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Chapitre 24

Famine, inanition et réfugiés

Les famines se définissent généralement comme un manque aigu de nourriture affectant soit une zone géographique étendue soit un nombre significatif de personnes. Elles aboutissent à la mort par inanition d'une partie de la population après une phase de malnutrition grave. L'inanition est un état pathologique au cours duquel le défaut de nourriture met en jeu la vie du sujet et cause souvent sa mort. Les réfugiés sont des personnes qui ont été déplacées vers un autre pays. Les personnes déplacées sont celles qui ont dû quitter leur lieu de vie habituel mais restent à l'intérieur de leur pays. Ces différents contextes sont décrits dans un même chapitre en raison de leurs points communs.

Il existe une littérature abondante, ancienne et récente, sur les famines, leurs causes, les remèdes apportés et leurs conséquences. La famine en tant que forme extrême de malnutrition y est décrite bien que la question n'ait pas été très bien étudiée. Il y a beaucoup moins de livres traitant en détail des problèmes des réfugiés ou donnant une vue exhaustive d'une situation déterminée de réfugiés. Il existe, par contre, des milliers de pages de rapports sur les réfugiés, émanant soit du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), soit du Programme alimentaire mondial (PAM), tous deux largement impliqués dans l'aide aux réfugiés. D'autres écrits, souvent poignants, ont été produits par diverses ONG.

Ce livre ne peut qu'esquisser les aspects les plus importants des famines et des réfugiés. Les lecteurs intéressés peuvent se reporter à la bibliographie.

INANITION

Un être humain peut mourir de froid après six à 12 heures d'exposition; de soif après quelques jours; mais de faim seulement au bout de plusieurs semaines s'il est en bonne santé au début des privations.

Un homme normal de 70 kg a environ 15 kg de graisse qui constitue sa principale réserve d'énergie utilisable lorsque son apport alimentaire est insuffisant ou nul. Ces 15 kg correspondent théoriquement à 135 000 kcal, soit 1 350 kcal par jour pendant 100 jours (ou 2 750 pendant 50 jours). Un homme affamé peut aussi utiliser quelques protéines musculaires.

Le poids moyen d'un homme africain ou d'un asiatique est habituellement plus proche de 55 kg que de 70 kg, et celui d'une femme proche de 45 kg. Leurs réserves d'énergie sont donc déjà plus faibles au départ. Il faut aussi se souvenir que de nombreuses personnes exposées à la famine sont pauvres, rarement bien nourries avant la crise, donc maigres et disposant de peu de réserves. Dans ce contexte, les jeunes enfants sont les plus vulnérables, d'une part parce qu'ils sont souvent déjà mal nourris et d'autre part parce que leurs besoins sont relativement supérieurs à ceux de l'adulte pour assurer la croissance. Ils ont l'avantage d'être protégés au maximum par leurs familles. Les femmes en âge de procréer constituent un autre groupe vulnérable parce qu'elles sont enceintes, allaitent ou ont leurs règles, ce qui majore aussi leurs besoins. Enfin, les personnes âgées, bien qu'ayant des besoins plus modestes, sont également vulnérables à cause de leur inaptitude physique à obtenir leur ration d'aliments et de raisons culturelles qui peuvent limiter leur accès à la nourriture.

L'image classique de la famine en Occident est celle des déportés des camps de concentration pendant la seconde guerre mondiale ou, plus récemment, celle des enfants affamés de Bosnie, du Rwanda ou de Somalie. Un état physique similaire à celui de la famine peut résulter chez un individu de diverses maladies comme le sida, la tuberculose, les cancers ou l'anorexie mentale. Lorsqu'il s'agit de groupes de personnes, le degré de malnutrition varie de modéré à fatal. Un adulte en bonne santé peut se permettre de perdre un quart ou plus de son poids ou atteindre un index de masse corporelle de 16 (voir chapitre 23). Au-delà, le pronostic vital est menacé.

Supposons qu'un Africain moyen pesant 55 kg soit obligé par une famine de réduire son alimentation de façon draconienne. Il va consommer ses réserves, sa graisse, ses muscles et maigrir. Il va parallèlement réduire ses dépenses d'énergie, travailler moins, dormir et se reposer plus. Ses dépenses normales sont d'environ 1 300 kcal. Si la situation s'améliore, avec la nouvelle récolte par exemple, il va à nouveau manger plus, reprendre du poids et son organisme n'aura pas trop souffert. En effet, de nombreuses personnes ont passé 10 jours ou plus sans aliments solides mais en continuant à boire. Des grévistes de la faim ont tenu 30 jours et ont récupéré. La perte de poids qui en résulte ne cause pas de dommages majeurs à l'organisme. Par contre, si les privations se poursuivent au-delà de cette limite, des signes pathologiques apparaissent.

Signes cliniques d'inanition

Le sujet privé de nourriture maigrit, ses muscles fondent, la peau devient sèche et trop grande donc plissée. Les cheveux perdent leur lustre, le pouls ralentit et la tension baisse. Des perturbations hormonales entraînent une aménorrhée chez la femme et une impuissance chez l'homme. Une femme enceinte peut faire une fausse-couche.

Les œdèmes dits de famine sont fréquents. Le patient alité a le visage gonflé et le malade ambulatoire a les pieds et les jambes gonflés. L'anémie est habituelle et la diarrhée presque toujours présente soit dès le début soit en phase terminale.

Les jeunes enfants sont souvent gravement touchés (photos 41 et 42). Ils développent rapidement un état de marasme ou parfois de kwashiorkor accompagné d'une diarrhée rebelle qui peut entraîner un prolapsus rectal.

La privation de nourriture induit aussi des perturbations psychologiques comme une modification de personnalité et des troubles de concentration, mais le raisonnement logique n'est généralement pas altéré.

On voit parallèlement des signes de carences, notamment vitaminiques. En Afrique, on voit fréquemment des lésions buccales par manque de riboflavine; en Asie, pendant la seconde guerre mondiale, le syndrome des pieds brûlants affectait les prisonniers, mais toutes sortes de symptômes peuvent coexister en fonction de la nourriture disponible.

En l'absence de traitement, l'inanition aboutit à une diarrhée rebelle, un collapsus vasculaire, à une défaillance cardiaque et au décès. Plus souvent, le sujet affaibli fait une infection et meurt de pneumonie ou de tuberculose, par exemple.

