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CHAPITRE III PRINCIPES GENERAUX DE FROMAGERIE (suite)

III.2.2.3. Chauffage

Les diverses réactions chimiques contribuant à la synérèse sont influencées par la température ; son élévation accroît fortement l'égouttage ; le froid le réduit. En pratique, cette propriété est exploitée pendant l'égouttage des fromages à pâte pressée lors du brassage où peut être réalisée une élévation de température de quelques degrés (+ 1 à 10° C) par rapport à la température d'emprésurage pendant une durée limitée (15 à 30 mn). Pour les pâtes cuites, ce traitement est plus énergique (+ 20 à 25° C) et permet d'obtenir l'extrait sec élevé souhaité.

La montée en température est réalisée le plus souvent en introduisant un fluide chauffant (vapeur - eau chaude) dans la double paroi des cuves de fabrication ; parfois l'élévation de température est obtenue en diluant le mélange grain de caillé - lactosérum à l'aide d'eau chaude.

Cette dilution est réalisée après extraction d'une partie du lactosérum déjà explusé après le tranchage et un brassage préliminaire à la température d'emprésurage - le volume d'eau chaude ajoutée est généralement égal à celui du sérum extrait soit 10 à 50 % du volume de lait mis en oeuvre. Outre l'élévation de température, l'apport d'eau dilue le lactosérum restant et limite l'acidification ultérieure du gel par abaissement de la teneur en lactose d'où le nom de délactosage encore attribué à cette opération.

Dans tous les cas, la montée en température doit être lente et progressive ; le gradient requis étant de 1°C par 2 mn. En cas d'élévation plus rapide, une pellicule dure et étanche risque de se former à la surface du grain ; elle ralentit la séparation du lactosérum et entrave l'agglomération des grains lors du pressage ultérieur. Par ailleurs, le traitement thermique doit permettre la survie de la flore lactique indispensable à l'acidification corrélative du gel.

III.2.2.4. Pressage

Le pressage correspond à la dernière opération mécanique de l'égouttage ; il a pour but d'éliminer les dernières portions de sérum intergranulaire et de donner au fromage sa forme définitive. L'intensité de la force exercée varie fortement avec le type de fromage ; pour la majorité des pâtes fraîches et des pâtes molles, il est réduit à l'effet du propre poids du caillé sur lui-même. Parfois un pressage manuel accompagné d'un léger malaxage et un faible pressage mécanique sont exercés sur le gel. En outre un traitement tout à fait particulier, au cours duquel se produit un effet de pressage du fromage, est la centrifugation qui est appliquée pour l'égouttage des fromages frais. En effet, la séparation du lactosérum peut être réalisée quasi instantanément par centrifugation énergique du gel préalablement brassé lorsqu'existe une différence de densité suffisante entre le fromage et le lactosérum. Des séparateurs adaptés de grande capacité sont très largement utilisés dans l'industrie pour la préparation des fromages frais maigres et de ceux à forte teneur en matière grasse.

La durée et la force appliquée lors du pressage croissent en fonction de l'extrait sec recherché dans le fromage, la force peut être comprise entre quelques grammes/cm2 pour les fromages humides à plusieurs centaines (200-300 g/cm2) pour les fromages les plus secs. Cette force doit être aussi évidemment compatible avec la résistance mécanique des contenants (toiles - moules) utilisés. La durée du pressage peut être limitée à quelques minutes pour un fromage humide, mais se poursuit pendant plusieurs heures (16-24 h) pour les fromages plus secs. Lors du pressage, il est nécessaire pour régulariser à la fois l'égouttage et la forme du fromage de pratiquer des retournements. La fréquence et le nombre des opérations sont relativement constantes pour un type de fromage donné ; ils augmentent en proportion de la teneur en matière sèche souhaitée dans le fromage.

Pour être pleinement efficace, le pressage doit se dérouler dans des conditions d'ambiance définies ; la température doit être compatible avec l'évolution de l'acidification par les bactéries lactiques, avec une bonne plasticité de la pâte et une viscosité adéquate du lactosérum nécessaire respectivement à une mise en forme et à un égouttage satisfaisants du produit ; une température moyenne, 20 - 30°C, permet de concilier ces différentes contraintes. Par ailleurs, une hygrométrie élevée (90-95 %) est nécessaire pour les mêmes raisons, et éviter en particulier dessèchement et collage de la pâte.

III.2.2.5. Traitement thermique du fromage après égouttage

Pour plusieurs fromages typiques originaires du bassin Méditerranéen, un traitement thermique particulier est réalisé après pressage des grains de fromage. Il consiste à immerger le fromage entier ou ses fragments dans du lactosérum, à l'ébullition, pendant plusieurs minutes jusqu'à obtention d'une température voisine de 100°C au coeur du produit. Cette opération, qui a pour conséquence annexe d'accentuer légèrement l'égouttage, est destinée principalement à modifier la texture du produit, qui devient très compacte et élastique, et à le stabiliser dans des conditions proches de celles d'une très haute pasteurisation. L'aptitude à la conservation de ces fromages à pâte dite “filée”, qui est réalisée soit sous pellicules, soit en saumure, est très bonne ; elle peut atteindre plusieurs mois en raison de l'inactivation thermique des micro-organismes et des enzymes contenues dans la pâte.

Le traitement thermique pratiqué ici, à la fin de l'égouttage, ne doit pas être confondu avec le traitement de fonte et de stérilisation qui est réalisé pour les fromages fondus et certains fromages à pâte molle, ces opérations de stabilisation intervenant alors après affinage.

Les traitements physiques précités sont complétés par deux traitements de matière chimique destinés à parfaire l'égouttage : acidification et salage.

III.2.2.6. Acidification

L'efficacité des traitements mécaniques énumérés précédemment est accrue avec un développement concomitant et équilibré de l'acidification lactique au sein du caogulum. L'acide produít par les bactéries lactiques élimine des liaisons salines, notamment calciques, responsables de la compacité du gel et de son imperméabilité. L'acidification contribue donc à accroître la perméabilité du gel; cette fonction est d'autant plus nécessaire que le gel a été obtenu par voie enzymatique dominante. Toutefois, une acidification excessive affaiblit le pouvoir de synérèse du gel par déstructuration du réseau de caséine formé lors de la coagulation. Pour chaque type de fromage, il convient de réaliser une acidification équilibrée, de manière à obtenir la perméabilisation adéquate du gel tout en gardant une aptitude à la synérèse suffisante.

Il semble que l'abaissement de pH agisse à la fois en diminuant le degré d'hydratation des micelles de caséine et en démasquant certains sites réactionnels favorables à l'établissement de liaisons secondaires, responsables de la contraction. En effet, si la déminéralisation est excessive (pH 4,6), l'égouttage est ralenti à la suite de la disparition de l'état micellaire.

Conjointement à la séparation du lactosérum, l'acidification conditionne la teneur en minéraux du fromage ; ceux-ci, initialement fixés et insolubilisés sur la micelle, sont éliminés progressivement sous forme de lactates solubles avec le lactosérum. La charge minérale résultant dans le coagulum est une caractéristique essentielle de chaque type de fromage, car elle détermine avec l'état de l'eau directement la cohésion et la plasticité de la pâte.

A titre d'exemple, les teneurs en calcium des principales catégories de fromages sont les suivantes :

 Pâtes fraîchesPâtes mollesPâtes presséesPâtes dures
Ca % poids0,1 – 0,20,2 – 0,50,5 – 1,11,0 – 1,3

La figure 13 illustre par ailleurs l'étroite corrélation entre l'allure de l'acidification et celle de la décalcification pour un fromage de type Camembert.

Un des problèmes majeurs rencontrés en technologie fromagère réside dans la difficulté de maîtriser parfaitement les nombreux paramètres qui influencent la croissance bactérienne et l'acidification, et par voie de conséquence, la perméabilisation et la minéralisation ultérieure du coagulum. En ce sens, il apparaît essentiel de régler entre d'étroites limites propres à chaque type de fromages, non seulement l'intensité et la vitesse d'acidification, mais encore le flux de lactosérum exsudé. En effet, ce flux induit directement la fréquence des combinaisons possibles de l'acide lactique avec les minéraux fixés sur les micelles. Aussi un tranchage important engendre rapidement un flux de sérum peu acide et peu minéralisé ; un tranchage plus tardif produit un sérum plus minéralisé.

