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Le rôle de la technologie

Le développement et la propagation de nouvelles technologies sont d'importants facteurs qui vont déterminer l'avenir de l'agriculture. La présente étude a examiné trois domaines particulièrement critiques, à savoir la biotechnologie, les technologies d'une agriculture durable, et les orientations que la recherche devrait suivre à l'avenir.

La biotechnologie: problèmes et perspectives

La biotechnologie semble très prometteuse, tant pour les producteurs que pour les consommateurs de produits agricoles, mais ses applications comportent aussi des risques potentiels. Les risques et les avantages peuvent varier considérablement d'un produit à l'autre et ils sont souvent perçus différemment dans différents pays. Pour tirer profit au maximum du potentiel de la biotechnologie, il faudra élaborer des politiques appropriées afin de veiller à ce que ces risques soient identifiés avec précision et, si nécessaire, évités.

Quel est le rôle actuel de la biotechnologie?

Depuis des milliers d'années, les êtres humains travaillent à l'amélioration des cultures qu'ils produisent et des animaux qu'ils élèvent. Au cours des 150 dernières années, les chercheurs ont contribué à ces efforts en développant et en perfectionnant les techniques de sélection et d'amélioration. Bien que d'énormes progrès aient été accomplis, la sélection et l'amélioration traditionnelles demandent beaucoup de temps et connaissent des contraintes techniques.

La biotechnologie moderne a le potentiel d'accélérer le développement et l'exploitation de cultures et d'animaux améliorés. La sélection assistée par marqueurs, par exemple, augmente l'efficacité de l'amélioration végétale traditionnelle en permettant une analyse rapide en laboratoire de milliers de spécimens sans la nécessité de cultiver des plantes sur le terrain jusqu'à maturité. Les techniques de culture de tissus permettent la multiplication rapide de plants sains d'espèces à propagation végétative, qui peuvent ensuite être distribués aux agriculteurs. Le génie ou la modification génétique (manipulation du génome d'un organisme en introduisant ou en éliminant des gènes spécifiques) permet de transférer les caractères désirés d'une plante à l'autre plus rapidement et avec une plus grande précision que ne le permettent les méthodes traditionnelles d'amélioration végétale.

Cette dernière technique est extrêmement prometteuse, mais elle a aussi soulevé des inquiétudes largement répandues dans le public. Parmi celles-ci figurent des préoccupations éthiques, des craintes quant à la sécurité sanitaire des aliments et à la sécurité de l'environnement, et l'appréhension que la concentration du pouvoir économique et la dépendance technologique pourraient creuser encore davantage le fossé entre pays développés et pays en développement.

L'expansion des cultures génétiquement modifiées a été rapide. Leur superficie s'est multipliée par 30 entre 1996 et 2001, couvrant alors plus de 52 millions d'ha. Des travaux de recherche considérables sont en cours dans certains pays en développement en vue de développer davantage de variétés génétiquement modifiées. On rapporte que la Chine, par exemple, arrive en seconde place après les Etats-Unis d'Amérique pour sa capacité de recherche en biotechnologie.

Cependant, jusqu'ici, l'expansion est géographiquement très concentrée. Quatre pays seulement représentent 99 pour cent de la superficie mondiale de cultures génétiquement modifiées: les Etats-Unis d'Amérique avec 35,7 millions d'ha, l'Argentine avec 11,8 millions d'ha, le Canada avec 3,2 millions d'ha et la Chine avec 1,5 millions d'ha. Le nombre et le type de cultures et d'applications concernées sont également limités: deux tiers de la superficie sont occupés par des cultures résistantes aux herbicides. Toutes les cultures commerciales génétiquement modifiées sont actuellement soit non alimentaires (coton), soit fortement utilisées dans les aliments du bétail (soja et maïs).

Superficie de cultures génétiquement modifiées pour différents produits et pays

Source: ISAAA (2001)

 

Biotechnologie: avantages potentiels, risques et inquiétudes

Avantages potentiels

  • Une productivité accrue, conduisant à des revenus plus élevés pour les producteurs et à des prix plus bas pour les consommateurs.
  • Un moins grand besoin d'intrants nocifs pour l'environnement, en particulier d'insecticides. Les chercheurs ont développé des variétés de maïs et de coton incorporant des gènes e la bactérie Bacillus thuringiensis (Bt) qui produisent des toxines insecticides. On est en train de développer des variétés résistantes aux virus et aux champignons pour les fruits et légumes, la pomme de terre et le blé.
  • De nouvelles variétés végétales pour les zones marginales permettront d'améliorer la durabilité de l'agriculture dans les communautés rurales pauvres. Ces variétés résisteront à la sécheresse, à l'engorgement des sols par l'eau, à l'acidité des sols, à la salinité ou à des températures extrêmes.
  • De moindres exigences en gestion de l'exploitation grâce à une résistance intégrée aux ravageurs et aux maladies.
  • Une plus grande sécurité alimentaire grâce à la réduction des fluctuations de rendement causées par les invasions d'insectes, la sécheresse ou les inondations.
  • Des valeurs nutritives plus élevées grâce à une qualité protéinique supérieure et une plus forte teneur en protéines, en vitamines et en micronutriments (par exemple, riz enrichi en iode ou en bêta-carotène).
  • Des aliments meilleurs à la santé et plus digestibles. Les chercheurs sont en train de développer des variétés de soja qui contiennent moins de matières grasses saturées et davantage de saccharose.
  • La production de produits chimiques et pharmaceutiques très utiles à un coût plus bas qu'il n'est possible aujourd'hui. Les produits envisagés vont des huiles spécialisées et des plastiques biodégradables aux hormones et aux anticorps humains.

