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VERS UN AMENAGEMENT DU MILIEU AQUATIQUE

par

D. Calamari et H. Naeve

1. PREMIERES ETUDES CONDUITES EN AFRIQUE

Suite à une recommandation du vingtième Congrès de l'Association internationale de limnologie (AIL) qui a eu lieu à Copenhague, un atelier AIL-PNUE sur les eaux intérieures africaines s'est tenu en 1979 à Nairobi; les compte-rendus de cet atelier ont été publiés sous le titre “The Ecology and Utilization of African Inland Waters” (Symoens et al., 1981).

L'atelier a révélé que, par rapport à d'autres régions du globe, l'information disponible sur les écosystèmes aquatiques africains est peu nombreuse et dispersée et certainement insuffisante pour fournir les éléments de base requis pour l'aménagement des ressources aquatiques, et a conclu que:

En 1970, la FAO a entrepris une brève enquête sur la pollution des eaux intérieures au Kenya, en Tanzanie, en Ouganda et en Zambie (Thorslund, 1971) et a conclu, qu'à l'époque la pollution des eaux n'était pas un grave problème pour ce qui concernait les pêcheries des eaux douces, mais qu'elle pourrait le devenir un jour par suite de l'urbanisation et de l'industrialisation croissantes.

Dix ans plus tard, d'autres études ont été réalisées dans trois autres pays de l'Afrique de l'Est: le Burundi, le Malawi et le Soudan. Les études ont été reprises au Kenya, en Tanzanie et en Zambie et entreprises dans cinq pays de l'Afrique de l'Ouest et de l'Afrique centrale, à savoir le Mali, la Côte d'lvoire, le Ghana, le Nigéria et le Cameroun (Alabaster, 1983; Calamari, 1985) dans le cadre du mandat ci-après:

Les résultats de ces travaux ont été communiqués au Comité des pêches continentales pour l'Afrique (CPCA) qui a conclu que l'on pouvait observer une augmentation des charges polluantes dans les écosystèmes aquatiques ainsi qu'une diminution de la qualité des eaux, sans toutefois représenter un problème aigu général dans tous les pays considérés. Les études ont effectivement montré que une coopération à l'échelon régional était nécessaire pour prendre des mesures scientifiquement valables de lutte contre la pollution des eaux et en préserver la qualité dans une mesure suffisante pour protéger la vie aquatique et les pêches - les métaux, les polluants organiques à forte demande biologique d'oxygène et les pesticides étant identifiés comme les principaux problèmes potentiels.

En 1985, le CPCA a créé un Groupe de travail sur la pollution et les pêches.

2. EXPERIENCES DE LA COMMISSION EUROPEENNE CONSULTATIVE POUR LES PECHES DANS LES EAUX INTERIEURES (CECPI)

A la deuxième session de la CECPI (Paris, 1962), la Commission avait pris acte de la recommandation de la Conférence sur les problèmes de la pollution des eaux en Europe (1961) demandant à la CECPI de prendre l'initiative d'établir des critères de qualité des eaux pour ce qui concerne la pêche. La CECPI avait reconnu que:

“l'exploitation rationnelle d'un système fluvial exige qu'il soit fourni de l'eau d'une qualité appropriée pour chaque utilisation qui en est faite ou que l'on entend en faire, et que cette qualité soit atteinte ou maintenue normalement par le contrôle de la pollution. Il est donc nécessaire de connaître les normes requises pour chaque utilisation particulière afin de déterminer le degré nécessaire de lutte contre la pollution et de prévoir l'effet probable de déversements plus importants ou nouveaux effluents. On a fait remarquer que les normes de qualité pour l'eau de boisson ont été bien définies par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et que pour certaines utilisations agricoles et industrielles des normes ont aussi été définies. Cependant, les critères de qualité de l'eau pour les poissons n'ont pas reçu l'attention qu'ils méritent. Beaucoup trop souvent, on a considéré que l'eau convient bien aux poissons tant qu'il n'y a pas de mortalité évidente pouvant être attribuée à des polluants connus. La dégradation de l'habitat aquatique par pollution et la diminution de la production annuelle et la production subséquente de la pêche sont souvent passées inaperçues. S'appuyant sur ces arguments, il a été décidé que la Commission entreprenne l'établissement de critères de qualité des eaux pour les poissons d'eau douce européens”.

