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TROISIÈME PARTIE

LE POTENTIEL DES INSTRUMENTS DE LA CONVENTION CLIMAT POUR LE DEVELOPPEMENT FORESTIER DE L'AFRIQUE

A. Les difficultés du secteur forestier en Afrique

Dès lors que l'on se place dans l'optique du développement durable, on ne peut aborder la question des instruments de la Convention Climat qui intéressent les pays du Sud qu'en rapport avec la situation concrète de leur développement, et notamment des problèmes qu'ils rencontrent dans la gestion de leur patrimoine forestier. Il est donc nécessaire d'avoir un bon diagnostic sur ces problèmes, afin de déterminer dans quelle mesure les instruments proposés peuvent aider à la résolution d'une partie de ces problèmes et, le cas échéant, d'accompagner ces instruments de règles d'utilisation qui les fassent fonctionner de manière adéquate à la nature des problèmes existants.

Une littérature très abondante a étudié les causes de la déforestation et de l'érosion des ressources forestières. Il est devenu courant de distinguer les agents de la déforestation (agriculteurs, exploitants forestiers, pasteurs) et les causes sous-jacentes (ou causes structurelles) qui conduisent à celle-ci. Si l'on examine l'un des derniers documents en date sur cette question18, on constate qu'aux côtés des facteurs socio-économiques larges comme l'accroissement de la population et la croissance économique qui entraînent celle des besoins (en produits et en terres), les « défaillances de marché » arrivent en bonne place. Sous cette qualification, on vise l'absence de prix de marché pour un grand nombre de biens et services liés à l'existence des forêts. On sait que seul le bois (au moins une partie des essences, dites « commerciales ») et un petit nombre de produits forestiers non ligneux, font l'objet de transactions et donc de prix de marché. Les autres ressources ou fonctions de la forêt - autres ressources ligneuses et non ligneuses, fonction de conservation des sols, fonction de réserve de biodiversité animale et végétale, fonction de régulation micro-climatique, fonctions de réservoir de carbone, fonctions patrimoniales - contribuent indiscutablement au bien-être des populations locales, de la région, du pays, voire de la planète tout entière, mais n'entrent pas dans le cadre de l'économie marchande. La conservation et l'entretien de ces biens et services n'a pas d'intérêt économique pour les personnes privées, et la divergence entre la rationalité économique individuelle et le bien-être collectif reçoit ici une illustration saisissante.

La forêt possède en outre des caractéristiques propres qui rendent sa conservation et sa gestion à long terme particulièrement difficile dans un contexte de marchandisage croissant des économies et de mobilité des capitaux. La ressource naturelle boisée se renouvelle à long terme, de l'ordre de plusieurs dizaines d'années, temps devenus trop longs au regard du raccourcissement général des cycles de l'investissement de l'économie contemporaine. Les usages agricoles concurrents du sol, écosystèmes artificialisés et considérablement simplifiés, permettent d'espérer des cycles de retour sur investissement bien plus courts qui réduisent le potentiel d'attraction d'une gestion de la ressource naturelle, qui conservent le plus possible sa diversité, et permettent l'essentiel du maintien de ses fonctions. Dans nombre de pays tropicaux, la stratégie des entreprises consiste à prélever la « rente de forêt primaire » liée à la richesse exceptionnelle de ces formations végétales, puis de tenter de convertir la forêt en un espace artificialisé, lieu de pâturage ou de plantations mono-spécifiques (palmier à huile, acacias mangium, eucalyptus, soja, etc.), plus compatibles avec les attentes en matière de rémunération du capital investi qu'une exploitation de forêts secondarisées où les cycles de coupe sont compris entre 20 et 40 ans.

En Afrique, les caractéristiques de la production agricole et les structures foncières ont joué un rôle ambivalent dans l'évolution du couvert forestier. L'agriculture d'abattis-brûlis pratiquée dans les zones forestières a longtemps permis un renouvellement de la resource boisée et de la fertilité des sols. Les évolutions démographiques, les changements de législation foncière qui se sont souvent traduits par des tentative d'appropriation étatique des espaces boisés (appropriation sans capacité de gestion, le plus souvent), le développement de nouvelles cultures et l'érosion des cadres traditionnels d'autorité régissant l'affectation des espaces, a conduit à une situation de crise de la gestion des espaces forestiers, aggravée par une exploitation minière du bois d'œuvre et du bois de feu que peu de pays sont parvenus à enrayer.

Cette situation peut-elle changer, et comment les instruments de la Convention Climat peuvent-ils y contribuer ? Les causes de la dégradation des ressources forestières sont composites et profondément rattachées à quelques-unes des caractéristiques majeures des sociétés contemporaines - comme l'extension continue des besoins - et il serait illusoire de penser qu'une solution simple et globale est à portée de main. Néanmoins, il est indispensable de réduire l'écart qui existe entre le coût social de la dégradation des forêts et le coût d'utilisation des ressources par des agents privés, ce que les économistes appellent couramment « internaliser les externalités ». C'est le rôle des gouvernements que de mettre en place des politiques et des systèmes fiscaux qui fassent supporter aux agents une part croissante du coût des dégradations environnementales qu'ils occasionnent. Mais ceci passe aussi par un système de prix qui reflète la valeur sociale des biens et services de la forêt, et qui permette la rémunération des fonctions non marchandes au profit des agents qui feront le choix d'une gestion viable des écosystèmes naturels. Dès lors, l'intérêt d'une rémunération de la « fonction carbone » de la foresterie est de réduire le handicap économique attaché aujourd'hui à une gestion à long terme au regard des gains rapides et importants qui sont censés permettre nombre d'occupation du sol concurrentes.