Au plan artisanal, l'adéquation entre ces paramètres obtenus plus souvent par la connaissance intuitive issue d'une longue pratique que par des mesures rigoureuses conditionne directement la réussite de la fabrication. Au plan industriel, une difficulté semblable existe, car les techniques actuelles ne permettent pas encore de mesurer par des méthodes instrumentales tous les paramètres utiles et de les intégrer dans un ensemble cohérent, représentant significativement un produit de qualité.

Il convient enfin de souligner que l'acidification détermine directement la valeur du pH du produit en fin d'égouttage ; la stabilisation du milieu et ses potentialités d'évolution en cours d'affinage sont fixées pendant l'égouttage.

Au plan pratique, la maîtrise de l'acidification est obtenue en réglant :

III.2.2.7. Salage

Le salage constitue une phase importante de la fabrication de beaucoup de fromages à l'exception de la plupart des fromages frais qui ne sont pas salés ; il consiste à enrichir la pâte en chlorure de sodium, au taux moyen de 2 %.

Fig. 13

Fig. 13 Evolution de la teneur en acide lactique et en calcium du lactosérum pendant l'égouttage du Camembert (d'après RAMET, 1976)

Fig. 14

Fig. 14 - Influence de l'acidification du lait sur l'égouttage du coagulum

Fig. 14

III.2.2.7.1. Objectifs du salage

Malgré une apparente simplicité, les finalités du traitement sont multiples et importantes :

Un premier objectif du salage est de développer la flaveur du fromage, un produit non salé est plat ; au contraire, l'incorporation de 1 à 2 % de NaCl relève l'odeur et la saveur, mais peut masquer en même temps certaines composantes organoleptiques indésirables. Au-dessus de 2,5 %, la saveur salée devient dominante, aussi n'existe-t-il que de rares types de fromages qui possèdent une teneur en sel supérieure ; il s'agit soit de fromages à pâte persillée pour lesquels la flaveur prononcée s'accomode d'un taux de sel élevé compris entre 3 et 5 %, soit de fromages typiques du bassin Méditerranéen oriental, conservés et affinés en saumure, pour lesquels la teneur en sel s'élève à 7 – 9 %. En raison de leur goût très salé, ces fromages saumurés sont généralement lavés à l'eau avant consommation ou consommés en mélange à d'autres aliments peu salés.

La seconde finalité du salage est d'abaisser l'activité de l'eau du produit. Ce paramètre Aw définit la disponibilité de l'eau dans un substrat. En effet, les produits alimentaires en général, et en particulier les fromages, sont complexes dans leur composition chimique ; ils renferment le plus souvent une phase solide constituée d'un gel protéique renfermant une émulsion de matière grasse et une phase liquide composée d'un solution aqueuse de lactose, d'acide lactique, de sels minéraux, de protéines solubles. Dans un tel environnement, l'eau n'est pas totalement libre, mais liée au substrat par de multiples interactions : eau de solvatation des petites molécules dissoutes, eau d'hydratation des sucres, des sels, des protéines, eau bloquée physiquement par capillarité, par absorption ; l'eau restante est considérée comme libre ; celle-ci peut intervenir dans les réactions microbiennes, enzymatiques et chimiques susceptibles de transformer le substrat. L'importance de ces interactions se traduit pratiquement par une variation de la pression de vapeur d'eau en équilibre avec le produit par rapport à celle de l'eau pure placée dans les mêmes conditions de température. La mesure de l'humidité relative d'équilibre (H.R.E.) reflète directement cette disponibilité de l'eau et s'exprime par la relation :

où P : pression partielle de vapeur d'eau dans le produit

Po : pression partielle de vapeur de l'eau pure

ou encore par un coefficient d'activité de l'eau

Il convient de remarquer que les notions d'activité de l'eau et d'hygrométrie sont semblables, car définies toutes deux par rapport à des pressions de vapeur d'eau ; la saturation égale à une hygrométrie de 100 %, correspondant à une Aw de 1.

Tableau 9 INFLUENCE DE L'AW SUR LES PRINCIPAUX MICRO-ORGANISMES INTERVENANT DANS L'AFFINAGE (d'après STADHOUDERS et LANGEVELD, 1966)

Groupes de micro-organismesTeneurs en NaCl (g pour 100 ml) avec AW* correspondants
05101520
0,9920,9750,9470,9160,880
Moisissures :     
Geotrichum
10046,9---
Mucor mucedo
10047,411,6--
Penicillium candidum
100
100
80,9
83,3
36,4
56,1
4,1
28,0
1,1
2,8
Microcoques :     
M. lactis
10045,9---
M. saprophyticus
10096,367,219,1-
Levures :     
Torulopsis
10012,5---
Candida
10017,2---
Rhodotorula
10069,521,81,0-
B. coliformes100
100
23,4
19,9
-
-
-
-
-
-
Pseudomonas10075,21,5--
B. linens10067,030,015,63,2

Résultats exprimés en % du développement maximum ; les signes - signifient pas de croissance (cultures sur bouillon nutritif).

Pratiquement l'ajustement de cette mobilité de l'eau revêt une grande importance en technologie alimentaire, car elle conditionne directement l'allure des grands types de réactions susceptibles de transformer le produit, qu'il s'agisse de réactions indésirables conduisant à des altérations ou de réactions souhaitées et dirigées pour améliorer le produit comme celles se déroulant lors de l'affinage des fromages. L'analyse du diagramme qui traduit la sensibilité particulière des réactions au regard de la disponibilité de l'eau révèle que ce sont les réactions de croissance des bactéries, des levures et des moisissures qui sont, dans l'ordre d'importance, les plus influencées par un abaissement mineur de l'AW.

Un des objectifs du salage, en apportant dans le fromage un sel dépresseur de l'AW, est précisément d'abaisser légèrement l'AW de manière à rendre le substrat sélectif, principalement vis-à-vis de la croissance de micro-organismes. En raison d'une répartition souvent inégale du sel, soit temporaire, soit définitive, l'effet sélectif est plus marqué au niveau de la croûte du fromage que dans la masse, de ce fait, il sera possible pour les fromages les plus secs d'inhiber presque totalement toute croissance microbienne, pour les fromages plus humides de sélectionner et de maîtriser cette croissance. Le tableau 9 et la figure 15 illustrent la sensibilité particulière de divers micro-organismes au facteur AW.

Fig. 15

Fig. 15 INFLUENCE DE L'ACTIVITE DE L'EAU SUR LES REACTIONS DE TRANSFORMATION DES ALIMENTS
(D'après VAN DEN BERG et coll., 1981)

Un troisième objectif du salage est la formation de la croûte. Celle-ci, outre son rôle sélectif dans le développement précité des microflores, possède une fonction mécanique essentielle dans la mesure où elle évite toute déformation exagérée du fromage, et le maintient dans une forme définie. La croûte constitue donc un squelette externe vis-à-vis d'une pâte caractérisée par sa plasticité élevée.

Le croûtage créé lors du salage résulte à la fois d'une déshydration plus prononcée en surface consécutive à une osmose entre la pâte du fromage et le milieu externe porteur de sel, ainsi qu'à un effet tannant du chlorure de sodium sur les protéines. Le rôle de la croûte formée lors du salage est particulièrement important pendant les premiers jours de l'affinage, alors que la déshydratation superficielle, résultant de l'évaporation de l'eau observée pendant le séjour en saloir, n'est pas encore assez marquée pour engendrer une croûte suffisamment cohérente capable de fixer la forme du fromage.

Il convient de remarquer par ailleurs que, du point de vue du rendement fromager et de la valorisation de la matière première, la croûte constitue une perte dans la mesure où l'extrait sec y est plus élevé que la valeur limite inférieure requise par les textes réglementaires (lorsqu'ils existent), et que celle du centre du fromage.

Aussi est-il parfois souhaitable de réaliser des fromages sans croûte ou à croûte fine qui seront alors contenus dans des supports rigides pendant l'affinage. Une autre solution consiste à substituer à des fromages de petites dimensions, où la part de croûte est toujours importance, un fromage de caractéristiques texturales et organoleptiques semblables mais de format plus grand, qui sera débité en portions lors de la vente.

Une dernière fonction de l'opération de salage, mais qui ne découle pas de l'enrichissement en sel, concerne l'abaissement de température du produit qui est observé à l'occasion de ce traitement. Le refroidissement, généralement de l'ordre de 10 à 15° C par rapport à la température d'égouttage (25 – 30° C), entraîne un raffermissement de la pâte et assure une transition thermique adaptée vers les conditions d'ambiance de l'affinage. Par ailleurs, la baisse de température ralentit le développement des bactéries lactiques et stabilise l'acidification. Ces conséquences secondaires sont essentielles pour le devenir du fromage en cours d'affinage.