Dans ce contexte, un “critère” désigne une qualité de l'eau, telle qu'on peut la définir au moyen d'un analyse critique de la littérature scientifique disponible, propre à conserver les structures et fonctions d'un écosystème aquatique. Contrairement à la norme, le critère n'a pas de connotation, et ne se réfère pas à une qualité idéale de l'eau. Les critères de qualité des eaux doivent donc se fonder exclusivement sur des preuves obtenues scientifiquement et non pas être définis de manière arbitraire. L'hypothèse de base est que, pour chaque substance examinée, il existe une base de données satisfaisante d'après laquelle on peut définir un critère de qualité de l'eau.

Le Groupe de travail sur les critères de qualité des eaux pour les poissons d'eau douce européens, créé en 1962 à la suite des délibérations susmentionnées, a convenu au départ que:

“Les critères de qualité des eaux pour les poissons d'eau douce doivent permettre le déroulement complet de tous les cycles de vie. En plus, ils ne doivent pas provoquer dans l'eau des cours d'eau des conditions telles que la chair des poissons prenne une couleur et un goût étrangers ou que ces poissons soient amenés à déserter une partie du cours qu'ils fréquenteraient autrement ou donner lieu à l'accumulation de substances nocives chez les poissons à un degré tel qu'il y aurait danger à les consommer. Les facteurs indirects tels que ceux qui affectent les organismes servant de nourriture aux poissons doivent aussi être considérés si ces organismes jouent un rôle important”.

Le Groupe de travail, composé d'experts dotés d'une expérience écotoxicologique avérée concernant des substances chimiques spécifiques ou d'autres aspects de la qualité des eaux, a décidé de se concentrer sur des analyses critiques de la littérature existante, plutôt que sur des compilations de données publiées, de la part. Les projets de rapports étaient envoyés à des examinateurs externes et, en dernier lieu, examinés et approuvés par le Groupe de travail lui même (Lloyd et Calamari, 1987).

Les rapports couvrent généralement les questions ci-après:

  1. Source, forme et méthode d'analyse de la substance considérée et de sa présence dans les eaux et les sédiments.

  2. Effets létaux sur les poissons, notamment (a) mode d'action toxique; (b) exposition aiguë et chronique et (c) facteurs influant sur la toxicité, par exemple âge et taille des poissons, dureté de l'eau, température, oxygène dissous et autres polluants.

  3. Effets sublétaux sur les poissons, notamment accumulation biologique.

  4. Observation directe par des études de cours d'eau pollués et de mortalités accidentelles.

  5. Effets sur les invertébrés (similaire au point (2) ci-dessus) et les plantes aquatiques.

  6. Examen d'ensemble des données publiées, avec identification des besoins de recherches ultérieures.

  7. Proposition de critères provisoires de qualité des eaux tenant compte de l'influence de facteurs de modification spécialement importants, comme les espèces de poissons, le pH, la dureté de l'eau, etc.

Ces dernières années, le Groupe de travail a effectué des analyses concernant la température, l'oxygène dissous, le pH, les solides finement divisés, l'ammoniac, les phénols monohydratés, le chlore, le zinc, le cuivre, le cadmium, le chrome, le nickel, les nitrites et l'aluminium.

Il a été toutefois reconnu que les polluants communs se présentent rarement de manière isolée, et il faudrait peut-être revoir de manière plus rigoureuse les critères de qualité des eaux établis pour différentes substances, afin de tenir compte de l'effet cumulatif d'autres matières toxiques. On a donc fait un examen critique des divers modèles mis au point pour décrire l'action conjuguée des substances toxiques, et toute la littérature disponible concernant la toxicité de mélanges de substances pour les poissons, les invertébrés et les végétaux a été analysée au moyen d'un modèle de concentration/addition. On est parvenu à la conclusion que, pour les polluants communs examinés par la CECPI, il est en effet prouvé qu'il existe bien un phénomène d'effet conjugué partiel à de faibles concentrations et que, en conséquence, les valeurs des différents critères de la qualité des eaux doivent peut-être être légèrement abaissés si d'autres polluants sont présents en quantités appréciables. De même, pour les substances chimiques qui ont une action toxique commune sur les poissons (ce qui est le cas de beaucoup de substances organiques), cette action toxique se cumule à toutes les concentrations.

Enfin, les documents techniques de la CECPI ont été mis à jour et publiés en deux volumes (Alabaster et Lloyd, 1982; Howells, 1994).

