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CONSERVATION ET COMMERCIALISATION
DES PRODUITS DE PECHE LAGUNAIRE

par

Bonaventure Houndekon
Projet modèle FAO RAF/198/DEN
Direction des pêches
Cotonou - Bénin

RESUME

La pêche lagunaire au Bénin qui appartient au domaine continental, fournit 94% de la production halieutique nationale. Son importance dans l'apport protéinique des populations riveraines au plus éloignées n'est plus à démontrer. Ce rapport présente le mode de distribution de ces produits extrêmement périssables à des consommateurs vivant à une distance de 50 à 60 km et sans l'apport de froid connu dans d'autres pays. La conservation et le commerce du poisson (25 900 t en 1989), constituent le travail exclusif des femmes riveraines et de celles qui s'adonnent à la redistribution. Les procédés de conservation utilisés et l'organisation des circuits de distribution limitent de façon considérable les pertes éventuelles.


ABSTRACT

The lagoon fishery in Benin represents 90% of the total national catch. This report describes the ways in which products of the lagoon fishery are processed and marketed inland. Processing methods are traditional and ice or refrigeration is not used. Processing and marketing are done by women. Processing methods are discussed. Distribution is organized so as to keep post-harvest losses to a minimum.

1. LES PLANS D'EAU DU SUD-BÉNIN

Le Sud-Bénin regorge d'une multitude de lacs et lagunes qui fournissent près de 94% de la production totale des eaux intérieures du Bénin.

Le Lac Nokoué, la plus grande lagune avec 150 km2, communique avec la mer au niveau du chenal de Cotonou.

La lagune de Porto-Novo couvre une superficie de 30 km2 en période de basses eaux. L'ouverture de la lagune de Lagos constitue son principal déversoir.

La lagune côtière, d'une superficie de 12 km2, s'étend sur une distance de 80 km le long de la plage. Son ouverture sur la mer, appelée “Bocal del Rio”, se situe à 13 km à l'est de Grand Popo.

Le Lac Ahémé occupe le lit inférieur du fleuve Couffo avec une étendue de 78 km2, et se déverse dans la mer par le Bocal del Rio et par le chenal de l'Aho.

Le réseau des anciennes lagunes au nord de Pahou comprend les lagunes Toho, Todougba et Dati. Celles-ci n'ont plus de contact avec la mer et leurs eaux sont douces; il s'agit en fait de lacs d'eau douce. Elles couvrent au total une superficie de 16 km2 à la décrue; il y a même eu un assèchement presque complet.

Ces lacs et lagunes subissent l'influence des fleuves Ouémé (412 km), Sô, Couffo (125 km), Mono (150 km) qui alimentent en même temps les plaines inondables qui sont d'une importance capitale (130 000 hectares). La pêche est effectuée dans ces lagunes, plaines d'inondation et zones deltaïques des fleuves par environ 30 650 pêcheurs occasionnels (Enquêtes cadres 1986–1989 Projet Pêche Lagunaire GTZ).

Les pêcheurs des différentes régions utilisent une gamme très variée d'engins de pêche que l'on peut regrouper en quatre catégories à savoir, les pièges (nasses, canaux à nasses, barrages), les filets (éperviers, filets maillants, filets à crevettes, filets à armature, balance à crabes), les lignes et les engins de préhension (flèches, harpons). Ils pratiquent aussi la pisciculture extensive sous forme de trous à poissons et d'acadja (Une analyse socio-économique de la pêche lagunaire au Bénin par Verena Pfeiffer et al - 1989 Projet pêche Lagunaire, GTZ).

Sur ces différents plans d'eau du Sud- Bénin, les prises se composent comme suit: Cichlidae 40%, Clupeidae 15%, crustacés 15%, crabes 15%, Mugilidae, Claridae, Bagridae, Heterotis, Chrysichtys 13%, divers 2%.

Tableau 1

Répartition des pêcheurs par plan d'eau (1989) et production (t).