Risques et inquiétudes

  • Les produits sont adaptés essentiellement aux besoins des grandes exploitations et des industries de transformation du monde développé, et par conséquent les exploitants dénués de ressources dans les pays en développement n'en tireront pas avantage.
  • La concentration du marché et le pouvoir monopolistique dans le secteur des semences limitent le choix et la possibilité de contrôle par les agriculteurs, qui paieront des prix toujours plus élevés pour les semences. Une seule société contrôle plus de 80 pour cent du marché de coton génétiquement modifié et 33 pour cent de celui du soja génétiquement modifié.
  • L'octroi de brevets pour les gènes et autre matériel provenant des pays en dévelop-pement. Les sociétés du secteur privé peuvent s'approprier, sans compensation, les produits issus des efforts d'amélioration végétale de plusieurs générations d'agriculteurs et de la recherche publique.
  • Des technologies qui empêchent les agriculteurs de réutiliser les semences. Elles obligent les agriculteurs à acheter de nouvelles semences à chaque saison et pourraient entraver leur adoption par les agriculteurs pauvres. Dans le pire des cas, ignorer cette caractéristique pourrait conduire à un échec total de la récolte.
  • Sécurité sanitaire des aliments. Cet aspect a attiré l'attention suite à l'entrée dans la chaîne alimentaire, aux Etats-Unis d'Amérique, d'une variété de maïs potentiellement allergène, qui n'avait pas été enregistrée pour l'usage alimentaire.
  • L'impact sur l'environnement des cultures génétiquement modifiées. Il y a un risque que les gènes insérés se répandent parmi les populations sauvages, ceci pouvant entraîner des conséquences potentiellement graves pour la biodiversité ou contaminer les cultures des agriculteurs biologiques. Les gènes produisant une résistance aux herbicides pourraient encourager un usage excessif de ceux-ci; les gènes qui apportent une résistance aux insectes pourraient rendre les insectes résistants, et nécessiter l'emploi de produits plus toxiques pour les éliminer.

Pourquoi la biotechnologie moderne est-elle nécessaire?

Mondialement, la production agricole pourrait probablement satisfaire la demande projetée jusqu'en 2030, même en l'absence de progrès significatifs en biotechnologie. Cependant, la biotechnologie pourrait être un outil important dans la lutte contre la faim et la pauvreté, en particulier dans les pays en développement. Comme elle peut être capable d'offrir des solutions là où les méthodes traditionnelles d'amélioration ont échoué, elle pourrait contribuer grandement au développement de variétés végétales aptes à prospérer dans les environ-nements hostiles où un grand nombre des pauvres du monde vivent et cultivent la terre. On a déjà obtenu des résultats prometteurs quant au développement de variétés dotées de caractères complexes, comme la tolérance ou la résistance à la sécheresse, à la salinité du sol, aux insectes ravageurs et aux maladies, ce qui permet de réduire les échecs des récoltes. Diverses applications permettent aux exploitants démunis de limiter leurs achats d'intrants, tels que pesticides ou engrais, ce qui représente un avantage pour l'environnement et la santé de la population, ainsi que pour les revenus des exploitants.

La recherche en biotechnologie est en majeure partie assurée et contrôlée par de grosses sociétés privées, qui jusqu'ici ont ciblé essentiellement les exploitations commerciales qui ont les moyens d'acheter leurs produits. Néanmoins, certaines recherches sont effectuées dans le secteur public en vue de répondre aux besoins des exploitants dénués de ressources. En outre, la plupart des technologies et des produits intermédiaires développés grâce à la recherche privée pourraient être adaptés afin de résoudre des problèmes d'urgence dans les pays en développement. Pour que les pauvres de ces pays puissent profiter de ce potentiel, il faudra, aux niveaux national et international, favoriser la formation de partenariats entre les secteurs privé et public, qui faciliteront l'accès à ces technologies à des prix abordables. C'est là le principal défi du futur en matière de politiques.

Quelles politiques suivre pour que les pauvres bénéficient du potentiel de la biotechnologie?

Dans le cas des cultures génétiquement modifiées, la plupart des applications commerciales développées jusqu'ici sont destinées à réduire les coûts de production, et non pas à répondre aux besoins exprimés par les consommateurs. Les avantages attendus et les risques potentiels de ces cultures, et de la biotechnologie dans son ensemble, sont perçus différemment selon les régions, les pays, les communautés d'intérêts et les individus. Les pauvres sans terres ou citadins dans les pays en développement ont besoin de produits alimentaires à meilleur marché. Par contre, pour les consommateurs des pays développés, où les vivres abondent, les préoccupations en matière de santé et d'environnement associées à la biotechnologie l'emportent sur les éventuelles réductions de coût. Ces consommateurs seront plus enclins à accepter les nouveaux produits si l'on peut garantir leur sécurité par le biais de cadres réglementaires adéquats.

Le coton Bt en Chine: une réussite

L'un des succès les plus impressionnants de l'agriculture biotechnologique est le coton Bt en Chine. Suite à des travaux de recherche effectués par différents partenaires des secteurs public et privé, le coton Bt a été mis à la disposition des agriculteurs du pays en 1997. Il s'est répandu rapidement, la superficie totale qui lui est consacrée étant passée de 2 000 ha la première année à 70 000 ha en 2000. Les raisons de cette popularité étaient principalement économiques, mais cette culture présentait également d'importants avantages au niveau de l'environnement et de la santé humaine.

En général, le coton est très susceptible aux ravageurs et il exige normalement de nom-breuses applications d'insecticide, ce qui revient cher, demande une grande quantité de main d'oeuvre supplémentaire, et cause souvent des problèmes de santé chez les ouvriers agricoles. Les exploitants qui ont utilisé la nouvelle variété Bt ont pu réduire de 80 pour cent la quantité et d'un tiers les applications d'insecticide. Ils ont réduit à la fois leur main d'oeuvre et les coûts d'autres intrants. Leurs rendements ont aussi augmenté: 3,37 t/ha au lieu de 3,18 t/ha pour le coton non-Bt. La production d'un kilogramme de coton est revenue globalement à 28 pour cent moins cher.

Ceci a eu des effets positifs sur la bio-diversité: les agriculteurs et les vulgarisateurs du gouvernement ont rapporté une plus grande diversité d'insectes et davantage d'espèces bénéfiques dans les champs de coton Bt. En outre, les avantages au niveau santé ont été considérables pour les agriculteurs: 5 pour cent seulement des cultivateurs du coton Bt ont signalé des intoxications, contre 22 pour cent chez ceux qui avaient cultivé du coton non-Bt. Les avantages économiques du coton Bt ont été évalués globalement à 334 millions de dollars EU par an en 1999.

Les investissements dans la recherche génétique pour les pays en développement devront être plus importants et mieux ciblés pour assurer que les exploitants de ces pays aient accès aux nouvelles variétés végétales. On devrait mettre l'accent, non plus autant sur la résistance aux pesticides, mais sur les caractéristiques cruciales pour les exploitants démunis: meilleure tolérance ou résistance à la sécheresse, à l'engorgement par l'eau, à la salinité et aux températures extrêmes; meilleure résistance aux ravageurs et aux maladies; qualités nutritionnelles plus élevées; et rendements accrus. Un tel changement d'orientation pourrait être fondé sur de nouveaux partenariats entre les secteurs privé et public, qui bénéficieraient de la plus grande efficacité de la recherche dans le secteur privé, mais sous l'orientation des bailleurs de fonds du secteur public. Des fonds pour la recherche pourraient être mis à disposition sur la base d'adjudications publiques.

