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DEUXIÈME PARTIE

LES NEGOCIATIONS INTERNATIONALES SUR LE CHANGEMENT CLIMATIQUE

A. Les récentes étapes

Les premiers pas d'un effort international pour lutter contre le changement climatique ont été faits lors de la Conférence de Rio de Janeiro sur l'environnement et le développement (CNUED), en juin 1992. La Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC, ou Convention Climat), adoptée par les pays industrialisés cités dans l'Annexe I de la Convention (comprenant l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et les pays d'Europe de l'Est) et la plupart des pays en développement, définit le cadre institutionnel de la coopération internationale de lutte contre le changement climatique. Son objectif est de stabiliser «les concentrations de gaz à effet de serre (GES) dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique». Elle envisage deux moyens pour stabiliser les concentrations atmosphériques de GES : limiter les émissions par les sources et augmenter l'absorption par les puits de GES d'origine anthropique.

Des principes spécifiques incluent :

• La nécessité de protéger le système climatique sur la base de l'équité et en accord avec les responsabilités communes, mais différenciées des pays. Ainsi, les pays développés doivent-ils faire les premiers pas en matière de réduction des émissions.

• Les besoins spécifiques et les circonstances spéciales des pays en développement particulièrement vulnérables (notamment les petits États insulaires).

• La nécessité d'adopter des mesures de précaution en l'absence de certitude scientifique.

La Convention Climat utilise le "Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat" (GIEC), constitué de 2500 experts mandatés par l'Organisation des Nations Unies (ONU) et dispose d'un organe censé trancher sur les questions techniques relatives à l'application de la Convention : l'Organe subsidiaire chargé de fournir des avis scientifiques et technologiques (SBSTA - Subsidiary Body on Scientific and Technological Advice). Le GIEC a été créé dès 1988, conjointement par l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). Il a pour mission de rassembler les données scientifiques pertinentes, d'en favoriser la production et la diffusion, d'en faire la synthèse critique. À partir de là, il lui incombe également d'évaluer les incidences écologiques et socio-économiques des changements climatiques envisagés, et de formuler et d'évaluer des stratégies possibles de prévention et d'adaptation. Le GIEC a publié son premier rapport en 1990 ; mis à jour en 1992, il a servi de base à la négociation de la CCNUCC adoptée à Rio la même année. Il a publié un deuxième rapport en 1995, puis un troisième, très alarmiste, en février 2001.

La Convention Climat institue une Conférence des Parties (CdP), organe suprême de la Convention, censée définir les modalités d'application de ses objectifs. Depuis 1995, la CdP se réunit annuellement. L'avancée la plus significative fut faite lors de la Conférence de Kyoto (CdP 3), en décembre 1997.

La Conférence de Kyoto a abouti à l'adoption d'un protocole le 10 décembre 1997 qui prévoit un début de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le taux moyen de réduction auquel se sont engagés les principaux pays industrialisés est de - 5,2 pour cent des émissions par rapport à leur niveau de 1990, ce qui, si l'on tient compte de l'augmentation observée depuis cette date, devrait entraîner une réduction effective de près de 10 pour cent et, d'ici à 2010, de près de 30 pour cent par rapport à la croissance tendancielle des émissions observée aujourd'hui.

Les pays en développement ont jusqu'ici rejeté toute obligation de réduction pour eux-mêmes, estimant que la responsabilité de la situation actuelle revient principalement aux pays industrialisés et qu'il convient de parvenir à des objectifs équitables de niveau d'émissions dans le futur, tenant compte notamment des niveaux de population et des besoins de développement des pays du Sud.

Depuis 1997, les négociations se poursuivent pour préciser les modalités d'application du Protocole de Kyoto afin qu'il puisse être ratifié par les pays signataires. Les forêts, et en particulier les forêts tropicales, y ont occupé une place importante.

· Les décisions de la 6ème CdP à Bonn

La 6ème Conférence des Parties, qui s'est achevée à Bonn en juillet 2001, après un premier échec à La Haye en novembre 2000, a tranché sur ces questions. Les pays industriels comptabiliseront dans leur inventaire d'émissions de GES les flux (émissions ou absorptions) issus des changements d'utilisation des terres et de la foresterie. Quant aux forêts des pays en développement, plusieurs instruments devraient les faire participer au système :

• Le Mécanisme pour un développement propre (MDP) : il devrait permettre de financer des actions de boisement et de reboisement dans un avenir proche.

• Le Fonds pour l'environnement mondial (FEM), pour lequel la CdP6 a demandé des ressources nouvelles, par le biais de différents mécanismes financiers. Le Climate Change Focal Area, qui constitue le pôle d'activités existant du FEM concernant les changements climatiques (voir le chapitre suivant sur le FEM) devrait voir ses moyens accrus. En outre, trois nouveaux fonds, qui restent à constituer et à financer, ont été annoncés à Bonn :

La CdP6 a demandé qu'un volume de ressources «prévisible et suffisant» soit mis à la disposition des Parties non visées à l'Annexe I (les pays en développement). Reste que la CdP6 n'a pu parvenir à un accord sur d'éventuelles pénalités financières pour les pays de l'Annexe I qui dépasseraient leurs quotas d'émissions au cours d'une période d'engagement ; ces pénalités financières auraient dû être affectées aux financement de l'un ou de l'autre de ces différents fonds. Le montant de ces fonds dépendra donc largement de la volonté des pays industrialisés et, pour le fonds d'adaptation relevant du Protocole de Kyoto, du nombre et de la valeur des «crédits carbone» qui seront généres par les activités MDP.

Les précisions de la 7ème CdP de Marrakech

La 7ème CdP réunie à Marrakech (Maroc) en novembre 2001, a précisé plusieurs points relatifs au MDP et à la fixation du carbone par les puits. Parmi les décisions prises, on retiendra notamment :

• la constitution d'un comité exécutif du MDP, dont six membres titulaires sur dix sont issues du G-77 (pays en développement et Chine). Ce comité aura mandat d'approuver les méthodologies proposées par les organes subsidiaires (Organe subsidiaire de mise en oeuvre (SBI) et SBSTA) pour les scénarios de référence, l'évaluation et la définition des limites des projets et l'accréditation des entités opérationnelles.

• la possibilité d'activités «unilatérales» dans le cadre du MDP.

On attendait également que la 7ème CdP se prononce sur la prise en compte du stockage du carbone dans les produits bois (à l'heure actuelle, les règles comptables retenues considèrent que le carbone est émis dans l'atmosphère dès que le bois sort de la forêt, ce qui est simplificateur). Mais la Conférence a demandé au GIEC des études plus approfondies sur ce point en vue d'une décision en 2004.

B. Les instruments

Le Fonds pour l'environnement mondial (FEM) a été créé à l'initiative des gouvernements français et allemand en 1990, dans l'optique d'inciter les pays en développement et en transition à prendre des mesures ayant un impact positif en termes d'environnement mondial. Les quatre grands domaines visés par le Fonds sont : la biodiversité, le climat, les eaux internationales et la couche d'ozone.

En 1992, le compromis obtenu à Rio a officiellement entériné le principe selon lequel les pays les plus riches doivent aider les pays en développement et en transition à satisfaire aux objectifs des Conventions Biodiversité et Climat, à travers des ressources additionnelles à leur aide publique au développement. Le FEM y a été désigné comme l'instrument financier de la Convention sur la diversité biologique et de la Convention-cadre sur les changements climatiques (respectivement, articles 39 et 21). Après une phase-pilote, la restructuration du FEM en 1994 a permis de le rendre plus transparent, participatif et opérationnel.

Les subventions de ce fonds multilatéral, essentiellement alimenté par les pays de l'OCDE, reposent sur le principe du coût incrémental : elles sont affectées aux surcoûts correspondant à la prise en compte de l'environnement mondial dans un projet ou un programme de développement classique. Cela fait du FEM un des rares exemples de mécanismes financiers aujourd'hui opérationnels, spécifiquement axés sur la prise en charge d'externalités, en l'occurrence, la différence entre les bénéfices globaux et les coûts locaux de la protection de l'environnement mondial.

Fonctionnement

Le Secrétariat du FEM, basé à Washington, est géré par la Banque mondiale sous la supervision des 32 membres du Conseil du FEM (représentant 14 pays de l'OCDE, 16 pays en développement et deux pays de l'Europe centrale et orientale). Instance de décision et d'orientation du FEM, le Conseil veille notamment à la mise en œuvre des recommandations formulées par les Conférences des Parties aux deux conventions.

Après sélection des projets par le Conseil (sur avis du Groupe consultatif pour la science et la technologie), les activités opérationnelles sont mises en œuvre par l'une des trois agences :

Critères d'éligibilité des projets

Le projet doit avoir un impact positif significatif dans l'un des domaines de l'environnement mondial : préservation de la biodiversité, lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, protection des eaux internationales ou de la couche d'ozone.

Il doit justifier d'un coût incrémental.