Traitement

Le principe du traitement est de fournir au patient une alimentation adaptée et utilisable et de traiter les affections concomitantes de façon appropriée. La réalimentation doit être progressive. De nombreux patients modérément mal nourris vont guérir simplement en mangeant ce qui sera disponible à la fin de la période de famine.

Par contre, pour les cas les plus graves, un traitement hospitalier peut s'avérer nécessaire. Le patient peut avoir un appétit énorme, mais son système digestif perturbé n'est pas capable de faire face à un afflux d'aliments riches et variés. Un traitement efficace repose donc sur du lait, des aliments doux et peu de fibres. Chez le jeune enfant, le traitement est celui du kwashiorkor ou du marasme (voir chapitre 12).

FAMINE

La famine se définit comme un manque de nourriture qui affecte une zone géographique étendue ou un grand nombre de personnes. Elle peut être naturelle - sécheresse surtout et aussi inondations, tremblements de terre, éruptions volcaniques, destruction des récoltes par des insectes ou par une maladie; elle peut être causée par l'homme: guerre extérieure ou civile, sièges, troubles de l'ordre public ou destruction délibérée de récoltes.

La faim chronique et la malnutrition, bien qu'on ne les appelle pas famine, résultent souvent d'autres causes mais ont les mêmes effets:

Le problème de la famine et des secours est très important pour les nutritionnistes et a fait l'objet d'innombrables publications. Ceux qui s'y intéressent ou veulent travailler dans ce domaine peuvent se référer aux documents mentionnés dans la bibliographie.

Les famines du passé

Tout au long de l'histoire, des famines d'importance variable sont survenues et ont entraîné la mort de millions de gens. L'une des plus connues est la grande famine qui a sévi en Irlande dans les années 1840 à la suite d'une maladie qui a décimé la récolte des pommes de terre qui constituaient l'aliment de base. Plus de 1,6 million de personnes ont émigré, surtout vers les Etats-Unis. L'Inde coloniale a connu quelques famines graves, notamment en 1769-1770, où l'on estime que 10 millions de personnes, soit un tiers de la population, moururent. En 1943, une autre famine tua plus d'un million de personnes au Bengale, c'est-à-dire plus que l'ensemble des morts anglais et américains de toute la guerre, toucha au total 60 millions de personnes et en laissa de nombreuses sans ressources. Après l'indépendance, une famine toucha l'Etat de Bihar en 1966-1967; la façon dont le gouvernement la géra nous montre comment des mesures appropriées peuvent considérablement réduire les souffrances et les décès.

La Chine a connu un certain nombre de famines, mais les plus récentes n'ont pas été bien documentées. Certains experts pensent qu'entre 1958 et 1961 plus de 15 millions de Chinois périrent à la suite de sécheresses et d'inondations largement aggravées par le chaos économique et politique résultant du programme d'industrialisation baptisé "le grand bond en avant". Lors de la seconde guerre mondiale, des famines ont touché les Pays-Bas, à cause de l'occupation allemande qui empêchait l'accès des populations civiles à la nourriture, et la ville de Saint-Petersbourg assiégée. En Afrique, les famines se sont succédé au Sahel entre 1968 et 1973 (Tchad, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Burkina Faso) (photo 43) et, quelques années plus tard, en Ethiopie. Elles étaient dues à des phénomènes climatiques, et on ne dispose pas de données précises sur le nombre de victimes. Il n'y a guère eu de famines vraiment notables et étendues en Amérique et en Australie.

La décennie 90 a vu de nombreuses famines causées par l'homme: la guerre civile en Yougoslavie a affamé la Bosnie; en Somalie, des rivalités de clans et des précipitations insuffisantes en 1992-1993 ont causé de nombreux décès; en Angola, au Liberia, au Mozambique et dans le sud du Soudan, les troubles de l'ordre public ou la perte de contrôle de certaines régions par le gouvernement central ont entraîné une malnutrition générale et des morts. La guerre civile au Rwanda a elle aussi induit une famine accompagnée d'épidémies de choléra et de dysenterie.

Par contre, la sécheresse qui a considérablement réduit les récoltes en 1984 en Afrique de l'Est et en 1992 en Afrique australe n'a pratiquement pas causé de décès grâce à l'action rapide, adaptée et bien organisée du Kenya, de la République-Unie de Tanzanie et du Zimbabwe. Il est probable que le Système mondial d'information et d'alerte rapide pour l'alimentation et l'agriculture soutenu par la FAO y a contribué en permettant aux gouvernements de prévoir la sécheresse et les faibles récoltes, de planifier les mesures de secours, de solliciter une assistance extérieure et d'obtenir une aide rapide, notamment du PAM. Cet exemple illustre le fait qu'en l'absence de troubles de l'ordre public, s'il existe un système d'alerte rapide, si l'aide est sollicitée à temps et que le gouvernement fait le choix politique de gérer la famine, celle-ci peut être tenue en échec et les morts évitées.

Conséquences des famines

La première conséquence est d'affamer les populations, avec les manifestations nutritionnelles, sanitaires et psychologiques qui en découlent. Le lecteur peut se référer à la deuxième partie de ce manuel dont plusieurs chapitres décrivent les troubles liés à la malnutrition, dont la majorité survient en cas de famine. Il y a aussi d'autres conséquences sociales et sanitaires.

Les mouvements de population, qu'ils résultent de la famine ou de ses causes, guerres ou troubles de l'ordre public, sont la première conséquence. La famine d'Irlande a entraîné une émigration massive, et les guerres contemporaines créent des millions de réfugiés, problème décrit ci-dessous.

L'évolution d'une famine est souvent appréciée en fonction des rapports de mortalité, mais ceux-ci sont moins une mesure de la gravité des circonstances que de la façon dont les autorités y font face.

En plus des troubles sociaux et des mouvements de population, les famines induisent des épidémies, avec une élévation du nombre et de la gravité des maladies infectieuses. A travers toute l'histoire, famines et épidémies ont été associées. Autrefois, le typhus, la peste, la variole et le choléra tuaient de nombreuses victimes de la famine. Actuellement, ce sont les diarrhées (choléra, dysenterie ou autres), la rougeole, la tuberculose et d'autres infections respiratoires qui provoquent de nombreux décès, surtout chez les enfants. Le typhus et la peste peuvent être contrôlés par des insecticides, la variole a été éradiquée et le choléra est moins souvent fatal grâce à la réhydratation orale.

