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LA TECHNOLOGIE APRES CAPTURE DE L'ISAMBAZA
(Limnothrissa miodon) DU LAC KIVU ET SA COMMERCIALISATION

par

T. Baziramwabo
Directeur national
Projet MINAGRI/PNUD/FAO-RWA/87/012

RESUME

Isambaza (Limnothrissa miodon) a été introduit au lac Kivu en 1959. Les activités de pêche n'ont commencé que 20 ans après. Un projet de pêche de la FAO a été mis en oeuvre en 1979 et se trouve maintenant dans sa phase finale. Le projet a suivi le stock, introduit des techniques de pêche (attraction par des lampes, catamarans puis trimarans, senne tournante et pirogue sénégalaise). Le projet a développé des produits et a activement encouragé la consommation de poisson qui a triplé. Mais à 0,5 kg/personne/an elle reste encore une des plus basses en Afrique. Les produits sur les marchés sont l'isambaza frais, séché, congélé, fumé, ainsi que la farine d'isambaza pour la consommation humaine. L'isambaza frais est commercialisé jusqu'à Kigali, à trois heures du lac, transporté sous glace pour la conservation. Congélé il est vendu dans les supermarchés. D'importants restaurants et hôtels portent “la friture du lac” sur leur menu. Salé et fumé il est très apprécié comme en-cas. Séché il a été acheté par des programmes d'aide alimentaire. La demande est forte pour la farine come ingrédient dans la préparation des sauces.


ABSTRACT

Isambaza (Limnothrissa miodon) was introduced into Lake Kivu in 1959. Fishery activities started 20 years later and a fishery development project executed by FAO has assisted the fishermen and government since 1979 and is now in its final stages. The project has monitored the stock, introduced fishing techniques including light attraction, catamarans, trimarans, and purse-seining in open waters using a Senegalese type pirogue. The project has developed a number of products and has actively promoted fish consumption in Rwanda, which has tripled over the last 20 years, although at 0.5 kg/person/year, it is still very low. Products on the market are fresh, dried, frozen, smoked isambaza and fish meal for human consumption. Fresh isambaza is marketed up to Kigali, three hours from the lake, transported with ice to keep it fresh. Frozen isambaza is sold in supermarkets. Leading hotels and restaurants carry battered and fried isambaza on their menu. Salted-smoked isambaza was found to be highly acceptable as a snack. Dried isambaza has been bought by food aid programmes. Fish meal for human consumption is in high demand in view of its convenience as an ingredient in preparing sauce.

1. INTRODUCTION

La pêche à isambaza (Limnothrissa miodon) du lac Kivu est une activité récente qui n'a commencé qu'en 1979 avec le démarrage de la première phase du Projet de Développement de la pêche au lac Kivu, RWA/77/010, exécuté par la FAO.

Suite à l'absence de tradition de pêche de cette espèce introduite dans les eaux du lac Kivu en 1959, les pêcheurs ont été équipés et formés pour les techniques de pêche qui sont identiques à celles utilisées au lac Tanganyika, origine du L. miodon introduit au lac Kivu. La pêche s'effectue au filet soulevé (carrelet), à l'attraction lumineuse et pendant les nuits sombres. Actuellement, 131 unités trimarans regroupant 1 572 pêcheurs et opérant dans les eaux rwandaises du lac (Fig.2) débarquent annuellement entre 1 500 et 2 000 t de L. miodon. Compte tenu des limitations des qualités de tenue au mauvais temps des trimarans de pêche au lac Kivu et des modifications des techniques de pêche que le projet envisage d'introduire, le besoin d'un bateau plus performant pour travailler dans les eaux plus agitées du large s'est fait sentir.

A la suite d'une précédente expérience d'utilisation de la senne tournante avec un bateau local de type de transport, une pirogue de 13 m équipée d'un moteur hors-bord, destinée à pêcher la nuit (type sénégalais) avec deux porte-lampes, a été retenue.

Les résultats de cette expérience sont satisfaisants et une moyenne de 600 kg par nuit de pêche justifie positivement la rentabilité de ce type d'engin. Malgré son coût très élevé, sa multiplication est à envisager.

2. TRANSFORMATION ET COMMERCIALISATION

Il y a quatre produits habituellement disponibles dans les centres de pêche du Projet, et deux nouveaux produits qui viennent d'être lancés sur le marché.

2.1 Isambaza frais

Dès réception de la production, l'isambaza est vendu chaque matin dans les trois centres du projet (Gisenyi, Kibuye et Cyangugu); la quantité vendue varie dans chaque centre et les grosses quantités sont vendues à Gisenyi, environ une tonne par jour et à Cyangugu une demi-tonne par jour, les quantités vendues à Kibuye étant moins importantes.

Pendant les périodes de haute production, environ une tonne de poissons frais conservés sous glace, à raison de 20 kg de glace fondante pour 30 kg de poissons, est acheminée à Kigali, la Capitale à 160 km de Gisenyi, où le poisson est vendu le jour même.

A noter que l'isambaza est une petite espèce qui n'est pas bien connue par la population du pays et il faut agir progressivement pour qu'elle s'y habitue.