Les propositions de projets doivent émaner des pays bénéficiaires - que ce soit à travers les institutions nationales, les organisations non gouvernementales ou le secteur privé - et être en cohérence avec les priorités nationales en matière de développement durable. Est éligible tout pays en développement ayant ratifié la Convention à laquelle le projet fait référence, condition à laquelle s'ajoute, pour les pays en transition, l'obligation d'être débiteur potentiel de la Banque mondiale ou de recevoir des dons d'assistance technique du PNUD à travers un programme-pays.

Le projet peut relever du développement économique et social mais aussi de la seule protection de l'environnement.

Il peut se présenter sous forme d'investissements et d'assistance technique, mais également de renforcement de capacités, recherche ou micro-projets.

Axes prioritaires du FEM

La Stratégie opérationnelle du FEM, adoptée en 1996, délimite les activités et domaines d'intervention du Fonds. Trois types de projets y sont distingués :

• Les Programmes opérationnels (qui représentent 75 pour cent des financements du FEM) sont des cadres de planification pour la conception, l'exécution et la coordination de projets dans les domaines suivants :

Ce programme, qui concerne aussi le bois énergie, est financé à hauteur de 100 millions de dollars E.-U. par an.

Ce programme devait primitivement s'appeler « fixation du carbone », mais de nombreuses parties prenantes ont fait valoir leurs craintes que certaines activités de fixation (grandes plantations monospécifiques, par exemple) n'aillent à l'encontre des objectifs de conservation de la biodiversité. Lancé en 2000, ce programme espère parvenir à un financement à hauteur de 200 millions de dollars E.-U. par an.

A l'heure actuelle, un treizième Programme opérationnel concernant les activités liées à l'agro-biodiversité est en cours d'élaboration.

• Les Activités de renforcement de capacités correspondent notamment au soutien que le FEM procure aux pays devant s'acquitter de leurs obligations en matière de communication d'informations relative à une des deux conventions (par exemple : préparation de la Stratégie nationale de la biodiversité, ou de la Communication nationale pour la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques). Ces activités peuvent également consister en une aide à la définition des priorités nationales.

• Les Interventions à court terme correspondent à des actions de faible coût dans des domaines jugés hautement prioritaires (par exemple, des mesures pour protéger une espèce en voie de disparition). On y trouve les actions de soutien, dans les pays en transition, aux mesures prises pour éliminer l'utilisation des substances responsables de l'appauvrissement de la couche d'ozone en application du Protocole de Montréal (1987) et de la Convention de Vienne (1985).

Montants

• La dotation du FEM s'est élevée à 2 milliards de dollars E.-U. pour la période 1994-1998, et a été reconstituée à hauteur de 2,75 milliards de dollars E.-U. pour 1998-2002.

• Les subventions allouées aux projets par le FEM sont calculées de manière à être directement proportionnelles au coût incrémental, qui croît lui-même avec l'impact exclusivement global du projet : coût incrémental = ([coût total du projet favorable à l'environnement - coût total du projet de référence] - impact local).

• On distingue les « projets à part entière » (> 1 M de dollars E.-U.) des « projets de taille moyenne ».

• Bilan d'activité du FEM : entre 1990 et 1999, 2 629 millions de dollars E.-U. ont été répartis entre 700 projets (Programmes opérationnels, Activités de renforcement de capacités et Interventions à court terme confondus). Près de 39% de cette somme (997 millions de dollars E.-U.) ont été consacrés à des actions dans le domaine de la lutte contre l'effet de serre. Environ 20% des crédits du FEM ont concerné l'Afrique Sub-Saharienne et l'Océan Indien.

Le positionnement du FEM après la 6ème CdP

Le rôle du FEM est appelé à se développer, avec l'entrée en lice du MDP pour le financement de certaines activités de boisement et reboisement. Outre la préparation et la gestion des nouveaux fonds (fonds spécial, fonds d'adaptation, fonds pour les PMA) proposés par la 6ème CdP, le FEM va devoir accroître ses interventions pour favoriser le développement d'activités non éligibles au MDP du fait des difficultés techniques de mesure de l'additionnalité ou du caractère incertain de la permanence à long terme, mais dont la réalisation entraîne de multiples bénéfices et favorise des dynamiques d'innovation et d'apprentissage (par exemple dans l'agroforesterie, l'aménagement forestier et l'exploitation à faible impact). Le FEM peut également, au travers du soutien à des projets pilotes, contribuer à réduire les niveaux d'incertitude qui ont conduit à placer certaines activités forestières hors du champs du MDP pour la première période d'engagement. La mise au point de méthodes de mesure ou de références technico-économiques à l'occasion de projets forestiers et agroforestiers pilotes servira à éclairer la négociation qui devra statuer sur les activités agricoles et forestières éligibles au MDP dans la deuxième période d'engagement.

Logique

Depuis 1994, le FFEM vient compléter l'action du FEM. Comme lui, il a pour objectif de financer les coûts additionnels liés à la protection de l'environnement mondial dans les stratégies de développement. Néanmoins c'est un fonds bilatéral alimenté par l'Etat français, en sus de l'aide publique au développement et des contributions de la France au FEM. Le Secrétariat du FFEM est géré par l'Agence française de développement (AFD) à Paris.

Critères d'éligibilité des projets

Tout comme pour le FEM, les projets retenus par le FFEM doivent :

• avoir un impact positif significatif sur l'environnement global,

• justifier de coûts incrémentaux,

• être situés dans un pays en développement ou en transition ayant ratifié la Convention à laquelle le projet concourt.

Mais afin de se concentrer sur les interventions pour lesquelles le FFEM a un avantage comparatif vis-à-vis du FEM ou des interventions plus classiques de la Coopération française, le Fonds français pour l'environnement mondial vient en appui à des projets qui sont nécessairement :

• de développement économique et social,

• dans leur phase de réalisation sur le terrain,

• novateurs et reproductibles,

• bénéficiaires d'un cofinancement : la contribution du FFEM est plafonnée à 50% du montant total du projet (afin de pérenniser l'appropriation du projet au-delà de son financement).

Axes prioritaires du FFEM

Les axes prioritaires dans les domaines d'intervention du FFEM sont les suivants :

• Préservation de la biodiversité

• Protection des eaux internationales

• Lutte contre les émissions de gaz à effet de serre :

• Projets mixtes (biodiversité/effet de serre) : ces projets ont vocation à faciliter l'adéquation des concepts d'environnement mondial aux caractéristiques des pays africains en particulier :

Le Secrétariat du FFEM est également chargé de mettre en œuvre des projets de réduction des substances appauvrissant la couche d'ozone, et qui sont financés par le Fonds multilatéral du Protocole de Montréal.

Montants

Les ressources du FFEM se sont élevées à 440 millions de FF (environ 73 millions de dollars E.-U.) pour la période 1994-1999 et ont été reconduites pour le même montant pour 1999-2002.

Les subventions du FFEM s'élèvent en moyenne à 6 millions de FF (environ 1 million de dollars E.-U.) par projet et représentent entre 5 à 50 pour cent du coût total des projets (15 pour cent en moyenne). Contrairement à celles du FEM, leur calcul n'est pas directement proportionnel au coût incrémental. Suivant les pratiques habituelles plus larges des bailleurs de fonds, elles tiennent aussi compte de l'impact économique et social du projet, des risques, coûts directs ou indirects, etc. Le FFEM a effectivement choisi de se démarquer de l'application stricte du coût incrémental (qui est égal à : [(coût total du projet favorable à l'environnement - coût total du projet de référence) - impact local]), qui a parfois mené le FEM à privilégier les projets dans lesquels les impacts locaux, et donc le développement local, sont faibles, au profit de projets centrés sur les problèmes globaux (ce qui rend plus difficile l'appropriation des projets).

Bilan d'activités du FFEM

Entre 1994 et 2000, 116 projets ont été instruits ou réalisés pour un montant de 746 millions de FF, soit environ 114 millions d'Euros. Les activités clairement liées à la lutte contre l'effet de serre ont représenté près de 34% de cette somme, mais près de 20 pour cent concernent des activités mixtes qui concernent également l'effet de serre. L'Afrique sub-Saharienne et l'Océan Indien ont bénéficié de 59 pour cent des crédits.

Un instrument du marché carbone destiné à attirer les fonds publics et privés dans les pays en développement (PED)

Le Mécanisme pour un développement propre (MDP) devrait permettre la participation des poays en développement (PED) au « marché carbone » instauré dans le cadre du Protocole de Kyoto, en y attirant des investisseurs désireux d'obtenir des « crédits » de réduction des émissions de GES utilisables à leur compte.