Cette augmentation de toutes sortes de maladies infectieuses, y compris les parasitoses intestinales et le paludisme, résulte d'un affaiblissement des défenses immunitaires lié à la malnutrition. D'autres facteurs y contribuent: une augmentation de l'exposition liée à la surpopulation dans les camps de réfugiés, une faillite des systèmes d'approvisionnement en eau et de l'assainissement, un défaut de vaccinations, notamment antirougeoleuse, et des conditions de vie insalubres. La mort de nombreux Rwandais en fuite au Zaïre en 1994 en constitue un exemple.

Les famines entraînent souvent des carences marquées en toutes sortes de micronutriments, des MPE comme des manques de protéines, de lipides ou d'hydrates de carbone. On a vu récemment des épidémies d'anémies, de xérophtalmie, d'ariboflavinose, de pellagre et de scorbut dans des populations où ces troubles avaient disparu. La leçon à retenir est que les secours alimentaires doivent aller au-delà de la fourniture d'un nombre suffisant de calories; ils doivent se soucier des vitamines et des minéraux. Et aussi des vaccinations, de la fourniture d'eau et de l'assainissement.

Prévention des famines

On peut rarement prévenir les catastrophes naturelles et les sécheresses, mais on peut éviter qu'elles n'aboutissent à des famines. La prévention idéale repose, bien sûr, sur une économie diversifiée et un secteur agroalimentaire bien développé. L'Inde a connu une sécheresse grave en 1967, mais a évité la famine grâce à ses progrès spectaculaires dans la production alimentaire de base dus à l'adoption de nouvelles techniques agricoles couplée à des réserves alimentaires suffisantes et à un plan d'organisation des opérations de secours. Une famine résulte généralement d'une série d'échecs agricoles, économiques et politiques. Des interventions efficaces à différents niveaux peuvent empêcher une urgence ou une crise alimentaire de devenir une famine. On peut, par exemple, éviter ou réduire considérablement des pertes de récoltes dues à des prédateurs ou à des maladies végétales. Par exemple, les efforts de la FAO et d'autres organisations pour détruire les sites de ponte des criquets ont contribué à éviter les dégâts au Proche-Orient avant que les nuées de criquets ne partent vers le Sud dévaster les récoltes d'Afrique. De même, on peut prévenir ou traiter certaines maladies des plantes.

Les famines consécutives à des catastrophes naturelles sont celles où la faim et les morts peuvent le plus aisément être évitées. Mais un choix politique est nécessaire pour agir et prévenir la famine. Les éléments clés de la prévention sont l'existence d'un système d'alerte rapide et d'un plan de secours bien organisé avec des responsabilités bien définies. Les actions et les programmes doivent être sensibles au contexte socioculturel de la population touchée. Des pays pauvres comme l'Inde, le Botswana, le Kenya, la République-Unie de Tanzanie et le Zimbabwe ont prouvé que c'était possible.

Les famines résultant d'une action humaine peuvent, bien sûr, théoriquement être évitées. Si les hommes choisissaient de ne pas commettre ces actions, les famines ne surviendraient pas.

La Déclaration mondiale sur la nutrition approuvée par plus de 150 pays lors de la Conférence internationale sur la nutrition à Rome en 1992 comporte les mots suivants:

Nous réaffirmons nos obligations en tant que nations et en tant que communauté internationale de protéger et de respecter les besoins d'une nourriture correcte et de matériel médical pour les populations civiles se trouvant dans les zones de conflit. Nous affirmons dans le cadre de la loi humanitaire internationale que la nourriture ne doit jamais être utilisée comme un moyen de pression politique. L'aide alimentaire ne doit pas être refusée pour des motifs d'appartenance politique, de situation géographique, de sexe, d'âge ou d'identité ethnique, tribale ou religieuse.

Si toute les nations honoraient cet engagement, le nombre de personnes mourant de faim serait considérablement réduit dans les années à venir. Une interdiction de l'utilisation de la nourriture comme arme de guerre a été demandée depuis des années. La guerre bactériologique et chimique a été proscrite et beaucoup de pays ont adhéré à cette mesure. Néanmoins, la nourriture continue à être utilisée comme une arme de guerre et à des fins politiques. Chaque fois que cela se produit, ce sont les civils, en particulier les femmes, les enfants et les personnes âgées, qui en souffrent le plus. Les militaires, les hommes politiques et les hauts fonctionnaires ont rarement faim, et ce ne sont pas eux qui meurent de faim en cas d'embargo ou de guerre alimentaire. Au milieu des années 90, il y a eu des dizaines de conflits armés, dont beaucoup comportaient sinon une guerre alimentaire, du moins une situation qui compromettait l'accès à une alimentation correcte de même qu'à des soins de santé. Cela s'est produit en Afghanistan, en Angola, au Cambodge, en Haïti, en Iraq, au Libéria, au Mozambique, au Rwanda, en Somalie, au Soudan et en ex-Yougoslavie notamment. Puisqu'une nourriture correcte fait partie des droits fondamentaux de l'homme, ces infractions habituelles constituent une violation des droits de l'homme. L'Organisation des Nations Unies et ses Etats Membres pourraient contribuer à diminuer les morts par famine en s'opposant aux actions et aux décisions politiques qui sont à l'origine de malnutrition et de faim et en agissant pour préserver la paix et limiter les conflits armés. Cette question mérite plus d'attention dans les années à venir.

Secours en cas de famine

La première chose à faire, et la plus importante, dans une situation de famine avérée ou imminente est de se procurer et de distribuer suffisamment de nourriture pour éviter la malnutrition et l'inanition, pour maintenir un état nutritionnel correct chez ceux qui sont bien nourris et réalimenter ceux qui ne le sont pas. Cependant, pour que ces secours réussissent et pour empêcher des morts, il faut que plusieurs conditions soient réunies au niveau national et local. Certaines famines sont limitées à une région et elles requièrent donc des actions locales soutenues par le gouvernement national, les organisations internationales et les ONG.

