichissement et
aliments adaptés

La technologie de l'enrichissement est un sujet complexe, qui a été abordé dans de nombreuses publications. Les méthodes sont nombreuses et le choix de la méthode dépend à la fois du nutriment et de l'aliment.

Une technique couramment utilisée pour une farine ou un produit finement broyé implique qu'un prémix contenant le nutriment soit ajouté à l'aliment. Un mélange minutieux est nécessaire. Cette méthode convient bien aux meuneries et à toutes les grandes usines de transformation. Pour les unités de transformation plus petites ou au niveau d'un village, on fournit des paquets de mélange déjà préparé. Le mode d'emploi est indiqué avec les proportions à respecter (par exemple, 1 paquet pour 50 kg d'aliment) et la marche à suivre pour effectuer le mélange correctement.

L'enrichissement du riz présente quelques difficultés parce qu'il se consomme en grains. L'ajout d'une poudre, facile avec la farine de blé, n'est donc pas possible. On utilise deux méthodes au moins. Dans l'une, les grains de riz sont recouverts ou imprégnés avec le nutriment choisi. Dans la seconde, des grains de riz artificiels, enrichis en nutriments adéquats sont mélangés au riz. Les grains artificiels doivent ressembler à de vrais grains de riz. Aux Philippines, il y a quelques dizaines d'années, on a constaté que des femmes enlevaient et jetaient les grains artificiels qu'elles trouvaient dans le riz avant de le faire cuire, et cela en raison de leur couleur jaunâtre due à l'ajout de thiamine et de riboflavine.

Certains nutriments comme les vitamines B sont relativement faciles à rajouter (malgré la couleur jaune de la riboflavine). Bien que la carence en vitamine A soit extrêmement importante, il est plus difficile d'utiliser la vitamine A que les vitamines B dans les programmes d'enrichissement, en partie parce qu'elle est liposoluble et non hydrosoluble. Elle peut également s'oxyder. Le moyen le plus simple est d'ajouter de la vitamine A à l'huile alimentaire et à la margarine. Mais, grâce à la technologie alimentaire, on peut maintenant enrichir de nombreux aliments avec de la vitamine A, dans les pays industrialisés et non industrialisés.

Pour des raisons tout à fait différentes, l'enrichissement des aliments en fer a été un véritable défi. Différents sels ferreux ont été utilisés. Les plus consommés de ces sels, comme le sulfate ferreux, présentent les plus grandes difficultés et des problèmes organoleptiques sérieux. Comme mentionné au chapitre 39, on recommande de plus en plus l'association fer-EDTA (éthylènediamine-tétracétique).

Le tableau 36 dresse une liste d'aliments qui ont été utilisés dans un programme d'enrichissement.

TABLEAU 36

Exemples d'aliments utilisés dans le cadre d'un programme d'enrichissementa

Nutriment

Types d'aliment

Commentaires

Acide ascorbique

Jus de fruits en conserve, congelés et déshydratés, produits laitiers en conserve et en poudre, produits à base de céréales séchées

L'acide ascorbique se conserve à l'abri de l'air quand il est dans une solution neutre.

Thiamine, riboflavine et niacine

Produits céréaliers déshydratés, farine, pain, pâtes, produits laitiers

Le riz et toutes les graines du même genre doivent être imprégnés ou recouverts avec le nutriment. La riboflavine peut colorer l'aliment. On préfère généralement la nicotinamide (vitamine PP) à l'acide nicotinique.

Vitamine A ou bêta-carotène

Produits à base de céréales déshydratées, farine, pain, pâtes, produits laitiers, margarine, huiles végétales, sucre, thé, chocolat, glutamate de sodium

La vitamine A se conserve à l'abri de l'air. S'ajoute sous une forme miscible à l'eau à des produits dépourvus de matières grasses. (Peut être ajoutée sous la forme de billes de gélatine en même temps qu'un stabilisant comme enveloppe sur le produit alimentaire ou mélangée à une imitation de grain comme le riz.) Le carotène peut colorer les aliments.Les pertes dues à la chaleur peuvent être importantes dans le cas des huiles de cuisson.

Vitamine D

Produits laitiers, margarine, produits à base de céréales déshydratées, huiles végétales, boissons à base de fruits

Idem vitamine A. Multiplier les sources de cette vitamine n'est pas toujours souhaitable.

Calcium

Produits à base de céréales, pain

La quantité à enrichir limite souvent les aliments susceptibles d'être enrichis.

Fer

Produits à base de céréales, pain, lait en poudre et en conserve

La disponibilité des aliments dépend de la forme sous laquelle est ajouté le fer. Le fer peut colorer ou modifier le goût des aliments.

Iode

Sel

On utilise généralement l'iodure.L'iodate est plus stable dans le sel cru.

Protéine

Produits céréaliers, pain, farine de manioc

Différents types de concentrés de protéines sont utilisés.La quantité à enrichir limite la gamme d'aliments susceptibles d'être enrichis.

Acides aminés

Céréales, pain, substituts de viande

D'autres aliments-véhicules ont été proposés. On autorise dans certaines régions la lysine, la cystéine, et la méthionine. L'intérêt pour l'enrichissement en acides aminés a diminué depuis les années 70.



PHOTO 67

Méthode traditionnelle pour fumer le poisson en utilisant les écorces de noix de coco comme combustible



PHOTO 68

Séchage de la viande en Angola

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