Le MDP se donne un double objectif :

• d'aider les pays en développement à parvenir à un développement durable ainsi qu'à contribuer à l'objectif ultime de la Convention sur les changements climatiques : leur niveau d'émissions actuellement faible pourrait bientôt dépasser celui des pays industriels si des mesures ne sont pas prises pour introduire des technologies peu émettrices. Le principe est d'encourager des flux d'investissements et des transferts de technologie des pays industriels vers les pays en développement, afin de les aider sur leur trajectoire de développement, tout en minimisant les émissions de GES.

• d'aider les pays industrialisés à remplir leurs engagements chiffrés de limitation et de réduction des émissions.

(Article 12 du Protocole de Kyoto)

Le MDP repose sur le principe d'attribution de « Certificats de Réductions d'Emissions» (CRE) à des projets réalisés entre des entités des pays industrialisés et des pays en développement après 2000. Ces projets localisés dans des pays en développement devront prouver qu'ils contribuent à diminuer la concentration atmosphérique en GES, et les CRE seront attribués proportionnellement à cette contribution. Ces CRE fonctionnent comme des permis d'émissions : ils sont échangeables et utilisables par les entités du Nord pour la réalisation des objectifs de réduction d'émission fixés par le Protocole. Comme les autres permis d'émissions, les CRE pourront donner lieu à rémunération et constituer une valeur ajoutée d'un projet. Le MDP pourrait en cela constituer une manne financière intéressante pour les pays en développement, et déclencher des transferts de fond et de technologie venant d'entités privées ou publiques des pays industrialisés. Depuis la 7ème CdP, on sait que le terme « CRE » sera réservé aux réductions d'émissions. Pour la fixation du carbone, les unités obtenues dans le cadre des activités MDP seront des unités distinctes, qui pourraient être basées sur le principe des crédits temporaires11, bien qu'aucune décision n'ait encore été prise à ce sujet.

Le MDP se place ainsi en compétition avec les deux autres mécanismes flexibles instaurés par le Protocole :

• la Mise en œuvre conjointe (MOC) : autre mécanisme rémunérant des projets entre pays OCDE et « pays en transition » par l'attribution de permis d'émissions (ERU - Emissions Reduction Units) s'il s'agit de réductions d'émissions. Pour la fixation du carbone dans ces pays de l'Annexe I, la 7ème CdP a retenu le principe de Removal Units (RMU) ;

• le marché des droits d'émissions entre pays ayant souscrit des engagements.

Les pays de l'OCDE ne rempliront pas leurs objectifs seulement par des actions domestiques, les émissions dépasseraient substantiellement les objectifs. En conséquence, il devrait se constituer une forte demande pour des permis d'émissions (de 0,7-1,3 milliard de tonnes de C/an de 2008 à 2012, d'après la Banque mondiale). L'objectif de ces mécanismes flexibles est de réduire le coût marginal d'abattement des réductions des émissions, en délocalisant les efforts là où ils sont les moins coûteux. On estime ainsi que, sans marché carbone, le coût serait entre 67 et 584 dollars E.-U./tonne C, alors qu'avec marché, le prix devrait être situé entre 20 et 50 dollars E.-U./tonne C. Le marché carbone global est estimé à 14-65 milliards de dollars E.-U./an, plus réaliste entre 10 et 20 milliards de dollars E.-U./an. L'offre attendue, tous mécanismes confondus, est évaluée entre 621 millions et 1.32 milliard de tonnes de C, dont 265-723 millions de tonnes C/an pour le MDP. Le problème clé pour le MDP est la capacité des pays en développement de produire des CRE (Lecoq, 2000).

Le point de départ de l'appréciation d'activités potentiellement éligibles au MDP est leur contribution effective au développement du pays hôte. La hiérarchie implicite de l'examen de tout projet candidat au MDP est d'abord l'intérêt économique (et environnemental) du pays hôte, puis en second lieu la flexibilité apportée par les activités du projet aux investisseurs potentiels.

La référence explicite au développement durable distingue en théorie le MDP de la MOC, à condition que le MDP ne soit pas détourné de ses objectifs. C'est d'ailleurs cette notion qui avait motivé sa création en 1997, devant la crainte exprimée par les pays en développement (G-77 et Chine), de voir un instrument tourné vers le seul objectif de flexibilité menacer leurs priorités de développement. On attend du MDP qu'il combine un « optimum climat » et un « optimum développement durable », c'est-à-dire qu'il établisse un compromis entre objectifs de différentes natures. Lorsqu'il concerne le secteur forestier, la référence au développement durable place le MDP dans l'orbite de deux autres conventions sur l'environnement global également signées à Rio : la Convention sur la diversité biologique et la Convention sur la lutte contre la désertification dans les pays gravement touchés par la sécheresse et/ou la désertification, en particulier en Afrique (CCD) (et peut-être demain la convention sur la forêt). Les conséquences sont importantes : alors qu'on requiert des mécanismes de flexibilité « purs » une efficacité en termes de fixation maximale de carbone au moindre coût, on attend du MDP qu'il encourage les actions maximisant les bénéfices pour le développement.

Quelles actions forestières seront éligibles au MDP ?

Adversaires et partisans de la prise en compte des « puits » pour l'obtention de « crédits carbone » dans le cadre des mécanismes de flexibilité, et en particulier du MDP, se sont vivement opposés.

Les premiers faisaient valoir l'absence d'équivalence entre une tonne de CO2 émise et une tonne « séquestrée ». Alors que les émissions de CO2 sont irréversibles (la durée de vie d'une molécule de carbone dans l'atmosphère est de près de 100 ans ou plus), les activités de fixation sont « réversibles », en ce sens que le temps de résidence du carbone dans les écosystèmes terrestres varie entre 1 an (savanes) et 30-80 ans (forêts tropicales ou boréales) (Valentini et al., 2000). De plus, les puits (par exemple une plantation) peuvent être anéantis rapidement par les incendies, les changements d'utilisation des terres, etc.

Les partisans de la prise en compte des puits mettent, quant à eux, l'accent sur la contribution importante que peuvent constituer les puits dans l'atténuation du changement climatique, même si le stockage est provisoire et réversible. Les activités additionnelles visant à constituer des puits peuvent nettement infléchir les courbes d'émissions nettes (émissions moins absorption) avec des écarts de 5 à 6 Gt à l'horizon 2040 selon les scénarios (Ciais, 2000). En outre, selon de nombreux climatologues, l'un des risques les plus importants est le pic d'émissions et de concentration du CO2 dans l'atmosphère, du fait de l'inertie des tendances actuelles et de l'accroissement inévitable des émissions des pays en développement à court et moyen terme. Le stockage - même provisoire - de carbone dans les puits terrestres peut aider à prévenir l'accroissement de la concentration du carbone dans l'atmosphère en deçà de seuils potentiellement dangereux pour le changement climatique, en attendant que de nouvelles technologies énergétiques peu émettrices soient disponibles à grande échelle.

Enfin, l'enjeu est aussi de pouvoir disposer d'un instrument efficace pour inverser les tendances au recul et à la dégradation des écosystèmes forestiers naturels dans les pays en développement, réintroduire des ligneux dans les systèmes agro-pastoraux dégradés et infléchir les itinéraires techniques prévalant en agriculture en faveur de méthodes plus durables. Bien que visiblement mal connus des techniciens de la négociation sur le climat, les enjeux en termes de changements techniques et de modifications des pratiques dominantes existent également dans le secteur forêt-agriculture, comme dans les domaines de l'énergie et des transports.

Le résultat des négociations de Bonn et ses conséquences sur le MDP et la foresterie

La 6ème CdP réunie une seconde fois à Bonn en juillet 2001 après avoir été suspendue à l'issue de la conférence de la Haye, est parvenue à un accord pour prendre en compte des puits de carbone dans les mécanismes de flexibilité. En ce qui concerne le MDP, seules les actions de boisement et de reboisement sont éligibles, basées sur des modifications survenues dans l'utilisation des terres. Les activités de substitution d'énergies fossiles par de la biomasse, activités dont l'éligibilité ne faisait pas de problème, concernent également la foresterie.

Cette inclusion partielle des puits de carbone est valable pour la première période d'engagement. Les négociations sur la deuxième période d'engagement (2013-2017) statueront sur les activités LULUCF éligibles au MDP pour cette deuxième période.

Il est posé toutefois une limite aux quantités de « crédits » susceptibles d'être obtenus par les activités de boisement/reboisement dans le MDP. La majoration de la quantité (d'émission de gaz à effet de serre) attribuée à une Partie au titre de l'article 12 ne peut dépasser 1% des émissions de l'année de référence de cette Partie, multipliée par cinq, au cours de la première période d'engagement.

Le MDP aura donc des puits de carbone. Mais en comparaison des pays de l'Annexe I, qui peuvent utiliser toute une gamme d'activités relevant de l'article 3.4 du Protocole de Kyoto (gestion forestière, gestion des terres de grande culture, gestion des terres de pâturage et de régénération végétale), la gamme d'activité est considérablement restreinte.