Bien que les situations de famine se produisent régulièrement, les pays sont rarement prêts à y faire face. Certains pays n'ont pas de plan d'action, et les personnes chargées des secours ont souvent peu d'expérience personnelle des stratégies de secours et ne connaissent pas suffisamment les méthodes utilisées par d'autres pays. Il faut donc à chaque fois réinventer la roue, et on fait des erreurs qui auraient aisément pu être évitées. Il est clair que les choses sont plus faciles en présence d'un gouvernement stable et fonctionnel, de bons services publics, d'infrastructures solides et de services sociaux et sanitaires bien établis et bien gérés. La participation d'ONG bien organisées et connaissant le pays constitue un autre atout. Il est également utile que le pays ait de bonnes relations avec les pays donateurs d'aide alimentaire.

Les autorités doivent obtenir, transporter, stocker en toute sécurité et enfin distribuer suffisamment de vivres pour les personnes menacées d'inanition dans la zone touchée (photo 44). Il est important de procurer aux bénéficiaires des aliments qu'ils aiment, qu'ils savent préparer et qui sont culturellement acceptables par la majorité sinon la totalité des gens.

Il faut distinguer les urgences alimentaires à court terme résultant de tremblements de terre, d'éruptions volcaniques ou d'inondations des pénuries alimentaires durables liées à une absence de récolte due à une sécheresse ou à une guerre civile. Dans les urgences à court terme, les carences en micronutriments ne sont pas un problème aussi important que dans les secours à long terme.

Il y a plusieurs manières de procurer de la nourriture en cas de famine avérée ou imminente. Il faut s'informer le mieux possible avant de prendre les décisions nécessaires en consultation avec les autorités locales et en pleine connaissance de la situation et des personnes touchées. Si la situation est stable (ni guerre ni mouvements de population) et qu'il y a simplement une pénurie alimentaire due à un manque de pluie, la façon la plus simple d'éviter la malnutrition et les morts est de distribuer les vivres par les circuits habituels. Dans un pays à économie libérale, la pénurie entraîne souvent la montée rapide des prix et la constitution de stocks par la population. Une des manières dont le gouvernement, avec éventuellement l'assistance des organisations internationales, peut l'éviter consiste à faire parvenir les vivres, surtout les céréales, dans la région, par petites quantités. La deuxième manière consiste à établir un contrôle des prix. La spirale pénurie et escalade des prix aura un impact particulièrement grave sur les familles pauvres, qui méritent une surveillance étroite. En fait, la crise résulte souvent non pas tellement d'une pénurie, mais d'un effondrement des revenus et des marchés. C'est pourquoi les efforts déployés pour stimuler l'économie locale et compenser les pertes de revenus par des programmes de travaux publics ont été très efficaces dans de nombreux pays.

Dans une situation plus grave, ou lorsque l'approche précédente n'est pas possible, il faut fournir des secours alimentaires d'urgence. Cela consiste généralement à fournir des aliments que les bénéficiaires vont préparer eux-mêmes. Il arrive, dans un contexte d'urgence majeure, dans des camps de réfugiés ou des unités médicales de traitement des malnutritions graves, que des repas préparés soient consommés sur place.

Le but principal des secours est d'assurer que tous, spécialement les plus pauvres, reçoivent assez de nourriture pour répondre à leurs besoins énergétiques et autres. Ils doivent aussi pouvoir préparer et cuire les aliments. Il est également important de traiter ceux qui sont déjà mal nourris, puisque les famines surviennent en général dans un contexte de faim chronique avec un certain degré de malnutrition préalable. Dans certains cas, il est judicieux de faire parvenir les vivres spécifiquement à ceux qui en ont le plus besoin, mais c'est une tâche difficile qui nécessite une organisation particulière. La disponibilité de secours alimentaires d'urgence et de soins de santé contribue à éviter les déplacements de population. Ceux qui organisent les secours doivent toutefois garder à l'esprit la nécessité d'éviter une dépendance durable vis-à-vis de vivres gratuits ou subventionnés. Tout en agissant pour éviter la famine et les morts, il faut parallèlement encourager et aider la production vivrière.

Lorsque l'on distribue des rations sèches (à emporter), il faut décider localement du choix des aliments et de la méthode de distribution. Il y a quelques principes universels:

De nombreuses publications, dont Gestion des programmes d'alimentation des collectivités (FAO, 1995), affirment que tous les bénéficiaires devraient recevoir la même ration, quel que soit leur âge, pour une valeur calorique moyenne d'au moins 1 900 Kcal par jour. Cette ration est calculée "rendue" au bénéficiaire, indépendamment des pertes préalables. Cette exigence standard est basée sur la répartition démographique d'une population comprenant 20 pour cent d'enfants de moins de 5 ans, 35 pour cent d'enfants de 5 à 14 ans, 20 pour cent de femmes de 15 à 44 ans (dont 40 pour cent enceintes ou allaitantes), 10 pour cent d'hommes de 15 à 44 ans et 15 pour cent de personnes de plus de 44 ans; 1 900 kcal constituent un strict minimum. Dans cette ration, les protéines devraient fournir 8 à 12 pour cent des calories, et les graisses au moins 10 pour cent. La ration doit être complétée par d'autres aliments disponibles localement, en admettant que ceux-ci soient accessibles. Il arrive qu'il n'y ait pas assez de vivres dans la région ou que la distribution démographique diffère en âge et en sexe de la population standard. Il faut alors ajuster la ration. (Les lecteurs intéressés par les actions d'urgence peuvent consulter l'ouvrage Food aid in emergencies publié par le PAM en 1991.)

Dans le passé, on s'est préoccupé surtout de l'apport énergétique des rations et fort peu de leur contenu en micronutriments. Cela ne devrait plus être le cas. Les rations devraient fournir au moins les doses minimales recommandées. Il faut évaluer le contenu de la ration et des autres aliments disponibles et envisager d'ajouter un aliment particulièrement riche en un nutriment donné ou de n'utiliser que des céréales ou d'autres aliments enrichis. Une petite quantité de certains aliments comme les arachides augmente de façon notable le contenu de la ration. Dans des famines prolongées, il faut promouvoir la culture de fruits et de légumes et le petit élevage. Il est rare que, dans des famines très localisées, on dispose de fonds pour acheter à proximité les fruits et légumes les plus nourrissants et les moins chers et les transporter dans la zone touchée, mais c'est ce type d'action qu'il faudrait encourager.

