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6. LA POLLUTION DES EAUX AU NIGERIA

Le réseau hydrographique du Nigéria est commandé par le fleuve Niger qui pénètre dans le pays par le nord-est and se déverse dans l'Atlantique par un delta vaste et très complexe. De petits affluents descendant de l'ouest se déversent dans le fleuve tandis qu'à l'est, la rivière Bénoué constitue un apport important. Quelques courtes rivières se déversent directement dans l'Atlantique. Au nord, la rivière Komadougou recueille les eaux du bassin de drainage du lac Tchad.

6.1 Charges théoriques en polluants

6.1.1 Eaux résiduaires

D'après des estimations récentes, le Nigéria compte environ 82 millions d'habitants. La ville la plus importante est la capitale, Lagos, avec quatre millions d'habitants et une charge annuelle théorique de 95 000 tonnes par an de DBO et 136 000 tonnes par an de solides en suspension.

D'après un rapport national (Nigeria, 1982), la situation qui règne dans la plupart des villes et agglomérations du Nigéria est loin d'être satisfaisante car il n'existe pratiquement pas de réseaux de tout-à-l'égout. Dans les villes les plus importantes, cependant, les grands établissements et institutions disposent de petites installations modernes de traitement des eaux usées. Les principales méthodes actuellement utilisées pour évacuer les déchets domestiques sont: les fosses septiques, le système traditionnel des ‘salanga’ (latrines) et les seaux hygiéniques. Même à Lagos, l'engrais flamand recueilli dans des seaux métalliques est purement et simplement déversé dans la lagune. Des projets ont été préparés en vue d'installer des réseaux de tout-à-l'égout à Lagos, tout au moins dans les nouvelles zones urbaines d'Amuwo-Odofin, de l'île Victoria ou de la péninsule de Lekki.

Il n'a pas été fait d'analyses de la lagune de Lagos; il est donc difficile de tirer des conclusions concernant les effets des eaux qu'elle reçoit. Toutefois, la lagune de Lagos, autrefois très poissonneuse, est maintenant considérée comme peu propice à la pêche (Adeyanju, 1979).

En ce qui concerne l'intérieur du pays, quelques études ont été faites et publiées par l'Université d'Ibadan. Oluwande et al. (1983) ont étudié cinq rivières et cours d'eau pendant trois ans au moyen d'analyses physiques, chimiques et bactériologiques. Les émissions de déchets domestiques et industriels ont détérioré la qualité des eaux. La DBO est relativement élevée dans le principal cours d'eau; la présence de coliformes a été décelée et le taux d'oxygène dans certains endroits est voisin de zéro.

Ajayi et Osibanjo (1984) ont étudié les constantes d'auto-purification d'un cours d'eau de la région d'Ibadan et sont arrivés à la conclusion que sa capacité d'auto-purification est assez élevée.

6.1.2 Effluents industriels

On a estimé qu'environ 75 pour cent des activités industrielles du pays sont regroupées sur la côte, dont 50 pour cent à Lagos. La charge théorique totale en polluants industriels émise par ces régions a été estimé à 17 000 tonnes par an pour la DBO et à 24 000 tonnes par an pour les solides en suspension (ONUDI/PNUE, 1982). Les industries les plus polluantes sont les brasseries, les usines textiles, les usines de pâte et papier et les raffineries de pétrole.

Dans le cadre d'un vaste projet visant à illustrer les principaux problèmes d'environnement, à rassembler une base de données, à créer une prise de conscience du public et à diffuser les informations essentielles, la Division de la planification et de la protection de l'environnement, du Ministère fédéral du logement et de l'environnement, a entrepris une enquête sur la gestion des résidus industriels au Nigéria (Nigeria, 1981). En 1971, on comptait 840 grands établissements industriels, en grande majorité situés à Lagos et dans les Etats de l'ouest. Parmi ceux-ci figurent 40 usines textiles (dénombrement de 1980), principalement situées à Lagos (7), Kano (11) et Kaduna (8). L'étude décrit la façon dont elles gèrent leurs résidus, présente des données d'analyse sur la qualité des eaux des effluents et des cours d'eau récepteurs. La couleur, le total des matières solides et la DBO semblent être à l'origine des principaux problèmes observés dans les cours d'eau récepteurs.

La gestion des résidus de deux grandes brasseries, situées l'une à Lagos, l'autre à Ibadan, ainsi que d'une papeterie et d'une sucrerie, toutes deux situées dans l'Etat de Kwara, a été examinée et a fait l'objet d'études de cas des problèmes de pollution des eaux.