Plan d'eauPêcheurs à plein tempsPêcheurs par km2 d'eauTaille moyenne de famille de pêcheurMembres de famille des pêcheursProduction en tonnes% de femmes possédant pirogue de pêche ou transport 
19881989
Vallée Ouémé  6 500  n.d.6,439 000  4 104  3 42418
Lagune Porto-Novo  2 400  806,114 640  2 965  3 65710
Lac Nokoué11 400  765,662 70014 36919 69721
Lagune côtière  2 1001756,511 500     369     443  5
Lac Ahémé  7 500  967,153 250  4 893  2 364   8
Lagune Toho et autres     750  476,1  4 500     596     891   0
Total30 650  185 64027 32330 476 

Source: Enquête Projet Pêche lagunaire GTZ - Direction des pêches.

2. CONSERVATION DES PRODUITS DE LA PÊCHE

Les produits de la pêche son extrêmement périssables et les quantités débarquées par les pêcheurs dépassent leurs besoins d'autoconsommation. Les populations riveraines ont toutes pour activité principale la pêche, ce qui limite les transactions intra-hameaux. Le pêcheur travaille avant tout pour vendre. Afin de desservir les régions éloignées des lieux de production en produits de bonne qualité, le poisson subit certaines transformations qui prolongent sa durée de conservation.

Dans la communauté des pêcheurs, la division sexuelle du travail est très prononcée. Le montage des engins, la pratique de la pêche, la construction des acadja et des trous à poissons reviennent à l'homme. Les femmes ne pêchent que dans quelques cas spécifiques. Par contre c'est la femme qui monopolise la chaîne de transformation et de commercialisation.

Les différentes formes de conservation de poisson que l'on trouve dans le Sud-Bénin sont le fumage, la friture et le salage-séchage.

2.1 Fumage

Ce mode de conservation concerne environ 80% des produits de la pêche des régions humides du pays; le produit fumé doit sa conservation aux effets du séchage et de la cuisson qui donnent au poisson une saveur appréciée des consommateurs. Le fumage réduit le poids et le volume du poisson d'environ un tiers. La technologie utilisée pour le fumage est simple et comprend le four, le grillage, le combustible et la matière grasse pour la lubrification du grillage. Dans les villages où la principale technique artisanale de conservation est le fumage, on rencontre trois types de four: le four circulaire en terre de barre, le four chorkor de forme rectangulaire en terre de barre également, d'origine ghanéenne (en vulgarisation par le DIPA/FAO en Afrique de l'Ouest), et enfin le four en tonnelet.

Actuellement, dans l'Est et le long de la lagune côtière, les gros fumoirs s'utilisent pour des raisons d'économie de combustible et d'augmentation de la capacité de fumage par superposition des claies (environ 100 kg à la fois). Mais à l'ouest, les femmes ont rarement accès à de grosses quantités de poisson et l'utilisation de petits fumoirs est beaucoup plus courante.

Les femmes de pêcheurs ainsi que les femmes en provenance de villages de l'intérieur viennent s'approvisionner en poisson frais qu'elles transforment sur place et repartent sillonner les marchés environnants avec leur poisson fumé.

2.2 Friture

Cette méthode de conservation consiste à faire cuire le poisson dans l'huile bouillante (huile de coco, de palme, d'arachide). Les espèces couramment frites sont les Tilapia, les sardinelles, les mulets et le menu. Cette méthode de transformation permet une durée de conservation de deux à trois jours selon l'huile utilisée. A peine 10% de la production subit ce type de transformation, mais dans le département de Mono on observe plus de poisson frit que de poisson fumé.

2.3 Salage-séchage

Cette méthode n'est pas développée, et elle est utilisée presque uniquement pour les poissons de mer. Dans le Sud-Bénin les poissons sont trempés dans la saumure contenue dans une grande jarre pendant 48–72 heures avant le séchage au soleil sur un sac en jute ou un étal. Ce produit appelé localement “lawin” fabriqué plutôt avec du poisson de récupération, sert à relever le goût des sauces.