III.2.2.7.2. Mécanismes du salage du fromage

Le salage est réalisé en placant le fromage dans un milieu très concentré en chlorure de sodium constitué, soit d'une saumure, soit de sel sec. Dans le deux cas, un double transfert de matière se produit ; du sel pénètre dans le fromage alors que le sérum en sort. L'échange observé obéit aux lois générales de la diffusion, et tend à l'infini vers un équilibre des concentration entre les deux milieux. En pratique, la durée de salage est toujours très limitée de manière à concilier la prise de sel et la perte d'eau avec les caractéristiques organoleptiques et texturales propres à chaque fromage.

Pendant le contact entre le milieu salé et le fromage, ce dernier se charge en sel et cède du lactosérum ; toutefois, l'échange restant limité, soit dans le temps par la durée d'immersion en saumure, soit par la quantité de sel appliquée à la surface du fromage lors du salage à sec, le sel est réparti uniquement à la périphérie du fromage. Dans les heures qui suivent, celui-ci diffuse progressivement vers les zones internes du fromage et tend vers l'équilibre de la teneur dans toute la masse du produit. L'évolution dans le temps de la concentration en sel des zones corticales, moyennes et centrales du fromage est donc très différente. La figure 16 illustre cette cinétique dans le cas d'un fromage à pâte molle de type camembert ayant une humidité de 55 % ; elle montre que l'équilibre des concentrations est atteint 48 heures après le début du salage.

Le temps nécessaire à l'équilibre diffère fortement d'un type de fromages à l'autre, et est inversement proportionnel à sa teneur en eau. Aussi pour un fromage à 45% d'humidité, l'isoconcentration est atteinte après 10 à 15 jours; pour les fromages à pâte dure, celle-ci n'est pratiquement jamais obtenue: même après plusieurs mois d'affinage, la zone corticale présente toujours une concentration supérieure en sel par rapport aux zones plus centrales. Cette situation s'explique par le fait que divers facteurs intervenant pendant l'affinage réduisent la mobilité de l'eau indispensable à la diffusion: augmentation de viscosité par refroidissement, évaporation dans la zone corticale consécutive à une hygrométrie inférieure au point de saturation, accroissement de la teneur en eau liée à un enrichissement du milieu en petites molécules libérées par le protéolyse, la lipolyse et la glycolyse.

Fig. 16

Fig. 16 - EVOLUTION DE LA CONCENTRATION EN SEL PENDANT ET APRES SAUMURAGE DANS LES COUCHES SUPERFICIELLES, MOYENNES ET INTERNES DE DEUX FROMAGES A HUMIDITE DIFFERENTE

III. 2.2.7.3. Modalités du salage

Divers procédés ont été proposés pour saler le fromage. Le mode de salage le plus employé consiste à saler le fromage par sa surface ; le salage dans la masse pratiqué soit au niveau du lait, soit avant moulage au niveau du grain de caillé, est limité à un nombre restreint de fromages caractérisés par une structure de pâte (cheddar) ou par une absence de croûte. Nous n'exposerons donc ici que les modalités relatives au salage en saumure et au salage à sec pratiqué sur des fromages préalablement moulés et égouttés.

III.2.2.7.3.1. Les sels utilisés

Le chlorure de sodium est un composant très largement répandu dans la nature ; il peut être produit soit par extraction minière, soit par évaporation de l'eau de mer en marais salants. Les sels bruts ainsi obtenus peuvent être utilisés pour le salage des fromages, toutefois cet usage présente des incovénients dus à leur manque de pureté chimique et bactériologique. En effet les sels bruts renferment une proportion non négligeable de composants autres que le chlorure de sodium. Les sulfates, carbonates, sulfates de calcium et de magnésium sont fréquents et souvent à l'origine de la formation de boues dans les saumures. Ces boues en décantant le plus souvent sur les fromages, nuisent à son aspect, mais surtout contribuent en raison de leur caractère basique et hydrophile à neutraliser l'acidité et à accroître l'activité de l'eau à sa surface ; la protection acide disparaît alors, libérant un substrat très propice aux proliférations microbiennes indésirables. D'autre part, ces boues sont souvent à l'origine de mauvais goûts et en particulier d'amertume.

Par ailleurs, au plan microbiologique, et contrairement à une idée reçue qui est erronée, les sels bruts ne sont pas stériles, mais renferment toujours une proportion importante de micro-organismes variés. Dans les sels marins, les bactéries du genre Bacillus dominent, dans les sels miniers, le genre Micrococcus est le plus représenté, mais accessoirement toutes les autres catégories de micro-organismes peuvent être présentes ; les conditions de récolte, de conditionnement, de transport et de stockage sont donc particulièrement déterminantes sur la qualité microbiologique des sels.

Les nombreux inconvénients pouvant résulter de l'emploi de sels bruts ont conduit les utilisateurs à choisir de plus en plus des sels raffinés : actuellement, leur usage s'est généralisé en fromagerie industrielle et se répand au plan artisanal.

Ces sels raffinés sont très purs ; ils renferment plus de 99,5% de chlorure de sodium et sont quasiment stériles ; d'autre part leur granulométrie est régulière et adaptée à chaque mode de salage et à chaque type de fromage. De plus pour le salage à sec, les cristaux de sel sont souvent traités spécialement pour éviter leur prise en masse en milieu humide ou mottage et améliorer leur pouvoir glissant ou coulabilité lors de l'application sur le fromage.

III.2.2.7.3.2. Salage par saumurage

Le saumurage consiste à immerger, dans des conditions définies, le fromage dans une solution de chlorure de sodium. Bien que simple en apparence, le saumurage a été souvent à l'origine d'accidents de fabrication, ainsi il apparaît nécessaire d'en préciser les modalités d'utilisation.

- Préparation de la saumure

La saumure doit être réalisée à partir de composants de bonne qualité chimique. L'eau ne doit pas avoir une dureté élevée pour prévenir la formation de sels de calcium générateurs de boues neutralisantes. De plus elle doit être de bonne qualité microbiologique. L'utilisation d'eau potable ou préalablement pasteurisée est souhaitable.

Le sel nécessaire à la préparation de la saumure doit être exempt de matières insolubles génératrices de boues ; les sels raffinés sont donc à employer préférentiellement aux sels bruts. La quantité de chlorure de sodium à dissoudre dans l'eau correspond à la concentration saturante, soit 300 g par litre à 20°C ; au-delà de ce point, un apport de sel complémentaire se traduit par une décantation des cristaux. Une méthode rapide pour évaluer la teneur en sel de la saumure est la mesure de densité : qui est de 1,250 à saturation à 20° C ; cette mesure peut se faire à l'aide d'aéromètres spéciaux de type densimètres ou par des moyens plus empiriques : à saturation, les fromages flottent généralement à la surface du bain de saumure, il en est de même des pommes de terre ou des oeufs qui sont parfois utilisés pour le contrôle ; en dessous du point de saturation, ces aéromètres s'enfoncent dans la solution. Il convient de remarquer que la mesure de densité n'est représentative de la concentration en sel que dans une saumure neuve ; en cours d'utilisation, cette dernière se charge en substances solubles contenues dans le lactosérum, d'où un accroissement de densité du bain de sel ; seul le dosage spécifique du chlorure permet alors de connaître la concentration en sel.

Un dernier facteur à considérer lors de la préparation de saumures est le pH de la solution ; celui-ci doit être ajusté dans la zone acide et correspondre au pH de fin d'égouttage du fromage, il possède donc une valeur différente pour chaque type de produit, comprise entre pH 4,5 et 5,2. Dans le cas contraire, des accidents de fabrication apparaissent, ils peuvent être consécutifs en particulier à une désacidification superficielle du fromage lorsque le pH est voisin de la neutralité (pH 7), d'où une disparition de la protection acide du substrat favorisant la prolifération de micro-organismes indésirables en cours d'affinage ; à l'inverse, un pH trop acide décalcifie la croûte du fromage, la rend humide, d'où une activité de l'eau propice également au développement de microflores nuisibles.

