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SYNTHÈSE

L'Afrique contribue pour 7 pour cent seulement aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. Soixante-dix pour cent des émissions du continent proviennent du changement d'usage des terres, essentiellement de la déforestation. Par contre, le continent africain est potentiellement le plus exposé aux conséquences négatives des changements climatiques. Le risque d'extension de la désertification, la pauvreté d'une grande part des populations, qui dépend largement de l'utilisation des ressources naturelles, la faiblesse de son économie et de ses institutions, le manque de moyens des gouvernements façonnent les contours d'une situation préoccupante.

Pendant la période 1989-1998, le puits mondial a absorbé annuellement environ 2,3 GtC. Ce chiffre est à peu près du même ordre de grandeur que celui des émissions de CO2 liées à la déforestation, estimé à environ 1,6 GtC /an. Le réservoir de carbone constitué par la biomasse et le sol est immense, ce qui montre l'importance de la conservation des forêts naturelles et des modifications de certaines pratiques agricoles, lorsque celles-ci contribuent au déclin de ces réservoirs. Certaines activités liées à la forêt (exploitation, carbonisation, transformation du bois) sont émettrices de gaz à effet de serre.

Une typologie des activités forestières contribuant à l'atténuation des changements climatiques

Les activités forestières offrent un important potentiel de stockage additionnel de carbone. Ces activités peuvent être classées en quatre catégories : i) les activités visant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ii) les activités de valorisation énergétique de la biomasse ligneuse en substitution aux combustibles fossiles, iii) les activités de constitution de puits de carbone autres que la biomasse énergie, et iv) les activités de conservation des forêts. Certaines activités combinent plusieurs fonctions.

Un instrument spécifique de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques : le Mécanisme pour un développement propre

La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) date de 1992. Le Sommet de Kyoto, en 1997, a vu les pays industrialisés (pays de l'Annexe I) s'engager à réduire ou modérer leurs émissions de gaz à effet de serre de 5,2 pour cent en moyenne. Parallèlement, il proposait la mise en place d'instruments spécifiques pour parvenir à réaliser plus efficacement les objectifs de réduction des émissions. Parmi ces instruments, le « Mécanisme pour un développement propre » (MDP) est celui qui est le plus susceptible d'associer concrètement les pays du Sud.

Le MDP possède la double caractéristique d'un instrument « de flexibilité », permettant la production de réductions d'émissions certifiées au niveau souhaité avec le meilleur rapport coût-efficacité, et de développement, devant drainer de nouveaux investissements dans des activités qui contribuent réellement aux objectifs prioritaires de développement des pays hôtes des activités. Les incertitudes scientifiques sur l'évolution du « bilan carbone » des forêts à long terme ont été mises en avant pour remettre en cause l'éligibilité d'un certain nombre d'activités forestières au MDP.

Un accord qui consacre l'éligibilité de certains puits de carbone au MDP

Les participants de la CdP sont parvenus à un accord pour prendre en compte des puits de carbone dans les mécanismes de flexibilité. En ce qui concerne le MDP, seules les actions de boisement et de reboisement sont éligibles. Les activités de substitution d'énergies fossiles par de la biomasse, activités dont l'éligibilité ne faisait pas de problèmes, concernent également la foresterie. Cette inclusion partielle des puits de carbone est valable pour la première période d'engagement.

Les définitions présentes pour la « forêt » et le « boisement et reboisement » excluraient les activités de reboisement au sein des forêts naturelles dégradées. Or, ce type d'activités est particulièrement pertinent, écologiquement et économiquement, dans plusieurs pays africains. Les définitions pour le MDP et les « arrangements institutionnels » retenus pour la mise en œuvre des projets LULUCF/MDP sera déterminante.  

L'exclusion des activités de conservation résulte d'une volonté de réduire le poids des « activités LULUCF » dans le champ des activités liées à l'application du Protocole de Kyoto, mais découle également des doutes sur la possibilité d'établir des scénarios de référence suffisamment robustes pour quantifier les réductions d'émissions entraînées par la réalisation de projets de conservation.

A l'issue de la Conférence de Marrakech, on peut penser que la demande de crédits carbone issus d'activité de puits de carbone dans les pays en développement sera plutôt modeste. Les pays développés pourront remplir une partie de leurs engagements en recourant à la croissance naturelle de leurs stocks forestiers. Les concessions obtenues par la Fédération de Russie pour ses puits de carbone laissent présager une offre importante de « crédits carbone ». De surcroît, le retrait des Etats-Unis d'Amérique du champ du Protocole de Kyoto devrait conduire à une baisse de la demande attendue de « crédits carbone ».