3. COMMERCIALISATION

Autour des lacs et lagunes, il y a environ 23 500 femmes, dont 17 000 tirent l'essentiel de leur revenu de la commercialisation des produits de la pêche (en 1989, 25 900 t de poissons et crustacés sont passés entre leurs mains). Ces produits sont commercialisés à l'état frais, fumé, frit et salé-séché.

3.1 Approvisionnement des mareyeuses

Les mareyeuses s'approvisionnent auprès des pêcheurs mais quelques unes s'approvisionnent auprès d'autres mareyeuses dans le cas de la vente à l'état frais. Autrefois, le pêcheur gardait sa production pour ses épouses et seul le surplus était reservé à d'autres mareyeuses: donc une clientèle fidèle était quasiment établie avant la production. Aujourd'hui le pêcheur livre le produit à la plus offrante, et il s'établit ainsi des relations de confiance basées sur des avantages réciproques. De cette manière, les pêcheurs assurent aux mareyeuses une régularité dans la collecte et consentent parfois des avances de trésorerie aux mareyeuses. Le paiement des prises ne s'effectue pas souvent après entente sur le prix mais plutôt après l'écoulement sur le marché. Si la mareyeuse a vendu à perte elle cherchera à obtenir du pêcheur une révision du prix sur lequel ils s'étaient entendus et souvent donc les pêcheurs enregistrent des cas de renégociation de prix après le marché. Cette pratique est certainement la première source de conflits entre pêcheur et mareyeuse. On observe actuellement une multiplication du nombre de mareyeuses ce qui entraîne une concurrence sévère.

Les femmes commercialisant du poisson transformé et s'approvisionnent souvent en poisson frais auprès d'autres mareyeuses; elles n'ont pas de contact avec les pêcheurs. Les femmes pour s'approvisionner en poisson frais, sillonnent les plans d'eau avec leur propre pirogue ou des pirogues louées4. Les collectes s'effectuent le matin ou le soir et la durée de collecte a augmenté au cours de ces dernières années. Entre le pêcheur et la mareyeuse le prix est négocié et la fixation de ce prix tient compte de plusieurs facteurs. D'après les résultats de l'enquête SACED/FED (1990) ces facteurs sont:

Mais avant tout, le critère premier de fixation de prix est l'offre et la demande, puis interviennent des données telles que: espèce, abondance des produits, prix pratiqués les marchés précédents, tendance de la production, taille de l'espèce et état de fraîcheur. Les poissons sont vendus à l'unité pour les gros (>20 cm), à la quarantaine pour les moins gros, à la bassine ou au panier pour ceux de petite taille.

4 Le taux de location journalier est de 150 FCFA à ajouter à l'indemnisation du piroguier évaluée à 200 FCFA.

3.2 Commercialisation

Les mareyeuses du Sud-Bénin se sont spécialisées sur les marchés locaux, urbains et frontaliers et on peut distinguer deux principales filières: la filière du poisson fumé et frit.

Le poisson frais est acheminé vers les centres urbains: Cotonou, Porto-Novo, Ouidah et autres marchés tels que Tokpa-Domé, Guézin, ou vers Badagri (Nigéria) où les Claridae sont très appréciés.

Concernant la filière poisson fumé et frit, les flux commerciaux sont plus complexes. Les principaux marchés de cette filière pour la vallée de l'Ouémé sont Afamè, Azowlissè, Dangbo, Hozin; pour la lagune de Porto-Novo Djassin et pour le lac Nokoué les différents marchés de Cotonou et ceux des environs, pour la lagune côtière Pahou, Comé, Houègbo, Cotonou et pour le lac Ahémé les marchés de Comé, Tokpa-Domè, Avakpa, Dogbo, Azovè. Les moyens de transport des produits sont variés. Pour atteindre les lieux de vente, les femmes vont à pied, ou utilisent les pirogues ou le taxi (véhicule ou moto). Souvent plusieurs modes de transport sont combinés.

Sur les marchés les femmes se regroupent par lieu de provenance et vendent en gros (paniers, quarantaine) à des revendeuses locales qui les vendent au détail par tas de quatre, six, huit ou même par unité pour les grandes tailles. Comme dans le cas de l'approvisionnement des mareyeuses auprès des pêcheurs où la vente à paiement différé est admise, elle l'est également au niveau de la vente des mareyeuses aux revendeuses. Les revendeuses remboursent après la vente de leurs produits au marché suivant.