Parallèlement à l'exécution de ce programme par le Groupe de travail sur les critères de qualité des eaux, un groupe a été constitué pour donner des avis sur les systèmes de tests de toxicité sur les poissons, et sur la terminologie y relative. C'est la qualité variable des données écotoxicologiques qui avaient été évaluées dans le cadre de ces analyses critiques qui a, dans une certaine mesure, fait apparaître la nécessité de tels avis. Il était clair que les tests devaient être effectués dans un but bien précis - faire un premier tri des produits chimiques du point de vue de la toxicité; mettre en application des normes concernant les effluents; suivre en permanence la qualité des cours d'eau. Les tests conçus pour l'une ou l'autre de ces utilisations n'étaient pas nécessairement appropriés pour d'autres études (CECPI, 1983).

Les critères de qualité des eaux élaborés par la CECPI ont été abondamment utilisés en Europe et, dans certains pays, ont apporté les éléments nécessaires à l'élaboration de normes nationales de qualité des eaux. A l'intérieur de la CEE, ces critères ont servi à élaborer les normes de qualité des eaux contenues dans la Directive CE concernant la qualité des eaux douces ayant besoin d'être protégées ou améliorées pour être aptes à la vie des poissons (78/659/CEE) et, dans une mesure plus limitée, dans la Directive CE concernant la pollution causée par certaines substances dangereuses déversées dans le milieu aquatique de la Communauté (76/464/CEE).

Dans le passé, le Groupe de travail a porté son attention sur des polluants communs qui ont été reconnus comme ayant des effets nocifs sur les poissons. Comme l'importance de ces substances était bien connue de la communauté es scientifique, on disposait d'une vaste base de données pour en faire une analyse critique, et des critères provisoires de qualité des eaux ont été établis sur une base solide. La pollution due à ces substances est, ou devrait, désormais être dûment maîtrisée dans les rivières européennes. L'attention du législateur se tourne maintenant vers les innombrables autres produits chimiques, principalement organiques, qui peuvent apparaître dans les eaux douces à la suite d'activités humaines.

Cela pose deux grands problèmes: le premier est que le Groupe de travail n'a pas les ressources nécessaires pour étudier plus d'une ou deux substances par an, de sorte que ce travail n'avancera que beaucoup plus lentement que ne l'exigent les initiatives politiques nationales et internationales; ce problème a toutefois été dans une certaine mesure résolu grâce à la récente réalisation de quelques analyses critiques utiles (quoique généralement pas aussi exhaustives que ne le sont celles de la CECPI) par d'autres organisations nationales ou internationales. Le second problème est que, pour beaucoup de ces composés, et spécialement pour les nouveaux produits chimiques, les données ne sont pas suffisantes, même pour en tirer des critères de qualité des eaux extrêmement provisoires, les observations in situ étant par ailleurs inexistantes.

3. L'APPROCHE “EVALUATION DES RISQUES”

Récemment, la communauté scientifique s'est penchée sur la méthode “évaluation des risques”, qui vise à prévenir les dommages qui peuvent être causés à la vie aquatique par les pesticides ou autres produits de la chimie organique. Dans ce contexte, l'évaluation des risques se fonde sur une comparaison entre la toxicité mesurée d'une substance pour des organismes aquatiques et l'exposition environnementale (qui est fonction de la concentration et de la durée).

La communauté internationale est généralement à peu près d'accord sur l'ensemble des données de base nécessaires à ce type de évaluation, mais aucune indication n'a été donnée quant à la manière dont il faut évaluer les données. Par exemple, il est bien évidemment inutile d'entreprendre des études écotoxicologiques longues et détaillées pour réunir des données concernant une substance chimique dont la concentration maximum prévisible dans l'environnement aquatique, calculée sur la base d'estimations très prudentes, est d'un ordre de grandeur maintes fois inférieur aux concentrations toxiques aiguës observées pour les poissons et pour Daphnia. Ce n'est que quand cette marge de sécurité est faible qu'il faut procéder à des estimations fines, tant de la toxicité de la substance que de sa concentration prévisible dans l'environnement. La première de ces estimations peut être aisément établie au moyen de techniques éprouvées; la seconde est plus aléatoire. De nombreux modèles ont été construits pour prévoir la distribution d'une substance dans divers compartiments de l'environnement, mais sa vitesse de biodégradation dans le milieu naturel peut être critique et difficile à quantifier.

A l'intérieur de cette discipline complexe et en rapide évolution, la communauté scientifique se concentre maintenant sur un aspect particulier de la prévision de la toxicité aquatique - l'utilisation du rapport quantitatif structure/activité (QSAR). Dans ce contexte, le QSAR est essentiellement la corrélation qui existe entre la toxicité d'un composé et ses propriétés physico-chimiques.