Une enquête a été faite moyennant l'envoi d'un questionnaire pilote, pour étudier les pratiques observées en matière de gestion des résidus par les industries de la zone métropolitaine de Lagos: toutefois, les résultats n'ont pas été considérés comme entièrement satisfaisants. Le Ministère souhaiterait réunir davantage de précisions, quantitatives et qualitatives, concernant les émissions polluantes et a donc entrepris une étude exhaustive de la lagune de Lagos et de Five-Cowrie Creek. Une étude de la contamination des eaux souterraines par les infiltrations d'eaux usées industrielles et urbaines dans la zone métropolitaine de Lagos a révélé des taux de mercure, de fer et de manganèse supérieurs à la normale. Enfin, un accident a été signalé, à savoir la rupture d'un égout récoltant et acheminant des effluents industriels vers une station d'épuration située dans la zone industrielle d'Ikeja à Lagos; les eaux résiduaires ont pollué des zones résidentielles. Cette enquête, quoique incomplète, permet de dresser un tableau du problème de la pollution dans le pays et de suggérer des solutions pour prévenir et contrôler la pollution industrielle au Nigéria.

6.1.3 Pesticides

Les Services fédéraux de lutte contre les ravageurs achètent et distribuent du diazinon, du fénitrothion, du méthidathion et du fenthion en quantités pouvant atteindre 20 000 – 25 000 tonnes par an pour chacun de ces produits; mais les administrations de chaque Etat ont leurs propres services et achètent elles aussi de quantités supplémentaires de ces produits et d'autres composés. On ne dispose pas de données concernant les différents Etats. Pour justifier un tel emploi de pesticides, on a dit que les programmes de pulvérisation avaient permis de décupler les rendements en coton.

On note, au Nigéria, un accroissement de l'emploi des herbicides, comme le démontre une brochure contenant des instructions à l'intention des petits et moyens exploitants (Nigeria, 1983), mais on ne sait pas quelles sont les quantités totales appliquées. Des campagnes anti-aviaires (Quelea quelea) ont été conduites dans le nord. En ce qui concerne la lutte contre les vecteurs de maladies, de très vastes territoires ont été débarrassés de dangereux parasites grâce aux pesticides. Dans le nord du Nigéria, 72 000 kilomètres carrés ont pu être mis en culture et consacrés à l'élevage après extermination de Glossina sp., vecteur de la trypanosomiase. Il semble que l'on emploie encore le DDT et l'endosulfan pour ces opérations, à raison de 50 tonnes par an. Koeman et al. (1971, 1978) ont étudié les effets des applications d'insecticides sur la faune des marais au Nigéria et ont analysé les concentrations de pesticides contenues dans le cerveau, la foie et la graisse de différents oiseaux aquatiques, poissons et serpents. Dans les poissons, ils ont trouvé de concentrations de 0,1 mg/kg de dieldrin; les concentrations de DDT étaient nettement inférieures et ne dépassaient pas 0,05 mg/kg. A l'occasion d'une Conférence nationale sur la pollution des eaux et les résidus de pesticides dans les aliments qui s'est tenue à l'Université d'Ibadan, trois communications ont été présentées sur cette question et figurent dans les Actes de ladite conférence (Odeyemi, 1980; Odu, 1980; Osibanjo et Jensen, 1980).

6.1.4 Pétrole

En 1971, le Nigéria est passé au dixième rang des producteurs de pétrole dans le monde; dans les années suivantes, la production a augmenté et le pays est passé au huitième rang. En 1981, la production totale a atteint 71,1 millions de tonnes, puis a diminué en 1982 (63,8 millions de tonnes). Deux raffineries sont installées sur la côte, ainsi qu'un vaste complexe pétrochimique à Warri.

Le volume de pétrole libéré dans l'environnement a été estimé par le ONUDI/PNUE (1982) à 53 500 tonnes/an. Ce même rapport précise, toutefois, qu'un séparateur de l'American Petroleum Institute (installation d'épuration simple) est inclus dans le processus de raffinage.

Les autorités nigérianes, préoccupées par le problème de la pollution, ont organisé trois colloques consacrés à ‘l'industrie du pétrole et l'environnement nigérian’ dont les actes ont été publiés en deux volumes (Nigeria, 1979: Thomopulos, 1983), un troisième étant en préparation.

