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La conservation communautaire de la biodiversité
des forêts denses en Afrique de l'Est est-elle viable?

W.A. Rodgers, R. Nabanyumya, E. Mupada et L. Persha

Les auteurs font partie du projet
"Réduire la perte de biodiversité
dans les sites transfrontaliers d'Afrique
de l'Est" - W.A. Rodgers et L. Persha à
Arusha (République-Unie de Tanzanie),
et R. Nabanyumya et E. Mupada à
Kampala (Ouganda).

Les communautés ont besoin de mesures d'incitation pour conserver la biodiversité - quelques exemples du projet FEM-PNUD-FAO "Réduire la perte de biodiversité dans les sites transfrontaliers en Afrique de l'Est".

La biodiversité peut être définie en termes utilitaires comme le sou- tien de la base de ressource variée qui permet aux économies des ménages et des pays d'une grande partie du continent africain de réagir. La gestion de ces ressources - qui procurent de la nourriture, un abri, de l'énergie et des revenus - implique la conservation de leur diversité à divers niveaux, tout en permettant à leurs processus évolutifs et écologiques de se perpétuer. Conserver la biodiversité des forêts équivaut à sauvegarder les conditions écologiques adaptées au couvert forestier. La gestion des forêts pour la biodiversité est compatible avec la gestion pour le captage de l'eau et, si elle est bien planifiée, pour la production de toute une gamme de produits.

Si les communautés locales reconnaissent de quelle façon elles peuvent tirer avantage des produits et services offerts par les forêts, elles seront motivées pour modifier leurs pratiques d'utilisation des ressources et des terres et investir du temps et des efforts dans les activités de conservation des forêts. Les auteurs suggèrent que si l'on offre aux communautés un environnement propice et des avantages, elles sont à même de gérer les forêts et les ressources boisées pour leur biodiversité.

Cet article examine la gestion communautaire ou participative ("cogestion") des forêts denses pour leurs valeurs de biodiversité. Il décrit plusieurs processus de conservation faisant intervenir différentes mesures d'incitation qui ont été testées dans le projet "Réduire la perte de biodiversité dans les sites transfrontaliers de l'Afrique de l'Est", financé par le Fonds pour l'environnement mondial (FEM) par le biais du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), et mis en œuvre par la FAO et les Gouvernements du Kenya, de l'Ouganda et de la République-Unie de Tanzanie. L'article amplifie le débat en cours sur le mécanisme et l'impact de la gestion participative des ressources forestières en Afrique orientale.

Le feu et le défrichement pour faire place à l'agriculture mettent en jeu les cultures sur pente raide qui confinent avec la Réserve forestière de Chome en République-Unie de Tanzanie. Le projet de biodiversité transfrontalière a travaillé avec les villageois pour défricher chaque année la lisière de la forêt afin d'empêcher les feux de préparation des terres de se propager dans la forêt -

L. PERSHA

RAPPEL HISTORIQUE: LES COMMUNAUTÉS ET LA CONSERVATION DES FORÊTS EN AFRIQUE

L'histoire des interactions communautés-forêts depuis l'âge du fer en Afrique peut être divisée en trois périodes (Rodgers, 1993; Wily et Mbaya, 2001):

Avant la colonisation, les gens utilisaient clairement les ressources forestières comme le montre le fort recul du couvert forestier en Afrique de l'Est à mesure que l'âge de fer prenait pied du nord-ouest (Hamilton, 1984). On a trouvé des témoignages de conservation des ressources naturelles; les ressources limitées, comme les sources d'eau et les pâturages de la saison sèche, étaient gérées grâce à des règles, des règlements et des sanctions communautaires. Les forêts étaient également conservées, mais avant tout pour une valeur autre que les ressources qu'elles renfermaient: elles servaient de refuge, et assumaient souvent des vocations religieuses. Les Wa-jikenda des forêts côtières du Kenya, par exemple, protégeaient les kayas (parcelles forestières), pour motifs religieux.

La période coloniale a été caractérisée par une scission délibérée des communautés de l'utilisation juridique ou de l'accès aux forêts denses, car l'autorité coloniale réservait les forêts pour la fourniture d'eau et de bois d'œuvre pour l'Etat (Rodgers, 1993; Newmark, 2002). Une grande partie du domaine forestier d'Afrique de l'Est était classée avant la Première Guerre mondiale. Après l'indépendance, la plupart des gouvernements n'ont pas interrompu les pratiques coloniales, fermant plus de forêts et excluant des populations plus nombreuses. Mais petit à petit, les institutions forestières publiques ont perdu leurs financements et la capacité de conservation, ce qui s'est traduit par une rapide dégradation de la forêt.