- Vieillissement de la saumure

Au cours de son utilisation, la composition chimique de la saumure n'est pas constante : d'une part, sa teneur en sel diminue, la quantité disparue correspond à la quantité prise par le fromage, d'autre part, elle s'enrichit notamment en lactosérum et en particules de caillé provenant du fromage. La rapidité et l'importance de ce vieillissement chimique croissent principalement avec la charge en fromages, mais également avec l'humidité du produit (figure 17).

Par ailleurs, la contamination microbienne initiale de la saumure est souvent multipliée par mille en cours d'utilisation ; la nature et le nombre de germes apportés dépendent principalement de l'état de propreté et d'hygiène des matériels, de l'ambiance et du personnel, mais le fromage lui-même cède à la saumure une microflore non négligeable composée principalement de bactéries lactiques qui constituent la population dominante, à raison de 80 % de la flore mésophile totale.

Le vieillissement chimique de la saumure implique d'apporter du sel dans le bain, de manière à compenser la diminution de concentration consécutive à la prise de sel par le fromage. Il y a lieu pour établir un gradient de concentration élevé entre le fromage et la saumure favorable à un échange optimisé de maintenir en permanence l'état de saturation ; de ce fait, un apport quotidien de sel est souhaitable après chaque utilisation ; pour les installations importantes, l'emploi d'un saturateur continu situé en dérivation sur les bacs de saumurage est à recommander.

La pollution de la saumure par les constituants, provenant du fromage, implique une nécessité d'épuration périodique ; l'opération la plus simple consiste à filtrer périodiquement le milieu pour éliminer les particules étrangères microscopiques ; l'efficacité du traitement peut être améliorée par un chauffage préalable qui provoque la précipitation de sels et de fractions protéiques solubles et qui améliore par ailleurs la qualité microbiologique du bain de sel. Il faut noter que ces traitements régénérateurs n'éliminent qu'une faible partie des contaminants solubles qui augmentent donc avec la durée de vie de la saumure ; lorsque cette charge est devenue élevée (la turbidité du milieu est alors très importante), il est nécessaire de remplacer la totalité du bain par une saumure neuve. Aussi la durée d'utilisation d'une saumure destinée au salage de fromages à pâte molle est de l'ordre de 1 – 3 mois ; pour les fromages plus secs pour lesquels la contamination est moindre, la période peut atteindre 1 à 2 ans. En raison de leur caractère fortement polluant, lié à leur teneur élevée en lactose fermentiscible et au chlorure de sodium, le rejet des saumures dans les milieux naturels ou en station d'épuration reste délicat par les déséquilibres qu'ils peuvent engendrer.

La charge microbienne des saumures a un aspect pratique important en technologie fromagère. En effet, les micro-organismes présents dans la saumure ne peuvent s'y développer en raison de l'activité de l'eau basse (AW = 0,75 pour une saumure saturée à 20° C), à l'exception de rares levures et moisissures, fortement xérophiles, mais peuvent y survivre pendant une durée très variable allant de 3 à 5 jours pour les germes les plus sensibles à 3 à 5 semaines pour les plus halophiles ; les spores de certaines bactéries et de moisissures, organes bien adaptés à la survie en environnements défavorables, ne sont pas altérées par un séjour prolongé en saumure. De plus pour un germe donné, la durée de la survie est influencée par des facteurs de milieu ; ainsi, une diminution de concentration en sel ainsi qu'une baisse de température prolongent la survie; la situation inverse montre l'intérêt de maintenir la saturation pour obtenir la léthalité maxima. Pour ces différentes raisons, une saumure contaminée peut être un vecteur privilégié de pollution des fromages; des exemples d'accidents causés par les germes les plus résistants (Staphylocoques Mucorales) illustrent cette situation. Aussi est-il recommandé à titre préventif de contrôler périodiquement la qualité microbiologique de la saumure et d'appliquer, si nécessaire, des traitements destinés à l'améliorer. Dans ce sens, la pasteurisation ou la stérilisation thermique peuvent être appliquées; toutefois, la forte corrosion des métaux observés à haute température en milieu salin restreint la généralisation de ces procédés. La stérilisation par apport d'antiseptiques (Hypochlorite de sodium - Eau oxygénée) a été préconisée; son usage est parfois interdit par la réglementation dans certains pays, dans les autres cas elle doit être pratiquée avec précaution car tout surdosage peut provoquer des altérations irréversibles du goût et de la couleur des produits.

Fig. 17

Fig. 17 - VARIATION DE LA COMPOSITION CHIMIQUE D'UNE SAUMURE INDUSTRIELLE EN FONCTION DE LA DUREE D'UTILISATION
(D'après J.L. LACRAMPE et coll., 1974)

- Facteurs influençant la prise de sel pendant le saumurage

Plusieurs facteurs propres à la saumure et au fromage influencent la quantité de sel prise par la pâte pendant l'immersion dans la solution salée. Certains d'entre eux favorisent l'échange entre le produit et la saumure, d'autres le diminuent. Etant donné que la teneur en sel du fromage est une constante, la durée du saumurage devra être corrigée si une modification d'un ou de plusieurs facteurs apparaît : tout effet favorisant sera accompagné d'une réduction de la durée du saumurage, tout effet inhibiteur d'une prolongation.

Parmi les facteurs liés à la saumure, l'augmentation de la température et de l'agitation accentuent l'échange, à l'inverse, la baisse de la concentration de la saumure le réduit.

L'agitation consiste à placer les fromages dans un courant de saumure ; le régime turbulent appliqué favorise l'établissement d'un gradient de concentration plus important entre le bain et le fromage par réduction de la couche limite ; le saumurage dynamique permet un gain de temps d'environ 30 % par rapport à celui d'un saumurage statique et favorise par ailleurs l'homogénéité de la répartition du sel entre les différents fromages (fig. 18a)).

Une élévation de la température de la saumure accélère le phénomène de diffusion et accroît la prise de sel par le fromage ; le refroidissement a l'effet contraire. Pratiquement, l'effet positif observé ne peut être pleinement exploité en raison de l'incidence négative de l'accroissement de la température sur la form et la texture du fromage.

La baisse de teneur en sel de la saumure ralentit la prise de sel par le fromage, par diminution du gradient de concentration ; il y a donc lieu pour optimiser l'échange, de maintenir la saturation dans le bain de sel.

Parmi les facteurs liés au fromage, l'accroissement de l'humidité est le paramètre dominant qui favorise la prise de sel, la phase aqueuse constituant le support du phénomène de diffusion. Pratiquement pour un type donné de fromage, il est nécessaire de réduire la durée de saumurage lorsque l'égouttage a été insuffisant. Inversement, celle-ci doit être prolongée lorsque la teneur en matière sèche augmente.

Un second facteur important est la surface spécifique du fromage définie par le rapport surface/volume. Toutes conditions étant égales par ailleurs, un fromage sphérique dont la surface spécifique est faible devra être saumuré beaucoup plus longtemps qu'un fromage en forme de meule plate ou de cylindre allongé, de petit diamètre.

Un dernier facteur conditionnant la prise de sel est la teneur en matière grasse du fromage ; son augmentation ralentit la pénétration du sel; ainsi un fromage grass fait à partir de lait entier se sale plus longtemps qu'un produit de même teneur en eau obtenu à partir de lait standardisé ou de lait écrémé.

III.2.2.7.3.3. Salage à sec

Le salage à sec consiste à appliquer du sel sec à la surface du fromage encore humide. Dans un premier temps, le sel se dissout dans l'eau du fromage et forme un film de saumure superficiel ; l'échange tendant vers l'équilibre des concentrations en chlorure de sodium est alors initié et se déroule dans le temps selon des modalités similaires à celles observées pour les fromages saumurés.

Fig. 18a)

Fig. 18a) - EVOLUTION DE LA PRISE DE SEL ET DE LA PERTE D'EAU DU CAMEMBERT PENDANT LE SAUMURAGE

H20 S. dynamique
S. statique
NaClS. dynamique
S. statique

(D'après HARDY, 1976)

La quantité de sel reçue par le fromage dépend de la masse de sel collée initialement à la surface ; son importance dépend étroitement de l'humidité de surface au moment du salage. Une surface très humide capte beaucoup de cristaux de sel ; mais ceux-ci se dissolvent rapidement et la saumure formée en excès est perdue par égouttage ; finalement, le fromage est insuffisamment salé. A l'inverse, une surface trop sèche retient trop peu de sel et un défaut de salage apparaît également. Le moment du salage à sec doit donc être fixé avec précision de manière à faire coïncider exactement la masse de sel retenue par l'humidité de surface avec celle correspondant à la teneur en chlorure de sodium désirée dans le fromage. Cette détermination, pour être rigoureuse et exacte, nécessite souvent une longue expérience de la part du praticien.