Effets du coton Bt en Chine


Source: Huang et al. (2002)

Autres changements à l'horizon

Les rapides progrès réalisés tant dans l'élabo-ration que dans la propagation des nouvelles applications biotechnologiques, conjugués à la réaction incertaine du grand public face à ces applications, font qu'il est difficile de prévoir les perspectives à long terme de ces technologies, y compris leur impact futur sur la production. Cependant, les développements à court terme (dans les trois prochaines années ou à peu près) sont un peu plus faciles à déterminer.

Le succès du coton Bt en Chine a ouvert la voie à une expansion plus poussée des cultures génétiquement modifiées dans ce pays, qui offre un potentiel considérable pour les produits génétiquement modifiés. La Chine est un gros producteur de soja, de maïs et de tabac - toutes des cultures pour lesquelles d'autres pays ont développé des caractères génétiquement modifiés. Une adoption à grande échelle de la technologie de modification génétique en Chine pourrait bien donner l'impulsion voulue pour que les autres pays en développement suivent son exemple.

Alors que l'adoption des technologies de modification génétique accélérera probablement dans les pays en développement, on s'attend à ce qu'elle ralentisse dans le monde développé. Ceci reflète essentiellement leur croissance impressionnante dans le passé, qui limite le potentiel d'expansion à l'avenir. Le soja génétiquement modifié, par exemple, compte déjà pour les deux tiers de la superficie mondiale de soja et pour une plus grande part encore de la superficie dans les pays développés. Au fur et à mesure que les superficies de ces cultures vont s'étendre au niveau mondial, il se peut que d'autres applications biotechnologiques, plus sophistiquées, prennent de l'importance. On peut citer par exemple les applications nutraceutiques ou cosmétiques basées sur la modification génétique. Comme il y a des chances que ces nouvelles applications présentent un éventail plus large d'avantages, outre celui d'offrir des vivres ou des aliments pour animaux « seulement » moins chers, les consommateurs des pays développés seront peut-être plus enclins à les accepter.

Vers une agriculture durable

Avec des politiques créant les conditions propices, les trois prochaines décennies devraient voir l'expansion de méthodes agricoles qui réduisent les dommages causés à l'environnement tout en mainte-nant, voire en augmentant, la production. Dans certains cas, ces méthodes vont également réduire les coûts de production.

L'agriculture sans labour

L'impact négatif que le travail du sol peut avoir sur les processus biologiques du sol, et par conséquent sur la productivité, est de plus en plus reconnu. C'est ainsi que l'agriculture sans labour (ASL) a été développée. Cette forme d'agriculture peut maintenir et améliorer les rendements des cultures en assurant une plus grande tolérance de la sécheresse et autres contraintes.

Tout comme l'agriculture biologique, l'agriculture sans labour respecte la biodiversité et permet d'économiser les ressources. Cependant, à la différence de l'agriculture biologique, elle peut être associée à des intrants synthétiques et à des cultures génétiquement modifiées. Elle comporte trois éléments principaux:

L'agriculture sans labour peut augmenter les rendements de 20 à 50 pour cent. Les rendements varient moins d'une année à l'autre, et les coûts de main d'oeuvre et de carburant sont moindres. Une fois qu'elle a été démontrée à des exploitants dans un endroit donné, ASL tend à se répandre spontanément sur une plus grande superficie. Les principaux obstacles à son expansion sont la complexité de gestion de la rotation des cultures, les coûts de la transition vers de nouvelles pratiques et, dans une certaine mesure, le conservatisme des services de vulgarisation agricole. Il est possible que des stages de recyclage, parfois associés à des incitations financières accrues, soient nécessaires pour accélérer l'adoption de ce mode d'agriculture.

Lutte intégrée contre les ravageurs

Les pesticides présentent divers risques au niveau de leur production, de leur distribution et de leur application. Utilisés de manière traditionnelle, ils peuvent éliminer non seulement les ravageurs visés mais aussi leurs prédateurs naturels et provoquer une résistance chez les ravageurs. Ils peuvent aussi polluer les ressources en eau et en sols et causer divers problèmes de santé chez les opérateurs et leurs proches.

La lutte intégrée contre les ravageurs a pour but de minimiser la quantité de pesticide appliquée en utilisant d'autres moyens de lutte plus efficace-ment. L'incidence des ravageurs est surveillée, et on agit uniquement lorsque les dégâts dépassent les limites tolérables. Parmi les autres technologies et méthodes utilisées figurent les variétés résistantes aux ravageurs, les insecticides biologiques et les pièges, ainsi que la gestion des rotations de cultures, de l'utilisation d'engrais et de l'irrigation de manière à limiter les ravageurs. Les pesticides chimiques, lorsqu'ils sont utilisés, sont choisis pour assurer une toxicité minimum et appliqués de manière soigneusement calculée.

De nombreux pays ont introduit la lutte intégrée avec succès et ont obtenu une production accrue, accompagnée d'une réduction des coûts sur le plan financier, ainsi qu'au niveau de l'environnement et de la santé humaine. Là encore, dans de nombreux pays, les systèmes de vulgarisation et les politiques suivies ont eu tendance à favoriser l'usage de pesticides. Il faudra les réformer si l'on veut assurer la dissémination plus rapide de la lutte intégrée.

Systèmes intégrés de nutrition des plantes

L'agriculture sans labour peut permettre d'augmenter les rendements des cultures de 20 à 50 pour cent. Les rendements sont plus stables, la résistance à la sécheresse s'en trouve améliorée et les coûts de main d'oeuvre et de carburant sont moindres, mais la gestion est plus complexe.

La production végétale puise toujours dans les substances nutritives du sol. En général, les engrais traditionnels ne remplacent que quelques nutriments essentiels, alors que d'autres continuent à s'épuiser. Beaucoup d'exploitants démunis n'ont pas les moyens d'acheter ces engrais, ce qui entraîne un épuisement du sol. Dans d'autres cas, ils sont utilisés en excès, ce qui pollue les sols et les eaux.

Les systèmes intégrés de nutrition des plantes visent à maximiser l'efficacité des éléments fertilisants par le biais de diverses pratiques, dont le recyclage des déchets végétaux et animaux et l'utilisation de légumineuses pour fixer l'azote présent dans l'atmosphère. Les intrants exogènes sont utilisés judicieusement, de manière à minimiser les coûts et à réduire la pollution. En gérant avec précision l'usage d'engrais, on peut accroître leur efficacité de 10 à 30 pour cent.