La définition retenue exclut, par exemple, les activités de reboisement au sein des forêts naturelles dégradées, qui seraient assimilées à une restauration du couvert végétal. Or, ce type d'activités est particulièrement approprié, écologiquement et économiquement, dans plusieurs pays africains (Côte d'Ivoire, Ghana) où les activités d'exploitation et les pratiques agricoles ont dégradé et déstructuré les grands massifs forestiers et où des opérateurs industriels, concessionnaires de ces forêts où alternent lambeaux de massifs restants et espaces dégradés, sont prêts à entreprendre des reboisements à partir d'essences commerciales qui ont disparu ou se sont raréfiées. L'exemple des "forêts classées" en Côte d'Ivoire est significatif : beaucoup d'entre elles sont maintenant constituées de terres déboisées ou peu boisées, mais la définition retenue par la CCNUCC semble exclure la possibilité de prendre en compte de telles activités dans le cadre du MDP au cours de la première période d'engagement.

L'exclusion des activités de conservation résulte d'une volonté de réduire le poids des «activités LULUCF» dans le champ des activités liées à l'application du Protocole de Kyoto, mais découle également des doutes sur la possibilité d'établir des scénarios de référence suffisamment robustes pour quantifier les réductions d`émissions entraînées par la réalisation de projets de conservation (complexité des dynamiques socio-économiques conduisant aux décisions de déboisement), ainsi que les risques de pertes associées à la préservation d'un massif donné (leakage).

La décision de Bonn (Décision 5/CP.6) résulte d'un compromis entre adversaires et partisans de l'inclusion des puits de carbone dans le MDP. La restriction des activités LULUCF/MDP aux seuls projets de boisement et reboisement (la substitution énergétique étant considérée à part) et l'exclusion de toutes les activités de gestion forestière pour lesquelles l'estimation de la séquestration additionnelle est plus délicate, reflètent ce compromis, mais établissent également une certaine inégalité de traitement entre les pays de l'Annexe I, qui peuvent utiliser toute une gamme d'activités LULUCF, et les pays en développement. A l'issue de la conférence de Bonn, on peut penser que la demande de crédits carbone issus d'activité de puits de carbone dans les pays en développement sera plutôt modeste. Les pays de l'Annexe I (pays développés) pourront remplir une partie de leurs engagements en recourant à la croissance (naturelle ou liée à des activités humaines spécifiques) de leurs stocks forestiers (certains analystes estiment que cela pourrait représenter jusqu'à 45 pour cent de leurs engagements). Les concessions obtenues par la Fédération de Russie pour ses propres engagements et ses puits de carbone laissent présager une offre importante de « crédits carbone » au cours de la première période d'engagements. De surcroît, le retrait des Etats-Unis d'Amérique du champ du Protocole de Kyoto, s'il se confirme d'ici l'entrée dans la première période d'engagement en 2008, devrait conduire à une baisse de la demande attendue de «crédits carbone». La conjugaison de ces tendances conduirait à un prix potentiel de la tonne de carbone relativement bas, ce qui limiterait le champ des activités effectivement entreprises dans le cadre du MDP, notamment en matière de foresterie où certaines incertitudes subsistent.

Quant aux définitions restrictives actuellement adoptées pour la forêt domestique, le boisement et le reboisement, elles ne sont guère adaptées à la réalité des situations de nombreux pays du Sud ayant de vastes surfaces de forêts dégradées. Boisement et reboisement ne seraient éligibles au MDP que s'ils étaient réalisés sur des espaces considérés comme non forestiers, là où ils risquent de rentrer en concurrence avec les activités agricoles (dans les pays avec une certaine densité de population). Les définitions et la nature des «arrangements institutionnels» retenus pour la mise en œuvre des projets LULUCF/MDP seront déterminantes : si les règles retenues sont suffisamment souples pour rendre viables des groupes de petits projets de boisement et reboisement, on peut espérer alors faciliter la complémentarité entre activités agricoles et de plantations locales.

L'accord de Bonn indique également «qu'il appartient à la Partie hôte, dont c'est la prérogative, de confirmer si une activité de projet exécutée au titre du Mécanisme pour un développement propre contribue à l'instauration du développement durable» (FCCC/CP/2000/L.7, p. 13), ce qui est une autre manière de suggérer que les gouvernements gardent un droit de regard sur les activités que se proposent d'entreprendre des opérateurs, publics ou privés. L'accord vise en outre à faciliter « une mise en route rapide du Mécanisme pour un développement propre », qui sera supervisé par un comité exécutif de 10 membres, à savoir «un membre pour chacun des cinq groupes régionaux de l'ONU, deux autres membres pour les Parties visées à l'Annexe I, deux autres membres pour les Parties non visées à l'Annexe I et un représentant des petits États insulaires en développement». Ce conseil exécutif devra définir et recommander à la Conférence des Parties, à sa 8ème session, des modalités et procédures simplifiées pour une série «d'activités de projet de faible ampleur» ; parmi les trois activités mentionnées, seules les «activités de projet visant à mettre en valeur des sources d'énergie renouvelable dont la puissance maximale ne dépasse pas l'équivalent de 15 mégawatts» concernent la foresterie, et notamment la production d'électricité à partir de biomasse. Les activités de boisement et reboisement ne sont pas mentionnées à cette rubrique «projets de faible ampleur».

Enfin, la Décision indique que « les modalités à définir [par SBSTA - et à soumettre à la CdP 8, à la fin de 2002] concernent le caractère non permanent des absorptions, l'additionnalité, les «fuites», l'échelle, les incertitudes, les conséquences socio-économiques et environnementales (y compris les conséquences sur la biodiversité et les écosystèmes naturels) » (p. 15).

Quelle architecture pour le MDP ?

Le MDP a été implicitement conçu dans l'optique d'une architecture « bilatérale », c'est-à-dire en adoptant pour référence la figure d'un investisseur issu d'un pays de l'Annexe I à la recherche de crédits carbone, et un partenaire, public ou privé, issu d'un pays en développement (non Annexe I) pour développer les activités. Différentes clés de répartition de la rente carbone (les CRE générés par l'activité) et de la rente commerciale (les bénéfices commerciaux de l'activité) peuvent être envisagées entre ces partenaires.

Mais on peut aussi considérer une architecture « unilatérale », qui verrait des investisseurs établis dans le pays en développement entreprendre l'activité eux-mêmes, bénéficier des CRE qui seraient ensuite vendus sur le « marché du carbone » qui devrait logiquement se mettre en place avec l'entrée en action des mécanismes de flexibilité. On peut penser que ce cas de figure est plus vraisemblable dans les pays du Sud disposant de capacités d'investissement significatives et d'une classe d'entrepreneurs dynamique12. Certains industriels du bois opérant en Afrique de l'Ouest et Centrale sont, par exemple, disposés à utiliser une telle formule pour entreprendre des activités de boisement et de reboisement en bois d'œuvre (essences à croissance relativement lente) et assurer ainsi la pérennité de l'approvisionnement de leurs unités de transformation rendu de plus en plus difficile par la dégradation sensible des forêts naturelles.

Enfin la préoccupation d'équité quant aux bénéficiaires de projets MDP a conduit à envisager une architecture « multilatérale » s'appuyant sur des fonds d'investissement qui agiraient comme intermédiaires entre les investisseurs à la recherche de CRE et « porteurs de projets » dans les pays en développement.

Compte tenu de la spécificité des objectifs « pluriels » du MDP, la formule du « fonds d'investissement » présente un intérêt certain. Sans mécanisme de coordination, les investissements bilatéraux se concentreront inévitablement sur les projets « à simple dividende » stockant un maximum de CO2 (et générant un maximum de certificats, objectif des acteurs des pays industrialisés) au détriment des projets de « second choix » du point de vue du stockage, mais à plusieurs dividendes (multi-usages des terres permettant une répartition plus équitable des revenus, reconstitution ou maintien de biodiversité). Un mécanisme de coordination pourrait être constitué par un ou plusieurs fonds d'investissement, bourse de projets - grands et petits - de stockage de carbone, dont les caractéristiques prioritaires correspondraient aux objectifs nationaux des pays en développement. Dans cette logique «multilatérale », les États du Sud pourraient faire prévaloir la hiérarchie de leurs objectifs vis-à-vis de l'environnement et du développement qu'une logique « bilatérale » risque fort d'ignorer.

Chaque architecture possède ses points forts mais aussi des points faibles. Les formules bilatérales et unilatérales font jouer à plein la dynamique de l'investissement privé (identification et portage du projet par des entrepreneurs, souplesse des procédures) mais peuvent ne favoriser que certaines catégories de projets et de bénéficiaires. Avec les fonds d'investissements, le risque est celui de l'accroissement des coûts de transaction et de la bureaucratisation de la structure du fonds, conduisant à la perte d'efficacité. Une solution serait, comme le suggère un document de l'Institut mondial pour les ressources (WRI) (Baumert et al., 2000), de laisser la possibilité d'une architecture ouverte, où les trois formules pourraient coexister afin de satisfaire une large palette d'intérêts et d'objectifs. Mais, comme en économie où « la mauvaise monnaie chasse la bonne », on peut craindre que la formule la plus « équitable » mais la moins « efficace », en termes de coûts/CRE générés, soit progressivement marginalisée.