La taille des cristaux de sel conditionne également l'importance de la masse de sel adhérant à la surface ; la quantité retenue croît avec la taille des cristaux; ainsi, les fromages peu salés ou de petit format seront salés à l'aide de sels fins ; pour les fromages à teneur en sel élevée ou de gros format, les sels à grains moyens et gros seront plus adaptés. Il importe donc que, pour un fromage donné, la granulométrie du sel soit définie et parfaitement régulière.

Au plan pratique, la mise en oeuvre du salage à sec est assez fastidieuse lorsqu'elle est réalisée manuellement car elle implique plusieurs applications successives, notamment pour les fromages de gros format ou à teneur élevée en sel ; celles-ci se poursuivent alors à intervalles de temps réguliers pendant le début de la phase d'affinage et correspondent aux soins pratiqués pour diriger la maturation. Au plan industriel, le salage à sec est surtout utilisé pour les fromages à humidité moyenne et élevée ; il est peu pratiqué pour les fromages à humidité faible, en raison des lourdes charges en main d'oeuvre qu'il implique. Des procédés mécanisés ont été développés pour alléger le travail, mais aussi pour régulariser l'apport du sel ; ils consistent soit à transférer en continu les fromages sous un rideau de sel, trois passages successifs étant nécessaires pour saler les deux faces et le talon du fromage, soit à placer les produits dans un nuage de sel obtenu par air pulsé, une seule opération permettant de saler la totalité de la surface.

III.2.2.7.3.4. Autres procédés de salage

L'apport de chlorure de sodium ou d'eau de mer dans le lait, qui est réalisé de manière traditionnelle pour la fabrication de quelques fromages typiques du bassin Méditerranéen, contribue au salage final du fromage. Ainsi que nous l'avons énoncé précédemment, cette pratique est justifiée en tant que procédé simple de préservation du lait, mais est peu adaptée à la réalisation du fromage dont elle prolonge les phases de coagulation et d'égouttage. Les produits obtenus sont caractérisés par l'absence de croûte, et sont donc très périssables ; ils doivent donc être consommés rapidement à l'état frais ou être protégés par des traitements complémentaires - dessication, affinage en saumure - pour une conservation plus longue.

III.2.3. Le lactosérum

La transformation du lait en fromage se traduit par la production d'un important dérivé : le lactosérum. Cette importance est double : quantitativement, la moyenne du volume de sérum séparé voisine les 9/10 de la quantité de lait travaillé, qualitativement, le lactosérum renferme près de la moitié de la teneur en matière sèche originelle du lait.

III.2.3.1. Composition du lactosérum

La composition en matière sèche totale du lactosérum varie selon les modalités de la coagulation et de l'égouttage entre les limites suivantes :

Matière sèche totale 50 à 65 g/l
• lactose39 à 48 g/l
• acide lactique1 à 8 g/l
• matière grasse0,5 à 3 g/l
• sels minéraux3 à 6 g/l
• matières azotées6 à 8 g/l

On note également des différences dans l'équilibre des divers composants selon le mode d'obtention du gel ; les variations observées rapportées à 100 g de matière sèche sont les suivantes :

Lactosérum obtenu par :voie enzymatiquevoie acide
Lactose70 à 8060 à 70
Protéines9 à 13,59 à 13,5
Azote non protéique0,6 à 0,80,5 à 0,7
Matières minérales7,5 à 99 à 14
Matières grasses0,7 à 50,7 à 5
Acidité lactique0,05 à 0,110,50 à 0,80

III.2.3.2. Voies de valorisation du lactosérum

Malgré cette importance, le lactosérum a longtemps été considéré comme un sous-produit encombrant et sans valeur, dont le praticien se débarrassait aux moindres frais par l'alimentation animale directe et/ou par le rejet en milieu naturel. Ce peu d'intérêt marqué par le passé pour ce produit résulte vraisemblablement de sa composition pariculière, sa très grande richesse en eau et en lactose lui conférant à la fois un caractèretrès volumineux et encombrant et une grande dégradabilité.

Au cours des quinze dernières années, cette conception a considérablement évolué, le lactosérum étant de plus en plus considéré comme une matière semi-transformée hautement valorisable ; aussi, actuellement, le pourcentage de sérum rejeté, notamment au plan industriel est de plus en plus réduit.

Parmi les moteurs de cette mutation, deux éléments apparaissent essentiels. Le premier concerne la pression réglementaire qui a interdit progressivement dans les pays industrialisés tout rejet polluant dans les milieux naturels. Le lactosérum possède, en effet, une demande biologique d'oxygène très élevée, comprise entre 30 000 et 40 000 mg d'O2/litre ; elle est équivalente à 60 à 70 % de la charge polluante globale apportée par habitant et par jour dans l'environnement.

Par ailleurs, l'augmentation régulière de la fabrication de fromages et de caséine et celle de la dimension des usines observées au cours des vingt dernières années ont considérablement accru la disponibilité en lactosérum et la densité de pollution potentielle au voisinage des unités de production. L'élimination de ces effluents ne pouvant être envisagée en l'état en raison de leurs effets profondément négatifs sur l'environnement, elle implique pour l'industrie la nécessité d'investir en équipements d'épuration très importants.

Le deuxième élément responsable de la mutation observée est relatif à la prise de conscience de la valeur alimentaire du lactosérum, celle-ci ayant été longtemps sous-estimée en raison de l'extrême dilution de la matière sèche du lactosérum et de la rareté des travaux scientifiques spécialisés dans ce domaine. Ce n'est qu'au cours de la dernière décennie que les recherches se sont multipliées sur les constituants du lactosérum et leurs possibilités d'utilisation alimentaire. Il n'est pas possible de détailler ici l'ensemble de ces travaux, dont la masse est considérable, et qui se caractérisent par une extrême diversité. Cette situation s'explique par la nature des constituants majeurs du lactosérum - protéines et lactose - susceptibles de transformations très variées par voies enzymatiques et fermentaires.

Il convient toutefois de souligner que les lactosérums provenant de fabrication de fromages à pâtes fraîches et à pâtes molles offrent des possibilités de valorisation plus limitées que les lactosérums doux, en raison de leur acidité et de leur minéralisation élevées.

Cette diversification des produits élaborés s'est faite dans le temps, en trois étapes distinctes :

Deux constituants essentiels du lactosérum - protéines et lactose - ont été plus particulièrement traités par ces procédés en vue de l'élaboration de produits finis ou semi-finis sous forme sèche et/ou concentrée et à usage industriel alimentaire et/ou pharmaceutique.

Les principales transformations industrielles du lactosérum sont résumées au tableau 11.

III.3. - L'AFFINAGE

Au cours des deux premières étapes de la fabrication fromagère, la coagulation et l'égouttage, ont été réalisées les séparations sélectives des constituants du lait entre le lactosérum et le fromage. Le fromage obtenu n'est que partiellement stabilisé par abaissement du pH et de l'AW; cet état permet le développement de certaines transformations du substrat. La finalité de l'affinage est de diriger ces évolutions dans le sens souhaité ; il correspond principalement à des modifications de deux composants majeurs : protéines et matière grasse ; protéolyse et lipolyse sont donc les phénomènes dominants de l'affinage, elles se traduisent par de profondes modifications de la composition physico-chimique du substrat, et par voie de conséquence, de celles de son aspect, de ses qualités organoleptiques, de sa digestibilité et de sa valeur nutritive.

III.3.1. Les mécanismes de l'affinage

Les transformations précitées se font par l'intermédiaire d'agents de maturation et principalement par les enzymes et les micro-organismes ; leur activité est fortement dépendante à la fois de facteurs internes au fromage et des facteurs externes.

La biochimie de l'affinage se distingue par une extrême complexité et par son caractère très spécifique pour chaque type de fromage. Cette complexité résulte de la grande diversité des agents de l'affinage, de celle des constituants intéressés par les transformations et de l'existence de nombreuses interactions entre les phénomènes responsables.