Cette possible rémunération de la « fonction carbone », principe qu'il faut ensuite traduire en mécanisme praticable, ne constitue qu'une partie du problème que constituent la multiplicité des causes de déforestation et de déclin des forêts. On aurait tort, toutefois, de le négliger. L'expérience passée a montré les limites d'une gestion des forêts exclusivement basée sur la contrainte réglementaire quand l'ensemble du système d'incitation économique pousse les acteurs à chercher à contourner le système de règles que tente d'appliquer, avec plus ou moins de convictions, des administrations forestières qui ne bénéficient pas toujours d'un soutien politique constant et déterminé. Les instruments économiques ne peuvent se substituer aux systèmes réglementaires, mais ils peuvent contribuer, en modifiant la structure des incitations entre plusieurs pratiques ou activités économiques, à réduire la tension entre les logiques de court terme qui dominent généralement les pratiques des acteurs, entrepreneurs ou paysans, et celle de la gestion de la forêt comme patrimoine commun.

Typologie des dégradations environnementales en Afrique et potentiel des différents instruments pour y remédier

Les dégradations intéressant l'écosystème forestier sont de différentes natures. Elles n'impliquent pas toujours les mêmes acteurs et n'ont pas les mêmes causes, par conséquent les instruments appropriés au traitement du problème ne peuvent être identiques. On a tenté de mettre en regard les types de dégradation avec les risques du point de vue de chacune des trois grandes conventions environnementales (changement climatique, diversité biologique, lutte contre la désertification). La catégorie « acteurs impliqués » doit être entendue comme une implication directe ; dans de nombreux cas on sait que la dégradation des forêts pouvant conduire à la déforestation est le fait de l'interaction de différents agents : l'exploitation forestière, par exemple, désenclave des massifs éloignés, entraîne dans son sillage des populations nouvelles, ce qui favorise le développement de défrichements et d'une agriculture permanente alimentant des marchés plus ou moins éloignés grâce au réseau routier créé et entretenu par les opérateurs forestiers.

Le risque relatif aux objectifs des conventions dépend bien sûr de l'intensité des phénomènes. Par exemple, la petite agriculture d'abattis-brûlis n'a généralement qu'un impact modéré sur le relâchement de gaz à effet de serre, sauf quand, dans certaines circonstances, elle est à l'origine de vastes incendies de forêt. Ce risque varie également suivant la nature des écosystèmes ; la collecte de bois énergie n'a que peu d'impact en zone tropicale humide avec de grands massifs forestiers, tandis que le risque du point de vue des processus de désertification sera manifeste dans les régions arides et semi-arides. De même, la conversion de la forêt naturelle en plantations industrielles peut constituer un risque au regard de la Convention Climat si les plantations s'avèrent très vulnérables aux incendies (en Indonésie, une bonne part des grands incendies ont surtout concerné des plantations de palmier à huile ou d'acacia mangium - ou ont débuté dans ces zones).

Les instruments potentiellement utilisables ont été classés en trois catégories : le Mécanisme pour un développement propre, le FEM/FFEM, et les « Politiques et Mesures » au niveau national. Cette dernière catégorie regroupe différents instruments économiques (fiscalité, subventions), réglementaires ou institutionnels, ainsi que des outils de planification, des politiques sectorielles (politiques foncières). On voit que, dans tous les cas, l'action dans le domaine des politiques et mesures, donc de l'État, apparaît indispensable pour résoudre les problèmes qui sont à la source des dégradations environnementales. Les instruments des conventions peuvent constituer des moyens d'action supplémentaires, mais ne peuvent en aucun cas constituer un substitut à l'élaboration et à la mise en œuvre de politiques adaptées.

Les investissements entrepris aujourd'hui dans le secteur forestier, dans la mesure où ils sont concentrés sur des activités à cycle court, conduisent à un appauvrissement biologique des espaces boisés, voire à une dégradation pure et simple de la ressource forestière. L'exploitation minière de la forêt primaire et la plantation d'essences à croissance rapide changent profondément la composition et la structure des espaces forestiers, au détriment de la diversité biologique. Les activités de gestion forestière visant à préserver ou à reconstituer cette diversité (exploitation à faible impact, plantations d'enrichissement, plantations d'essences de bois noble) sont handicapées par leur faible rentabilité économique vis-à-vis d'alternatives visant à la simplification radicale de l'écosystème ou sa dégradation irréversible (qui est souvent prélude à sa conversion vers des usages non forestiers). Les plantations massives d'essences à cycle court en zone tropicale, redoutées par les écologistes pour leurs effets pervers, relèvent d'une dynamique déjà enclenchée, qui constitue le scénario de référence le plus probable dans de nombreuses régions (Asie du Sud-Est, une partie de l'Amérique latine) en l'absence d'instruments comme le MDP prenant en compte les puits de carbone. La raison de ces choix est simple : elle découle des taux d'actualisation élevés des investisseurs privés, qui les dissuadent d'investir dans des activités à retour trop différé dans le temps.