De nouveaux Fonds liés aux changements climatiques pour les pays en développement

La CdP a demandé la constitution de trois nouveaux Fonds destinés à aider les pays en développement à s'adapter et à contribuer à la lutte contre les changements climatiques :

· Le Fonds spécial pour les changements climatiques. Ce fonds spécial vise à financer des activités, programmes et mesures relatifs aux changements climatiques, en complément des ressources du FEM et des ressources fournies à l'échelon bilatéral et multilatéral. Ce fonds doit financer des activités dans le domaine a) de l'adaptation, b) du transfert de technologies, c) de l'énergie, des transports, de l'industrie, de l'agriculture, de la foresterie, de la gestion des déchets, d) pour la diversification des économies des pays en développement fortement dépendants à l'égard des combustibles fossiles. Ce fonds sera alimenté par des contributions volontaires des Parties.

• Le Fonds pour l'adaptation relevant du Protocole de Kyoto. Il devrait financer le renforcement des capacités pour l'adaptation au changement climatique et des mesures de conservation des forêts tropicales, de réhabilitation des terres dégradées, de lutte contre la désertification particulièrement en Afrique. Ce fonds sera financé par un prélèvement (« part des fonds ») sur les activités de projets MDP (2%). Les pays de l'Annexe I sont invités à fournir des ressources complémentaires.

• Un Fonds pour les pays les moins avancés, qui doit financer un programme de travail spécifique en direction de ces pays (PMA) qui devrait comprendre les programmes d'action nationaux aux fins de l'adaptation. Les ressources du FEM seront mises à contribution pour abonder ce fonds.

On s'attendait à ce que la 7ème CdP se prononce sur la prise en compte du stockage du carbone dans les produits bois, mais la conférence a demandé au GIEC des études plus approfondies sur ce point, en vue d'une décision en 2004.

FEM et FFEM, des instruments opérationnels pour une large gamme d'activités d'atténuation des changements climatiques dans les pays en développement

Le FEM y a été désigné comme l'instrument financier de la Convention sur la diversité biologique (CDB) et de la Convention-cadre sur les changements climatiques. Les subventions de ce fonds multilatéral, essentiellement alimenté par les pays de l'OCDE, reposent sur le principe du « coût incrémental »: elles sont affectées aux surcoûts correspondant à la prise en compte de l'environnement mondial dans un projet.

Parmi les douze programmes opérationnels du FEM actuellement, le programme PO 12 « Gestion intégrée des écosystèmes » est le seul qui se donne pour objectif d'accroître la capacité de séquestration de carbone des écosystèmes, sans effet adverse pour la biodiversité. Mais les activités de promotion de la biomasse ligneuse, ressource renouvelable, en substitution à l'utilisation de combustibles fossiles, peuvent faire l'objet d'une éligibilité au titre du PO 6, qui vise à la suppression des obstacles à l'adoption de ce type d'énergie.

La France possède son propre dispositif, le Fonds français pour l'environnement mondial (FFEM). Par rapport au FEM, les projets du FFEM mettent l'accent sur les effets de développement économique et social. Le FFEM intervient en cofinancement et sa contribution est plafonnée à 50 pour cent du montant total du projet retenu. Contrairement au FEM qui ne finance pas d'activités impliquant des opérations d'exploitation forestière, le FFEM concoure au financement de projets d'aménagement forestier.

Le Mécanisme pour un développement propre, un instrument novateur aux contours qui se précisent lentement

Le Mécanisme pour un développement propre doit permettre à des États ou des entités privées de pays industrialisés d'obtenir des certificats de réduction d'émission (CRE) en finançant des projets de réduction d'émission, ou de séquestration de carbone, dans les pays en développement.

Les pays en développement attendent beaucoup de la mise en œuvre de ce mécanisme, en termes de transfert de fonds et de technologies. Les pays africains sont très intéressés par la perspective de bénéficier de flux d'investissements pour la constitution ou la gestion de « puits de carbone » liés à des activités forestières.

Le MDP sert donc explicitement deux objectifs. La référence au développement durable du MDP le place également dans l'orbite des deux autres conventions : Convention sur la diversité biologique et Convention de lutte contre la désertification. On attend du MDP qu'il combine un « optimum climat » et un « optimum développement durable », c'est-à-dire un compromis entre objectifs de différente nature.