Plus récemment, des changements sont intervenus dans la foresterie en Afrique de l'Est, comme ailleurs sous les tropiques, avec l'apparition d'une gestion communautaire des forêts (gestion conduite par les communautés, généralement sur des terres collectives) et cogestion forestière (où les droits de propriété et de gestion sont détenus en commun par les communautés et l'Etat). Cette évolution dans les politiques de gestion a démarré lentement en Afrique de l'Est, et s'inspirait beaucoup de l'expérience indienne. L'acceptation du concept a été lente mais, comme ailleurs, l'échec de plus en plus évident de la foresterie gouvernementale ne disposant pas de fonds suffisants a donné une crédibilité à d'autres solutions - essentiellement pour la gestion des forêts et des terres boisées de valeur localisée.

Les forêts ont perdu leur valeur de biodiversité au cours du dernier siècle de gestion, essentiellement sous le contrôle du gouvernement (Burgess et Clarke, 2000; Hamilton, 1984; Hamilton et Bensted-Smith, 1990; Howard, 1991; Lovett et Wasser, 1993; Newmark, 2002). Au début, la perte était délibérée car le domaine forestier était géré pour la production de bois d'œuvre et quelques essences de valeur étaient favorisées. La coupe sélective servait à éliminer les plantes grimpantes, les figuiers et ce que l'on appelait "les arbres indésirables". Comme on considérait que les forêts naturelles avaient des rythmes lents de recrû des arbres de haute futaie, certaines furent remplacées par des plantations de bois résineux exotiques.

Buts potentiellement divergents pour l'aménagement des forêts et leurs paramètres de succès

Buts

Paramètres de succès pour ces buts

Conservation des espèces

Maintien des services de l'écosystème
Moyens d'existence

Pas de baisse systématique des populations

Maintien de la productivité principale et du cycle des substances nutritives
Maintien des typologies paysagères
Maintien de la capacité des bassins versants

Populations non menacées d'extinction

Maintien de la disponibilité des ressources
Réduction de la pauvreté et accroissement du revenu par habitant
Participation accrue des populations locales à la gouvernance

LES COMMUNAUTÉS LOCALES DEVRAIENT-ELLES GÉRER LES FORÊTS À LA BIODIVERSITÉ ÉLEVÉE?

Une grande partie de l'expérience de l'Afrique de l'Est en matière de co-gestion a été acquise avec des forêts qui offrent des biens et des services à valeur essentiellement locale. Il s'agit souvent de forêts claires résistantes plutôt que de forêts sempervirentes denses. Un exemple est la gestion villageoise conjuguant l'utilisation soutenue des ressources de miombo (Brachystegia spp.) et des mesures de réduction de la dégradation en République-Unie de Tanzanie - principalement par le maintien de l'ordre et la lutte contre les incendies (Wily, 1996).

Le débat sur la cogestion des forêts comporte la question fondamentale de savoir si les protocoles de cogestion mis au point pour ces boisements peuvent être appliqués aux forêts de grande complexité biologique qui revêtent une importance mondiale et nationale pour la conservation de l'eau et de la biodiversité. Ce débat s'est fait jour dans la première moitié des années 90, avec l'examen de la participation des communautés dans l'aménagement des forêts du Parc national de Bwindi en Ouganda (Cunningham, 1996; Wild et Mutebi, 1996) et des forêts denses de l'Arc oriental en Tanzanie (Rodgers et Aloo, 1996) - un patchwork de forêts morcelées dans 11 blocs de montagne, reconnus comme un des 25 "points chauds" de biodiversité du globe (Myers et al., 2000), c'est-à-dire des zones renfermant une forte concentration de diversité. Le débat n'est toujours pas clos; tandis que les protocoles du miombo sont inclus dans les codes nationaux de "meilleures pratiques" en République-Unie de Tanzanie (Gouvernement tanzanien, 2001), de nombreux responsables forestiers nationaux s'opposent à leur application pour les forêts denses des montagnes de l'Arc oriental.

L'opposition se fonde sur les postulats suivants:

Toutefois, exclure les communautés du processus de conservation serait vraisemblablement voué à l'échec. Il faut parvenir à des solutions de compromis.