L'apparition d'une « rente carbone » issue du MDP ne changera pas les écarts de rentabilité entre projets forestiers « de cycle court » et « de cycle long », mais pourra faire passer ces derniers d'une situation de non rentabilité à une situation de rentabilité potentielle. En complément au MDP, la mise en place de structures institutionnelles ad hoc (fonds d'investissements dans les projets de « puits de carbone », organes de suivi de la mise en œuvre du MDP) et la combinaison d'instruments de financement (comme les fonds du FEM, des investissements privés « verts ») et/ou d'instruments incitatifs (certification, primes à la performance) peuvent effacer ces écarts de rentabilité.

B. Les activités forestières contribuant potentiellement à la réalisation des objectifs

de la Convention Climat dans les différents pays africains

On a retenu sept activités forestières qui pourraient, le cas échéant, suivant les règles qui seront retenues par les négociateurs, être éligibles au MDP ou, à défaut, être financées au titre du futur fonds d'adaptation, ou encore bénéficier d'aides financières du FEM. Le potentiel de développement de chacune de ces activités a été examiné pour chaque pays africain, en utilisant des critères variés : climat, population, densité de population, rythme de déboisement, conditions socio-économiques19.

Les classifications sont issues d'une utilisation « raisonnée » de ces critères et non d'un traitement automatisé.

Activité 1 : plantation à usages multiples et agroforesterie

Cette activité de constitution de puits intéresse les pays africains à dominante rurale, avec un tissu d'économie paysanne suffisamment actif, et une certaine densité de population rurale. L'existence d'associations de producteurs structurant ce monde rural est incontestablement un atout pour le développement d'initiatives. A titre d'exemple, un rapport de la Tunisie au GIEC mentionne le développement des plantations d'olivier et d'arbres fourragers comme les options les plus appropriés dans le secteur rural pour contribuer à l'atténuation du changement climatique, activités qui peuvent avoir un impact significatif sur le développement de ces zones et le développement de certaines filières. Dans d'autres pays, ce sont des options de type constitution de parcs arborés. Toutefois, les entrepreneurs agricoles sont mieux placés que les petits paysans pour bénéficier de l'instrument MDP si des structures spécifiques de type fonds d'investissement ne sont pas mises en place.

Activité 2 : reboisement sur terrains dégradés

Cette activité intéresse des pays marqués par l'érosion (Burundi, Madagascar, Éthiopie, Nord Burkina, Bénin, Togo) et la déforestation (Côte d'Ivoire, Ghana, Guinée). Ces reboisements peuvent être des actions paysannes effectuées dans le cadre de programmes spécifiques à l'échelle d'un bassin versant ou d'une petite région, ou être effectuées par des entreprises agricoles ou industrielles. Dans les pays d'Afrique de l'Ouest producteurs de bois (Ghana, Côte d'Ivoire, Guinée) mais également en Afrique centrale (Cameroun, Sud du Congo) ainsi qu'en Afrique du Sud et au Zimbabwe, les industries du bois, souvent exportatrices, sont confrontées à un problème plus ou moins aigu de renouvellement de la ressource boisée (plusieurs de ces pays connaissent des problèmes de surcapacités de transformation qui s'amplifient avec la dégradation des forêts naturelles). On trouve là l'un des cas de figure les plus favorables pour l'application du MDP « puits de carbone », car ces activités peuvent s'appuyer sur une dynamique (des industriels du bois en Côte d'Ivoire et au Cameroun travaillent sur cette hypothèse) et des partenariats entre entreprises du Nord et du Sud. C'est également dans cette configuration que la probabilité de MDP « unilatéraux » (projet entièrement porté par un opérateur du Sud qui cherche à acquérir des CRE dans la perspective de leur valorisation sur le futur marché des droits d'émission). Toutefois les définitions contraignantes retenues pour l'éligibilité des activités de reboisement au MDP (exclusion des activités de « restauration du couvert végétal », du champ des « reboisements ») obligera les opérateurs désireux d'effectuer des plantations de restauration ou d'enrichissement dans les massifs forestiers dégradés à utiliser d'autres instruments que le MDP pour couvrir une partie de leurs opérations.

TYPOLOGIE DES DÉGRADATIONS ENVIRONNEMENTALES EN AFRIQUE

 

Risque / Conventions

     

Nature de la dégradation environnementale

Biodiv.

Désert.

Climat

Acteurs impliqués

Principales sources du problème

Instruments potentiellement les plus adéquats

Petite agriculture vivrière de front pionnier

Fort

Modéré

Fort

Paysans locaux ou migrants

- Croissance de la population conjuguée à des structures agraires fondées sur l'extensif

- Accès inégal au foncier et insécurité foncière

Politiques & Mesures (réformes foncières, politiques agricoles, fiscalité rurale, projets de « développement rural » au sens large)

Petite agriculture itinérante d'abattis-brûlis

Modéré

Faible

Modéré à fort

Paysans locaux

- Croissance de la population sans modification structurelle des systèmes agraires

P & M (projets de « développement rural » au sens large)

Petite agriculture de plantation

Fort

Modéré

Modéré à fort

Migrants ou paysans locaux, petits entrepreneurs

- Coût d'opportunité de la foresterie

- Politiques incitatives de l'État

- Insécurité foncière

P & M (réformes foncières, modification de la structure des incitations)