Le choix de l'une ou l'autre architecture du MDP ne semble pas être en mesure de résoudre toutes les inquiétudes quant aux activités favorisées par le mécanisme et aux acteurs bénéficiaires des activités. Des mécanismes associés sont à envisager pour rétablir un certain équilibre a priori entre les différentes activités qui ne présentent pas le même profil « coût-efficacité » du point de vue du bilan carbone.

Comment pourrait s'établir la pondération entre les différentes catégories de projets ?

• la solution la plus simple est de laisser le pays hôte des activités effectuer sa propre pondération en fonction de ses priorités de développement ; mais il y a risque que ce type de sélection soit biaisé et que des couches sociales défavorisées, disposant de peu de capital politique, soient systématiquement écartées (par exemple les paysans pratiquant l'agroforesterie, toujours suspectés d'êtres des défricheurs en puissance) ;

• la deuxième solution est celle d'un quota par activités, chaque secteur bénéficiant par avance d'un potentiel de CRE, sous réserve de l'éligibilité des activités proposées par les promoteurs de projets. Dans ce cas, le pouvoir d'achat d'une unité monétaire investie pourrait être le même quel que soit le projet, les activités à bon rapport coût-efficacité sur l'aspect carbone « subventionnant » les autres projets. Les risques sont liés au système de quotas pré-établis, avec des dérives possibles vers de véritables « droits de tirage » sur une rente carbone ;

• la troisième solution laisserait entiers les différentiels coût-efficacité mais demanderait à différents fonds publics (FEM/FFEM, fonds d'aide bilatérale, etc.) de s'investir en priorité dans les projets présentant les moins bons profils coût-efficacité. L'apport supplémentaire de fonds publics réduirait les différentiels de profil économique entre projets visant un « maximum carbone » et projets visant un équilibre entre des bénéfices en termes de biodiversité, de développement et de fixation du carbone.

Le caractère atypique du MDP vient du fait qu'il doit servir deux objectifs simultanément. Réduit à sa simple dimension d'instrument de flexibilité, il n'est certainement pas un moyen de promotion d'un développement forestier durable et diversifié. Mais considéré dans sa double dimension d'instrument de développement durable et de flexibilité, il peut constituer une base pour une réorientation des investissements forestiers. Si la rémunération de la fonction de fixation du carbone est une condition nécessaire de cette réorientation, elle n'est pas une condition suffisante car l'optimum « climat » ne coïncide pas avec l'optimum « biodiversité », ni avec l'optimum « développement ». En d'autres termes, le MDP doit être combiné à d'autres instruments et mis en œuvre dans des cadres institutionnels ad hoc qui restent largement à créer, pour que son potentiel d'instrument de développement durable soit réalisé.

MDP et aide publique au développement (APD) : risque ou opportunité ?

Ce n'est qu'en novembre 2001, à la 7ème CdP réunie à Marrakech qu'il a été confirmé que les activités économiques bénéficiant d'un soutien financier au titre de l'APD pourront être éligibles également au MDP. L'article 12 mentionne que « Peuvent participer au Mécanisme pour un développement "propre" (...) et à l'acquisition d'unités de réduction certifiée des émissions, des entités aussi bien publiques que privées », mais que «la participation est soumise aux directives qui peuvent être données par le conseil exécutif du Mécanisme». Il ne semble pas que ces directives restreignent le champ d'application de l'aide publique au renforcement des capacités des pays hôtes et l'investissement direct dans des activités MDP serait donc possible.

Il existe un débat sur les effets potentiels de la possibilité qui serait offerte aux pays du Nord d'utiliser des fonds de type « aide publique au développement » pour renforcer le rapport coût-efficacité de projets MDP et renforcer ainsi leur possibilité de réalisation. En faveur de cet argument, il y a la crainte que les flux d'investissement du MDP ne se concentrent que sur les pays émergents, où le potentiel de réalisation de grands projets est important, et sur certaines activités qui apparaissent financièrement viables, au détriment des pays les moins avancés et d'activités jugées peu rentables. De fait, comme le soulignent Kete et al. (2001), les investissements privés Nord-Sud ont considérablement augmenté alors que dans le même temps l'aide publique au développement déclinait. En outre, la majorité des pays du continent africain qui dépendent le plus de l'aide publique (haut ratio aide/PNB) sont aussi ceux qui bénéficient le moins des flux d'investissements privés.

Dans le domaine de la foresterie, cette inquiétude semble justifiée pour un certain nombre d'activités à faible probabilité de rentabilité mais dont la réalisation entraînerait d'importants bénéfices environnementaux et sociaux. C'est le cas pour des activités de développement de l'agroforesterie, de plantations villageoises ou d'activités de reboisement pour assurer la protection de bassins versants, activités qui sont a priori assez peu susceptibles d'attirer des investissements privés au titre du MDP. Or, le profil de rentabilité de ces activités pourrait être modifié par l'apport de fonds provenant de l'APD et devenir ainsi susceptible d'intéresser des investisseurs privés dans le cadre du MDP. Dès lors, on peut envisager que les fonds MDP suivraient le flux des investissements privés en se concentrant sur quelques pays émergents, contribuant ainsi à marginaliser un peu plus les pays les plus pauvres, et une large part de l'Afrique.

Mais le risque de voir s'instaurer une concurrence entre fonds destinés à l'APD et MDP est réel. Le G-77 et la Chine ont demandé des garanties pour que les fonds investis dans le MDP soient additionnels à l'APD et autre financements internationaux. En 1999, l'Union européenne (UE) a proposé que les participants à des projets MDP financés en outre par de l'APD apportent des informations indiquant que ces fonds publics investis ne venaient pas se soustraire au volume total de l'aide aux contributions au FEM. L'accord conclu à Bonn en juillet 2001 souligne que « le financement public de projets exécutés au titre du Mécanisme pour un développement propre par les Parties visées à l'Annexe I ne doit pas conduire à un détournement de l'aide publique au développement et doit être dissociée des obligations financières des Parties visées à l'Annexe I et comptabilisé séparément » (FCCC/CP/2001/2/Add.3/Rev.1, p. 13-14) Mais il semble bien difficile de parvenir à faire cette démonstration dans la mesure où les montants des fonds consacrés à l'APD d'année en année ne sont pas toujours connus avec précision dans les pays donateurs et que, dans le monde industriel, seuls quelques pays d'Europe du Nord consacrent effectivement 0,7 pour cent de leur PNB à l'APD, comme le recommandait le Sommet de la Terre de 1992.

Le cas le plus délicat est celui de l'aide « liée » par laquelle le pays récipiendaire de l'APD s'engage à acheter des biens et services au pays fournisseur des fonds. On peut penser que des pays de l'Annexe I seront tentés d'appuyer leurs firmes à la recherche de certificats de réduction d'émission en subventionnant des projets MDP, l'aide liée consistant ici à faire pression sur le pays hôte pour qu'il accepte les projets présentés par les firmes soutenues par le gouvernement pourvoyeur de l'APD et non les projets qui correspondent aux besoins de développement des pays hôtes des activités.

La faiblesse des capacités institutionnelles est un des principaux handicaps des pays africains pour parvenir à bénéficier d'investissements dans le cadre du MDP. Le renforcement de ces capacités doit être sans conteste une des priorités de l'APD, et plusieurs observateurs jugent que l'APD liée au MDP devrait se concentrer exclusivement sur ces activités et non directement dans les projets de réduction des émissions éligibles au MDP. Kete et al. (2001) pensent qu'ainsi on permettra aux pays en développement d'être plus compétitifs pour attirer les investissements au titre du MDP, à l'image du Costa Rica qui, par une politique avisée en matière environnementale, s'est ouvert des opportunités d'investissements dans ce domaine. Toutefois, il laisse entier le problème des pays qui cumulent les handicaps et des activités de faible rentabilité pourtant susceptibles de susciter du développement local et de lutter contre la pauvreté en milieu rural. La solution passe sans doute par une différenciation entre les pays (les pays les moins avancés pouvant bénéficier de règles plus souples) et entre les différents types d'activités : il est possible d'identifier les activités dont la réalisation entraînerait des bénéfices considérables en termes de développement local, de lutte contre l'érosion, de maintien de la biodiversité, mais qui sont défavorisées sur le plan financier par des coûts de transaction élevés (coûts d'établissement des contrats avec des producteurs nombreux et dispersés, coûts de supervision et de formation des acteurs) ou par la modestie de la rente commerciale associée.