TABLEAU 10 - Les voies d'hydrolyse du lactose

TABLEAU 11 - Principales transformations industrielles du lactosérum

De ce fait, la connaissance complète de l'affinage est encore incomplète, mais elle est meilleure pour les fromages produits et consommés massivement que pour les productions mineures à diffusion restreinte. Ainsi, pour les grands types de produits, l'évolution chimique des principaux constituants en cours de maturation a été caractérisée et des corrélations étroites ont été établies entre des profils de composition et la qualité organoleptique.

III.3.1.1. Enzymes intervenant dans l'affinage

Les enzymes sont les agents principaux de la transformation des constituants du lait pendant l'affinage. Leur diversité est grande, tant dans leur origine que dans leur nature.

Les principales sources d'enzymes sont les suivantes :

III.3.1.1.1. Enzymes naturelles du lait

Numériquement peu nombreuses et quantitativement peu importantes, leur rôle apparaît mineur, quoique encore imparfaitement connu.

III.3.1.1.2. Enzymes d'origine microbienne

Ce sont les agents d'affinage prédominants par leur nombre et leur diversité ; ils sont produits à la fois par les micro-organismes pouvant contaminer fortuitement le lait et le fromage lors de la collecte et de la transformation, et par les microflores inoculées volontairement dans le lait et sur le fromage au début de l'affinage (bactéries lactiques et non lactiques, moisissures). Le rôle de ces enzymes étroitement tributaires des traitements technologiques et des facteurs de milieu conditionne à la fois la croissance des micro-organismes, la production des enzymes par ces germes et l'activité enzymatique proprement dite.

Il y a lieu en particulier de souligner l'incidence majeure du traitement thermique du lait sur la destruction sélective des micro-organismes et des enzymes. Pour les produits faits à partir de lait cru, l'importance et la variété des enzymes présentes contribuent à la formation des fromages à composantes organoleptiques très typées. Pour les produits élaborés à partir de lait thermisé et pasteurisé, la faible part d'enzymes résiduelles se traduit par un profil organoleptique plus neutre induit par les flores ensemencées de façon dirigée. En ce sens, il y a lieu de rappeler le rôle des bactéries lactiques qui ne se limite pas à leur pouvoir acidifiant ; par leur action protéolytique, longtemps sous-estimée, elles interviennent de façon notable dans le développement des qualités organoleptiques des fromages et plus particulièrement de ceux affinés sans l'intervention d'une flore de surface.

Il convient de remarquer, par ailleurs, le rôle majeur dans l'affinage des moisissures dont l'activité protéolytique et lipolytique est considérablement plus élevée que celle des bactéries et des levures. Ce rôle prépondérant est illustré par de nombreux exemples de fromages - pâtes molles fleuries, pâtes persillées - dont l'affinage est étroitement tributaire du développement équilibré des flores fongiques caractéristiques.

Enfin, il faut mentionner l'intervention particulière de bactéries propioniques dans l'affinage de plusieurs types de fromages à pâtes pressées et dures. Cette fermentation donne lieu à une production de gaz carbonique génératrice de l'ouverture de la pâte, les acides propionique et acétique contribuant à la formation de la flaveur légèrement piquante.

III.3.1.1.3. Enzymes d'origine exogène

Les protéases utlisées pour la coagulation du lait contribuent, elles aussi, de manière efficace à l'affinage. Elles ne sont pas totalement éliminées avec le lactosérum lors de l'égouttage. Leur rétention dans le fromage varie de manière importante avec la nature de l'enzyme utilisée. Pour la présure, la quantité retenue croît avec la diminution du pH, alors que pour les enzymes d'origine fongique provenant de Mucor miehei ou de Mucor pusillus, cette quantité est indépendante du pH et se situe à une valeur plus faible. Dans tous les cas, la quantité d'enzymes résiduelles dans le coagulum dépend également de la thermosensibilité particulière de chaque protéase. Pour cette raison, un traitement thermique en cours d'égouttage peut fortement modifier la protéolyse due aux enzymes coagulantes résiduelles.

Diverses expérimentations ont été également réalisées en vue d'accélérer l'affinage ou de développer des composantes organoleptiques spécifiques, en particulier par incorporation dans le lait ou après égouttage de lipases et de protéases. Les résultats obtenus sont encourageants, mais le dosage et la maîtrise de l'activité enzymatique restent délicats. De plus l'addition d'un nombre limité d'enzymes n'est pas toujours suffisante pour typer les produits. Aussi une autre approche consiste à introduire dans le lait des cultures microbiennes à activité enzymatique multiple, mais dont la vitalité est modulée par des traitements thermiques sélectifs adéquats.

III.3.1.2. Les transformations du substrat pendant l'affinage

Pendant l'affinage, les constituants du fromage sont dégradés en composants plus simples à poids moléculaire réduit ; cette évolution est caractérisée par une très grande complexité biochimique. Les réactions ne se font pas isolément, mais sont intégrées au sein de séquences où la molécule initiale est d'abord transformée en produit primaire, puis en produit secondaire et souvent en résidu tertiaire. La cinétique de toutes ces réactions est en outre profondément intégrée à la disponibilité des substrats et à l'influence des facteurs d'environnement : pH - AW - température, etc.

- Glycolyse

La transformation du lactose en acide lactique précédemment développée pendant la coagulation et l'égouttage se poursuit pendant l'affinage. Le lactose disparaît en général dans les premiere jours de la maturation à la suite de fermentations variées, dues en particulier aux bactéries lactiques et coliformes, aux levures et moisissures ; elles conduisent à une multitude de produits primaires, mais dont l'acide lactique est de loin le plus important. Dans une seconde étape, l'acide lactique peut subir d'autres fermentations en acides organiques plus simples (Ac. propionique, Ac. acétique, Ac. butyrique) qui peuvent eux-mêmes être transformés en composants de la flaveur des fromages comme les aldéhydes et les cétones.

- Lipolyse

La lipolyse se traduit dans une première étape par la libération des acides gras constituants les triglycérides du lait. L'importance du phénomène n'est pas le même pour toutes les catégories de fromages, comme le montre le tableau 12.

Tableau 12 TENEURS MOYENNES EN ACIDES GRAS DES DIFFERENTES CATEGORIES DE FROMAGES

FromagesPâtes presséesPâtes duresPâtes mollesPâtes persillées
Acides gras libres (g/kg)1,5–35–1020–5030–60

D'une manière générale, la lipolyse est plus marquée dans les fromages affinés à l'aide de moisissures : le plus souvent, son évolution suit étroitement la croissance du mycelium (figure 18).

Pour les fromages de type Bleu, la lipolyse marquée se poursuit par une transformation secondaire des acides gras en alcools, aldéhydes et cétones, responsables du goût et de l'arôme caractéristiques des produits affinés.

Fig. 18b)

Fig. 18b) - EVOLUTION DE LA PROTEOLYSE ET DE LA LIPOLYSE AU COURS DE L'AFFINAGE D'UN FROMAGE A PATE MOLLE DE TYPE CAMEMBERT
(D'après AKGUN, 1978)

La proportion et la nature des acides gras étant caractéristiques de la composition du lait propre à chaque espèce, les produits de réaction diffèrent et contribuent au typage particulier des fromages affinés, en particulier de ceux fabriqués au lait de chèvre et de brebis.

- Protéolyse

La protéolyse est le phénomène dominant de l'affinage : il se traduit par la libération successive de peptides, puis d'acides aminés; ces derniers peuvent dans certains cas être eux-mêmes dégradés en composants très variés contribuant à la flaveur marquée de certains fromages très affinés.

L'importance de la protéolyse et la nature des produits formés n'est pas la même pour tous les types de fromages ; cet état se traduit par un profil de composition particulier en fractions azotées et par un indice de maturation caractéristique, exprimé par le rapport azote soluble à l'azote total (Tableau 13 - Figures 18b) et 19).

Tableau 13 VALEURS MOYENNES DE L'INDICE DE MATURATION EN FIN D'AFFINAGE POUR DIFFERENTES CATEGORIES DE FROMAGES

FromagesPâtes presséesPâtes duresPâtes mollesPâtes persillées
Azote soluble % Azote total15–2127–3228–3430–36

D'une manière générale, les fromages affinés par l'intermédiaire de flores microbiennes (bactéries, moisissures), implantées en surface ou dans la masse, sont plus profondément protéolysés que les fromages qui en sont dépourvus. De plus, la protéolyse étant étroitement tributaire du développement de ces flores, la solubilisation des protéines évolue dans le temps parallèlement à leur croissance, et est plus marquée au voisinage du lieu d'implantation de ces flores. La figure 20 traduit la profonde différence d'activité protéasique existant entre le centre et la surface d'un fromage de type Camembert affiné à l'aide d'une moisissure de surface à forte activité protéolytique de type Penicillium.