MDP : conservation, agroforesterie

Conversion de la forêt en parcours

Fort

Modéré à fort

Fort

Petits entrepreneurs agricoles

- Coût d'opportunité de la foresterie

- Politiques incitatives de l'État

P & M (modification de la structure des incitations)

MDP : conservation, agroforesterie

Conversion de la forêt en plantations industrielles

Fort

Modéré

Modéré à fort

Grands entrepreneurs

- Coût d'opportunité de la foresterie

- Besoins croissants en produits de base (huile de palme, pâte à papier)

P & M (politique d'utilisation des terres)

MDP : rente nouvelle pour foresterie durable

Collecte de bois énergie

Fort

Fort

Modéré à fort

Populations locales, entreprises informelles

- Pauvreté rurale

- Accès libre aux ressources

- Insuffisance de l'offre

P & M (schéma directeur bois énergie, ajustement foncier, marchés ruraux, fiscalité, contrôle)

MDP : rente nouvelle pour l'aménagement des forêts et/ou pour boisements/reboisements

GEF/FFEM : financement fonctionnement marchés ruraux et aménagement

Troupeaux

Modéré à fort

Fort

Modéré à fort

Bergers locaux, pasteurs transhumants

- Dégradation des terroirs d'origine des pasteurs

- Capitalisation dans le bétail par manque d'activités économiques alternatives

- Glissement de la complémentarité à la concurrence avec l'agriculture conduisant à un déport sur les zones forestières

P & M (réforme foncière, projets GRN)

MDP : rémunération de la fixation dans plantations fourragères

Exploitation forestière artisanale

Fort

Modéré

Modéré à fort

Petits entrepreneurs locaux ou urbains

Accès mal régulé aux ressources

P & M (réglementation forestière, règles de gestion des massifs, structure des incitations aux acteurs et populations locales)

Exploitation forestière industrielle

Fort

Faible

Modéré à fort

Grandes ou moyennes entreprises

- Coût d'opportunité de la gestion à long terme

- Accès mal régulé aux ressources

- Politiques publiques inadaptées

P & M (politiques forestières au sens large)

MDP : rente pour une foresterie durable (aménagement, EFI, gestion des déchets)

GEF/FFEM : financements d'aspects spécifiques (EFI) de la foresterie durable

Chasse incontrôlée

Fort

Faible

Faible à modéré

Populations locales, chasseurs en réseaux

- Accès mal régulé aux ressources

- Insuffisance d'une offre alternative en viande de brousse produite

P & M (lutte contre la corruption, professionnalisation de l'activité)

GEF/FFEM : Financement d'une structure professionnelle, appui à des projets d'élevage viande de brousse en péri-urbain

L'obstacle institutionnel le plus sérieux est incontestablement la question foncière, dont la Côte d'Ivoire fournit un des exemples les plus significatifs avec des industriels du bois qui effectuent les reboisements légaux dans les seules forêts classées (alors que cette tâche revient normalement à la SODEFOR, le gestionnaire) du fait de la confusion des droits prévalant sur le foncier dans le Domaine Rural.

Activité 3 : boisements industriels

Comparée à l'activité précédente, les boisements industriels seront plus probablement orientés sur des essences à rotation courte destinées plutôt à la fabrication de pâte à papier ou à la fourniture de bois énergie. L'un des exemples type est la plantation de 43 000 hectares d'eucalyptus au Sud Congo pour l'exportation de rondins destinés à la pâte à papier, et qui a suscité le développement d'une filière bois énergie dans la région de Pointe Noire. Ces activités peuvent prendre de l'ampleur dans des pays ou des régions à faible densité démographique, et impliquent une maîtrise des questions foncières, faute de voir les coûts de transaction annuler la rentabilité du projet. En Afrique du Sud, de nombreuses plantations destinées aux usines de pâte à papier ont été établies sur la base de contrats entre les industriels et les communautés locales.

Les grandes plantations de bois énergie posent néanmoins parfois le problème de la concurrence qu'ils peuvent représenter vis-à-vis d'une production paysanne. Si l'accroissement de l'offre se traduit par la baisse du prix moyen du bois énergie sur les marchés ruraux, les plantations de bois peuvent représenter une concurrence pour la production ligneuse paysanne, comme ce fut le cas au Burundi. Le système sud-africain de contractualisation résout en partie cette difficulté. Il laisse entrevoir en outre un schéma dans lequel l'entreprise industrielle bénéficierait des CRE et pourrait éventuellement, si la négociation est équitable, partager cette « rente carbone » par une hausse des prix d'achat au producteur de bois.

Activité 4: valorisation énergétique du bois

Dans l'état actuel des choses, les émissions issues de la combustion de biomasse sont comptées comme nulles dans les directives pour l'établissement des inventaires de gaz à effet de serre (GIEC, 1996) du fait du caractère renouvelable de la biomasse. Toute activité substituant de la biomasse à de l'énergie fossile est donc potentiellement éligible au MDP.

Toutefois, dans plusieurs pays africains (zones arides ou semi-arides), la consommation de bois énergie se traduit par une dégradation, plus ou moins réversible, de la ressource et une diminution nette du stock de biomasse sur pied. Ainsi, les projets de gestion du bois énergie au Sahel et à Madagascar comprennent, aux côtés du volet « offre de bois », un volet « demande » qui vise à réduire la demande de bois, en encourageant l'utilisation de gaz naturel à la place du bois ou du charbon de bois. L'encouragement de l'utilisation de bois énergie ne peut se concevoir sans que soient assurées les conditions du renouvellement de la ressource, par plantation ou gestion des formations arborées, donc la liaison entre « substitution » et « fixation ».

