FAO/SMIAR - Perspectives de l'Alimentation No.5 - Novembre 1999 - P. 5

Previous PageTable Of ContentsNext Page


RUBRIQUE SPÉCIALE
FORTE AUGMENTATION DU NOMBRE DE CRISES ALIMENTAIRES IMPUTABLES À DES TROUBLES INTÉRIEURS, À DES CATASTROPHES NATURELLES ET À DES CRISES ÉCONOMIQUES, EN 1998/1999

Vue d'ensemble

Situation par région

Évolution des crises alimentaires mondiales entre 1984 et 1999

Vue d'ensemble

Bien que certains indicateurs témoignent d'une baisse du nombre de personnes sous-alimentées dans les pays en développement, à la fin de l'année 1999 et à l'aube du nouveau millénaire, il existe encore dans le monde 35 pays qui sont confrontés à des pénuries alimentaires; or ce chiffre est le plus élevé depuis 1984, quand une grave sécheresse, pratiquement généralisée, avait frappé l'Afrique subsaharienne. Les principales causes sont les guerres/troubles intérieurs, les conditions météorologiques défavorables et les crises économiques et financières, et l'on estime que 52 millions de personnes sont confrontées à des pénuries alimentaires d'intensité variable. En Afrique, d'importants groupes de population sont confrontés au fléau de la famine, principalement par suite de troubles intérieurs, alors qu'en Asie, malgré une certaine amélioration, des millions de personnes souffrent d'une grave érosion de leur pouvoir d'achat et de leur accès à la nourriture, du fait de crises économiques et financières sans précédent. Certaines régions de l'Amérique latine, qui étaient en train de se relever après avoir été dévastées par l'ouragan "Mitch" l'an dernier, ont été freinées dans leurs efforts par des pluies excessives et des inondations, au cours des derniers mois. En outre, les effets persistants des phénomènes El Niño et La Niña depuis 1997/98 aggravent les difficultés d'approvisionnement alimentaire dans de nombreuses régions du monde.

Depuis l'an dernier, on constate une évolution de la répartition régionale des populations en butte à des difficultés d'approvisionnement alimentaire: en Afrique subsaharienne, le nombre de personnes touchées est tombé de 21 millions à 19 millions, alors qu'en Asie ce nombre est passé de 5 millions à près de 28,3 millions, cette dernière augmentation résultant toutefois en partie du reclassement en Asie de 8 des 12 pays de la Communauté d'États indépendants (CEI) (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan et Turkménistan). Au Proche-Orient, la plus grave sécheresse en plusieurs décennies qui a sévi au début de l'année a fortement réduit la production vivrière dans plusieurs pays, en particulier en Afghanistan, en République islamique d'Iran, en Iraq, en Jordanie et en Syrie. En revanche, malgré les fortes inondations survenues au Mexique au début du mois d'octobre, le nombre de personnes confrontées à de graves pénuries alimentaires en Amérique latine est beaucoup plus faible cette année que l'an dernier, quand plusieurs pays de la région ont été gravement affectés par des inondations et des sécheresses liées au phénomène El Niño.

Situation par région

AFRIQUE

En Afrique de l'Est, la situation alimentaire s'annonce préoccupante principalement à cause des conditions météorologiques défavorables. En Somalie, le manque de pluies, des infestations de ravageurs et l'intensification des troubles intérieurs ont entraîné de graves pénuries alimentaires touchant environ 1,2 million de personnes, dont 400 000 risquent de mourir de faim. En Éthiopie, une aide alimentaire doit être fournie à quelque 7 millions de personnes, dont 2 millions ont été touchées par la mauvaise récolte de la première campagne (Belg) de 1999. En Érythrée, on estime que 550 000 personnes touchées par le conflit avec l'Éthiopie sont dans une situation alimentaire précaire. En Ouganda, une sécheresse prolongée dans l'ouest du pays a détruit les récoltes et gravement affecté les troupeaux. Dans certaines régions, les troubles intérieurs continuent à désorganiser la production alimentaire. En Tanzanie, on signale de graves pertes de récoltes dans plusieurs régions. Au Kenya, on prévoit d'importantes pertes de production dans plusieurs régions, par suite de la sécheresse et on a signalé une détérioration de l'état nutritionnel dans les régions pastorales et agro-pastorales. Au Soudan, malgré des approvisionnements alimentaires satisfaisants dans le nord, quelque 2,4 millions d'habitants du sud restent tributaires de l'aide alimentaire d'urgence, par suite des troubles civils prolongés. Au Burundi et au Rwanda, le manque de pluies a nui aux cultures qui viennent d'être rentrées, et la production alimentaire des deux pays reste perturbée par des épisodes de violence sporadiques. En Afrique de l'Ouest, les perspectives alimentaires de la Sierra Leone restent défavorables, en raison de l'insécurité persistante dans les zones rurales. En Guinée-Bissau, un grand nombre de personnes sont dans une situation alimentaire difficile, depuis la fin du conflit. Au Libéria, malgré une amélioration de la situation alimentaire globale depuis la fin des troubles civils, les personnes déplacées dans la région du nord, souffriraient de pénuries alimentaires. En Afrique centrale, les troubles civils qui perdurent en République démocratique du Congo continuent d'entraîner le déplacement d'une proportion importante de la population rurale, tandis qu'en République du Congo, un grand nombre de personnes ont fui la capitale et ses environs, à cause de l'intensification des combats. En Afrique australe, la situation alimentaire est catastrophique en Angola, où l'on signale un nombre croissant de décès dus à la faim, dans de nombreuses régions. On estime que plus de 2 millions de personnes ont besoin d'une aide alimentaire d'urgence. Ailleurs en Afrique australe, on prévoit un resserrement des approvisionnements alimentaires au Botswana, au Lesotho, en Namibie et au Zimbabwe après deux récoltes successives inférieures à la moyenne.