L'expérience suggère que la cogestion peut être efficace s'il existe des mesures suffisantes incitant les communautés à investir dans la conservation dans un cadre acceptable aux responsables politiques. En termes de durabilité, l'appui d'un projet à court terme n'a pas une grande utilité dans la modification des mécanismes d'utilisation des ressources; la mise au point d'incitations économiques aura un impact plus durable (DGIS/WWF, 2001).

L'expérience de 10 années de gestion conjointe des forêts en Inde a montré la complexité de la gestion polyvalente des forêts rassemblant de multiples essences. Fixer des objectifs de rendement soutenu et viser des objectifs de régénération de produits multiples demande une formation plus poussée du personnel de terrain, de nouvelles recherches et de nouvelles directives sylvicoles. Les communautés ont voulu gérer leurs forêts pour une variété de produits - non seulement le bois d'œuvre traditionnel, les perches et les produits du bois de feu, mais aussi les pâturages, les fruits, les médicaments, les champignons, les fibres, les gommes, etc. - mais il leur manquait les techniques et la cohésion sociale pour convenir d'apports de gestion (Poffenberger, 1990).

ÉTUDES DE CAS SUR LA CONSERVATION COMMUNAUTAIRE DE LA BIODIVERSITÉ

La section suivante décrit des programmes de conservation faisant intervenir différentes mesures d'encouragement, du projet PNUD-FEM-FAO "Réduire la perte de biodiversité dans les sites transfrontaliers en Afrique de l'Est". Le projet repose sur quatre zones d'écosystèmes transfrontaliers de forêts denses (voir carte). Les forêts revêtent une importance mondiale (biodiversité), nationale (eau, bois d'œuvre et biodiversité) et locale (ressources ligneuses et non ligneuses pour les moyens d'existence), mais sont menacées du fait de la capacité réduite de réglementation des institutions, de la surexploitation des ressources et du défrichement. La philosophie du projet est de travailler à tous les niveaux décisionnels d'utilisation des ressources, du ménage (sensibilisation, autres solutions) au village (arrêtés, pression des pairs, marchés), au district (directives d'utilisation des terres, programmes de financement) et à l'échelon national (politiques et législation).

Les activités centrales du projet sont la mise au point de plans de gestion participative et la promotion d'une cogestion par le gouvernement et les communautés pour conserver les ressources forestières et les utiliser dans une optique durable. Les populations sont considérées comme une partie intégrante de la solution au problème. Etant donné que les problèmes, les intérêts et les solutions potentielles diffèrent d'un site à l'autre, les solutions doivent être propres au site, même si l'on peut utiliser des cadres de base pour orienter les actions dans l'ensemble des sites.

Les quatre sites transfrontaliers du projet "Réduire la perte de biodiversité dans les sites transfrontaliers d'Afrique de l'Est"

Gestion traditionnelle des ressources naturelles par la communauté Ik, Karamoja, Ouganda

Karamoja, situé au nord-est de l'Ouganda, est essentiellement plat avec des sommets boisés s'élevant jusqu'à 2 500 m. Les précipitations sont faibles et irrégulières et, dans certaines zones, elles atteignent moins de 400 mm par an. Une grande partie du Karamoja est recouverte de prairies et de brousse/boisements dégradés par de nombreuses années de pacage. Les récents établissements sur les flancs de la montagne ont un impact tant sur la forêt que sur les ressources en pâturage.

Les principaux groupes ethniques du Karamoja sont les Karimojong, les Tepeth, les Dodoth, les Pokot et les Ik. Les Ik sont pratiquement confinés dans les forêts de montagne Timu du nord de Karamoja. Ils sont tributaires de la diversité des espèces que l'on trouve dans les écosystèmes forestiers pour satisfaire leurs exigences de base comme la nourriture, le bois de feu, les médicaments, la viande, le miel et l'eau. A la fin des années 90, certains membres du peuple Ik se sont déplacés dans la forêt plus reculée Morungole pour échapper aux fréquents pillages de bétail entre les communautés voisines Dodoth et Turkana.

Les Ik sont parmi les groupes ethniques les moins avancés du point de vue socioéconomique en Ouganda, avec un taux d'alphabétisme de 29 pour cent. Ils n'ont ni bétail ni fusils. Les Ik pratiquent l'agriculture dans de petites enclaves de la forêt depuis plusieurs générations. Leurs moyens d'existence tirés de l'agriculture sont fragiles en raison des sécheresses récurrentes et des raids des groupes voisins. Ils complètent leur production agricole par la chasse du gibier, la cueillette des fruits et du miel. Chaque famille Ik a au moins une ruche. Une partie du miel est vendue dans les marchés voisins.