On retrouve la question de l'architecture du MDP et l'intérêt que peuvent représenter les fonds multilatéraux d'investissements pour le financement d'une certaine catégorie d'activités. Un fonds d'investissement pour le financement d'une foresterie sociale à multiples bénéfices environnementaux devrait pouvoir très légitimement bénéficier de fonds de l'APD, tandis que les projets bilatéraux offrant des perspectives raisonnables de rentabilité seraient réservés à l'investissement privé.

La mise en oeuvre du mécanisme dépend de la résolution de certains points techniques

Le Protocole de Kyoto reste peu précis sur les contours du MDP, ce qui a conduit à de nombreuses interprétations, pas toujours convergentes. Les discussions sur la mise en œuvre des « mécanismes de flexibilité » du Protocole, ont permis de cerner ce qu'on peut nommer des « conditions implicites » : additionnalité, critères environnementaux, pertes associées.

La permanence : fondement de la valeur des crédits attribués à un projet forestier

Les réservoirs de carbone biosphériques ont la particularité d'être très sensibles aux perturbations humaines et naturelles - on peut dire qu'ils constituent des réservoirs « temporaires » (ou de cycle court), et considérer également comme temporaire une réduction des émissions ou un accroissement de l'absorption par ces réservoirs. Au contraire, les réservoirs de carbone souterrains ou sous-marins sont à cycle lent et beaucoup moins exposés aux perturbations : la déplétion des réservoirs fossiles est irréversible à l'échelle humaine, de même que les réductions d'émissions liées à des sources fossiles sont définitives. La prise en compte, pour les pays de l'Annexe I, des flux issus des réservoirs biosphériques contourne ce problème dès lors que les périodes d'engagements se succèdent sans discontinuité. Toutefois, pour le MDP, le problème se pose différemment : si le mécanisme attribue des CRE utilisables en compensation d'émissions irréversibles, il est nécessaire de trouver une équivalence, en terme d'effet sur le climat, entre une réduction d'émissions ou une absorption temporaire et une réduction d'émissions définitive. Ce problème est fondamental pour l'éligibilité des projets forestiers au MDP. Différentes options ont été proposées par les experts du SBSTA en charge de préciser les modalités d'application du Protocole de Kyoto et de la conférence de Bonn.

L'option la plus sérieusement discutée aujourd'hui est celle des crédits temporaires, proposée par la Colombie à La Haye durant la CdP 6, puis modifiée et reprise dans le texte de négociation sur les Mécanismes de flexibilité en avril 2001 (CCNUCC, 2001). Il s'agit de constituer un système de crédits spécifique aux projets forestiers, avec l'attribution d'unités temporaires avec une durée de validité spécifiée. Pour les pays de l'Annexe I (et la MOC), les crédits générés par la fixation de carbone se nommeront RMU. Leurs équivalents issus de projets MDP pourraient se nommer T-RMU, mais aucune décision n'a encore été prise à ce sujet. Les T-RMU seraient inscrits dans le registre de l'entité qui les reçoit, pouvant être utilisés pour remplir des engagements, mis en réserve ou vendus. Une fois utilisés pour remplir les engagements, les T-RMU expirent après un temps égal à leur durée de validité, et doivent être remplacés par d'autres unités équivalentes (nouveaux T-RMU, CRE, ERU, RMU).

La durée de validité d'un T-RMU dépend de la durée pendant laquelle le projet garantit le maintien du stock. Le problème principal de cette proposition dépend justement de la responsabilité en cas de réversibilité du stock pendant la période garantie. Pour la cohérence du système, il est vraisemblable que ce soit directement le promoteur du projet qui soit amené à fournir ces garanties.

Ce système est parallèle au système des CRE « permanents ou définitifs » issus des autres projets MDP, mais les deux types de crédits ne sont pas équivalents, car il faudrait une chaîne infinie de T-RMU pour remplacer un CRE. L'utilisation des T-RMU permet de gagner du temps sur l'acquisition d'unités définitives, elle ne sera intéressante que si l'acquéreur prévoit que leur coût d'acquisition présent ajouté au coût futur d'acquisition d'unités définitives est inférieur au coût présent d'acquisition d'unités définitives.

La création d'un système d'attribution de crédits spécifiques aux projets forestiers innove par rapport aux propositions précédentes :

• La proposition par la « variation de stock moyen » proposait simplement d'attribuer des CRE dès lors qu'il y avait fixation, en apportant des garanties pour que le stockage soit définitif. Cela posait des problèmes à l'égard de l'utilisation des terres ainsi qu'à la crédibilité du mécanisme.

• La proposition par les « tonne-an » est déjà un peu plus élaborée mais difficile à concrétiser. Elle dépend en effet de l'identification d'un temps d'équivalence au bout duquel la fixation de carbone compenserait l'effet climatique de l'émission d'une même quantité de carbone. Il semble difficile d'atteindre un consensus sur ce temps (les valeurs proposées vont de 46 à 100 ans), dont les bases scientifiques semblent instables, et qui relèverait donc plutôt d'un consensus politique. Ce système serait utilisé soit directement au niveau de l'attribution des crédits (un stockage d'une durée déterminée donnerait lieu à une fraction de CRE, complétée après ce temps d'équivalence), soit en cas de réversibilité du stockage, pour quantifier la part à rembourser. Si cette proposition de comptabilité carbone était retenue, elle amenuiserait considérablement l'effet de levier attendu du MDP et reviendrait à faire de la constitution des puits de carbone une activité très marginale par rapport aux projets énergétiques. L'Afrique serait de toute évidence le continent perdant de ce type de compromis car la dimension du secteur énergétique en Afrique est sans rapport avec ce qu'elle est dans des pays émergents comme la Chine, l'Inde ou le Brésil. En outre, on peut prévoir que seuls les projets qui peuvent se passer des investissements supplémentaires permis par le MDP seraient entrepris. On arriverait alors à un paradoxe : les projets qui auraient un réel besoin du MDP ne pourraient être entrepris (compte tenu de l'effet de laminage de la méthode de comptabilisation) alors que les projets pour lesquels les bénéfices du MDP ne représentent qu'une part marginale, et qui auraient été entrepris avec ou sans le mécanisme, seront les seuls restant en lice pour capter ces crédits. L'objectif de réduction additionnelle des quantités de GES dans l'atmosphère (réductions en sus de celles qui auraient eu lieu en l'absence du mécanisme) serait alors ruiné.

Le mode d'attribution des crédits-carbone qui sera choisi pour les projets forestiers est fondamental, à la fois en terme de flexibilité pour les entités cherchant à remplir leurs engagements, qu'en terme d'effet levier pour le développement de ces projets : il détermine à la fois la quantité de crédits-carbone, leur distribution temporelle et l'usage qu'il peut en être fait, et, par conséquent, leur valeur sur le marché des crédits carbone.

L'additionnalité : fondement de la quantité de crédits attribués à un projet

La condition d'additionnalité découle de la clause (Art 12, § 5, alinéa 3 du Protocole de Kyoto) selon laquelle les réductions d'émissions doivent s'ajouter à celles qui auraient lieu en l'absence de l'activité certifiée. On dispose de deux références pour interpréter cette condition : l'évaluation économique de projet, d'une part, celle du coût incrémental du FEM, d'autre part.

La mesure de l'additionnalité doit emprunter ses méthodes à l'évaluation économique de projet, laquelle consiste non pas à comparer une situation « avant projet » et une future situation « après projet », mais bien une situation future probable « sans projet » à une situation future probable « avec projet ». La situation la plus probable en l'absence des activités MDP est qualifiée de scénario de référence et les scénarios avec activités doivent être comparés à cette référence.

La construction d'un scénario passe par deux étapes, que l'on peut résumer par deux questions :

• que se serait-il passé sans le MDP (identification du scénario de référence) ?

• de combien d'unités le projet permet-il de réduire les émissions (ou de fixer du carbone) par rapport au scénario de référence (quantification de l'impact carbone du projet) ?

On a vu apparaître également des déclinaisons de la notion, avec l'additionnalité « économique et financière  » et l'additionnalité « développement ». La notion d'additionnalité « économique et financière » (appelée aussi parfois additionnalité d'investissement) est proche de la logique du coût incrémental, utilisé par le FEM. L'idée de base est que les projets financièrement rentables (qui rémunèrent le capital investi au taux moyen de retour sur investissement ou au-delà) sont généralement entrepris, pourvu que l'information soit accessible aux investisseurs et que des barrières réglementaires ne soient pas de mise. Dans cette optique, la profitabilité a priori d'une activité est un indicateur important pour apprécier son additionnalité et établir le scénario de référence (dans le cas du FEM, seule une activité non profitable au départ peut bénéficier d'une aide au titre du financement du coût incrémental). Mais cet indicateur est peu utilisable et incomplet, pour deux raisons :

• l'asymétrie d'information existant entre les promoteurs du projet (particulièrement s'il s'agit de grandes firmes) et les évaluateurs quant à la réalité des coûts marginaux de réduction et des bénéfices commerciaux potentiels du projet ouvre la voie à des manipulations stratégiques de l'information visant à rendre éligibles des projets non additionnels (i.e. qui auraient été vraisemblablement entrepris sans le mécanisme) ;

• en économie en général, et dans les pays en développement en particulier, il ne suffit pas qu'une activité soit théoriquement rentable pour qu'elle soit entreprise, du fait de l'existence d'un certain nombre de barrières, plus ou moins explicites : problèmes quant aux droits de propriété, blocages institutionnels, obstacles psychologiques, manque d'information, de capital et de personnel formé à certaines techniques, etc.