Les promesses de l'agriculture biologique

L'agriculture biologique regroupe un ensemble de pratiques visant à minimiser l'emploi d'intrants exogènes. Les pesticides de synthèse, les engrais chimiques, les produits de synthèse pour la conservation, les produits pharmaceutiques, les organismes génétiquement modifié (OGM), les boues d'épuration et l'irradiation sont tous exclus.

L'intérêt suscité par l'agriculture biologique a été renforcé par les inquiétudes du grand public concernant la pollution, la sécurité sanitaire des aliments et la santé humaine et animale, ainsi que par la valeur accordée à la nature et à la campagne. Les consommateurs des pays développés se montrent prêts à payer des prix majorés de 10 à 40 pour cent pour les produits biologiques, et dans un même temps les subventions gouvernementales ont contribué à rendre l'agriculture biologique viable du point de vue économique.

En conséquence, l'agriculture biologique s'est répandue rapidement dans les pays occidentaux. Entre 1995 et 2000, la superficie totale de terres biologiques en Europe et aux Etats-Unis avait triplé, encore qu'on soit parti d'un chiffre très bas.En 2001, dans le monde, quelque 15,8 millions d'ha étaient sous culture certifiée biologique. Près de la moitié se trouvait en Océanie, presque un quart en Europe et un cinquième en Amérique latine. Environ deux tiers de cette superficie est formée de pâturages biologiques. En tant que pourcentage de la superficie agricole totale, l'agri-culture biologique reste modeste: 2 pour cent en moyenne en Europe. Cependant, de nombreux pays européens se sont fixé des objectifs d'expansion ambitieux, qui font que l'Europe de l'Ouest pourrait avoir environ un quart de sa superficie agricole totale sous exploitation biologique d'ici 2030.

Aujourd'hui, grâce à la collaboration de plusieurs grandes chaînes de supermarchés, le marché des produits biologiques est en plein essor et la demande potentielle devance de loin les dis-ponibilités. Dans de nombreux pays industrialisés, les ventes augmentent de 15 à 30 pour cent par an. Le marché total en 2000 était estimé à presque 20 milliards de dollars EU (toujours moins de 2 pour cent des ventes totales de produits alimentaires au détail dans les pays industrialisés, mais néanmoins une hausse appréciable par rapport à la valeur de ce marché il y a 10 ans). On s'attend à ce que la demande continue de croître, peut-être à un taux encore plus élevé que celui de 20 pour cent environ atteint ces dernières années. L'insuffisance de l'offre donne aux pays en développement une opportunité de combler le déficit, en particulier pour ce qui est des produits hors saison.

Superficies sous culture biologique


Source: Willer et Yussefi (2002)

Dans les pays industrialisés, l'agriculture biologique repose sur des méthodes clairement définies qui sont contrôlées par des organismes d'inspection et de certification. La plupart des pays en développement, par contre, n'ont pas encore leurs propres normes et systèmes de certification biologiques. L'agriculture biologique est peut-être plus répandue, en fait, dans ces pays que dans les pays développés, mais elle est pratiquée par nécessité puisque la majorité des agriculteurs n'a pas les moyens d'acheter les intrants modernes ou n'y a pas accès. La plupart des cultures biologiques de consommation locale sont vendues au même prix que les autres produits. Cependant, beaucoup de pays en développement produisent aujourd'hui des denrées biologiques en quantités commerciales pour exportation sur les marchés des pays développés. On peut s'attendre à ce que ces exportations augmentent dans les prochaines années.

L'agriculture biologique offre de nombreux avantages pour l'environnement. Les produits agrochimiques peuvent polluer les eaux souterraines, perturber les processus écologiques essentiels comme la pollinisation, nuire aux micro-organismes bénéfiques et présenter des risques pour la santé des ouvriers agricoles. La monoculture moderne, qui fait appel à des intrants de synthèse, nuit souvent à la biodiversité sur le plan génétique, ainsi qu'au niveau des espèces et des écosystèmes. Les coûts externes de l'agri-culture traditionnelle peuvent être considérables.

Par contre, l'agriculture biologique cherche à accroître la biodiversité et à rétablir l'équilibre écologique naturel. Elle encourage à la fois la biodiversité spatiale et temporelle au moyen de cultures intercalaires et de la rotation des cultures, elle conserve les ressources en sols et en eau et renforce les matières organiques et les processus biologiques des sols. Les ravageurs et les maladies sont tenus en échec grâce aux associations de cultures, aux associations symbiotiques et autres méthodes non chimiques. La pollution de l'eau est réduite ou éliminée.

Bien que les rendements soient souvent inférieurs de 10 à 30 pour cent à ceux de l'agriculture traditionnelle, l'agriculture biologique peut produire d'excellents bénéfices. Dans les pays industrialisés, les primes à la consommation, les subventions gouvernementales et l'agrotourisme augmentent les revenus des exploitations biologiques. Dans les pays en développement, des systèmes biologiques bien conçus peuvent donner de meilleurs rendements, bénéfices et retours sur main d'oeuvre que les systèmes traditionnels. A Madagascar, des centaines d'agriculteurs ont découvert qu'ils pouvaient quadrupler leurs rendements de riz, pour atteindre jusqu'à 8 t/ha, en ayant recours à des pratiques de gestion biologique améliorées. Aux Philippines, on a enregistré des rendements de riz biologique supérieurs à 6 t/ha. Les expériences de production biologique dans des régions à faible potentiel comme au nord de Potosí (Bolivie), à Wardha (Inde) et à Kitale (Kenya) ont montré que les rendements peuvent être doublés ou triplés par rapport à ceux que l'on obtient en utilisant des pratiques traditionnelles.

L'agriculture biologique présente aussi des avantages sociaux. Elle emploie des matériaux bon marché, disponibles localement, et exige normalement une main d'oeuvre plus nombreuse, augmentant ainsi les possibilités d'emploi. Il s'agit d'un avantage considérable dans les régions, ou les saisons, où il y a un excédent de main d'oeuvre. En réhabilitant les pratiques et les aliments traditionnels, l'agriculture biologique peut favoriser la cohésion sociale.

Localement, l'agriculture biologique pourrait devenir, dans les 30 prochaines années, un substitut tout à fait envisageable de l'agriculture traditionnelle.