Dans cette optique, les propositions visant à modifier le mode de comptabilité du GIEC (Grubb, 2000) en comptabilisant les émissions issues de la combustion de biomasse et proposant l'éligibilité des actions d'accroissement de la biomasse (plantations de bois énergie, par exemple) semblent appropriées aux problèmes spécifiques d'une partie des pays africains, dans la mesure où ils constitueraient une incitation directe à la plantation, l'amélioration de la gestion des jachères et des formations boisées et à l'agroforesterie. En outre, la « rente carbone » irait aux producteurs d'énergie dans le cas du « crédit à la substitution » et aux entrepreneurs agricoles, ou aux groupements de paysans dans le cas du « crédit à la fixation ».

Cette activité est celle qui offre un potentiel des plus importants dans la majorité des pays africains à dominante rurale. La plantation n'est toutefois pas le seul mode de valorisation énergétique de la biomasse : les aménagements de forêts naturelles exploitées principalement pour le bois énergie (cf. les projets énergie domestique au Niger et au Mali, et leur possible extension à d'autres pays sahéliens et à Madagascar), sont des activités qui pourraient théoriquement bénéficier d'une éligibilité au MDP. Toutefois, des difficultés non négligeables risquent d'apparaître dans l'établissement des scénarios de référence - quel accroissement de biomasse est-il imputable aux seules actions d'aménagement ?

Activité 5 : accroissement de l'efficacité de l'industrie de transformation du bois

Dans le domaine de l'industrie de transformation du bois, deux options sont envisageables, dont l'une au moins est potentiellement éligible au MDP. La première est celle de la valorisation énergétique des déchets ligneux issus des sciages, du tranchage et du déroulage du bois. Actuellement ces déchets sont soit utilisés comme combustibles dans des chaudières mais avec un faible rendement, soit brûlées en plein air. Il s'agit ici d'une activité de substitution « pure » : le scénario de référence étant une combustion médiocrement efficace ou en pure perte.

Le développement de la cogénération (produisant chaleur et énergie, qui peut également contribuer à l'électrification rurale de certaines zones) représente des investissements coûteux qui pourraient être financés partiellement par des projet MDP. Ce type d'activité, qu'on peut assimiler à un projet énergétique, est le plus facilement éligible au MDP et le plus envisageable pratiquement. Il intéresse potentiellement les pays où l'industrie du bois est importante : Afrique du Sud, Nigeria, République démocratique du Congo, Ghana, Côte d'Ivoire, Éthiopie, Kenya, Ouganda, Tanzanie, Zimbabwe. Il intéresse également les pays disposant d'un vaste potentiel forestier et dont l'industrie du bois, encore limitée, est en cours de développement : Gabon, Congo-Brazzaville, République Centrafricaine, Angola.

Le second type d'activité envisageable est celui de la diminution de la production de déchets en augmentant l'efficacité du procédé de transformation, c'est-à-dire en accroissant le volume stocké dans les produits bois (sciages, placages, mais aussi éléments de mobilier, moulures, profilés, etc.). Cette fixation additionnelle est temporaire, liée à la durée de vie moyenne des produits en bois qui est de l'ordre de quelques dizaines d'années, ce qui devrait être pris en compte dans une comptabilité carbone mais qui ne permettra sans doute pas à cette activité d'être éligible au MDP dans sa configuration actuelle. Toutefois, ce type d'activité a l'avantage d'avoir des impacts potentiellement importants sur la compétitivité de l'industrie du bois (accroissement de la valeur ajoutée par volume unitaire de bois transformé) et permettrait, dans les pays qui ont une base industrielle plus ancienne, l'adaptation de la structure de transformation aux nouvelles caractéristiques de la ressource (bois de plus petit diamètre, essences de qualité moindre). Cette problématique est celle de pays comme le Ghana et la Côte d'Ivoire.

Activité 6 : conservation des massifs forestiers

Si cette activité devait un jour être éligible dans le cadre du MDP, à l'occasion de la deuxième période d'engagement par exemple, les pays potentiellement bénéficiaires seraient ceux qui possèdent de vastes massifs avec des proportions de forêt primaire (logique du double dividende carbone et biodiversité) et avec une forte pression foncière. On trouvera dans cette catégorie des pays comme la Côte d'Ivoire (massifs de l'Ouest du pays), le Cameroun (région du Centre-Est et du Sud-littoral) plusieurs régions de la République démocratique du Congo, l'Ouganda. Par contre des pays comme le Gabon, la République Centrafricaine, la Guinée Équatoriale, l'Angola, le Mozambique ou le Congo ne se caractérisent pas par un niveau de pression foncière globale suffisamment fort pour que cette activité semble la plus appropriée du point de vue de l'objectif « climat » (il en va tout autrement de l'objectif biodiversité). Mais cette estimation valable au plan national, peut être différente au plan local (massifs menacés dans une région de colonisation agricole).