Les Ik sont une communauté organisée qui a un fort esprit de groupe. Dans un exercice de planification forestière participative effectué dans le cadre du projet de biodiversité transfrontalière, les Ik ont fait preuve de grandes connaissances sur les ressources forestières et la gestion de ces ressources. Ils ont établi des directives pour les régimes de feux, la coupe des arbres et la récolte des graminées. Ils ont exprimé leur dépendance à l'égard de la forêt par rapport à quatre exigences principales: sécurité, terres agricoles, eau et revenus. Ils ont également identifié les autres valeurs dérivées de la forêt comme suit:

Tout en appréciant les valeurs de la forêt, les Ik ont également reconnu la nécessité d'atténuer les dangers, comme:

Les pratiques des Ik ne perturbent généralement pas la forêt. Ils ne coupent pas les grands arbres, préférant tailler les branches. S'ils ont besoin de cueillir des fruits ou du miel, ils grimpent sur les arbres, au contraire d'autres groupes de Karimoja qui ont des pratiques plus destructrices. Les Ik ne brûlent pas le charbon de bois et n'allument pas de feux de forêt car ils utilisent la forêt pour stocker les céréales, exploiter les ruches et comme refuge en cas d'insécurité.

Les Ik savent que les forêts qu'ils utilisent sont officiellement des zones protégées depuis les années 40. Si la législation forestière a été en vigueur pendant des décennies autour de Timu et Morungole, le Département des forêts n'a guère été présent depuis la démarcation originale de l'aire protégée par le gouvernement colonial. Néanmoins, compte tenu de la valeur que les Ik attachent à la forêt, les forêts sont demeurées quasiment intactes, contrairement aux forêts de Karamoja comme Moroto, où le couvert forestier a été dégradé par des feux, un usage abusif et un grave défrichement pour faire place à l'agriculture.

La hiérarchie du pouvoir garantit que chacun respecte des règles sociales d'aménagement forestier. L'interdiction des feux est une loi traditionnelle assortie de sanctions. Aucun incendie n'a été déclenché par un membre du groupe. Les Ik se préoccupent des feux allumés à Timu par les envahisseurs Turkana et Dodoth, qui détruisent leurs moyens d'existence.

Les Ik ont une responsabilité collective pour l'accès et l'utilisation des ressources. Il n'existe pas de système de permis. Les communautés sont organisées au sein d'établissements, chacun ayant un accès aux ressources de la forêt adjacente. Ils peuvent également accéder à des ressources éloignées, mais en raison du péril d'attaques par d'autres groupes ethniques, ils le font rarement. Comme ils ont tout intérêt à conserver les ressources à proximité de leurs habitations, ils s'efforcent de causer le moins de dégâts possibles en ramassant le bois et les produits non ligneux.

L'idée de participer aux interventions et aux partenariats externes comme le projet de biodiversité transfrontalier enthousiasme les Ik. Les communautés locales ont tracé et dégagé les bordures de la Réserve forestière Timu avec un minimum d'apports du projet. Chaque établissement a pris possession des portions de lisière les plus proches. Les membres de la communauté s'occupent des arbres témoins plantés par le projet le long de la frontière, les arrosent et les couvrent de paillis durant la saison sèche. Le projet, bénéficiant de fonds supplémentaires du PNUD, a fourni des éoliennes en bordure de la réserve pour pomper l'eau de nouveaux puits, car les Ik devaient souvent parcourir des kilomètres pour aller chercher de l'eau. Cette mesure devrait enclencher d'autres contrats sociaux pour la conservation des forêts, y compris la prévention des feux et les signalements d'utilisation illicite.

L'utilisation de l'eau pour inciter à la conservation des forêts

Beaucoup des sites forestiers de frontière sont arides ou souffrent de saisons sèches prolongées. Les bassins versants forestiers sont importants pour l'alimentation en eau des villages locaux et d'autres communautés et assurent la subsistance de tout un éventail de communautés biologiques, aussi l'eau est-elle une ressource fondamentale. La logique du projet repose sur l'élaboration de contrats sociaux avec les villageois (Gouvernement tanzanien, 2001), énonçant les droits et les responsabilités de cogestion des zones boisées, partant du principe qu'il y a tout intérêt à ce que les fonctions de bassin versant se perpétuent pour maintenir les conditions de vie. Le bassin versant définit le domaine global d'intérêt de la communauté, au sein duquel des règles d'utilisation des ressources sont convenues et inclues dans le contrat social. L'utilisation va de l'écotourisme (mont Shengena dans la forêt de Chome en République-Unie de Tanzanie, les collines Taita et le mont Namanga au Kenya) aux pâturages de montagne (Karamoja et Turkana), à la cueillette de produits (produits médicinaux, bois de feu, poteaux, chaume et fibre).