En 1991/92, la FAO a appliqué dans un projet de coopération technique, la méthode d'évaluation des risques pour définir les problèmes écologiques des eaux kényanes du lac Victoria (Calamari et al., 1994).

Ce travail a été considéré comme du plus haut intérêt et le Comité des institutions qui parraine le Programme de lutte contre l'onchocercose, de l'Organisation mondiale de la santé, a commandé une étude similaire pour évaluer l'impact environnemental de la recolonisation des zones exemptes d'onchocercose dans le bassin du haut léraba, au Burkina Faso, en Côte d'lvoire et au Mali (Baldry et al., 1994).

4. GROUPE DE TRAVAIL CPCA SUR LA POLLUTION ET LES PECHES

Après la création du Groupe de travail CPCA sur la pollution et les pêches en 1985, il a été décidé que son premier rapport serait consacré à l'examen des bases scientifiques du contrôle de la pollution dans les eaux africaines, en tenant compte de l'expérience acquise par le monde industrialisé en matière de lutte contre la pollution et des nouvelles approches telles que l'évaluation des risques et les stratégies préventives, et de l'évolution des problèmes de pollution. Ce rapport a été établi en 1986 et publié (Biney et al., 1987).

Considérant que les problèmes de pollution n'avaient jamais été étudiés à l'échelle du continent et que les informations existantes étaient rares et dispersées, il a été dispersées, il a été décidé de procéder à des examens critiques de l'état de la pollution en Afrique en prenant les trois grands contaminants identifiés en 1985 à l'occasion de la sixième session du CPCA, à savoir les charges organiques dotées d'une DBO élevée (eaux résiduelles et déchets des industries agro-alimentaires), les métaux et les pesticides.

Les deux premières études ont été rédigées en 1989 et en 1991, et publiées (Saad et al., 1990; Biney et al., 1994). On a estimé que les pesticides, la troisième catégorie identifiée, constituaient un sujet trop complexe, qui devait être subdivisé. Après un premier examen des ouvrages spécialisés, on s'est apercu que la documentation était insuffisante pour la plupart des catégories de pesticides, sauf pour les hydrocarbures chlorés. Il a donc été décidé de restreindre ce travail à ce groupe de produits uniquement. L'examen a été préparé en 1993, et publié (Osibanjo et al., 1994).

Dans l'intervalle, pour ce qui concerne l'état des eaux douces africaines, des renseignements utiles concernant l'impact des opérations de lutte contre les vecteurs de maladies ont été communiqués et ont été analysés par Dejoux (1988); en particulier, l'impact écologique des opérations de lutte contre l'onchocercose a été évalué et décrit (Lévêque et al., 1989, Yameogo et al., 1992).

Au cours de ses huit années d'existence le Groupe de travail CPCA sur la pollution et les pêches a produit un document sur les bases scientifiques de la planification des interventions et de la gestion des ressources en eau du point de vue de la pollution. D'autre part, trois documents ont été établis, dans lesquels sont rassemblées des données sur les charges organiques, les métaux et les pesticides du groupe des hydrocarbures chlorés dans les eaux intérieures africaines, et sont examinés les niveaux de contamination imputables à ces trois catégories de produits. Enfin, le Groupe de travail a fait le nécessaire pour promouvoir une étude sur l'évaluation des risques d'origine terrestre dans un important lac africain, qui pourrait servir de modèle pour d'autres études similaries.

Dans le cadre de ses activités, le Groupe de travail a mobilisé plusieurs chercheurs africains de divers pays (Burundi, Cameroun, Côte d'Ivoire, Egypte, Ghana, Kenya, Nigéria, Seychelles et Tanzanie) pour tenter de donner suite aux deux recommandations formulées par l'atelier AIL/PNUE, le groupe scientifique faisant autorité, mentionné cité au début de la présente introduction.

Le Groupe de travail a atteint ses principaux objectifs qui étaient de tracer les bases scientifiques du contrôle et de la gestion de la pollution des eaux et d'évaluer l'état du milieu aquatique africain, en passant en revue les principaux groupes de polluants qui pourraient avoir un effet négatif sur la vie aquatique et sur les ressources halieutiques.

Les documents et rapports établis par le Groupe de travail CPCA sur la pollution et les pêches ont été revus et sont présentés dans ce volume.


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