Activité 7 : exploitation forestière à impact réduit

L'objectif est de diminuer les dégâts d'exploitation, donc le relâchement rapide de gaz à effet de serre provenant de la décomposition de la biomasse abandonnée en forêt. A priori, tous les grands pays d'exploitation forestière de la zone tropicale humide (exploitation de massifs denses) sont concernés, mais seuls les pays disposant d'un cadre institutionnel relativement stable pourraient bénéficier de projets dans ce sens. Les pays les mieux placés pour ce type d'activités sont le Gabon, le Cameroun, le Congo-Brazzaville et la République Centrafricaine. Puis viennent la Guinée Équatoriale et le Liberia, mais ces deux derniers pays n'ayant pas la réputation de veiller à l'application des règles minimales de bonne exploitation, elle semble moins bien placée pour bénéficier de cette opportunité. Enfin, les pays comme la République démocratique du Congo, l'Angola, le Mozambique manquent trop de stabilité politique à l'heure actuelle pour envisager ce type d'activités.

C. Quelques initiatives « carbone » en forêt en Afrique

L'Afrique reste à l'heure actuelle le continent hébergeant le moins de projets de lutte contre le changement climatique, loin derrière l'Amérique du Sud par exemple. Ceci est vrai pour le secteur forestier comme les autres secteurs d'application de la Convention Climat. Quelques projets forestiers entrepris dans le cadre des différents mécanismes de la Convention peuvent cependant être mentionnés.

Le FEM, dont 55 pour cent des fonds du secteur forestier sont destinés à l'Afrique, a financé deux projets relatifs au changement climatique. L'un a été développé au Bénin et l'autre au Soudan, tous deux étant gérés par le PNUD. Fidèles à la politique du FEM, ces deux projets n'ont été réalisés que dans une optique environnementale. Leur but est de permettre aux communautés locales d'acquérir le savoir-faire d'une gestion durable de leur milieu de vie : ils se positionnent donc plus sur un axe de transfert de compétences concernant les techniques forestières que d'un apport d'un point de vue du développement.

BENIN - Gestion villageoise de la savane arborée et mise en place de parcelles arborées pour la fixation de carbone (Village-Based Management of Woody Savanna and the Establishment of Woodlots for Carbon Sequestration)

Le projet vise à réduire les émissions de CO2 de plusieurs sites en zone semi-aride grâce à une meilleure gestion des forêts et des terres avoisinant les villages sur une surface totale de 126 700 ha.

Le projet doit permettre aux communautés locales de développer elles-mêmes des règles, des techniques et des plans de gestion des ressources forestières. Ceci implique donc des activités telles que les inventaires, la récolte de données liées à la croissance des arbres, la protection contre les incendies.

Bénéfices : 5 338 167 tonnes de carbone grâce à 609 098 arbres plantés.

SOUDAN - Réhabilitation par les communautés locales des prairies pour la fixation de carbone. (Community-Based Rangeland Rehabilitation for Carbon Sequestration)

Ce projet vise à tester un modèle de gestion des ressources naturelles passant par la participation des communautés locales dans la province de Bara au nord de l'état de Kordofan. Ceci doit permettre la réhabilitation de terres actuellement dégradées et en proie à la désertification, par des plantations d'herbacées et d'arbres locaux qui devraient permettre de stabiliser les dunes (création de 195 km de « coupe-vent » avec deux rangées d'arbres) et de reconstituer les stocks de carbone initiaux de la biomasse aérienne et du sol.

D'autres projets axés sur une dynamique de recherche de « crédits carbone » ont vu le jour en Afrique. Ceux-ci sont le fait d'initiatives du secteur privé des pays industrialisés qui ont pris conscience du potentiel offert par le MDP.

Ce projet de fixation de carbone a pour but de mettre en oeuvre des activités de régénération forestière dans les parcs nationaux Mt Elgon et Kibale grâce à l'utilisation de 20 essences forestières locales sur une surface totale de 27 000 ha. Dans ce but, la fondation néerlandaise a créé 700 postes destinés à la main-d'œuvre locale pour la réalisation de ces activités (plantations, protection incendie).

Bénéfices : 0,9 t C/ha/an, soit 26 t C/ha sur la durée du projet, 707 000 t C au total.

Les compagnies norvégiennes Tree Farms et NAG ont loué des terres à l'Ouganda (3 dollars E.-U. par hectare pour une période de 50 ans) pour leurs activités de plantation sur 7 000 ha. L'objectif du projet est la plantation d'essences à croissance rapide (Eucalyptus, Pinus et quelques essences locales). Dans cette optique, plusieurs centaines d'employés issus de villages locaux ont été recrutés au début du projet. Aujourd'hui il n'en reste qu'une cinquantaine.

Bénéfices: 136 t C/ha pour Tree Farms et 98 t CO2/ha pour NAG sur 25 ans

810 000 tonnes de C séquestré (soit une valeur ajoutée de 14 millions de dollars E.-U. avec l'hypothèse d'1 t C = 16 dollars E.-U.)

L'objectif est le même que celui du projet de Tree Farms en Ouganda, la plantation d'essences à croissance rapide (Eucalyptus et Pinus) grâce à la main-d'œuvre locale (500 employés) qui s'occupe des plantations, de la surveillance, de la construction de routes.

A l'heure actuelle le projet n'est en cours de réalisation que sur 1 700 ha mais doit s'étendre sur 87 568 ha répartis sur plusieurs sites.