Le tableau 32 montre trois exemples de rations qui fournissent 1 900 Kcal. Chacune fournit au moins 10 pour cent d'énergie sous forme de graisse et 12 pour cent sous forme de protéines. Le blé, le maïs et le riz constituent les aliments de base et il faut s'efforcer comme nous l'avons déjà dit, de fournir dans la mesure du possible la céréale préférée des bénéficiaires. La ration 2 fournit 30 g de céréales enrichies pour augmenter le contenu en micronutriments tout en réduisant les légumineuses. La ration 3 les réduit également au bénéfice de viande ou de poisson en conserve.

Voici quelques recommandations supplémentaires:

Dans de nombreuses situations, il peut être très utile de donner des vivres supplémentaires à certains groupes vulnérables. On a tendance à limiter cette supplémentation aux enfants qui ont déjà une malnutrition grave ou modérée, par exemple ceux qui sont en dessous de moins trois écarts types du poids pour la taille. La supplémentation constitue alors un traitement curatif. Il serait cependant préférable de choisir une approche préventive et de trouver un moyen de fournir des suppléments aux enfants et aux adultes à risque, avant qu'ils n'aient une malnutrition grave. Ce supplément pourrait apporter de 300 à 500 kcal par jour, plus divers nutriments et devrait être dense en énergie, c'est-à-dire riche pour un faible volume. C'est souvent un mélange à base de céréales.

Tableau 32

Exemples de rations typiques à 1 900 kcala

Aliment

Quantité (g)

 

Ration 1

Ration 2

Ration 3

Farine de blé/maïs/riz

400

400

400

Légumineuses

60

20

40

Huile/graisse

25

25

25

Mélange de céréales enrichiesb

-

30

-

Poisson/viande en conserve

-

-

20

Sucre

15

20

20

Sel

5

5

5

Source: PAM, 1991.

a Chacune de ces rations fournit environ 1930 kcal, 45 g de protéines et 45 g de lipides.

b Exemples: maïs-soja, blé-soja, likuni phala faffa.

Dans des situations où la population a accès à la nourriture et où le gouvernement évite la pénurie en contrôlant les prix ou en mettant des vivres sur le marché ou encore en subventionnant le prix des aliments de base, on peut introduire la distribution de suppléments même lorsqu'il n'y a pas de ration de base. Ces suppléments servent autant à prévenir qu'à guérir la malnutrition. Il faut alors établir des critères de sélection des bénéficiaires et d'arrêt de la supplémentation.

Dans certains cas, plutôt que de distribuer des rations à emporter ou des aliments à préparer à domicile, les circonstances obligent à préparer des repas sur place, ce qui nécessite la création de centres de nutrition. Ces centres sont indispensables quand de nombreuses personnes n'ont pas l'équipement ou la capacité de préparer leurs repas. Par exemple, dans un camp de réfugiés au Kenya, la majorité de la population était constituée de mineurs non accompagnés, surtout de jeunes garçons. Parfois, les personnes déplacées n'ont pas d'ustensiles et requièrent au moins au début, des plats préparés. Cependant, en règle générale, les réfugiés préparent leurs repas eux-mêmes.

Dans des conditions optimales, les plats préparés devraient être appétissants, culturellement appropriés et fournir tous les nutriments nécessaires au maintien en bonne santé, voire à la guérison d'une malnutrition. L'hygiène devrait aussi être irréprochable. La plupart du temps, les donateurs et les gouvernements demandent à des ONG de gérer les centres de nutrition. Ceux-ci doivent être situés à proximité des habitations pour éviter que les gens ne se déplacent ou campent à côté. Une alternative plus onéreuse consiste à recourir à des cantines ou des cuisines mobiles.

D'autres stratégies à envisager sont décrites en détail dans d'autres publications (voir bibliographie), notamment:

Dans toute famine grave, un rapport hebdomadaire est souhaitable.

Vivres contre travail

Dans certains cas de famine, des vivres ne sont fournis à certaines personnes qu'en échange de travail. Le PAM a souvent recours à ce système dans d'autres situations que les famines. Si l'on décide que les vivres rétribueront un travail, il faut organiser un travail utile pour de nombreuses personnes à proximité de leur lieu de vie. Il s'agit souvent de travaux publics tels que des constructions de routes ou des plantations d'arbres.

Ce système peut avoir un grand succès mais, avant de le mettre en œuvre, il faut en examiner tous les avantages et inconvénients. L'avantage principal de ce système est de préserver la dignité des bénéficiaires et d'éviter la création d'un esprit d'assistés. Quelquefois, la distribution gratuite et la distribution en échange de travail cohabitent. Lorsque cela est possible, on peut envisager un arrêt progressif de la distribution gratuite remplacée par un programme "vivres contre travail" à mesure que la situation s'améliore. Parmi les inconvénients de ce système, il y a le fait qu'un travail dur augmente les besoins énergétiques des travailleurs, donc leurs besoins en nourriture; parfois, les travaux publics mis en œuvre sont planifiés à la hâte et n'ont pas grand intérêt; enfin et surtout, ceux qui ont le plus besoin de nourriture, les enfants, les femmes enceintes et allaitantes et les personnes âgées ne sont pas capables de travailler ou du moins pas suffisamment pour obtenir de la nourriture.

Actions de santé dans le cadre d'une famine

Bien que la fourniture de vivres soit le souci principal, ce n'est pas une raison pour négliger, comme cela arrive souvent, les autres besoins, notamment en soins de santé. Comme nous l'avons déjà dit, famine et épidémies vont de pair et il y a souvent plus de morts par infections que par inanition. La prévalence et la gravité des infections sont accrues et des épidémies balayent les zones de famine et les camps de réfugiés. Il est donc nécessaire d'instaurer des mesures de santé publique pour prévenir les maladies et d'ouvrir des centres de soins offrant traitements, vaccinations, éducation sanitaire et autres actions utiles. L'assainissement, la fourniture d'eau potable, l'hygiène personnelle et l'hygiène alimentaire sont les mesures principales.

Des évaluations régulières, un suivi permanent de la situation et des analyses des problèmes amènent à toute une gamme d'interventions: contrôle des épidémies, distribution de médicaments et de matériel, vaccination des enfants, amélioration de l'assainissement et de la fourniture d'eau et mise en œuvre de mesures spécifiques d'une maladie à la demande. Il faut accorder une priorité absolue à l'éducation sanitaire et nutritionnelle, surtout auprès des femmes. Les interventions doivent être suivies en permanence et améliorées au fur et à mesure.