Les contrats conclus avec les villages sont insérés dans le cadre plus étendu d'un Plan d'aménagement participatif des forêts. Ce plan remodèlera une partie des grandes forêts comme les Réserves naturelles forestières. Il prévoit l'écotourisme, mais exclut l'extraction des ressources; les droits d'accès dans d'autres zones de la forêt peuvent comprendre une extraction sélective des ressources. Un soutien additionnel au processus de conservation vient de la philosophie de conservation et de développement intégrés du projet (voir encadré). Le plan d'aménagement est élargi pour inclure d'autres stratégies d'utilisation des ressources, par exemple la promotion de fourneaux économes en combustible et de bosquets familiaux pour réduire l'utilisation du bois de feu, et la promotion de la production à la ferme de perches et d'arbres de haute futaie (cette dernière activité est envisagée dans une perspective de plus longue haleine). Le plan affrontera également la nécessité d'autres stratégies rémunératrices.

Perspectives du bois d'œuvre à long terme - les forêts des marais de Minziro-Sango Bay

Minziro-Sango Bay est un système de marais à cheval sur la frontière entre la Tanzanie et l'Ouganda, constitué de grandes prairies de plaine alluviale entourant des peuplements forestiers sempervirents. La bordure de la forêt est victime des effets des feux annuels d'herbages. Un des thèmes les plus complexes liés à la cogestion de ces zones boisées est l'accès au bois d'œuvre de valeur commerciale. Les revenus monétaires sont une priorité pour de nombreuses communautés des forêts reculées, et le bois d'œuvre pourrait satisfaire cette exigence. Toutefois, le Gouvernement tanzanien a interdit toute exploitation commerciale dans toutes les forêts de montagne, il y a une quinzaine d'années (Tanzania Forest Conservation Group, 2001). Inscrire l'exploitation durable dans les contrats de village n'est pas un choix juridique. L'exploitation limitée est autorisée pour le développement communautaire, mais pas suffisamment pour procurer des revenus monétaires ou des emplois véritables. Le problème est comment équilibrer la conservation communautaire de l'eau et les impératifs des forêts sacrées avec la demande individuelle de bois d'œuvre.

A Minziro et Sango Bay, l'exploitation commerciale intensive du passé, sans critères de gestion, a détruit complètement une population de podo (Podocarpus spp.). Aujourd'hui, il n'y a pas d'arbres de taille commercialisable. Toutefois, une essence moins précieuse de bois d'œuvre (Bakiaea spp.) constitue quelque 25 pour cent de la couverture. Le projet transfrontalier travaille avec les communautés pour mettre au point des techniques de sciage en long pour cette espèce et des règlements de récolte dans les zones d'utilisation du village en bordure du vaste système de marais forestiers (Rodgers, Nabanyumya et Salehe, 2002). Cependant, si l'on veut que la production de bois d'œuvre serve d'incitation à l'aménagement à long terme, le projet devra veiller à ce que l'ensemble de la communauté en tire des avantages, et non pas juste quelques experts de sciage en long ou intermédiaires.

Projets intégrés de conservation et de développement

Au début des années 90, les projets intégrés de développement et de conservation (PIDC) étaient considérés comme la panacée pour surmonter les échecs des initiatives de développement rural et renforcer l'opposition rurale accrue aux projets de conservation des aires protégées. On partait de l'hypothèse que si les communautés vivant aux alentours des zones protégées devaient tirer des bénéfices de la zone en question, ainsi qu'une amélioration de leurs moyens d'existence, les communautés seraient alors plus enclines à soutenir les initiatives de conservation. La notion était louable mais naïve, comme allait le démontrer une décennie d'analyse. L'évaluation de la première série de projets n'a guère donné d'informations suffisantes sur les paramètres de moyens d'existence ou de conservation pour pouvoir en évaluer l'impact.