2.2 Isambaza congelé entier

Ce produit est fabriqué et commercialisé dans les trois centres du projet. Refroidi dans des caisses remplies d'eau et de glace dès son débarquement, le poisson est rincé, égoutté et conditionné par sachet d'un kilogramme.

La congélation s'effectue dans des congélateurs de type domestique à raison d'un maximum de 40 kg pendant 24 heures. Une fois congelé, chaque paquet est alors étiqueté avec une date de péremption de trois mois.

Sachant que le projet ne possède qu'un nombre limité de congélateurs, la quantité journalière est aussi limitée, mais convient juste pour la clientèle du projet. D'autre part, la durée de stockage ne doit pas excéder un mois au projet, afin de laisser un délai de vente de deux mois aux magasins d'alimentation.

2.3 Isambaza congelé traité

Ce produit est préparé par presque une dizaine de femmes réparties dans les trois centres du projet. L'isambaza est refroidi dans le premier temps comme précédemment, puis chaque poisson est étêté, éviscéré et rincé pour enlever les écailles.

Après égouttage, le poisson est conditionné dans des emballages de 500 g et mis à congeler comme pour le poisson congelé entier.

Le rendement en produit fini varie entre 60 et 65%.

On retrouve pour ce produit les mêmes contraintes liées au stockage, auxquelles s'ajoutent celles afférentes aux capacités de production de la main-d' oeuvre. Chaque nettoyeuse peut traiter un maximum de 30 kg de produit brut par jour, ce qui représente une capacité de production d'environ 200 kg de produit fini par jour et pour les trois centres du projet.

Les poissons congelés entiers et traités sont expédiés pour commercialisation dans des bacs isothermes en plastique où ils peuvent rester pendant deux jours sans subir de détérioration.

Ces deux produits congelés représentent 10% de la production totale du projet.

2.4 Isambaza séché

Le séchage s'effectue simplement par l'action du soleil. L'isambaza est placé sur des séchoirs en treillis métalliques placés à 1 m environ au-dessus du sol, aménagés avec des gravillons noirs issus des éruptions volcaniques (à Gisenyi). La durée de séchage varie de trois à cinq jours suivant que les journées sont très ou peu ensoleillées. Le rendement est en général de 25% c'est-à-dire qu'il faut 4 kg de poissons frais pour produire un kilogramme de poissons séchés dont la teneur en eau se situe autour de 10%. Les isambaza séchés sont emballés dans des sacs en “nylon ex malt” d'une capacité de 20 kg et sont alors stockés dans les magasins des trois centres du projet. Ce stockage est effectué dans des magasins cimentés, bien secs et permettant une bonne circulation d'air.

Avec la hausse soudaine de la production ces derniers temps, la capacité de séchage des séchoirs a été faible et l'on a été obligé d'élargir les aires de séchage du simple au double, dans les centres de Kibuye et de Cyangugu.

2.5 La farine d'isambaza

C'est au début de cette année que le Projet s'est doté d'un moulin (broyeur de marque SKIOLD type SB 140023) qui produit la farine de poissons destinée à la consommation humaine, surtout les nourrissons et les enfants en bas âge. Le rendement, peu important, est de l'ordre de 500 kg par semaine. Le rendement poissons séchés-farine est de l'ordre de 90%.

Ce produit, emballé en sachets plastique de 100 g chacun, a été bien accepté par la population et jusqu'à ce jour, toute la quantité produite a été écoulée sans aucune difficulté.

La composition de cette farine en éléments nutritifs n'est pas encore connue, mais des échantillons ont été envoyés à l'Université nationale du Rwanda à Butare et en Belgique pour analyse.

2.6 Isambaza fumé

Des essais de fumage d'isambaza ont été réalisés à Kibuye dans des fours type “Chorkor” et plusieurs produits ont été mis au point: poissons entiers ou traités non salés, entiers ou traités salés, avec différentes teneurs en sel.

Les tests d'acceptabilité sur le salage donnent une préférence pour le saumurage à 6% pour le poisson entier et 5 % pour le poisson traité. Ces produits fumés-salés sont donc bien appréciés, en particulier pour ce qui est du poisson entier.

La durée de conservation du poisson fumé dans les conditions naturelles dépend de sa teneur en eau initiale et de l'humidité relative de l'air pendant l'entreposage. Dans les conditions de la zone tropicale humide, la durée d'entreposage peut varier de quelques jours à plus d'un mois. L'un des principaux facteurs limitatifs de cette durée d'entreposage est la croissance de moisissures provoquée par la forte teneur en eau du produit (au bout de sept jours pour les produits non salés). La salaison retarde longtemps ces moisissures.

A cause du climat tropical et particulièrement équatorial, le poisson fumé est entreposé dans un endroit aéré et ombragé afin de limiter toute formation éventuelle de rosée à sa surface pendant la nuit. Dans des conditions atmosphériques très humides, le poisson est reséché et refumé suivant la nécessité. Le transport de ce poisson fumé est très délicat et toute manutention superflue pendant les périodes d'entreposage occasionne beaucoup de brisures, en général la tête coupée. Dans ce cas, beaucoup de pertes sont enregistrées et les clients n'acceptent pas ces poissons.