L'information constitue une pierre angulaire dans les situations de famine. En son absence, les secours peuvent être sinon nocifs, du moins inefficaces ou inappropriés.

LES RÉFUGIÉS

On estime qu'il y a près de 35 millions de réfugiés dans le monde actuellement. Les Nations Unies ont attribué au HCR la principale responsabilité en la matière, mais avec l'assistance d'autres organisations comme la FAO, le PAM, l'UNICEF et l'OMS. De nombreuses ONG y participent également, notamment la Croix-Rouge internationale, basée à Genève.

Selon la définition du HCR, un réfugié est:

toute personne qui en raison d'une crainte légitime de persécution pour des motifs de race, de religion, de nationalité, d'appartenance à un groupe social particulier ou d'opinion politique se trouve hors du pays dont elle est citoyenne et est incapable, ou craint, de se placer sous la protection de ce pays; ou qui n'a pas de nationalité et se trouve hors de son pays de résidence habituel et est incapable ou craint d'y retourner.

Selon cette définition, le terme de "réfugié" se réfère aux véritables réfugiés politiques et non à ce qu'on appelle des réfugiés économiques qui quittent leur pays pour un autre non pour les raisons ci-dessus mais parce qu'ils pensent trouver un avantage économique dans le nouveau pays. La définition exclut aussi les personnes déplacées à l'intérieur d'un pays qui ont quitté leur domicile mais pas leur pays. Le mandat du HCR ne couvre que les réfugiés et non les déplacés. Les réfugiés des deux sexes sont bien entendus concernés.

Les réfugiés vivent soit dans des camps soit disséminés dans le pays d'accueil. Les pages qui suivent concernent plus les communautés de réfugiés que les familles ou les individus disséminés dans la population générale.

Ce chapitre se limite à un bref survol des problèmes de santé et de nutrition. Pour les autres problèmes, on trouvera une sélection d'ouvrages dans la bibliographie.

La nutrition dans les camps de réfugiés

La majorité des pages consacrées aux causes, aux aspects cliniques, au traitement et à la prévention de la malnutrition s'applique aux réfugiés. On s'est aperçu récemment qu'une large gamme de carences en micronutriments avait été diagnostiquée dans des camps de réfugiés où ces derniers avaient souvent été nourris plusieurs mois. Même si les aliments reçus leur fournissaient suffisamment d'énergie, ils n'apportaient pas certains nutriments essentiels. On a ainsi revu des cas de scorbut, de pellagre et de béribéri dans des pays où ils avaient quasiment disparu. Le béribéri qui résulte d'un déficit en thiamine, a été rapporté chez des réfugiés cambodgiens en Thaïlande, la pellagre chez des réfugiés mozambicains au Malawi, et le scorbut chez des réfugiés somaliens en Ethiopie. Dans d'autres cas, des pathologies dont la prévalence restait modérée, comme la MPE, la carence en vitamine A et les anémies, ont augmenté. Il y a eu aussi de graves épidémies de maladies évitables comme la rougeole et la coqueluche. Cela ne devrait plus être le cas de nos jours! Le monde a les ressources nécessaires et devrait avoir assez de compassion pour assurer que la santé et l'état nutritionnel des réfugiés s'améliore au lieu de se dégrader lorsqu'ils se retrouvent dans des camps assistés par les Nations Unies et des ONG (photos 45 et 46).

Les carences en micronutriments surviennent lorsque la ration comporte peu d'aliments différents (souvent moins de trois), quand les autres aliments sont inaccessibles aux réfugiés ou inexistants et quand l'alimentation quotidienne varie très peu. Remplacer les haricots secs par des arachides, ce qui a permis de contrôler la pellagre au Malawi, par exemple, ou ajouter de la farine enrichie sont des solutions.

La majorité de ce qui a été dit plus haut sur la famine et l'inanition s'applique aussi aux réfugiés et aux déplacés. Des déplacés qui arrivent dans une nouvelle région ou des réfugiés qui arrivent dans un nouveau pays peuvent mourir de faim ou de maladies intercurrentes et ils ont souvent été ou sont encore dans une zone de famine. Les besoins les plus urgents sont la fourniture d'eau propre et d'abris pour les protéger du froid, car on meurt plus vite de froid que de faim. Ces deux besoins sont toutefois plus faciles à satisfaire que ceux qui suivent immédiatement, des aliments et des soins de santé, curatifs et préventifs. Il faut de temps à autre évaluer l'état sanitaire et nutritionnel des réfugiés dans les camps d'une manière méthodique. Comme on le dit au chapitre 1, un bon état nutritionnel exige aliments, santé et soins. Cette maxime s'applique aussi aux réfugiés, surtout aux enfants. Les réfugiés sont en majorité vulnérables et pauvres. Ils ont souvent fui avec peu ou pas d'argent, peu ou pas d'affaires personnelles et aucun des outils qui permettent de subsister, en dehors de leur intelligence, de leurs corps et de leurs forces. Les paysans n'ont pas de quoi cultiver, les tailleurs n'ont pas de machine à coudre, etc.

Les réfugiés, comme tout être humain, ont le droit d'être correctement nourris et, comme ils sont provisoirement sous la protection des Nations Unies et des ONG, c'est une obligation internationale de leur offrir une alimentation correcte avec tous les nutriments essentiels et des services de santé. Voici les besoins de base à satisfaire:

Dès que les réfugiés sont amenés à rester un certain temps dans un camp, il faut les encourager et les aider à être actifs, à participer à la gestion du camp et à utiliser leurs compétences là où elles sont utiles. Sur le plan nutritionnel, cela signifie qu'il faut aider des paysans déplacés à cultiver, surtout des aliments qui complètent leurs rations et dont la première récolte sera assez rapide. On a le choix entre des légumes comme l'amarante ou d'autres feuilles vertes, des tomates, des carottes, des légumineuses comme les pois et haricots, surtout ceux qui sont habituellement consommés dans la région, pois chiches ou autres. Il faut aussi encourager l'élevage de petits animaux, volaille, pigeons, lapins, cobayes ou tous ceux qui sont culturellement appropriés. Toute personne qui a un minimum de formation en santé devrait être recrutée par le dispensaire, toutes celles qui ont une expérience de secrétariat peuvent travailler dans les bureaux du camp et ainsi de suite.