La plupart des observateurs considèrent qu'il est envisageable que des activités rentables soient éligibles au MDP, pourvu que les travaux d'élaboration du scénario de référence indiquent explicitement pour quelles raisons l'activité n'aurait vraisemblablement pas été entreprise sans l'incitation que constitue le MDP.

Ce qu'on pourrait qualifier d'additionnalité « développement » découle de la rédaction de l'Article 12 qui indique une certaine hiérarchie des objectifs, en mentionnant que « l'objet du Mécanisme pour un développement propre est d'aider [les PED] à parvenir à un développement durable ainsi qu'à contribuer à l'objectif ultime de la Convention ». Ce qui laisse clairement entrevoir que les pays hôtes des activités seront partie prenante pour apprécier la nature et l'importance des bénéfices en termes de développement durable (emplois, revenus, aménagement du territoire, amélioration des infrastructures, amélioration de la qualité de l'environnement). Le MDP ne peut donc être un instrument fonctionnant sans droit de regard des gouvernements des pays hôtes quant au type d'activités qui seront réalisées, ce qui a été confirmé à Bonn.

Les critères environnementaux

Enfin, il est de plus en plus question de conditions de compatibilité avec les objectifs des autres grandes conventions internationales sur l'environnement, notamment la Convention sur la diversité biologique (CDB). Le secrétariat exécutif de la CDB rappelait, dans la note du 27 octobre 2000 adressée à la CdP6 à La Haye, la nécessité d'évaluer activité par activité les risques de conflits d'objectifs et d'envisager des critères partagés pour l'évaluation des projets MDP ayant potentiellement une incidence sur la biodiversité. Cette proposition fait écho aux craintes de nombreuses organisations non gouvernementales (ONG) de voir les projets forestiers MDP favoriser exclusivement la plantation d'essences à croissance rapide, parfois en lieu et place de forêts naturelles, qui réduiraient la biodiversité et pourraient menacer les équilibres écologiques et humains dans certaines régions. Il semble probable que les projets forestiers MDP fassent l'objet d'une étude d'impact environnementale avant leur agrément. Plus précisément, l'utilisation des critères et indicateurs développés depuis plusieurs années par différents organismes, notamment le Centre pour la recherche forestière internationale (CIFOR), pour différents types d'activités forestières, semble assez appropriée à ce type d'évaluation, même si cela ne suffit pas à régler la question de l'attirance des investisseurs pour des projets à retour rapide sur investissement.

Les pertes associées (« fuites » ou leakage )

La condition de pertes associées ou « fuites » vise à éviter que la fixation ou la réduction des émissions de carbone dans le cadre d'un projet donné n'ait pour effet une augmentation des émissions dans un autre lieu géographique ou un autre secteur. Cette condition s'applique notamment dans le cas des activités de conservation des forêts ou la possibilité que les acteurs déportent leur effort d'exploitation ou de défrichement sur une autre aire géographique. On peut envisager également une dimension temporaire de cet effet, avec le simple déport dans le temps d'émissions de gaz à effet de serre. Mais on entre alors dans le débat sur la valeur de toute fixation temporaire, débat qui, pour être tranché, implique des hypothèses sur ce que les économistes appellent la « forme de la courbe des dommages » (notamment l'hypothèse de seuils) et l'utilisation qui sera faite par la société de ce « temps gagné » par le décalage dans le temps d'émissions de gaz à effet de serre15.

La figure d'une « perte associée à travers le marché » renvoie à une modification des prix relatifs entraînée par la réalisation d'un projet MDP. Par exemple un accroissement de l'offre de bois dû au développement de plantations peut entraîner une baisse des prix du bois, et donc de la rentabilité attendue des potentiels projets de plantation, ce qui dissuaderait leur réalisation. Ces effets sont possibles, mais la prévision dans ce domaine est extrêmement aléatoire et les effets peuvent se manifester dans des directions opposées : la mise en marché massive de bois issu de plantations peut, sous certaines conditions, conduire à diminuer la pression sur les forêts naturelles qui, dans la plupart des pays d'Afrique tropicale, fournissent l'essentiel de la demande de bois. Cette catégorie de pertes associées à travers le marché paraît donc difficile à appréhender.

Si l'on en croit les résultats de la 6e CdP à Bonn, les questions techniques concernant l'inclusion des projets forestiers dans le MDP devraient être réglées pour la 8e Conférence des Parties prévue fin 2002, après un processus de consultation des organes subsidiaires (SBI et SBSTA).

C. La dynamique engendrée par les instruments de la Convention

Le MDP n'est encore qu'un instrument virtuel dont la mise en œuvre dépend de la mise en place d'institutions spécifiques et de règles qui devront être précisées par les négociations internationales en cours. Pourtant, c'est une véritable dynamique qui s'est mise en place autour de cet instrument, tant de la part d'institutions publiques que d'acteurs privés16.

Les perspectives de la Convention Climat ont induit une dynamique d'investissements privés, effectués par différents organismes, entreprises ou fondations, dans des buts variés : communication commerciale ou institutionnelle, apprentissage en vue du MDP, mécénat, actions militantes.

Le projet Peugeot au Brésil

Parmi les projets privés les plus connus, on mentionnera l'initiative de Peugeot au Brésil (Mato Grosso), associée à l'ONG franco-brésilienne Pro-Natura International et à l'Office National des Forêts (France). Dans ce cas, le projet prévoit de reboiser 5 000 hectares de prairies en utilisant pour l'essentiel des essences forestières locales, pour créer un but de carbone capable d'absorber 50 000 tonnes de carbone par an en phase de croissance. Le projet doit durer 40 ans et n'est pas destiné, d'après Peugeot, à acquérir des crédits carbone mais s'inscrit dans le cadre d'une politique de communication de la marque.

La Fondation FACE

La Fondation FACE (Forest Absorbing Carbon dioxide Emission) est née, dès 1990, de l'initiative des quatre principales compagnies électriques hollandaises regroupées au sein du Dutch Electricity Generating Board (SEP).

Aux Pays-Bas, 90% de la production d'électricité provient de la combustion de sources fossiles (Cornut, 1999). L 'objectif initial de la fondation FACE était de compenser un volume équivalent aux émissions d'une centrale charbon de 600 MW pendant 25 ans, soit environ 75 millions de tonnes de CO2 (20 MtC équivalent-carbone). Pour cela, il était prévu de financer des programmes de reboisement portant sur une surface totale de 150 000 hectares, et ce sur une durée de 25 ans. Le coût de ces programmes était estimé à environ 8,5 millions de dollars E.-U.. Ils devaient prendre place pour l'essentiel sur le territoire de pays tiers, en Europe centrale (près de 15 pour cent du total prévu) et surtout dans des pays tropicaux, en Amérique latine, en Asie et en Afrique (plus de 80 pour cent du total). Les premières plantations ont eu lieu en 1992, et, à l'heure actuelle, des projets pilote ont été entrepris aux Pays-Bas, en République Tchèque, en Pologne, en Équateur, en Ouganda et en Malaisie. Le projet en Ouganda porte sur une surface de 27 000 hectares.

Sur la période 1990-1997, l'investissement s'élève à plus de 25 millions de dollars E.-U.. En pratique, les coûts de fixation se sont avérés moins élevés que prévu et l'impact des projets a été supérieur aux prévisions : la Fondation FACE estime désormais que les 150 000 hectares permettront in fine d'absorber 115 millions de tonnes de CO2 (environ 31 MtC équivalent-carbone). L'objectif de la Fondation est d'obtenir la validation de ces résultats et de rétrocéder les crédits d'émission ainsi acquis aux compagnies électriques qui assurent son financement au prorata de leur investissement. Là encore, cette dynamique est sans doute tributaire des discussions internationales sur la place des puits.

The Nature Conservancy

On peut aussi mentionner les initiatives de la société « The Nature Conservancy » qui finance de grands projets de conservation en Amérique latine et en Asie-Pacifique. Le projet le plus connu est sans doute le « Noel Kempff Climate Action Project » en Bolivie. Dans le cadre de ce projet, un document intitulé « Technical Operating Protocols for Carbon Monitoring, Leakage Monitoring, Accounting and Reporting, and Verification and Supervision » vise notamment à proposer des méthodes pour apprécier les risques de pertes associées dans les projets de conservation. Ainsi, dans le cadre de ce projet ont été signés des contrats avec les exploitants forestiers pour éviter qu'ils n'exploitent d'autres zones dans la région. Des activités sont proposées aux populations riveraines et des techniques agricoles émettant moins de carbone leur sont proposées. Des sites témoins ont été mis en place pour comparer les montants de carbone émis ou séquestrés. A un niveau plus large, des études sur l'utilisation des terres, les marchés et l'exploitation des forêts sont conduites pour identifier des signes possibles d'influence du projet de conservation.