Bénéfices: 136 t C/ha sur 25 ans

12 millions t C sur la surface totale (soit une valeur ajoutée de 197 millions de dollars E.-U. avec l'hypothèse d'1 t C = 16 dollars E.-U.)

Ces projets à l'initiative du secteur privé on soulevé différents problèmes, les plus importants étant celui du droit foncier et celui de l'asymétrie d'information. Le projet Tree Farms en Ouganda a d'ailleurs été controversé sur ces points.

Ces deux projets ont été critiqués par une ONG norvégienne, NorWatch (www.fivh.no/norwatch), qui reproche aux compagnies de payer des loyers très peu élevés et de risquer d'exacerber la concurrence entre plantations d'arbres et activités agricoles, 8 000 personnes dépendant de l'accès aux ressources sur l'espace concerné. En ce qui concerne le projet en Tanzanie, la compagnie a acquis 87 500 ha de savane, et a été critiquée par cette même ONG qui lui reproche de payer à l'État un loyer (1.9 dollar E.-U. par hectare) jugé trop faible compte tenu des perspectives de profit du commerce de carbone. Cependant, la critique porte ici sur le partage des bénéfices potentiels - problème qui peut être traité quand les bénéfices se seront concrétisés - et non sur la concurrence possible en matière d'utilisation de l'espace.

Par ailleurs, du point de vue de la réalisation des projets, les compagnies fournissent le financement des activités de plantations mais le suivi des projets, une fois ces derniers achevés, semble être beaucoup moins pris en compte. La Fondation FACE ne propose par exemple que des photos satellites et des visites sur le terrain si nécessaire.

L'initiative du Burkina Faso : un projet axé sur le développement

Ce projet forestier a permis d'allier la réduction des émissions de GES avec le développement du pays hôte : c'est bien ce dernier type de projets qui est le plus proche de l'idéal théorique donné au MDP, axé d'abord sur le développement.

Ce projet est le seul projet en Afrique a avoir participé à la phase pilote de MOC et donc à être officiellement inscrit au secrétariat de la Convention Climat.

C'est un projet multi-activités dans lequel apparaissent quatre sous-projets de taille conséquente :

- des activités de gestion forestière sur 300 000 ha,

- l'optimisation des techniques de carbonisation,

- l'installation de systèmes photovoltaïques domestiques pour la production d'énergie (lumière et pompes à eau), et

- l'introduction de cuisinières plus efficaces.

Le projet joue donc à la fois sur la réduction des émissions de carbone (carbonisation, cuisinières, systèmes photovoltaïques) et la fixation de carbone (activités forestières).

Bénéfices : 410 000 tonnes de C en 6 ans.

Les activités forestières ont permis de fixer 67 000 tonnes de C en 6 ans (1 million après 30 ans) pour un coût de 970 000 dollars E.-U., soit un coût de 3,96 dollars E.-U./t CO2 qui devrait diminuer à l'avenir (0,25 dollar E.-U./t CO2 après 30 ans).

Peser dans le processus de décision en cours en fonction des priorités nationales : l'absence de position africaine ?

La Conférence Ministérielle Africaine sur l'Environnement (CMAE) qui s'est tenue à Dakar en octobre 2000 avait pour objet d'harmoniser les positions des pays africains, notamment en vue de la CdP6 de la Convention Climat. Les points abordés concernaient le MDP, la vulnérabilité, l'adaptation, la préparation des communications nationales, les puits de carbone, les transferts de technologie. Elle rappelait que « les puits de fixation de carbone, du fait qu'ils participent à la fertilité des sols, donc à l'amélioration de la sécurité alimentaire, un des objectifs prioritaires de l'Afrique, peuvent utilement faire l'objet de projets de développement ». Toutefois, la constitution d'une position commune pour l'Afrique n'est pas encore réalisée. Ce retard s'explique en partie par le problème de l'accès à l'information. La négociation sur les changements climatiques est un processus qui évolue constamment, tant au niveau scientifique que politique et diplomatique. La participation impose de se tenir informé. Or cela peut être un problème dans certains pays d'Afrique, du fait de plusieurs facteurs :

- L'accès à Internet. La principale source d'information sur la Convention, le Protocole de Kyoto et leur mise en application est le site de la Convention Climat (www.unfccc.int). L'accès limité à Internet dans une majorité de pays est pallié en partie par la distribution de CD-Roms du site ou des versions papier par le Secrétariat de la Convention.

- La participation aux réunions internationales est limitée par les faibles moyens dont disposent les délégations nationales des pays africains. Elles se limitent en général à une personne, qui est le « point focal national », que le Secrétariat de la Convention finance pour chaque pays, alors que les Etats-Unis comptent une équipe d'une centaine de membres. Ceci impose que soit fait un choix sur les sujets à suivre, tant est grande la complexité du débat et afin de pouvoir influer sur les négociations. Ainsi, les pays africains ont concentré leur réflexion sur le MDP et les questions de la vulnérabilité et de l'adaptation aux changements climatiques, qui semblent mieux correspondre à leurs priorités de développement durable (Cissé, 2000).