III.3.2. Modalités de l'affinage

La maîtrise de l'affinage est obtenue en fixant différents paramètres propres au substrat et à l'ambiance dans des limites définies. Ces conditions interviennent à un double niveau en agissant sur la prolifération et l'activité des flores microbiennes et sur la production et l'activité des enzymes. Elles constituent des auxiliaires indispensables puisqu'elles permettent de diriger l'activité des agents d'affinage et de faire apparaître les transformations spécifiques souhaitées pour chaque type de fromage.

III.3.2.1. Rôle du pH

Son rôle est essentiel. Il règle à la fois :

Les micro-organismes intervenant dans l'affinage provenant d'un ensemencement naturel ou volontaire présentent une sensibilité spécifique au facteur pH. Les bactéries se développent préférentiellement sur les substrats à caractère voisin de la neutralité, alors que les moisissures et les levures ont une plus grande affinité pour les milieux acides. Il faut cependant remarquer que les micro-organismes les plus acidophiles peuvent également proliférer au voisinage de la neutralité. La sensibilité particulière des micro-organismes au facteur pH constitue un élément sélectif primordial de la colonisation du fromage par les souches scuhaitées, ainsi que par celles d'origine accidentelle dont le rôle peut être indésirable.

Fig. 19

Fig. 19 - EVOLUTION DE LA LIPOLYSE ET DE LA PROTEOLYSE AU COURS DE L'AFFINAGE D'UN FROMAGE A PATE PRESSEE DE TYPE SAINT-PAULIN (D'après RAMET, 1978)

Fig. 20

Fig. 20 - EVOLUTION DE L'ACTIVITE PROTEASIQUE D'UN FR`OMAGE DE TYPE CAMEMBERT AU COURS DE LA MATURATION (D'après LENOIR, 1970)

Le pH détermine par ailleurs la production d'enzymes par les microflores ainsi que l'activité de ces enzymes. En général, les protéases présentent une activité maximale à un pH compris entre 5,5 et 6,5. Toutefois, la plupart d'entre elles possèdent une activité encore importante, de part et d'autre de cette zone. Les lipases présentent un caractère basophile plus marqué que les protéases. Leur optimum d'activité se situe généralement entre 6,5 et 7,5, mais, là aussi, on observe de nombreuses exceptions.

Or, au début de l'affinage, l'acidité qui a été développée au cours de la coagulation et de l'égouttage afin de régler à la valeur souhaitée l'humidité et la minéralisation du caillé est souvent excessive pour permettre la prolifération des flores et l'activité enzymatique recherchées. De ce fait, un processus de désacidification doit intervenir, pour optimiser la croissance microbienne et l'activité enzymatique : les modalités sont très différentes selon la catégorie des fromages.

Pour certains fromages à pâte molle et pour les fromages à pâte persillée, la neutralisation de la pâte est obtenue par voie biologique à l'aide de moisissures acidophiles se développant en surface ou dans la masse. Autrefois, l'implantation de ces flores se faisait spontanément en fonction des caractéristiques écologiques du milieu extérieur et de celles du substrat. Actuellement, le développement des flores est déterminé par un apport de microorganismes sélectionnés, dont l'activité biochimique est connue. Toutes ces flores présentent un caractère aérobie marqué.

Une seconde catégorie de fromages dits à pâte molle lavée se caractérise par un affinage lié au développement d'une flore bactérienne de surface habituellement connue sous le terme de “ferment du rouge”. Cette flore renferme des bactéries variées généralement pigmentées en ocre, dont l'espèce dominante est représentée par Brevibacterium linens. En raison de son caractère neutrophile, cette flore ne peut proliférer qu'après une neutralisation préalable de la surface des fromages par des micro-organismes du type levure et Oidïum implantés spontanément ou de manière dirigée pendant l'égouttage. Un processus complémentaire de neutralisation intervient par voie chimique grâce au calcium fixé sur les micelles de caséine, et grâce à une diffusion centripète d'ammoniac dans la pâte à partir de l'atmosphère des locaux et par contact direct avec les supports des fromages. La libération d'ammoniac correspond aux produits terminaux de la protéolyse développée, en particulier sous l'influence des enzymes provenant des ferments du rouge.

Dans le cas de la plupart des fromages à pâte pressée et à pâte dure, la désacidification est réalisée par le calcium resté dans le caillé en quantité relativement élevée par suite d'une fermentation lactique limitée au cours de la coagulation et de l'égouttage. Pour certains fromages à pâte pressée, l'affinage est complété par le développement de flores fongiques ou bactériennes de surface participant par voie centripète à la neutralisation de la pâte.

Pour un petit nombre de fromages, le plus souvent de fabrication fermière ou artisanale, la désacidification préalable à la protéolyse est obtenue par voie chimique par apport de cendres de bois riches en potasse à la surface ou dans la masse.

III.3.2.2. Rôle de l'activité de l'eau

En début d'affinage, l'AW du fromage résulte en partie des modalités de la coagulation et de l'égouttage qui ont conduit à l'élimination plus ou moins importante de l'eau constitutive du lait, mais également de l'état de répartition du sel apporté lors du salage.

Dans la suite de l'affinage, le facteur principal déterminant l'AW est l'hygrométrie des locaux. Ces deux paramètres sont directement définis par les pressions partielles de vapeur d'eau du produit et de l'ambiance. En pratique l'affinage est toujours réalisé à une hygrométrie inférieure à la saturation. Deux raisons expliquent cette situation. D'une part, il est difficile, dans les conditions pratiques, d'obtenir la saturation de l'air dans une ambiance refroidie car les surfaces réfrigérantes piègent l'eau atmosphérique. D'autre part, une ambiance saturée entraînerait à la surface du fromage une AW voisine de l qui favoriserait la prolifération d'un grand nombre de micro-organismes indésirables ; le rôle sélectif de l'AW disparaîtrait.

Le choix de l'hygrométrie doit tenir compte de la sensibilité à l'AW des catégories de micro-organismes dont il convient de favoriser en surface le développement ou au contraire, l'inhibition. D'où une hygrométrie généralement élevée (90 – 95% d'humidité relative) pour les fromages à flore bactérienne superficielle, une hygrométrie légèrement plus basse (85 – 90 %) pour ceux à flore fongique. Pour les fromages à croûte sèche, l'hygrométrie est ajustée à une valeur faible (80 – 85 %) pour limiter au maximum le développement des flores contaminantes de surface.

L'hygrométrie étant inférieure à 100 % d'humidité relative, il se produit toujours une évaporation de l'eau contenue dans le fromage vers l'ambiance. Cette perte en eau varie fortement d'un type de fromage à un autre en fonction de diverses caractéristiques de celui-ci, à savoir :

Il convient de noter par ailleurs que les réactions d'ordre biochimique intervenant dans le substrat en cours d'affinage correspondent pour la plupart à des réactions d'hydrolyse qui fixent de l'eau. En conséquence, elles entraînent une diminution de l'eau libre et donc celle de l'AW.

Considérée globalement, l'activité de l'eau du fromage entier est la résultante d'un ensemble de phénomènes complexes de nature physique (égouttage, évaporation de l'eau, diffusion du sel), chimique (interaction substrat - chlorure de sodium) et biochimique (protéolyse, lipolyse, glycolyse), dont la connaissance encore fragmentaire rend difficile la pleine maîtrise.

Pour plusieurs fromages typiques du bassin Méditerranéen, une méthode traditionnelle d'ajustement de l'AW à la fois simple et adaptée aux climats chauds consiste à réaliser l'affinage en saumure. Après pressage en vrac, le coagulum égoutté est découpé en portions parallélépipédiques d'un poids de 0,5 – 1,5 kg ; ces portions sont alors immergées en pots ou bidons métalliques contenant une quantité de lactosérum ou d'eau salée comprise entre 10 – 20 % de la masse de fromage. Le taux de chlorure du milieu salé, initialement de 12 à 16 %, correspond à une activité de l'eau de l'ordre 0,90 – 0,94, n'assure qu'une stabilisation partielle vis-à-vis des micro-organismes, et permet un affinage de la pâte pendant la durée de conservation qui est de 6 à 12 mois. Durant cette phase, un échange se produit entre le fromage et la solution salée selon un processus semblable à celui résultant du salage ; le sel diffuse dans le fromage, ce dernier rejette du lactosérum, l'équilibre est réalisé lorsque le taux de sel avoisine 5 à 9 % ; dans le temps la chute de rendement est rapide à température ambiante; si la conservation est faite à basse température, 0 – 4° C, les échanges sont ralentis et la perte de poids est moindre. L'usage du froid permet par ailleurs de réduire la prolifération de micro-organismes halophiles, en particulier de levures et de moisissures, qui sont parfois générateurs d'accidents de gonflement et de flaveurs indésirables.