L'analyse d'une deuxième série de projets, incorporant les enseignements tirés, a montré que le plus grave écueil était le lien insuffisant entre conservation et développement. Si les gens tiraient parti du soutien à leurs moyens d'existence, il n'existait aucun lien institutionnel vers les organismes ou les buts de conservation. Les leçons apprises ont montré la nécessité d'améliorer les politiques institutionnelles et de renforcer la capacité des communautés d'intervenir efficacement. Le projet de biodiversité transfrontalière peut être vu comme un PIDC de troisième génération. Le projet investit dans les capacités, les liens et l'espace institutionnel au sein desquels l'initiative fonctionne. Un bon exemple de lien vient de la fourniture d'eau des bassins versants boisés. L'alimentation durable en eau dépend de l'amélioration des bassins versants - dont devraient tirer parti aussi bien les partenaires de la conservation que du développement

Reste à voir les derniers PIDC. Le concept présente d'indéniables avantages, mais l'ampleur des questions institutionnelles à affronter se traduit par des structures de projet complexes. Si ces structures fonctionnent, le concept peut avoir de grandes chances de réussite.

CONCLUSIONS

Le débat se poursuit sur la mise en application de la cogestion, voire le transfert des droits et du régime d'occupation aux forêts nationales de grande valeur, pour permettre une gestion communautaire. Les gouvernements ne sont guère disposés à céder la propriété des valeurs forestières nationales aux communautés locales. Toutefois, ils reconnaissent que les communautés voisines ne peuvent être exclues de l'utilisation ou de la gestion des forêts. La gestion participative (cogestion forestière) assortie de rôles, de responsabilités et de droits des partenaires clairement définis pourrait offrir une solution. Le succès de la cogestion dépend de questions de régime foncier, d'accès, de propriété et de capacité institutionnelle de gestion.

Les communautés seront peu disposées à participer pleinement à la cogestion si elles ne reçoivent pas en contrepartie des avantages adéquats ou des revenus les incitant à conserver les ressources. L'élaboration d'incitations implique une confiance consolidée et le renforcement des capacités, outre la sensibilisation des villageois et des autorités forestières sur les avantages de la cogestion et l'utilisation durable des ressources, notamment la conservation. Un processus de planification spécifique au site, prévoyant l'évaluation des ressources forestières et l'identification de menaces spécifiques à ces ressources permet de mettre au point des contrats sociaux avec le soutien des organismes forestiers et des autorités locales.

Ces initiatives devraient être vues comme des expériences sur la voie de partenariats durables entre les communautés et leurs gouvernements pour la gestion conjointe des forêts qui procurent des avantages aux niveaux local et national - y compris la conservation de la biodiversité. Ces initiatives fonctionneront avec l'appui de toutes les parties prenantes, notamment les organismes de financement, et la présence d'un environnement propice à l'échelon national et du district. Il faut, dès le départ, se concentrer sur le renforcement de ces partenariats et élaborer des régimes d'utilisation durable satisfaisant les exigences des multiples groupes intéressés.

Un garde forestier appréhende un villageois qui emporte une planche de camphre (Ocotea usambarensis) dans la forêt de Chome, où le sciage de long continue malgré les interdictions et où les droits d'accès au bois d'œuvre restent controversés -

L. PERSHA

Un comité villageois organisé par le projet de biodiversité transfrontalière mobilise les habitants pour la prévention et l'extinction des feux de forêt et le reboisement des zones incendiées dans la Réserve forestière de Chome -

K. KALAGE

Espèces animales forestières particulièrement exposées à la chasse

Les écologistes s'inquiètent des grandes espèces animales qui sont actuellement soumises à une forte pression due à la chasse dans de nombreux sites, comme les éléphants et les grands singes des forêts tropicales africaines. Une des préoccupations est la possibilité que lorsque différents animaux font l'objet d'une pression similaire, les espèces qui grandissent et se reproduisent plus lentement seront plus vulnérables à la chasse que les espèces à croissance et reproduction plus rapides.

Sur la base du suivi détaillé de l'abondance des espèces dans les zones de chasse persistante et dans les zones de chasse légère des forêts amazoniennes du Pérou, Bodmer, Eisenberg et Redford (1997) ont constaté que chez les mammifères d'un poids supérieur à 1 kg, le degré de baisse de la population due à la chasse était lié au taux de croissance intrinsèque de l'espèce, à sa longévité et à son âge de production (l'âge au moment de la première reproduction). Ces résultats suggèrent que les espèces qui vivent longtemps ont de faibles taux de croissance et de longs délais de production et sont plus menacées d'extinction que celles qui ont une vie plus courte, des taux élevés de croissance et de courtes générations.

Source: Adapté de Bodmer, R.E., Eisenberg, J.F. et Redford, K.H. 1997. Hunting and the likelihood of extinction of Amazonian animals. Conservation Biology, 11(2): 460-466.

Bibliographie


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