ASIE

En Asie, une catastrophe humanitaire majeure a frappé le Timor oriental, après le référendum du 30 août, par lequel la majorité des habitants de la région ont voté pour l'indépendance vis-à-vis de l'Indonésie. Des milliers de personnes ont été tuées et leurs biens détruits par des milices opposées à l'indépendance et 400 000 personnes se sont déplacées pour fuir la violence ou ont été déportées dans le Timor occidental. La République populaire démocratique de Corée est encore gravement affectée par des difficultés chroniques d'approvisionnement alimentaire, provoquées par une combinaison de catastrophes naturelles (sécheresses et inondations) depuis 1995, et de problèmes économiques qui ont rendu le pays tributaire d'une assistance internationale de grande ampleur. Au Bangladesh, une aide alimentaire est actuellement distribuée aux victimes des inondations de juillet 1998. En Indonésie, les effets de la grave crise économique de 1997/98 continuent d'être ressentis par de vastes couches de la population. En Mongolie, les disponibilités intérieures de céréales s'épuisent, et le pays a de plus en plus de difficultés à nourrir sa population.

Dans plusieurs pays du Proche-Orient, la pire sécheresse depuis plusieurs décennies a gravement amputé la production alimentaire. En Afghanistan, où la récolte céréalière de 1999 a été fortement réduite par le manque de pluies et par une infestation de ravageurs, les besoins d'importations céréalières seront exceptionnelle-ment élevés en 1999/2000. En Iraq, la sécheresse a endommagé près de la moitié des superficies totales cultivées en 1999, alors qu'en Jordanie, la sécheresse est à l'origine de la récolte céréalière la plus basse jamais enregistrée, qui laisse environ 180 000 familles de petits pasteurs et de ruraux sans terre à la merci d'une aide alimentaire d'urgence. De même, la sécheresse a gravement affecté les cultures et le bétail en Syrie, où des milliers de bergers bédouins ont besoin d'une assistance.

Parmi les pays d'Asie de la CEI, les populations vulnérables en Arménie, en Azerbaïdjan et en Géorgie restent tributaires d'une aide humanitaire. Au Tadjikistan, les récoltes céréalières médiocres de 1999 pourraient aggraver la détresse des pauvres et accroître le nombre de personnes vulnérables, déjà considérable.

AMÉRIQUE LATINE

En Amérique latine et aux Caraïbes, une aide alimentaire est actuellement fournie au Honduras et au Nicaragua dévastés par l'ouragan Mitch, ainsi qu'à Haïti et à Cuba, précédemment touchés par le cyclone "Georges".

EUROPE

En Europe, d'importants programmes d'aide alimentaire sont poursuivis pour assister les populations démunies de la région des Balkans, en particulier dans la province du Kosovo de la République fédérative de Yougoslavie. Une attention particulière est accordée au ciblage des zones reculées qui seront probablement inaccessibles durant les mois d'hiver. En Albanie, une aide alimentaire continue d'être fournie aux réfugiés kosovars restés dans le pays et à leurs familles d'accueil. En Bosnie-Herzégovine, l'économie a été pénalisée par les troubles civils dans la région et le pays accueille un nombre considérable de réfugiés. Dans l'ex-République yougoslave de Macédoine, l'effondrement du commerce avec la République fédérative de Yougoslavie a entraîné une détérioration des conditions économiques et accru la vulnérabilité à l'insécurité alimentaire. Dans la Fédération de Russie, une crise humanitaire majeure s'est déclarée dans le nord du Caucase, où les opérations militaires en Tchétchénie ont entraîné le déplacement d'environ 166 000 personnes, principalement vers l'Ingouchie voisine. La petite république d'accueil (300 000 habitants), qui n'est pas en mesure de faire face à cette situation, a lancé un appel en vue d'obtenir une assistance internationale, sous forme de nourriture, d'abris, de combustible et de soins médicaux. Quelques réfugiés tchétchènes ont été accueillis par la population locale, mais nombre d'entre eux sont encore sans abri, malgré le temps froid et l'approche de l'hiver.