Le transport et la distribution du pétrole met en jeu un réseau très complexe s'étendant sur toute la région du delta, qui est très riche en poisson et en crevettes. Imevbore (1979) signale l'existence, dans le delta, les criques et les estuaires de divers cours d'eau, d'une pollution généralisée qui a entraîné la mort d'un grand nombre de spécimens de Callinectes gladiator et de C. latimanus, deux espèces de crabes comestibles, mais sans fournir de données quantitatives. On a parlé également d'une réduction de la variété et de la densité de la vie dans les marécages à mangroves défrichés. Deux ans plus tard, Imevbore et Adeyemi (1983) ont présenté une carte du delta du Niger indiquant les isoplèthes des concentrations de pétrole, mesurées par la spectrographie aux infrarouges. Ils ont ainsi beaucoup contribué à améliorer notre connaissance de la situation, bien qu'il subsiste des lacunes.

Une analyse détaillée des déversements accidentels de pétrole, la fréquence et l'ampleur de ces incidents, l'importance des déversements, leur répartition mensuelle, leurs causes et les sociétés responsable, a été présenté par Awobajo (1983). Entre 1976 et 1980, on a enregistré 784 déversements, dont 588 de faible entité et 11 portant sur plus de 1 500 tonnes. On a calculé que les déversements de pétrole ont totalisé 293 020 tonnes. Dans une étude écologique consécutive à un important déversement de pétrole, Ekekwe (1983) a constaté que 1,45 pour cent de la mangrove locale avait été détruite et que les crabes comestibles et les bigorneaux avaient été anéantis ou contaminés. Odu (1983) a présenté une étude de la dégradation et de l'altération du pétrole brut en laboratoire et sur le terrain en milieu tropical. Toutes ces études montrent que le pétrole se dégrade plus rapidement dans les conditions tropicales que dans les régions tempérés. L'Institut nigérian d'océanographie et de recherche maritime a également conduit des études, tant en laboratoire (Ajao et al., 1983) que sur le terrain (Onuoha, 1980). Les études de toxicité en laboratoire ont montré que les effluents en tant que tels étaient toxiques pour le mulet (Mugil sp.), mais à 10% de dilution la toxicité était grandement réduite. Les effets de la pollution due au pétrole ont été étudiés sur le terrain dans le delta du Niger, le long de la rivière Bonny pendant une période de six mois. Il a été démontré que, comparée à une zone de contrôle, la production primaire était réduite et que la distribution de certaines espèces d'algues était différente dans les deux zones.

Le résultat le plus remarquable de cette activité scientifique a été évidemment la mise en application de mesures de lutte contre la pollution, l'adoption d'un plan de surveillance générale à long terme et d'un plan d'intervention contre la pollution par les hydrocarbures. Un indice de sensibilité de l'environnement fondé sur des critères géomorphologiques, écologiques et socio-économiques, a été établi pour les zones du Nigéria susceptibles d'être touchées par des accidents de ce genre.

6.2 Pêches

Les captures nominales totales en 1983 du Nigéria ont été estimées à environ 515 000 tonnes, dont quelque 125 000 tonnes pour les eaux continentales (FAO, 1984).

Selon de Département des pêches, la pollution n'est pour le moment pas un problème dans la majeure partie du pays, à quelques exceptions près; toutefois, le risque augmente rapidement.

Des cas de mortalité massive de poisson ont été observés; ils seraient dus aux effluents industriels et à l'emploi illégal de pesticides, en particulier de paraquat, pour la pêche. Imevbore (1972) signale un cas d'intoxication collective de personnes ayant mangé du poisson capturé au moyen de pesticides et contaminé. Les déversements d'hydrocarbures, soit directement dans les cours d'eau, soit dans les nappes temporaires qui se forment dans les plaines d'inondation, ont entraîné une contamination du poisson qui n'a pas pu être commercialisé. Le delta du Niger est certainement l'une des zones dans lesquelles les pêches sont en péril, mais il n'existe pas de données précises à ce sujet (Imevbore, 1979).

6.3 Recherche

La plupart des activités entreprises ou prévues s'inscrivent dans un plan d'action établi par la Division de la planification et de la protection de l'environnement, qui dépend du Ministère fédéral du logement et de l'environnement. Cette Division a entrepris dans la zone de Lagos un grand projet pilote en quatre phases:

  1. établissement d'un registre de sources de contamination;

  2. échantillonnage et analyse de la qualité et de la quantité des contaminants;

  3. étude scientifique des effets éventuels de ces contaminants, et

  4. établissement et diffusion de directives concernant les effluents et visant à contrôler les sources ponctuelles de pollution. Ce projet sera par la suite étendu à l'ensemble des onze Services des bassins hydrographiques.