- La barrière de la langue. La majorité des textes et des réunions sont en anglais, et le nombre limité de traductions, ce qui représente un lourd handicap pour une large partie de l'Afrique francophone. Plusieurs actions ont été menées pour résoudre ces problèmes, notamment sous l'impulsion de l'Agence intergouvernementale de la francophonie (www. agence.francophonie.org) , opérateur principal de l'Organisation de la francophonie :

• Le renforcement des liens entre pays francophones ; les négociateurs francophones ont monté un groupe de réunion dont l'animateur le plus actif est le Canada. Ils se réunissent au cours des phases de négociations ou lors d'ateliers comme à Casablanca en avril 2000, puis au Québec en mars 2001.

• La diffusion de l'information en français ; la constitution d'une version française du site du Secrétariat de la Convention Climat intitulé le « portail francophone » (http://www.unfccc.int/portfranc/). Il ne reprend qu'une petite partie des informations du site anglophone, et sa mise à jour n'est pas si fréquente. D'autres sites comme celui de la Mission interministérielle pour l'effet de serre (http://www.effet-de-serre.gouv.fr/ ou de l'ONG sénégalaise ENDA (http://www.enda.sn) offrent des informations en français.

Ce problème de l'accès à l'information se pose aussi de façon cruciale pour les promoteurs de projets et les décideurs des pays africains pour comprendre et saisir les opportunités offertes par ces instruments.

Adapter le fonctionnement institutionnel pour pouvoir profiter de ces instruments 

Un instrument comme le MDP diffère fondamentalement de l'aide publique dans la mesure où il est un vecteur de mobilisation de l'investissement privé pour la réalisation d'investissement dans les pays en développement et la réalisation à moindre coût des objectifs de la Convention Climat. Son potentiel effectif de réalisation dépend étroitement des caractéristiques institutionnelles et économiques, du dynamisme du partenariat privé susceptible d'ouvrir de nouvelles opportunités pour la réalisation d'activités, d'un système juridique efficace pour garantir les contrats entre partenaires, de systèmes d'assurance pour couvrir les risques, bref, des caractéristiques de pays développés qu'on ne retrouve guère en Afrique.

Le texte de Youba Sokona et Djimingué Nanasta (2000) présente les attentes et inquiétudes des pays africains concernant le MDP :

On touche là un des points clé des conditions d'appropriation des instruments de la Convention Climat dans les pays africains. La place importante que les États se sont attribuée dans la gestion des affaires économiques et sociales de la très grande majorité des pays africains a freiné le développement « d'institutions intermédiaires », capable de servir de relais et d'interfaces avec le monde rural, et a limité l'expansion d'un secteur privé suffisamment autonome de l'État. En outre, dans bon nombre de ces pays, l'efficacité des services de l'État est faible, voire très faible, ce qui conduit inévitablement, comme dans le cas de l'aide publique au développement, à allonger les délais de mise en route des programmes, à accentuer les difficultés administratives liées à une bureaucratie incontournable et mal équipée, bref à accroître les « coûts de transaction », c'est-à-dire les coûts non directement liés à la réalisation des activités.

Les pays africains sont donc globalement mal préparés pour utiliser pleinement le potentiel ouvert par ces nouveaux instruments, alors qu'une grande partie des enjeux environnementaux planétaires se jouent sur leurs territoires. Ce constat plaide pour un accroissement des efforts destinés à aider les pays africains à développer leurs capacités de « bonne gouvernance » avec les multiples dimensions sous-tendues par cette notion, à adapter leurs cadres institutionnels pour tirer partie de ces instruments et à sortir de certaines situations d'inadéquation du cadre juridique aux pratiques locales, en matière de droit foncier et forestier. Nous retrouvons là une partie des objectifs traditionnels de l'aide publique au développement, dont de nombreux pays en développement craignent d'ailleurs qu'elle ne s'efface progressivement au profit des « nouveaux instruments » fondés sur des dispositifs privés « bilatéraux » à l'image de l'architecture actuelle du MDP.

Les politiques publiques des pays africains vont devoir intégrer dans leur conception et leur mise en œuvre le potentiel ouvert par ces instruments liés aux enjeux environnementaux globaux. Par rapport aux outils classiques, comme les systèmes fiscaux, qui restent largement du ressort de la souveraineté des États, ces nouveaux instruments sont sous la tutelle conjointe de la communauté internationale à travers ses organismes spécialisés, des firmes internationalisées qui investissent et des États des pays bénéficiaires des flux d'investissement. Le champ de la « conditionnalité » s'élargit à ce qu'on pourrait qualifier d'évaluation de la gouvernance environnementale des pays bénéficiaires. Dans le cadre de cette conditionnalité élargie, les politiques de l'environnement mais aussi les autres politiques sectorielles interagissant sur la biodiversité et le changement climatique global, seront placées sous le faisceau d'une évaluation continue. Mais ceci peut constituer une opportunité pour les pays qui sauront mettre progressivement en cohérence les différents aspects de leurs politiques publiques et combiner la gamme élargie des instruments rendus disponibles pour améliorer non seulement la gestion de leur environnement mais également l'efficacité de leurs institutions. Ceux-là pourront utiliser ces leviers pour favoriser leur développement.

18 Contreras-Hermosilla, A. 2000. The Underlying Causes of Forest decline, Occasional Paper n°30, CIFOR.

19 Plusieurs sources ont été utilisées : World Development Report 2000 (Banque mondiale), Situation des forêts du monde 1999 (FAO), World Development Indicators 2000 (Banque mondiale), World Resources 2000-2001 (PNUD, PNUE, Banque mondiale, WRI).

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