Au-delà de quelques semaines dans un camp ou un autre regroupement de population, les réfugiés s'engagent rapidement dans des activités de troc et essayent d'obtenir de l'argent pour se procurer soit des aliments qu'ils aiment et qui apporteraient de la variété, soit des objets destinés à améliorer le quotidien comme des vêtements. Ils vont donc souvent vendre une partie de la ration à 1 900 kcal qui leur a été allouée, ce qui réduit d'autant leur apport d'énergie et de nutriments divers. Cela peut suffire à expliquer la détérioration de leur état nutritionnel. Les rations sont en général échangées plutôt que vendues.

Les responsables des camps doivent tenir compte de ces désirs des réfugiés et les aider à trouver un moyen de les assouvir. Bien que les ONG soient habituellement réticentes à distribuer de l'argent aux réfugiés et que, souvent, leur règlement l'interdise, dans certaines circonstances, il peut être avantageux de leur donner des espèces et de leur permettre d'acheter leur nourriture et d'autres nécessités sur le marché local (à condition que le marché dispose de suffisamment de nourriture et autres commodités).

On peut aussi calculer des rations qui ne répondent pas seulement aux besoins nutritionnels des réfugiés mais aussi à leurs besoins économiques. La quantité totale de nourriture fournie devrait alors dépasser les 1 900 kcal de base et la ration pourrait comprendre d'autres aliments que ceux du tableau 32, par exemple du sucre, des protéines animales, des épices, des légumes et des fruits, soit tout ce qui paraît acceptable, désiré et nutritionnellement sensé.

Les autorités doivent aussi décider s'il est judicieux de condamner ou de tenter de prévenir la vente des rations. A mesure que les réfugiés deviennent plus autonomes soit en gagnant de l'argent soit en produisant leur propre nourriture, la ration peut parfois être réduite en deça de 1 900 kcal par jour.

Prévention des carences en micronutriments

D'autres chapitres de cet ouvrage décrivent les carences en micronutriments les plus importantes. Ces discussions s'appliquent également aux réfugiés. C'est un devoir, pour ceux qui sont chargés de les nourrir, de s'assurer qu'il ne survient pas de flambées de carences en micronutriments. Dans les camps de réfugiés, il faut surtout penser aux trois carences les plus répandues dans les pays en développement, de fer, d'iode et de vitamine A (chapitres 13, 14 et 15). Idéalement, les rations des réfugiés devraient contenir une quantité suffisante de ces trois éléments. Dans le cas contraire, il faut les fournir sous forme de céréales enrichies, le plus souvent un mélange de maïs et de soja, qui fournit en même temps de bonnes quantités de vitamines et de minéraux.

Quand la ration, pour une raison ou une autre, n'apporte pas suffisamment de micronutriments ou quand on a des raisons de penser que beaucoup de réfugiés ont un risque de carence, il est préférable de mettre en place un système de prévention des carences spécifiques.

Carence en vitamine A. Il faut distribuer des suppléments quand il y a un risque de carences, soit que les réfugiés présentent des signes de carences soit qu'ils viennent d'une région où cette carence constitue un problème de santé publique ou quand la ration apporte moins de 2 500 UI par jour (750 ER) de vitamine A. Il est recommandé de donner des doses de charge orales: 400 000 UI (120 000 ER) pour tous les enfants de 1 à 5 ans et 200 000 UI (60 000 ER) pour les enfants de 6 mois à 1 an tous les quatre mois. Il n'est pas conseillé de donner ces doses aux enfants de moins de 6 mois. Les mères qui allaitent devraient recevoir 200 000 UI après l'accouchement. Le traitement des cas de xérophtalmie doit suivre les recommandations du chapitre 15.

Anémies. Comme l'explique le chapitre 13, la carence en fer est la première cause d'anémie nutritionnelle, mais une carence en folates n'est pas rare. L'anémie affecte tous les âges et les deux sexes, mais plus particulièrement les femmes en âge de procréer. Des suppléments de fer, de folates et de vitamine C doivent être administrés aux réfugiés si la ration n'en contient pas suffisamment ou si la prévalence des anémies est élevée. Des suppléments tels que maïs/soja/lait apportent du fer. Il faut donner du sulfate ferreux et si possible des folates (voir chapitre 13) aux femmes enceintes et allaitantes. S'il est possible d'apporter suffisamment de vitamine C dans la ration, celle-ci contribuera à réduire l'anémie en favorisant l'absorption du fer alimentaire.

Autres carences en micronutriments. En cas de carence en iode, de pellagre, de scorbut, de béribéri et autres carences, il faut mettre en œuvre les mesures curatives et préventives décrites aux chapitres précédents.

Services de santé pour les réfugiés

Comme nous l'avons déjà dit, des services curatifs et préventifs d'un niveau correct sont nécessaires dans les camps et autres endroits où vivent des réfugiés. Leur but, comme celui de tout service de santé, est de réduire les décès, de traiter les maladies et, dans la mesure du possible, de les prévenir.

Mortalité. Les causes de décès des réfugiés dans les camps sont habituellement les mêmes que dans la région d'où les réfugiés proviennent. Dans les pays pauvres, il s'agit généralement d'infections, presque toujours aggravées par la malnutrition. Les plus fréquentes sont les diarrhées et les infections respiratoires, d'origine bactérienne, virale ou parasitaire ainsi que la rougeole et le paludisme. Dans des pays plus industrialisés comme l'ex-Yougoslavie et l'Europe de l'Est, les causes de décès sont différentes. Comme nous l'avons vu au chapitre 3, la mortalité élevée résulte souvent d'une interaction entre malnutrition et infections; si l'alimentation des réfugiés améliorait leur état nutritionnel, la mortalité infectieuse pourrait diminuer significativement.

Des taux élevés de mort par inanition dans les camps de réfugiés au début d'une urgence résultent souvent d'une MPE grave, le plus souvent un marasme, parfois un kwashiorkor. Dans de nombreux pays africains notamment, la rougeole a été à l'origine de nombreux décès, bien qu'il soit facile de la prévenir. Cependant les morts attribuées à la diarrhée ou à la rougeole sont presque toujours associées à une MPE et pourraient être imputées à la malnutrition.