Certaines politiques sont essentielles si l'on veut que l'agriculture biologique continue de progresser. Le soutien à l'agriculture s'écarte de plus en plus des objectifs de production en faveur des objectifs portant sur l'environnement ou les aspects sociaux, tendance qui pourrait être à l'avantage de l'agriculture biologique. Des normes et des systèmes d'accréditation internationaux approuvés seront nécessaires pour supprimer les obstacles au commerce. Les agents de vulgarisation agricole mettent souvent en avant l'idée selon laquelle les intrants synthétiques sont préférables et il sera peut-être nécessaire de les former aux méthodes biologiques. La recherche de solutions aux problèmes techniques doit être intensifiée. Des régimes fonciers sûrs sont essentiels si l'on veut que les agriculteurs s'engagent dans le long processus de conversion aux méthodes biologiques. Si de telles mesures sont mises en place, l'agriculture biologique pourrait devenir un substitut tout à fait envisa-geable de l'agriculture traditionnelle dans les 30 prochaines années, au moins au niveau local.

Orientations pour la recherche

Les points forts et faibles de la recherche dans le passé

La "Révolution verte" a joué un rôle clé dans l'amélioration considérable des disponibilités alimentaires au cours des 40 dernières années. Les rendements du riz, du blé et du maïs dans les pays en développement ont augmenté de 100 à 200 pour cent depuis la fin des années 1960.

L'accroissement des rendements était le premier objectif de la "Révolution verte". L'amélioration et la sélection des plantes ont conduit au développement de variétés améliorées, mais elles ont fortement augmenté l'utilisation d'intrants, tels qu'engrais, pesticides et eau d'irrigation, qui étaient nécessaires pour tirer le maximum de ces variétés. La Révolution verte a atteint ses objectifs non seulement grâce à la recherche, mais aussi grâce à un ensemble de méthodes et d'intrants préconisés par les agences nationales et internationales, par les services de vulgarisation et par les sociétés privées.

Mais cette première Révolution verte avait ses points faibles:

Ce qu'il faut c'est une "Révolution doublement verte"

Points essentiels à considérer par les chercheurs:

  • La technologie conduira-t-elle à une plus grande productivité pour toutes les exploitations agricoles, tous les types de sols et toutes les régions, et pas seulement les mieux nantis?
  • Comment la technologie va-t-elle affecter la stabilité saisonnière et annuelle de la production?
  • Comment la technologie va-t-elle affecter l'écosystème et la durabilité de l'agriculture?
  • Qui gagnera et qui perdra du fait de cette technologie - et comment va-t-elle affecter les pauvres?

Ce qu'il faut maintenant c'est une deuxième révolution, doublement verte. Ses objectifs, comme pour la première, doivent comprendre l'accroissement de la productivité. Mais elle doit aussi viser la durabilité (en minimisant ou en réduisant les impacts de l'agriculture sur l'environnement) et l'équité (en s'assurant que les bienfaits de la recherche s'étendent jusqu'aux zones pauvres et marginales).

La productivité doit augmenter sur toutes les terres grâce auxquelles vivent les agriculteurs, et non pas seulement dans les régions bien dotées. Il faut développer davantage de variétés nouvelles, et de dispositifs pour leur exploitation, concernant des cultures autres que les trois céréales principales. De plus, le potentiel des méthodes respectant les ressources, comme la lutte intégrée, doit être exploité à fond.

La recherche pour cette nouvelle Révolution verte doit être véritablement pluridisciplinaire. Elle doit couvrir non seulement les sciences biologiques, dont le génie génétique aux côtés de l'amélioration des plantes et de l'agronomie traditionnelles, mais aussi le contexte socio-économique dans lequel l'agriculture est pratiquée. Et elle doit s'orienter non seulement sur les cultures et les animaux, mais aussi sur l'écologie de toutes les formes de vie au sein du système d'exploitation agricole. Parmi les domaines d'importance particulière en matière d'écologie il faut citer les interactions entre plantes, ravageurs et prédateurs, et la concurrence entre cultures et mauvaises herbes. Les systèmes radiculaires des plantes et la disponibilité d'éléments fertilisants et de matière organique dans le sol méritent aussi une plus grande attention.

Par dessus tout, on devra donner la priorité aux besoins des pauvres vivant dans les zones pluviales marginales, laissés pour compte par la première Révolution verte. Les chercheurs doivent engager un dialogue interactif avec tous les partenaires du processus de recherche, en particulier les agriculteurs, mais aussi les décideurs, la société civile et le grand public.

La recherche en vue de cette deuxième Révolution verte s'est déjà amorcée dans certains endroits. Ses premiers fruits ont prouvé qu'elle pouvait réussir, en particulier lorsque les agriculteurs participent activement à la conception et aux essais de la nouvelle technologie. Cependant, l'effort de recherche doit être considérablement renforcé et le défi d'une application à plus grande échelle des résultats de la recherche doit être affronté.

L'élevage: l'intensification et ses risques

La viande et les produits laitiers vont fournir une part croissante de l'alimentation humaine, la volaille connaissant la plus rapide expansion. La demande future peut être satisfaite, mais il faudra affronter les conséquences environnementales négatives d'une production accrue.

La production animale représente actuellement quelque 40 pour cent de la valeur brute de la production agricole mondiale, et sa part est en hausse. Ce secteur est le plus gros utilisateur de terres agricoles, directement sous forme de pâturages et indirectement pour la production de cultures fourragères et autres aliments du bétail. En 1999 quelque 3 460 millions d'ha étaient sous pâturages permanents, soit plus de deux fois la superficie des cultures arables et permanentes.

L'élevage ne fournit pas uniquement de la viande, mais aussi des produits laitiers, des oeufs, de la laine, du cuir et autres produits. Les animaux de ferme peuvent aussi être intégrés étroitement dans les systèmes agriculture-élevage comme utilisateurs des sous-produits des cultures et fournisseurs d'engrais organique, et la force du plus gros bétail peut être utilisée pour le labour et le transport.

L'impact de l'élevage sur l'environnement est considérable. L'essor de ce secteur a contribué dans une grande mesure à la déforestation dans certains pays, en particulier en Amérique latine. La surcharge pastorale peut causer l'érosion des sols, la désertification et une perte de biodiversité végétale. Les risques pour la santé publique sont accrus par l'intensification de la production animale urbaine et périurbaine. Les déchets d'élevages industriels peuvent polluer les eaux, et le bétail est l'une des principales sources de gaz à effet de serre.

Dans les régimes alimentaires, la viande gagne du terrain sur les aliments de base

Les trois dernières décennies ont vu de grands changements dans les régimes alimentaires humains. La part des produits animaux a augmenté, alors que celle des céréales et autres aliments de base a diminué. Et au sein du secteur de la viande, on a assisté à une hausse spectaculaire de la part de la volaille et, dans une moindre mesure, de la viande de porc. Ces tendances vont vraisemblablement se poursuivre au cours des 30 prochaines années, bien que d'une manière moins spectaculaire.