D'autre part, un projet quadriennal a été lancé pour étudier l'impact des pesticides sur l'environnement au Nigéria et le problème des résidus de pesticides en vue de l'élaboration d'une législation.

Les autres institutions travaillant sur les problèmes de pollution sont l'Institut nigérian d'océanographie et de recherches maritimes (NIOMR) et les universités du pays. C'est ainsi que l'Université de Lagos travaille sur la pollution microbienne de la lagune par les effluents domestiques, tandis que les Universités de Port-Harcourt et de Calabar évaluent l'impact des résidus pétroliers sur les écosystèmes de mangroves du delta du Niger. Dans la zone côtière, une étude a été entreprise en vue d'établir la vitesse de rétablissement du milieu après un déversement de pétrole dû à l'incendie d'un puits d'exploitation. La Nigerian Petroleum Corporation est particulièrement active dans ce domaine; elle finance des recherches et organise des séminaires sur le thème ‘l'industrie pétrolière et l'environnement nigérian’; trois de ces séminaires ont déjà eu lieu en 1979 (Nigeria, 1979), en 1981 (Thomopulos, 1983) et en 1983 (rapport en préparation).

Le Ministère fédéral des ressources hydrauliques communique chaque année des données hydrologiques. Il effectue également des analyses des eaux souterraines.

6.4 Législation

Le Comité national du développement des pêches, qui réunit les directeurs des services gouvernementaux des pêches des différents Etats, a proposé en 1983 un projet de décret relatif aux pêches continentales. Ce texte mentionne explicitement la nécessité de protéger les pêcheries de la pollution et interdit ‘tout déversements de substances chimiques ou médicamenteuses, poisons ou autres matières nocives ou polluantes dans des eaux poissonneuses ou destinées à aboutir à des zones poissonneuses’.

Dans un cadre plus général, une loi sur la protection de l'environnement est en cours de ratification; les réglementations qui l'accompagneront seront établies sur la base du projet pilote de Lagos mentionné sous le point 6.3. Dans l'intervalle, une politique visant à informer les parties intéressées des problèmes de pollution se poursuit activement. Deux séminaires ont été organisés par la Division de la planification et de la protection de l'environnement: un séminaire sur la connaissance de l'environnement, qui s'adressait aux responsables nationaux des politiques, et un second qui, sur le même thème, s'adressait aux techniciens des médias (Ijalaye, 1982; Nwuneli et Opubor, 1983). Au cours du premier de ces stages, les lois relatives aux problèmes d'environnement du Nigéria ont été passés en revue. Un examen de la législation relative aux opérations de l'industrie pétrolière a également été publié (Ojikutu, 1979).

6.5 Conclusions

Le Nigéria a les mêmes problèmes que les autres pays africains mais sur échelle plus vaste car son développement est plus avancé et sa population plus nombreuse. Il n'existe pratiquement pas de réseau de tout-à-l'égout et les déchets organiques provoquent une désoxygénation directe des eaux par oxydation de la matière organique ou par apports d'éléments nutritifs, d'où des problèmes d'eutrophisation. La plupart des industries évacuent des substances dont la forte DBO provoque le même type de dommage. Des projets de recherche sont en cours actuellement et des lois ont été adoptées pour contrôler la pollution des eaux.

Par ailleurs, les conséquences éventuelles de l'emploi de quantités massives de pesticides n'ont jamais été ni évaluées ni mesurées dans ce pays.

Mais le Nigéria est aussi un cas à part parmi les pays africains en ce qui concerne la contamination par l'industrie pétrolière, car il est un des plus gros producteurs du monde. Le delta du Niger abrite l'un des plus vastes marécages à mangrove du monde; il est riche en poissons, crevettes et mollusques et une très grande partie de sa superficie est concernée par l'extraction, le transport et le raffinage du pétrole. La pollution peut être observée sur la totalité de la superficie du delta du Niger; si les accidents graves semblent peu nombreux, ils ont eu cependant de vastes répercussions et les dégâts enregistrés ont intéressé la totalité du delta. Les autorités administratives travaillent activement pour que ces ressources soient exploitées tout en sauvegardant l'environnement et la pêche.


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