Des questions techniques essentielles non encore résolues conditionnent le démarrage effectif du MDP, particulièrement pour les activités de fixation du carbone

L'éligibilité partielle des puits au MDP reste tributaire de la résolution de plusieurs difficultés techniques, dont l'une des principales est celle de la « non permanence » potentielle des puits, liés aux changements d'usage des terres et à aux risques inhérents à la foresterie. Une des propositions relatives à la prise en compte du caractère éventuellement non permanent des forêts est  la formule colombienne des « crédits temporaires » qui ont une durée de validité limitée et doivent être renouvelés. En principe, cette question devrait être tranchée fin 2002.

Le SBSTA doit également proposer des méthodes pour évaluer l'additionnalité des réductions d'émissions et le problème des « fuites » de gaz à effet de serre.

Le statut de l'utilisation énergétique de la biomasse ligneuse

Le statut des activités d'utilisation énergétique de biomasse ligneuse est encore ambigu. Il est considéré que la biomasse énergie est « neutre » au plan du bilan carbone. Sur cette base, de nombreux analystes déduisent que les activités de substitution de combustibles fossiles par de la biomasse doivent être éligibles au « Mécanisme pour un développement propre ». Mais ce sont les utilisateurs de cette biomasse, plutôt que les producteurs, qui bénéficieraient potentiellement des incitations liées au mécanisme. Si la substitution de bois de feu aux combustibles fossiles s'effectue au travers de la dégradation irréversible des formations boisées d'un pays, le bilan carbone sera clairement négatif.

Une dynamique émergente autour du MDP qui doit être renforcée par la constitution d'une expertise spécifique dans les pays en développement

La mise en œuvre du MDP implique la constitution d'un nouveau type d'expertise pour évaluer les « clauses implicites » d'éligibilité d'un projet au MDP. Une ingénierie des activités forestières dans le MDP est en cours de constitution, et les pays en développement, particulièrement les pays africains, sont absents de cette dynamique. Le renforcement des capacités nationales dans ce domaine apparaît tout à fait nécessaire.

Parmi ces initiatives autour du MDP, la plus notable est celle du Fonds Carbone Prototype (FCP) de la Banque mondiale. Du fait des débats en cours sur les puits, pas plus de 10 pour cent du fonds seront investis dans des projets forestiers de puits de carbone. Deux dispositifs d'accompagnement peuvent intéresser spécifiquement l'Afrique : le PCFplus, qui est un programme de recherche, de formation et d'information, et le CDM-Assist, qui est un programme de renforcement des capacités nationales destiné à l'Afrique Sub-Saharienne et qui sera réalisé en partenariat avec le FFEM.

Les relations du MDP avec les objectifs nationaux de développement et la gestion de la biodiversité

Les pays en développement peuvent légitimement faire valoir leurs propres priorités de développement dans la mise en œuvre du MDP. La CdP a confirmé qu'il appartient aux pays hôtes d'apprécier la nature et l'importance des bénéfices des activités en termes de développement durable.

Il est vraisemblable que les projets forestiers MDP devront faire l'objet d'une étude d'impact environnementale avant leur agrément. Plus précisément, l'utilisation des critères et indicateurs de gestion durable développés depuis plusieurs années par différents organismes semble assez appropriée à ce type d'évaluation.

Le potentiel des instruments de la Convention pour le renforcement des investissements dans des activités de développement forestier à long terme

L'intérêt d'une rémunération de la « fonction carbone » de la foresterie est de réduire le handicap économique attaché aujourd'hui à une gestion à long terme au regard des gains rapides et importants que sont censés permettre nombre d'occupation du sol concurrentes. L'apparition d'une « rente carbone » issue du MDP ne changera pas les écarts de rentabilité entre projets forestiers « de cycle court » et ceux « de cycle long », mais pourra faire passer ces derniers d'une situation de non rentabilité à une situation de rentabilité potentielle.

La dimension « développement » des activités forestières contribuant à l'atténuation des changements climatiques

Du point de vue des pays du Sud, le point de départ de l'appréciation d'activités potentiellement éligibles au MDP est leur contribution effective au développement du pays hôte. Au-delà des seules activités couvertes par le champ du MDP, les autres activités forestières contribuant également à l'atténuation des changements climatiques apportent des bénéfices directs en matière de lutte contre la pauvreté, de développement local et national, de lutte contre la désertification.