Évolution des crises alimentaires mondiales entre 1984 et 1999

Depuis une quinzaine d'années, on note une évolution perceptible des causes des crises alimentaires. Alors que les catastrophes pro-voquées par l'homme, comme les guerres civiles, étaient responsables de 10 pour cent seulement de l'ensemble des crises alimentaires en 1984, ce pourcentage frôlait 30 pour cent en 1991. En 1994, il était passé à 49 pour cent et, à la fin de l'année 1999, à 53 pour cent (voir Figure 1) 1/.

D'une manière générale, comme la communauté internationale est mieux informée, grâce principalement aux progrès des technologies utilisées pour l'alerte rapide en cas de catastrophes à évolution lente (par exemple, la sécheresse), et à la diffusion rapide des informations, le monde est mieux préparé pour affronter les crises alimentaires que dans les années 80. Ainsi, la sécheresse de 1991/92 en Afrique australe, qui a dévasté la production agricole de la sous-région et s'est traduite par des besoins d'importations alimentaires sans précédent, n'a provoqué aucun décès, grâce aux systèmes d'alerte rapide fiables placés sous la surveillance des gouvernements des pays concernés et de la communauté internationale au sens large. Une coordination efficace entre les pays de la sous-région et les organisations du système des Nations Unies, ainsi qu'une réponse généreuse des donateurs, ont écarté la menace de famine. Grâce à l'expérience de la crise de 1991/92, il a été possible de neutraliser les effets de l'urgence-sécheresse de 1994/95 en Afrique australe, avec des plans d'urgence en faveur des populations touchées. De même, l'impact des graves inondations et sécheresses de 1997/98, associées aux phénomènes climatiques El Niño et La Niña dans plusieurs régions du monde, a été considérablement atténué par la réponse rapide de la communauté internationale. Toutefois, il est plus difficile de détecter à l'avance les catastrophes qui apparaissent brusquement, qu'elles soient naturelles (par exemple, les tremblements de terre) ou provoquées par l'homme (par exemple, troubles civils éclatant soudainement), ce qui réduit les possibilités de préparer au niveau international des plans d'urgence adéquats pour atténuer les crises alimentaires qui en découlent. Ce facteur limitant a été exacerbé depuis la campagne de 1994/95, où les expéditions d'aide alimentaire ont été constamment en deçà de l'objectif annuel minimal de 10 millions de tonnes, fixé par la Conférence mondiale de l'alimentation.

Malgré une certaine détente au cours des trois dernières campagnes, la situation tendue de l'aide alimentaire est principalement due à des restrictions budgétaires dans les pays donateurs, mais peut-être aussi à une certaine lassitude, ou désintérêt, de leur part, en particulier pour les crises alimentaires prolongées. Il est également évident que la réponse des donateurs aux appels lancés pour mobiliser les ressources nécessaires à un relèvement rapide de la production alimentaire diminue et n'est plus à la hauteur des besoins. Pourtant, ainsi que l'a conclu un récent rapport de l'Institut international de recherches sur la paix d'Oslo (PRIO), le relèvement de l'agriculture est une condition fondamentale du développement, de la lutte contre la pauvreté, de la prévention de la destruction de l'environnement - et de la réduction de la violence 2/ .

Pour faire face aux crises alimentaires présentes et futures, il est indispensable et urgent que les pays à faible revenu et à déficit vivrier, en particulier ceux qui se relèvent de crises alimentaires, mettent davantage l'accent sur le relèvement, le redressement et le développement de l'agriculture, en allouant plus de ressources à ce secteur. Cependant, la plupart en seront empêchés par le poids de la dette extérieure. Ainsi, à défaut d'une aide économique extérieure substantielle et prolongée, les crises alimentaires et l'insécurité alimentaire chronique continueront probablement d'affliger des millions de personnes à l'avenir. Une part importante de l'assistance internationale devra être destinée à des programmes ayant pour objectif d'améliorer rapidement et de manière durable la production alimentaire et la productivité agricole, comme le Programme spécial de la FAO pour la sécurité alimentaire en faveur des pays à faible revenu et à déficit vivrier.
1/ Un pays est considéré comme confronté à une crise alimentaire lorsqu'une catastrophe naturelle ou provoquée par l'homme entraîne un déficit exceptionnel des approvisionnements alimentaires, devant être comblé en tout ou partie par une aide alimentaire d'urgence extérieure.
2/ To cultivate Peace - Agriculture in a World of conflict, Prio Report 1/99


Previous PageTop Of PageTable Of ContentsNext Page