Au fur et à mesure que les revenus augmentent, les gens préfèrent généralement allouer une plus grande proportion de leur budget alimentaire à l'achat de protéines animales, et par conséquent la consommation de viande et de produits laitiers a tendance à augmenter plus rapidement que celle des cultures vivrières. Ainsi, les trois dernières décennies ont vu une croissance soutenue de la consommation de produits animaux, en particulier dans les pays nouvellement industrialisés.

Le secteur de la production animale est le plus gros utilisateur de terres agricoles: en 1999, les pâturages permanents occupaient quelque 3 460 millions d'ha, soit plus de deux fois la superficie des cultures arables et permanentes.

La consommation annuelle de viande par personne sur l'ensemble des pays en développement a plus que doublé entre 1964-66 et 1997-99, passant de 10,2 kg à 25,5 kg par an, soit une hausse annuelle de 2,8 pour cent. Si l'on exclut la Chine et le Brésil, la croissance est alors bien inférieure (de 10 kg à 15,5 kg). La hausse a été particulièrement rapide pour la volaille, la consommation par personne ayant plus que quintuplé. La consommation de porc a aussi fortement augmenté; toutefois la majeure partie de cette augmentation a eu lieu en Chine.

Cette hausse générale n'était pas également répartie: en Chine la consommation de viande a quadruplé au cours des deux dernières décennies, alors qu'en Afrique subsaharienne elle a stagné, à moins de 10 kg par personne. Les écarts de consommation de viande entre les pays peuvent être considérables en raison des différences de disponibilités ou d'habitudes alimentaires, y compris le rôle du poisson dans l'apport total de protéines animales. Par exemple, la consommation de viande en Mongolie s'élève à 79 kg par personne, mais au total les régimes alimentaires y sont extrêmement déficients et la sous-alimentation est répandue. La consommation de viande aux Etats-Unis d'Amérique et au Japon, deux pays aux niveaux de vie comparables, est de 120 kg et 42 kg par personne respectivement, mais leur consommation de poisson et de fruits de mer est de 20 kg et 66 kg par personne.

Il est possible que la croissance ralentisse à l'avenir

A l'horizon 2030, la tendance à une consommation accrue de produits animaux va se poursuivre dans les pays en développement. Cependant, la consommation tant de viande que de lait pourrait ne pas croître aussi vite à l'avenir que dans le passé récent, étant donné la marge d'augmentation limitée dans les grands pays consommateurs.

Dans les pays développés, les possibilités d'un accroissement de la demande sont restreintes. La croissance démographique est lente et la consommation de produits animaux est déjà très élevée. Dans un même temps, les inquiétudes concernant la santé et la sécurité sanitaire des aliments, centrées sur les graisses animales et sur l'émergence de nouvelles maladies telles que l'Encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) et la variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJv), ont contenu la demande de viande. La consommation totale de viande dans les pays industrialisés n'a augmenté que de 1,3 pour cent par an au cours des dix dernières années.

La consommation annuelle de viande par personne dans les pays en développement a plus que doublé entre 1964-66 et 1997-99, mais les écarts entre les pays sont importants.

Dans les pays en développement, la demande de viande s'est accrue rapidement au cours des 20 dernières années, à raison de 5,6 pour cent par an. Selon les projections, ce taux va diminuer de moitié au cours des deux prochaines décennies. Ce fléchissement sera dû en partie à une croissance démographique plus lente et en partie au même facteur qui est en jeu dans les pays développés: les pays qui ont dominé les hausses passées, comme la Chine et le Brésil, ont maintenant atteint des niveaux de consommation assez élevés et la marge d'augmentation à l'avenir est limitée. En Inde, qui va rivaliser avec la Chine pour le titre de pays le plus populeux au monde dans les années 2040, la croissance de la consommation de viande pourrait être freinée non seulement par la prédominance continue de faibles revenus, mais aussi par des facteurs culturels, car une grande partie de la population indienne restera vraisemblablement végétarienne. Cependant, on prévoit que la consommation de produits laitiers en Inde va continuer d'augmenter rapidement, en poursuivant les progrès accomplis au cours des 30 dernières années. En Afrique subsaharienne, la lenteur de la croissance économique va limiter la hausse de la consommation de viande tout comme celle de produits laitiers.

L'augmentation de la consommation de volaille promet de continuer, bien qu'un peu plus lente-ment que par le passé: d'une moyenne mondiale de 10,2 kg par personne en 1997-99, elle va monter à 17,2 kg d'ici 2030. On prévoit des augmentations beaucoup moins importantes de la consommation mondiale par personne de viande de porc et de boeuf.

Consommation mondiale moyenne de viande par personne, de 1964-66 à 2030


Source: données et projections FAO

Troupeaux plus grands, animaux plus lourds

Etant donné la croissance plus lente de la demande, la production animale va également croître plus lentement que dans le passé. De plus, grâce à l'efficacité accrue du secteur, cette demande supplémentaire pourrait être satisfaite par un plus petit nombre d'animaux. En chiffres absolus, cependant, le nombre d'animaux augmentera encore considérablement. Les projections indiquent un nombre supplémentaire de bovins et de buffles de 360 millions, de moutons et de chèvres de 560 millions, et de porcs de 190 millions d'ici 2030, soit des hausses de 24, 32 et 22 pour cent respectivement.

Cependant, il devrait s'avérer possible de satisfaire une grande partie de la demande supplé-mentaire en augmentant la productivité plutôt que le nombre d'animaux. Les possibilités sont énormes dans les pays en développement, en particulier en ce qui concerne la productivité des bovins. En 1997-99 le rendement de viande de boeuf par animal dans les pays en développement était de 163 kg contre 284 kg dans les pays industrialisés, les rendements laitiers moyens étant, respectivement, de 1,1 et 5,9 tonnes par an et par vache.

La sélection et l'amélioration des races, ainsi que de meilleurs régimes d'alimentation, pour-raient conduire à un engraissement plus rapide et à la production de plus gros animaux. Le poids moyen à l'abattage pour les bovins, par exemple, est passé de 174 kg en 1967-69 à 198 kg 30 ans plus tard; d'ici 2030, il pourrait atteindre 211 kg. Le taux d'exploitation devrait également augmenter, car les animaux seront prêts à vendre plus tôt.

L'intensification de la production va se poursuivre

On peut s'attendre à la poursuite de l'évolution des méthodes de production, les systèmes de pâturage extensif étant progressivement délaissés au profit des méthodes plus intensives et industrielles.