Morbidité. Les causes de morbidité sont similaires aux causes de décès: gastroentérites, infections respiratoires, malnutrition, rougeole et souvent paludisme. D'autres maladies sont également fréquentes et il est particulièrement important de les traiter. Il faut, par exemple, se méfier de la tuberculose à cause de son caractère insidieux et de la durée et de la complexité de son traitement. Les helminthiases intestinales majorent l'anémie, altèrent la croissance et peuvent entraîner des complications comme des obstructions intestinales; elles sont très fréquentes mais faciles à traiter. Parmi les infections facilement curables, il y a également la gale et les conjonctivites. Dans certaines situations sont survenues des flambées de choléra, de dysenterie, de méningite et d'hépatite.

Les structures de santé d'un camp de réfugiés doivent aussi être capables de traiter les blessures. Les réfugiés qui arrivent ont souvent des blessures liées à la guerre ou à d'autres types de violences et, dans certains cas, les handicapés sont nombreux. Il faut une structure qui puisse accueillir les femmes enceintes et allaitantes et les parturientes. Dans certains cas, il faut s'assurer que les maladies sexuellement transmissibles (MST) sont traitées et que des mesures visant à limiter la transmission du VIH ont été prises. Cette situation varie d'un pays et d'un camp à un autre. Il arrive que les réfugiés bénéficient d'une meilleure nourriture et de meilleurs soins que les habitants des alentours.

Programmes de santé. Il est souhaitable de mettre en place un système de surveillance de l'état de santé et de l'état nutritionnel. Il faut recueillir des données sur la mortalité, la morbidité, l'état nutritionnel et les actions de santé (activités du personnel, vaccinations, éducation sanitaire, protection maternelle et infantile). Quand il y a un afflux brutal de réfugiés, il est utile de faire une évaluation rapide de leur état de santé qui servira de référence pour les évaluations suivantes.

Il est particulièrement important de mettre en œuvre une stratégie de prévention et de traitement de la diarrhée. Les diarrhées avec déshydratation doivent bénéficier de la thérapie de réhydratation orale, soit à l'aide de sachets de solution prêts à l'emploi, soit avec des boissons habituellement consommées dans la région. En l'absence de déshydratation, il suffit de poursuivre l'allaitement chez les bébés et de donner les aliments et boissons habituels. La prévention est primordiale mais plus difficile. Elle repose sur l'installation de latrines correctes, l'approvisionnement en eau propre, l'hygiène personnelle et celle des aliments et l'éducation sanitaire. Le personnel doit être formé à penser au choléra devant une diarrhée suspecte et à y faire face, le cas échéant.

Les vaccinations permettent de prévenir la rougeole, la diphtérie, la coqueluche, le tétanos, la poliomyélite et certaines méningites; le BCG atténue la tuberculose. On admet maintenant que la priorité absolue doit aller à la vaccination contre la rougeole, qui doit être entreprise au tout début d'une urgence. Ensuite seulement, on peut planifier les autres vaccinations, polio oral et DTCoq.

Surveillance nutritionnelle

Dès l'installation d'un camp, ou le plus tôt possible, il faut évaluer l'état nutritionnel de toute la population et assurer ensuite un suivi. Il faut également mettre en place un système d'évaluation des nouveaux arrivants.

L'évaluation repose habituellement sur des mesures destinées a révéler l'existence d'une MPE chez les enfants ou d'une malnutrition avec amaigrissement chez les adultes (voir le chapitre 12). La méthode à utiliser doit être choisie en fonction des possibilités. Idéalement il faudrait évaluer la proportion de rapports poids/taille faibles et en contrôler l'évolution. Mais il est rarement possible de peser et de mesurer tous les enfants d'un camp de réfugiés. Si on ne peut pas obtenir une série de tailles successives, une série de poids est utile au suivi, mais elle ne permet pas de faire une évaluation de l'état initial. Le MUAC est plus simple puisqu'il ne requiert qu'un mètre à ruban; il est surtout destiné au dépistage des malnutritions en urgence et pas aux enquêtes ni au suivi.

Les différentes mesures pratiquées sont aussi l'occasion de rechercher des signes cliniques de malnutrition, comme les œdèmes du kwashiorkor, les signes oculaires de la xérophtalmie et les lésions cutanées de la pellagre.

Si l'on sait que les réfugiés viennent d'une région où la carence en vitamine A est un problème, il est conseillé de leur donner une dose de charge dès leur arrivée (400 000 UI ou 120 000 ER pour les enfants de plus de 1 an) et de les vacciner contre la rougeole. On peut aussi recueillir des informations sur le taux d'héméralopie auprès des mères.

Les données recueillies par la surveillance nutritionnelle doivent être transmises à une personne qui sait les analyser, les interpréter et prendre les mesures nécessaires. Si les taux de MUAC faible, de MPE cliniquement évidente, d'amaigrissement, de xérophtalmie ou autres déficits restent élevés, il faut intensifier les efforts. Des mesures anthropométriques médiocres indiquent soit un problème dans la distribution de nourriture (les enfants ne reçoivent pas une part suffisante ou les familles ne reçoivent pas leur ration) soit un effet négatif de maladies diverses (diarrhées, parasites, paludisme) sur l'état nutritionnel.

Un recueil régulier de données est indispensable si l'on veut être sûr que la distribution de nourriture atteint ses objectifs, c'est-à-dire améliorer l'état nutritionnel des réfugiés et prévenir la malnutrition. Il est parfois nécessaire de surveiller plus particulièrement une carence en micronutriments (par exemple après mesure de l'hémoglobine dans un groupe à risque) selon les directives des chapitres 13, 14 et 15. La surveillance comprend également le suivi des programmes de renutrition et le recueil de données sur la consommation alimentaire au sein des groupes vulnérables.



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Enfant gravement mal nourris et affamés pendant la guerre civile au Nigéria



PHOTO 42

Enfant affamé attendant son tour d'être nourri



PHOTO 43

Enfants mauritaniens attendant leurs rations durant la famine du Sahel



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Stocks de maïs destinés aux secours en cas de famine



PHOTO 45

Distribution de repas à des réfugiés par le PAM en Afrique



PHOTO 46

Enfants du Bhoutan consommant du boulgour donné par le PAM

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