III.3.2.3. Rôle de la température

Les micro-organismes intervenant dans l'affinage sont presque exclusivement mésophiles. Les levures et les moisissures possèdent leur optimum de développement à 20 – 25° C. Les bactéries lactiques ont leur optimum à 30 – 35° C, à l'exception des espèces thermophiles pour lesquelles l'optimum de croissance est voisin de 45° C.

La production d'enzymes par ces micro-organismes est généralement maximale à une température proche de la température de croissance, ou à une valeur légèrement inférieure à celle-ci. Par contre, l'activité optimale de ces enzymes se situe le plus souvent entre 45° et 50° C.

En technologie fromagère, la température des locaux d'affinage est toujours réglée à une valeur très inférieure à celle des températures optimales de croissance des microorganismes et d'activité des enzymes. Cette pratique permet de ralentir l'évolution du substrat et ainsi de la mieux maîtriser notamment en fonction des exigences imposées par la commercialisation.

Dans les conditions habituelles, les températures les plus généralement adoptées sont les suivantes :

Pâtes molles moisies11 – 13° C
Pâtes molles lavées10 – 15° C
Pâtes persillées5 – 10° C
Pâtes pressées non cuites10 – 14° C
Pâtes pressées cuites 
1ère phase (en cave froide)
10 – 12° C
2ème phase (en cave chaude)
20 – 22° C
Pâtes dures14 – 18° C

Pour les fabrications de type industriel, on observe une tendance à augmenter les températures dans le but de réduire les durées d'affinage. Toutefois, bien qu'il soit théoriquement possible d'accroître la vitesse de maturation par une température plus élevée, cette pratique reste très limitée, car elle entraîne des modifications importantes de la qualité organoleptique qui n'entre plus dans les standards auxquels le consommateur est habitué.

A l'opposé, le froid permet de ralentir globalement les réactions fermentaires et biochimiques modifiant le substrat. Un faible abaissement de température, de l'ordre de la 1 à 2° C est souvent utilisé pour prolonger la durée d'affinage. Une réfrigération à 0 – 4° C assure un ralentissement plus marqué dans l'évolution du substrat sans toutefois arrêter totalement celle-ci. Dans ces conditions, la protéolyse est considérablement ralentie ; par contre, la lipolyse l'est moins.

Lorsqu'il est nécessaire de faire un report prolongé du fromage affiné, de l'ordre de quelques mois, il est possible de recourir à des traitements thermiques sévères comme la congélation et la stérilisation. Ces méthodes restent encore exceptionnelles et ne peuvent convenir indifféremment à tous les types et à toutes les qualités des fromages. Ainsi pour les fromages à pâte molle et à pâte fraîche, la congélation peut se faire à l'état non affiné ; au contraire, une congélation après affinage convient mieux pour des fromages de type pâte pressée.

Il est important de souligner que toute variation non contrôlée de la température chez le fabricant et au cours de la distribution accroît les risques de modification de la cinétique de l'affinage et des qualités organoleptiques du produit.

Il faut aussi considérer que beaucoup de fromages subissant des transformations rapides et importantes par voie fermentaire sont le siège d'un dégagement de calories. Lorsque ces fromages sont confinés dans une enceinte isotherme, l'élévation de température peut provoquer leur dégradation très rapide.

III.3.2.4. Rôle de la composition de l'air

Pour les fromages affinés à l'aide de micro-organismes, il y a lieu d'adapter la composition de l'atmosphère des locaux à leurs besoins en oxygène.

D'une manière générale, les atmosphères confinées sont à proscrire dans tous les cas d'affinage à l'aide de micro-organismes aérobies stricts. De telles atmosphères rendent difficile la croissance de la flore souhaitée et favorisent le développement de micro-organismes indésirables. De ce fait, un renouvellement d'air par apport d'air neuf est indispensable. Il y a intérêt à filtrer celui-ci pour éviter le risque de contamination des locaux et des fromages.

Pour certains fromages à pâte molle et à pâte pressée affinés à l'aide de flores bactériennes très protéolytiques de type “rouge”, la teneur en ammoniac de l'atmosphère doit être réglée, ce gaz contribue à la neutralisation de la surface des fromages jeunes et favorise le développement des ferments du “rouge”. Dans les locaux contenant des fromages affinés, l'ammoniac libéré, comme produit terminal de la protéolyse, est généralement présent en quantité suffisante.

Il est vraisemblable que divers autres composants à l'état gazeux interviennent dans le déroulement de l'affinage, mais aucune relation définie n'a encore été dégagée avec certitude à propos de leur incidence sur la qualité du fromage. De ce fait, ces divers facteurs d'ambiance sont encore actuellement le plus souvent intégrés de manière empirique par l'affineur qui les module en fonction de la qualité des lots de fromage, de leur évolution et de la charge des locaux.

III.3.2.5. Rôle des soins

Au cours de l'affinage, un ensemble de traitements variés, retournements, lavages, frottages, enrobages, sont appliqués de manière sélective selon le type de fromage pour former à la périphérie du produit une zone d'aspect caractéristique, soit sèche, soit favorable au développement de flores spécifiques. Ces soins régularisent également l'aspect extérieur et la forme du fromage.

Pour les fromages comportant des moisissures, les soins sont surtout destinés à faciliter la croissance régulière du mycélium en maintenant une aération satisfaisante et permanente autour du fromage ; ainsi, les fromages à moisissures externes sont placés sur des supports aérés (claies, grilles), les fromages à moisissures internes sont piqués afin de créer des cheminées facilitant l'aération dans la masse de la pâte, de plus leur surface est raclée périodiquement pour éliminer les microflores obstruant l'entrée des cheminées.

Pour les fromages affinés à l'aide d'une flore bactérienne du “rouge”, des lavages fréquents réalisés tous les deux à quatre jours sont nécessaires pour régulariser l'implantation et le développement de la flore. Pour éviter des déformations des fromages, consécutives à la plastification de la pâte par protéolyse, ceux-ci sont placés sur des supports rigides pleins, non perforés.

Pour les fromages dépourvus de microflores de surface, des frottages, des lavages, des brossages et des retournements réguliers sont opérés, l'affinage est réalisé sur supports rigides constitués le plus souvent de planches fixes ou mobiles. Par ailleurs, diverses techniques d'enrobage ont été développées pour ces fromages ; elles ont pour but, d'une part la diminution des pertes de poids par évaporation d'eau grâce à l'utilisation de films variés faiblement perméables (pellicules plastiques, cires, paraffines…), d'autre part, la réduction des soins employés conjointement à un traitement antifongique de surface. L'affinage sous vide répond aux mêmes buts.

D'une manière générale, les différents traitements réalisés au cours de l'affinage sont, par leur caractère répétitif, fastidieux et onéreux, aussi, au niveau des grandes unités de production, le travail de l'homme a été considérablement allégé par la mécanisation des opérations de transfert, par celle des soins et de l'emballage.

La dernière opération pratiquée avant commercialisation est l'emballage. Cette phase est particulièrement importante pour le devenir de la qualité du produit; celui-ci n'étant pas stabilisé, il continue à évoluer pendant le temps de distribution ; aussi est-il recommandé pour ralentir ce processus, de mettre en place une chaîne du froid continue du fabricant jusque chez le consommateur.

Le choix des matériaux, leur mode d'association, doivent répondre aux fonctions classiques de l'emballage - rôle barrière de protection vis-à-vis des aléas mécaniques, chimiques et microbiologiques - rôle publicitaire concrétisé par une présentation attrayante, mais aussi reproduire des conditions d'ambiance (à l'exception de la température, si une réfrigération est appliquée) proches de celles de l'affinage ; la perméabilité à la vapeur d'eau et aux gaz est en ce sens primordiale pour éviter tout dessèchement et toute altération de flaveur. En outre, il apparaît essentiel de surveiller les conditions de transport et de distribution, ainsi que la qualité des produits sur les lieux de vente.


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