Le pâturage assure toujours 30 pour cent de la production totale de boeuf, mais sa part de marché est en baisse. En Amérique du Sud et centrale, les animaux paissent souvent sur des terres défrichées dans les forêts tropicales humides, ce qui favorise la dégradation des sols et la poursuite de la déforestation. Dans les milieux semi-arides, la surcharge pastorale en période sèche entraîne fréquemment des risques de désertification, bien qu'on ait prouvé que les pâturages récupèrent vite après le départ des animaux et le retour de bonnes pluies.

Ces dernières années, la production animale provenant d'entreprises industrielles a augmenté deux fois plus vite que celle issue des systèmes de polyculture plus traditionnels et plus de six fois plus vite que celle assurée par les systèmes pastoraux.

Le système mixte agriculture-élevage, où le bétail fournit le fumier et la puissance de traction en plus du lait et de la viande, prédomine encore dans le cas des bovins. Au fur et à mesure que les populations et les économies vont se développer, ces formes d'exploitation à buts multiples auront tendance à laisser la place à des entreprises plus spécialisées.

Là où les terres se font rares, on assiste à l'émergence de systèmes plus intensifs d'élevage en stabulation. Dans ces systèmes, le fourrage est coupé et amené aux animaux à l'étable, ce qui limite les dommages causés aux sols et permet un engraissement plus rapide. On peut s'attendre aussi à ce que cette tendance se poursuive et s'intensifie.

La demande croissante de produits animaux présente une opportunité pour les 675 millions de ruraux pauvres qui dépendent de l'élevage pour améliorer leurs moyens d'existence.

Les types de production plus industrielle et commerciale vont augmenter progressivement en nombre et en envergure. Ces entreprises intensives auront recours à un matériel génétique amélioré, à des systèmes d'alimentation perfectionnés, à des moyens prophylactiques pour la santé animale et à une gestion hautement spécialisée. Ces dernières années, la production animale industrielle a connu une croissance deux fois plus rapide que les systèmes de polyculture traditionnels et six fois plus rapide que la production basée sur le pâturage. Au tournant du siècle, les élevages industriels représentaient 74 pour cent, 68 pour cent et 40 pour cent respectivement de la production mondiale totale de volailles, d'oeufs et de viande de porc.

Les tendances actuelles vers une production industrielle et commerciale pourraient représenter une menace pour les pauvres vivant de l'élevage, estimés au nombre de 675 millions. A moins que des mesures spéciales ne soient prises, ils auront plus de mal à faire face à la concurrence et risquent d'être davantage marginalisés, sombrant dans une pauvreté encore plus profonde. Et pourtant, avec des politiques convenables, la croissance future de la demande de produits animaux offrirait aux familles pauvres la possibilité de revenus et d'emplois supplémentaires. En raison de ses faibles coûts d'investissement, et de sa capacité à utiliser les déchets et les ressources communautaires, la production animale permet aux familles pauvres d'accumuler les actifs et de diversifier les risques, outre le fait qu'il s'agit d'une source précieuse de produits qui améliorent à la fois les revenus monétaires et la nutrition de la famille. Les politiques susceptibles d'aider les pauvres à entrer et subsister sur le marché en expansion des produits animaux incluent la fourniture de crédits à bon marché, d'une assistance technique (en particulier en ce qui concerne les questions de santé animale et de qualité) et un meilleur accès aux marchés grâce à des infrastructures et à des institutions améliorées.

Problèmes d'environnement et de santé

Les systèmes commerciaux et industriels présentent pour l'environnement des problèmes différents de ceux que posent les systèmes extensifs. La concentration des animaux, particulièrement en milieu urbain, entraîne des problèmes d'évacuation des déchets et de pollution. Les densités plus élevées d'animaux et le transport des bestiaux à des marchés plus éloignés font souvent violence au comportement animal naturel, ce qui engendre un état d'angoisse. Le commerce accru de produits animaux et d'aliments du bétail multiplie les risques de transmission des maladies, tant à l'intérieur des frontières que d'un pays à l'autre. Ceci s'applique à la fois aux maladies qui n'affectent que le bétail, telles que la fièvre aphteuse, et à celles qui touchent les humains comme les animaux, telles que la grippe aviaire.

Le commerce accru de produits animaux et d'aliments du bétail multiplie les risques de transmission des maladies, à la fois à l'intérieur des frontières, et d'un pays à l'autre.

Les maladies animales infectieuses comme la peste bovine ou la fièvre aphteuse constituent toujours de sérieuses menaces dans les pays en développement. Avec la croissance du commerce, elles peuvent se répandre plus rapidement, même dans les pays développés. Les programmes d'éradication délaissent les stratégies de lutte d'envergure nationale pour se tourner vers des méthodes mieux ciblées et plus souples, dans le but de mieux rentabiliser la lutte.

Dans les régions humides et subhumides d'Afrique, la trypanosomiase (maladie du sommeil) constitue un handicap énorme pour la santé humaine et la production bovine. Les médicaments trypanocides, la pulvérisation aérienne, les moustiquaires et pièges imprégnés et l'utilisation d'insectes stériles donnent espoir de pouvoir rendre à l'exploitation mixte les zones infestées. Ceci améliorera la santé et la nutrition humaine, ainsi que la production animale et végétale.

Les élevages industriels utilisent beaucoup d'antibiotiques. Cette pratique a contribué à une résistance aux antibiotiques parmi les bactéries, y compris celles qui causent les maladies humaines. Une résistance aux antihelminthiques est en train d'émerger chez les parasites du bétail. Les élevages industriels utilisent également des hormones de croissance pour accélérer l'engraissement et améliorer l'efficacité de la conversion de l'aliment en viande. Les inquiétudes du grand public ont conduit à des restrictions d'utilisation dans l'UE, bien qu'un impact négatif sur les êtres humains n'ait pas été prouvé.

Les promesses et les risques de la biotechnologie

La biotechnologie aura un effet profond sur l'avenir de la production animale. Certaines applications biotechnologiques sont déjà en usage, alors que d'autres font encore l'objet de recherches.

L'insémination artificielle, technique déjà courante dans les pays développés, va s'étendre dans les pays en développement. Elle peut améliorer considérablement l'efficacité de l'amélioration animale.

Le clonage de cellules de mammifères pourrait aussi augmenter la productivité et le rendement, en particulier pour les troupeaux laitiers dans les pays développés. Cependant, il faudra résoudre les problèmes associés à cette technologie: actuellement 2 à 5 pour cent seulement des tentatives de clonage d'animaux réussissent, et les animaux clonés développent souvent de sérieux problèmes de santé.