3.2.1 Coûts de la commercialisation

Ces coûts sont difficiles à calculer; en effet les mareyeuses n'ont pas une comptabilité fiable de leurs recettes et de leurs coûts. La gestion de leurs affaires relève d'un empirisme qui ignore les concepts d'amortissement, coûts fixes et variables, marges brute et nette, ce qui n'est pas pour autant synonyme d'inefficacité.

On peut citer:

  1. les dépenses de main-d'oeuvre.

    Ces dépenses sont caractérisées par les dons de petits cadeaux (pains, condiments, ramenés du marché) aux aides (parents ou voisines) ou de l'argent pour rémunérer les aides recrutées (100 à 500 FCFA/jour selon la quantité traitée). La main-d'oeuvre est surtout appréciée dans la transformation du poisson;

  2. les frais de transport.

    Les commerçantes utilisent surtout le taxi (voiture ou moto 68%) pour amener leurs produits au marché;

  3. les dépenses liées à la transformation.

    Pour fumer le poisson ou les crevettes, les femmes utilisent du combustible (bois, bourres de coco, herbes sèches); pour frire, elles utilisent l'huile d'arachide, l'huile de palme ou l'huile de coco et du combustible. En outre elles font des dépenses pour l'équipement (fumoir et grillages dans le cas du fumage; foyer, poêle, écumoir dans le cas de la friture).

4. DISPOSITIONS ARTISANALES POUR REDUIRE LES PERTES APRES CAPTURE

Les pêcheurs et les maryeuses ont recours à certaines pratiques pour limiter les pertes après capture:

  1. Pendant la pêche, les pêcheurs immergent le poisson dans l'eau à l'intérieur de paniers sphériques. Cette disposition permet de grouper les prises en attendant le passage des mareyeuses;

  2. La durée de collecte du poisson des mareyeuses sur l'eau est longue: deux à trois heures avant de se rendre au débarcadère. Pendant ce temps elles utilisent un procédé de prétraitement, à savoir, éviscération et exposition à l'air. Mais ce procédé n'est plus fiable si la durée de collecte s'allonge;

  3. Certains produits de pêche sortis pour la vente à l'état frais reviennent à la fin de la journée pour le fumage. Si à l'issue du premier fumage, le poisson n'a pas toujours pu être écoulé il est refumé, ce qui évite la moisissure due à l'humidité; mais à ce moment-là son aspect extérieur se détériore.

5. CONCLUSIONS

Chaque pêcheur dans le Sud-Bénin produit environ 1 t de poisson par an, soit un produit brut moyen de 325 000 FCFA (Enquête 86–89 PPL). Les procédés de conservation utilisés assurent aux produits une durée de deux semaines en moyenne. Ces poissons sont acheminés sur les marchés locaux urbains et même étrangers souvent à l'état fumé (80% des prises mises en vente) par des mareyeuses dynamiques. Ce réseau de commercialisation complexe comprend plusieurs maillons: grossistes, demi-grossistes, détaillantes, aides, transformateurs. Ces mareyeuses se spécialisent dans le commerçe de poisson frais et de poisson fumé. Les poissons sont fumés essentiellement à chaud pour des consommateurs relativement proches des lieux de production. Seules les crevettes sont fumées à froid afin de prolonger leur durée de conservation. La technologie de fumage est traditionnelle et bien maîtrisée depuis des années par les femmes commerçantes de produits de la pêche.

6. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Pfeiffer, V. et al. 1989. Une analyse socio-économique de la pêche lagunaire au Bénin. Projet Pêche Lagunaire GTZ. Direction des Pêches Cotonou, 89 p.

SCED/MCI - Ministère du Plan et de la Statistique - FED. 1990. Etude de commercialisation des produits piscicoles lagunaires. Rapport intérimaire, 78 p.

UNIFEM. 1989. Transformation du poisson. Manuel de référence No 4.


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