3. LES PRIX ET LE MARCHE

3.1 Les prix

La politique des prix du projet a, jusqu'à présent, toujours été celle des prix fixes. Comme il n'y a pas de contrôle des prix du poisson au Rwanda, la politique du Gouvernement est claire: garantir aux petits producteurs un prix rémunérateur pour développer et soutenir le secteur productif de l'économie nationale.

Le prix d'achat aux pêcheurs a tout d'abord été fixé à 50 FRW en 1987 (1 US$=80 FRW).

L'objectif du projet après la transformation des unités catamarans en trimarans plus performantes est de baisser le prix au producteur et par conséquent au consommateur.

A noter cependant, que cette situation est paradoxale. Le prix d'achat du projet est en général inférieur à celui du marché, mais lors de fortes productions, on est obligé de sécher du poisson qui entre en concurrence avec des produits importés moins chers par rapport au poisson séché du projet.

Pour des raisons évidentes, la marge bénéficiaire des isambaza congelés est élevée par rapport au produit de base; elle est présentement d'environ 10% pour les isambaza congelés entiers et d'environ 40% pour les isambaza congelés traités, tandis qu'elle est de 20% pour les poissons frais.

Par contre, le seul produit qui a toujours été vendu à son prix de base est l'isambaza séché suite à sa concurrence par le ndagala séché du lac Tanganyika qui entre illégalement dans le pays à des prix très bas.

Actuellement, une étude détaillée qui menera à déterminer les prix réels de tous les produits du projet est en cours, ce qui permettra très bientôt de réviser le système des prix du projet dans les centres de pêche et dans les différents points de vente dans le pays.

3.2 Le marché

Chaque produit a un marché bien déterminé:

Il faut noter qu'avant 1987, les ventes se faisaient presque exclusivement au niveau de chaque centre de pêche du projet. Les ventes en dehors du projet se limitaient aux isambaza congelés de manière régulière depuis 1987, et aux poissons séchés de façon ponctuelle. Néanmoins, elles étaient limitées à un petit nombre de magasins d'alimentation et de restaurants de la capitale pour ce qui est des congelés, et à quelques clients et à un organisme d'aide alimentaire (PAM), pour les poissons séchés.

Même si les produits du projet sont maintenant disponibles un peu partout dans le pays, (Fig. 1) les quantités vendues sont encore moins importantes en considération du nombre de la population du pays. Par contre, la population est habituée au ndagala (Stolothrissa tanganicae) séché venant du Burundi, et de la Tanzanie (pays frontaliers du Rwanda) mais de qualité inférieure, poissons pleins de sable (séchage à la plage) mais dont le prix est deux fois moins cher que celui de l'isambaza, ce qui concurrence le produit du projet et contrarie nos efforts. Mais les marchés développés récemment tout autour du lac, dans les grandes villes ainsi qu'à l'intérieur du pays, peuvent facilement absorber toute la production du projet. Les marchés de poissons frais développés par les pêcheurs eux-mêmes autour du lac ne sont pas à négliger et une quantité presque équivalente à celle débarquée au projet est vendue par les pêcheurs surtout en période de basses productions, lorsque le prix devient plus intéressant qu'au projet.

4. LE POISSON DANS L'ALIMENTATION ET LA NUTRITION AU RWANDA

Jusqu'à très récemment, il n'y avait aucune tradition au Rwanda, de consommer le poisson et les autres produits de la pêche. Pour cela, et pour d'autre raisons, la consommation du poisson était au niveau de 0,2 kg/personne/an il y a 10 ans environ. Seules quelques personnes frontalières du Zaïre et celles riveraines des autres lacs étaient habituées à la consommation du poisson au Rwanda.

Vu ce qui précède et après considération du fait que le projet a développé le marché pour une espèce de poisson introduite et initialement inconnue parmi les autres espèces locales, il s'ensuit qu'un effort considérable était nécessaire dans l'établissement du marché.

Par conséquent, le projet a initié un programme promotionnel intensif, particulièrement au cours de ces quatre dernières années. Il a développé un grand nombre de recettes et différentes démonstrations de cuisine, en se basant sur la haute valeur nutritive de l'isambaza. En travaillant avec les écoles primaires et secondaires de la région, les centres nutritionnels, les restaurants locaux et hôtels et évidemment avec les femmes commerçantes aux marchés, le projet a obtenu une grande clientèle. Après 10 ans d'efforts pour développer le marché du poisson au Rwanda, il est évident que la population accepte et consomme les différents produits du projet.

La consommation du poisson a triplé au cours des 10 dernières années (jusqu'à 0,6 kg/personne/an), ce qui est remarquable, mais elle est encore loin de la moyenne en Afrique, qui devrait être d'environ 10 kg/personne/an.

En conclusion, il semble que le triplement de la consommation de poissons est concevable au cours des 3–4 prochaines années.

Fig. 1 Réseau des marchés au Rwanda

Fig. 1

Fig. 2. Répartition des unités de pêche sur le lac Kivu et localisation des enquêteurs et marchés au projet

Fig. 2.

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