La formule du « fonds d'investissement » présente un intérêt certain. Sans mécanisme de coordination, les investissements bilatéraux se concentreront inévitablement sur les projets « à simple dividende » stockant un maximum de CO2 au détriment des projets de « second choix » du point de vue du stockage, mais à plusieurs dividendes. Or, le profil de rentabilité de ces activités pourrait être modifié par l'apport de fonds provenant de l'APD et devenir ainsi susceptible d'intéresser des investisseurs privés dans le cadre du MDP. La faiblesse de capacités institutionnelles est un des principaux handicaps des pays africains pour parvenir à bénéficier d'investissements.

Un ensemble d'activités forestières et agroforestières qui intéressent les pays africains à des degrés différents

On a retenu sept activités forestières qui pourraient être éligibles au MDP ou être financées au titre du Fonds d'adaptation ou du Fonds spécial, ou bénéficier d'aides financières du FEM dans le cadre de ses programmes existants. Ces activités sont :

• Les plantations à usages multiples et l'agroforesterie.

• Les reboisements sur terrains dégradés.

• Les boisements industriels.

• Les activités de valorisation énergétique du bois.

• L'accroissement de l'efficacité de l'industrie du bois.

• La conservation des vastes massifs forestiers.

• La réalisation à grande échelle implique que différentes questions techniques soient résolues : pépinières, maîtrise des techniques de sélection et de sylviculture, connaissance des sols. Les questions institutionnelles, politiques et juridiques sont tout aussi critiques : clarification des statuts fonciers et des droits sur les ressources ligneuses, concurrence potentielle des usages de l'espace, fiscalité et règles commerciales en vigueur .

L'enjeu des politiques publiques et de l'évolution institutionnelle des pays africains pour bénéficier de ces nouveaux instruments d'investissement

Le MDP est un vecteur de mobilisation de l'investissement privé pour la réalisation d'investissements dans les pays en développement. Son potentiel effectif de réalisation dépend étroitement des caractéristiques institutionnelles et économiques, du dynamisme du partenariat privé susceptible d'ouvrir de nouvelles opportunités, d'un système juridique efficace pour garantir les contrats, de systèmes d'assurance pour couvrir les risques. Les pays africains sont globalement mal préparés pour utiliser pleinement le potentiel ouvert par ces nouveaux instruments, alors qu'une grande partie des enjeux environnementaux planétaires se jouent sur leurs territoires. Pour bénéficier du potentiel ouvert par le MDP, de nombreux pays africains devront adapter leur mode de fonctionnement institutionnel.

Conclusion : des instruments à combiner et à intégrer dans les politiques publiques de développement forestier

Pour le continent Africain, le potentiel d'investissement des instruments liés à l'application de la CCNUCC existe, mais est plus limité qu'on aurait pu l'espérer pour la première période d'engagements. Le choix de restreindre aux boisements et reboisements la gamme des activités éligibles au MDP, les définitions actuelles de la forêt et du reboisement pourraient exclure les activités de reboisement au sein des forêts dégradées. L'agroforesterie et les petits projets de boisement à l'échelle communautaire peuvent bénéficier d'investissements dans le cadre du MDP, mais tout dépendra de l'architecture qui sera retenue pour le mécanisme et les règles qui encadreront sa mise en œuvre. En outre, l'état des négociations internationales pour l'application du Protocole de Kyoto rendent peu probables des investissement importants dans les puits de carbone des pays en développement. Les incertitudes relatives aux statuts fonciers et les dysfonctionnements institutionnels fréquents rencontrés dans les pays africains risquent de pénaliser le continent dans le choix des zones d'investissement. Les perspectives d'utilisation de biomasse énergie en substitution à des combustibles fossiles semblent offrir des perspectives intéressantes. Cependant, les règles actuelles du GIEC en matière de comptabilisation des émissions conduisent à créditer l'activité de substitution et non la la production durable de biomasse énergie, ce qui constitue une structure des incitations inadaptée au contexte des pays africains où se pose le problème du renouvellement de la ressource boisée.

Si l'attention récente s'est portée sur le MDP, il convient de souligner le rôle grandissant auquel est appelé le FEM avec la décision de constituer trois fonds liés aux changements climatiques.

Même si seules quelques activités sont concernées par le MDP, la combinaison de plusieurs instruments appuyés par des politiques publiques appropriées et soutenues par l'aide internationale, peut permettre la réalisation d'actions nécessaires au développement forestier en Afrique. La capacité des gouvernements à susciter des initiatives et à organiser ce type de dynamique sera un facteur critique.

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