Le Fonds Carbone Prototype : un fonds multilatéral

Du côté des organisations internationales, la principale initiative est à mettre à l'actif de la Banque mondiale avec le lancement du Fonds Carbone Prototype (FCP), en fonctionnement depuis 2000 (www.prototypecarbonfund.org).

Ce programme disposant de 180 millions de dollars E.-U., est un fonds d'investissement destiné à dynamiser un marché de carbone avec les pays en développement et les pays en transition. Il se donne pour objectif de produire des réductions d'émissions de « haute qualité », en ce sens que toutes les étapes (calcul des scénarios de références, évaluation des effets induits en termes de développement durable, vérification, validation, etc.) auront été menées avec le plus grand soin. Le fonds se veut d'ailleurs explicitement une opération de "apprendre en faisant" devant bénéficier à l'ensemble de la communauté internationale. Le FCP est abondé par des fonds du secteur privé et des gouvernements (Pays-Bas, Finlande, Suède, Norvège, Canada, Japon).

Le fonds vise les projets MDP et MOC, avec un accent particulier sur le MDP et sur les énergies renouvelables dans un premier temps. Du fait des débats serrés sur les puits de carbone, pas plus de 10 pour cent du fonds seront investis dans des projets forestiers de ce type, et seulement dans les pays « en transition » de l'Europe de l'Est, en principe. Toutefois, la Banque mondiale espère parvenir à utiliser des ressources du fonds pour financer des projets en Afrique dans le domaine du bois énergie et de la carbonisation. Les pays africains participant au programme (pays hôtes de projets du fonds) sont le Sénégal, le Zimbabwe, le Togo, le Maroc, le Burkina Faso, l'Ouganda, le Ghana, le Swaziland.

La Banque mondiale propose aux investisseurs du secteur privé qui participent à ce programme un certain nombre d'avantages pour leurs compagnies, en leur offrant :

• un moyen de satisfaire les obligations du Protocole de Kyoto avec un bon ratio coût/efficacité

• un apprentissage rapide sur ce nouveau marché

• une meilleure image de responsabilité environnementale

• un profit potentiel sur le second marché boursier

• la possibilité d'identifier de nouvelles opportunités de croissance.

En ce qui concerne les pays hôtes, clients de la Banque, les avantages attendus sont :

• la possibilité de bénéficier de gains sur le marché de ce nouveau produit, pour lequel ils ont un avantage comparatif

• d'identifier des opportunités pour stimuler les investissements du secteur privé

• de démontrer comment la marche des réductions d'émissions de gaz à effet de serre devrait se traduire par le transfert de technologies plus propres

• de souligner les bénéfices en matière de santé publique, provenant de la réduction de la pollution

• d'améliorer la capacité des pays dans la compétition sur le marché émergent des réductions d'émissions.

Le FCP sert d'intermédiaire entre les investisseurs des pays de l'Annexe I et les pays hôtes. Mais il ne se présente pas comme une structure de péréquation des fonds entre des projets aux profils environnementaux et sociaux contrastés et au rapport coût-efficacité différents. En outre, le fonds ne financera que les sommes "additionnelles" par rapport à l'investissement de base du scénario de référence, c'est-à-dire qu'il utilise la notion de coût incrémental du FEM.

Le PCFplus : un dispositif d'accompagnement

Le PCFplus est un programme de recherche, de formation et d'information, accompagnant le développement du PCF. L'objectif de ce programme est d'aider les parties prenantes du FCP (membres du fonds, participants, pays hôtes) ainsi que la communauté internationale à comprendre les questions complexes entourant la mise en place du système de marché de réduction d'émissions lié au MDP et à la MOC. Le but est de réduire les coûts de transaction et les risques associés à la réalisation de projets.

La composante recherche du PCFplus comprend trois composantes :

• la « boîte à outils » des projets MDP, avec les questions méthodologiques liées à l'établissement des scénarios de référence offrant le meilleur compromis entre coûts et efficacité, aux dispositifs de suivi-évaluation et vérification, et aux questions relatives au cadre juridique et au système de contrats ;

• le marché potentiel pour des réduction d'émissions dans le cadre de la MOC et du MDP, en fonction de différentes hypothèses sur les prix du carbone ;

• le MDP et le développement durable. Cet axe est consacré à l'analyse des activités entreprises dans le cadre du MDP sous l'angle de leurs effets sur les dynamiques de développement durable. Une des questions examinées est celle dite des « premiers fruits accessibles », c'est-à-dire les conséquences qu'aurait la réalisation à travers le MDP des opportunités de réduction d'émissions les moins coûteuses dans la perspective de l'adoption, dans le futur, d'objectifs chiffrés de réduction d'émissions par les pays en développement - les actions restantes étant les plus coûteuses.

Assistance pour le MDP (CDM-Assist) : un programme destiné à l'Afrique

Le programme « CDM-Assist » est destiné à l'Afrique sub-Saharienne (hors Maghreb et Machrek). Les financements proviennent du Programme d'assistance pour la gestion du secteur énergétique (ESMAP) de la Banque mondiale et de gouvernements de l'OCDE (en particulier via le FFEM). Ce programme de renforcement des capacités nationales aura les objectifs suivants :

• mise en place d'un réseau international de spécialistes du MDP ;

• études méthodologiques ;

• ateliers de lancement dans les pays ;

• formation d'experts nationaux.

Ce programme répond bien à une partie des besoins du continent africain en matière de renforcement des capacités « d'appropriation » des différents aspects du mécanisme. À l'heure actuelle, les modalités définitives de financement ne sont pas arrêtées, et cet outil n'est donc pas encore opérationnel. Toutefois, il est intéressant de comparer le CDM Assist et le FCP dans leurs principes pour mieux en comprendre les enjeux :

FCP

Capacités pour OCDE

Promotion du marché

Rigide: critères spécifiques aux projets et au portfolio

Exclusivement réduction des GES

Distribution globale

Orienté par les besoins de l'investisseur

Fonds multilateral

Investissements indirects

Relations d'affaires

Transaction sur le carbone

Projets spécifiques

Requiert des institutions hôtes

CDM Assist

Capacité pour l'Afrique

Recherche de l'équité

Souple: toute expérimentation possible

Adaptation, projets forestiers

Centré sur des régions

Orienté par les besoins exprimés par le pays hôte

Accords bilatéraux

Implication directe dans projets

Partenariats

Transition vers le MDP

Synergies et suivi

Crée des institutions dans les pays-hôtes

9 «Les fonds du FEM ne doivent être utilisés que pour des coûts incrémentaux [...] les efforts faits pour assurer des bénéfices environnementaux globaux peuvent imposer aux pays des coûts additionnels (c'est-à-dire incrémentaux), au-delà des coûts nécessaires pour atteindre les objectifs nationaux de développement. ». Stratégie opérationnelle du Fonds pour l'environnement mondial, 1996 (www.gefweb.com/public/opstrat).

10 Ce qui conduit P. Cornut à proposer l'image de la `zone grise' dans laquelle se rangent les projets dont le coût incrémental, positif ou négatif, est du même ordre de grandeur que l'incertitude des évaluations.

11 Voir alinéa 5 de ce chapitre.

12 Dans un premier temps, les pays de l'Annexe I se sont montrés défavorables à cette option, arguant que certains pays risquaient de mener d'un côté une politique négative du point de vue de la lutte contre l'effet de serre et, de l'autre, obtenir des CRE par des activités « unilatérales ». Mais lors de la 7ème Conférence des Parties à Marrakech en novembre 2001, les activités unilatérales ont été acceptées.

13 Ce faisant, ce type d'alternative existe bel et bien dans de nombreux cas où est en jeu le choix d'une technologie alors que la décision globale d'investissement a été prise.

14 C'est-à-dire que chaque projet devra concrètement faire l'objet d'une analyse spécifique pour établir les réductions d'émissions ou les tonnes de carbone séquestrées par rapport à un scénario « sans projet ». Mais le champ des scénarios possibles aura été étroitement balisé par l'exercice sectoriel et géographique réalisé en amont.

15 Voir à ce sujet Lecocq et Chomitz, 2001.

16 Pour la phase pilote de la « mise en œuvre conjointe » (AIJ), se reporter à l'Annexe 2.

17 « Through the emission of this certificate, the government of the Republic of Costa Rica commits itself to maintain the validity of the amount of GHG offsets specified in this certificate during the next 20 years, and guarantees replacement offsets if it is demonstrated that the offsets here certified have not been produced in the amount indicated on the certificate".

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