Les rapides progrès effectués quant à la compréhension de la constitution génétique des animaux fourniront un potentiel supplémentaire d'accroissement de la productivité. Les gènes qui sont importants pour la performance économique, comme ceux qui favorisent la résistance aux maladies ou l'adaptation à des conditions environnementales adverses, peuvent être identifiés et transférés dans des milieux plus productifs, soit par le biais d'une sélection assistée par marqueurs, soit par la modification génétique. Ces applications pourraient se révéler particulière-ment utiles dans les pays en développement.

Les animaux génétiquement modifiés ont été jusqu'ici utilisés principalement pour la recherche biomédicale ou la production de protéines humaines. Des bovins, des moutons, des porcs et des poulets génétiquement modifiés sont actuel-lement produits dans un cadre expérimental, dans l'intention de les utiliser par la suite pour la consommation humaine. Les consommateurs ont déjà montré leur résistance à l'utilisation de produits alimentaires génétiquement modifiés pour la consommation humaine directe, mais des produits issus d'animaux nourris avec du maïs, du soja et des tourteaux de graines de coton génétiquement modifiés sont déjà sur le marché.

Les principaux risques de la modification génétique tiennent à ses possibles effets secondaires sur l'environnement ou sur la santé humaine. Ces risques sont particulièrement prononcés si l'on n'effectue pas suffisamment d'essais avant la mise à disposition générale des produits ainsi modifiés. On court également le risque de rétrécir la base génétique et d'en remettre le contrôle principalement entre les mains de grosses multinationales. Près de 5 000 races et variétés d'animaux de ferme ont été identifiées. Parmi celles-ci, quelque 600 sont menacées d'extinction et beaucoup plus encore risquent d'être en danger si la base de ressources génétiques n'est pas préservée.

La "Révolution blanche" de l'Inde

Lancée en 1970, l'Operation Flood en Inde a eu sur les revenus ruraux et les prix des produits alimentaires un impact comparable à celui de la "Révolution verte". Elle a totalement transformé le secteur laitier de l'Inde.

La consommation de lait par personne était en baisse: de 39 kg en 1961 elle était passée à 32 kg seulement en 1970. Depuis lors, elle a augmenté rapidement, atteignant 65 kg par personne en 1999. Le prix du lait à la consommation a chuté, alors que les revenus des élevages laitiers en Inde ont quadruplé.

L'Operation Flood a été créée et dirigée par des institutions nationales avec le soutien de la Banque mondiale et de l'UE. On a commencé par vendre l'aide alimentaire et les bénéfices ont servi à consolider les coopératives laitières et la gestion des petites exploitations. Les vaches locales ont été croisées avec des espèces laitières spécialisées, afin de produire un animal à la fois robuste et productif adapté aux conditions locales. L'insémination artificielle, des services vétérinaires et d'autres intrants ont été fournis, ce qui a permis d'améliorer les rendements laitiers, de prolonger les périodes de lactation et de réduire les intervalles entre vêlages. L'Operation Flood a aussi concentré ses efforts sur l'amélioration de l'accès des petits producteurs aux marchés, en ouvrant de nouvelles voies de commercialisation pour les éleveurs ruraux isolés et en réduisant ainsi tant la nécessité d'intermédiaires que les variations saisonnières du prix du lait, qui avaient auparavant découragé les éleveurs. Des centres de ramassage et de réfrigération du lait ont été mis en place pour minimiser les pertes dues à la détérioration.

L'Operation Flood a considérablement aidé les pauvres des milieux ruraux en Inde. Trois cinquièmes des 9 millions d'éleveurs ayant participé à cette opération sont de petits exploitants ou des exploitants marginaux ou sans terre. L'impact sur les femmes a été particulièrement marqué. Six mille Coopératives laitières féminines villageoises ont été établies. Comme les femmes se sont mises à la production laitière, elles ont libéré des emplois, en particulier sur les chantiers de construction où elles travaillaient tradition-nellement comme ouvrières non spécialisées. L'argent gagné grâce à l'activité laitière a permis d'envoyer les enfants à l'école. Les soeurs aînées, n'ayant plus à rester à la maison pour s'occuper des plus jeunes enfants, peuvent maintenant choisir de continuer leur éducation.

 

Les céréales utilisées comme aliment du bétail: menace ou soupape de sécurité?

Au total, quelque 660 millions de tonnes de céréales sont utilisées chaque année pour l'alimentation animale. Ceci représente un peu plus du tiers du volume total de céréales utilisées dans le monde.

Cet usage des céréales est souvent perçu comme une menace pour la sécurité alimen-taire, car il semble retirer du marché des produits alimentaires essentiels qui pourraient autrement être mis à la disposition des pays et des familles pauvres, faisant ainsi augmenter les prix des produits alimentaires. Cependant, il est important de se rendre compte que si ces céréales n'étaient pas utilisées comme aliments pour le bétail, elles ne seraient sans doute pas produites du tout, et par conséquent elles ne seraient toujours pas disponibles comme vivres.

En réalité, il se peut que l'utilisation de céréales pour l'alimentation animale améliore la sécurité alimentaire. Le secteur de l'élevage commercial réagit aux prix des céréales: lorsque les pénuries font monter les prix, les éleveurs ont tendance à choisir d'autres aliments, libérant ainsi davantage de céréales pour la consommation humaine. En consé-quence, il se peut que l'utilisation des céréales pour l'alimentation humaine soit moins réduite qu'elle ne l'aurait été autrement. En bref, l'utilisation des céréales comme aliment du bétail tient lieu de tampon, qui protège la consommation alimentaire contre les fluc-tuations des disponibilités.

Ces dernières années, l'utilisation des céréales pour l'alimentation animale a propor-tionnellement décliné. Une des raisons de ce fléchissement est l'utilisation croissante de substituts dans les rations du bétail. Une autre est l'effondrement du secteur de l'élevage dans les pays en transition, qui a conduit à une demande réduite d'aliments pour le bétail. Le basculement de la production de viande vers la production de volailles, qui convertissent les aliments en chair beaucoup plus efficacement que les autres espèces, est un troisième facteur.

On prévoit une croissance plus rapide de l'utilisation des céréales pour l'alimentation du bétail au cours des trois prochaines décennies que dans le passé récent; elle compterait pour moitié de l'utilisation supplémentaire de céréales. Ceci est dû en partie à la reprise de la croissance agricole des économies en transition, et en partie au ralentissement prévisible du basculement vers la volaille.

 

Consommation de lait en Inde, de 1961 à 1999


Source: données FAO




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