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CHARGES ORGANIQUES D'ORIGINE DOMESTIQUE ET INDUSTRIELLE

par

M.A.H. Saad, A.T. Amuzu, C.Biney, D.Calamari,
A.M. Imevbore, H. Naeve et P.B.O. Ochumba

1. INTRODUCTION

Beaucoup de pays africains ont enregistré ces dernières années une formidable croissance démographique qui s'est accompagnée d'une brusque accélération de l'urbanisation et de l'utilisation des terres à des fins industrielles et agricoles. Tout cela a entraîné une énorme augmentation des rejets de polluants très divers dans les masses d'eau réceptrices et a eu des effets indésirables sur les différents éléments composant l'environnement aquatique et sur les pêches.

Contrairement à ce qui se passe dans les pays développés, la pollution organique des eaux intérieures de l'Afrique est souvent le résultat d'une extrême pauvreté et du sous-développement économique et social. D'après Tolba (1982), c'est dans ces pays que l'approvisionnement en eau est qualitativement et souvent quantitativement, le moins bon, que les conditions d'hygiène et de nutrition sont les plus déplorables et que les maladies se propagent le plus facilement.

Malheureusement, dans la plupart des cas, les eaux intérieures africaines n'ont que très rarement fait l'objet d'études qualitatives. En général, les données disponibles proviennent de recherches isolées conduites individuellement, et très rares sont les projets scientifiques qui se sont occupés des eaux africaines. Les quelques études traitant de la pollution des eaux intérieures africaines sont celles de Dejoux et al. (1981), Alabaster (1983), Calamari (1985), Burgis et Symoens (1987), Dejoux (1988) et Davies et Gasse (1988). Ils passent en revue les sources actuelles de pollution des eaux, les travaux scientifiques consacrés à la question et la législation appliquée dans les différents pays, et confirment l'un et l'autre l'existence de problèmes de pollution, de gravité variable, dans les différents pays étudiés.

2. IMPACT DES RESIDUS ORGANIQUES

Sous l'effet de la croissance démographique et industrielle, les eaux intérieures (rivières, lacs, etc.) deviennent souvent le réceptacle de quantités de matière organique excédant leur capacité naturelle de purification, alors que, dans le passé, la purification et la dilution naturelles suffisaient généralement.

Les eaux d'égouts et autres effluents riches en matière organique décomposable sont à l'origine d'une pollution organique primaire. La pollution organique secondaire est définie comme l'excédent de matière organique, c'est a-dire la quantité totale de matière organique non décomposée introduite dans la masse d'eau avec les polluants primaires et de matériaux résultant d'une bioproductivité considérablement accrue de l'écosystème pollué lui-même (Štirn, 1973). Comme l'indiquent Dejoux et al. (1981), les résidus organiques se minéralisent dans les masses d'eau réceptrices et les éléments nutritifs qui résultent de cette minéralisation stimulent la production végétale, ce qui provoque l'eutrophisation. Dans ce type de situation, la biomasse augmente considérablement et dépasse les possibilités d'assimilation des organismes herbivores. Cette pollution organique secondaire est beaucoup plus importante que la charge organique primaire. La production excessive de matière organique entraîne une accumulation de “boues”, et le processus de minéralisation consomme tout l'oxygène dissous présent dans la colonne d'eau, ce qui provoque des hécatombes de poissons. C'est pour cela que l'on dit que les polluants organiques sont des déchets demandeurs d'oxygène. Les températures relativement élevées qui règnent dans les pays tropicaux accélèrent ce processus.

3. SOURCES ET TRANSPORT DE CHARGES ORGANIQUES

Sous l'effet des phénomènes d'érosion, l'eau de pluie charrie du sol, y compris de la matière organique dissoute et en particules, jusqu'aux cours d'eau, rivières et lacs. La décomposition de cette matière organique se poursuit durant le transport et dans les sédiments, produisant là encore de la matière organique et inorganique soluble. La quantité de matière organique transportée, ses caractéristiques et sa composition varient selon les régions. Les canalisations d'évacuation des eaux usées constituent un mode de transport artificiel de la matière organique vers les eaux réceptrices naturelles. L'homme lui-même n'a pas la possibilité d'utiliser toute l'énergie emmagasinée dans les aliments et rejette souvent ses déchets dans l'eau sans traitement préalable. Il est bien connu que les eaux d'égout non traitées sont un danger pour la santé publique et peuvent être à l'origine de maladies épidémiques transmises par l'eau telles que la fièvre typhoïde; elles diminuent aussi considérablement la valeur récréative des eaux intérieures (Štirn, 1973; Shuval, 1986). Il ne sera cependant question ici que de la matière organique car les problèmes de santé publique liés aux eaux usées doivent être examines séparément et appellent une stratégie appropriée.

L'urbanisation galopante n'est pas seule en cause. L'industrie et les opérations de mise en valeur agricoles et forestières contribuent pour une part considérable à la charge organique et ne sont pas sans risques pour les eaux intérieures et pour les pêches. Les eaux usées domestiques et les déchets industriels organiques, ainsi que les résidus agricoles et forestiers constituent donc les principales sources de pollution organique des eaux africaines. Alabaster (1983) a fait observer que le développement de l'agriculture qui se poursuit dans certains pays africains favorise l'expansion des industries de transformation des produits végétaux et animaux, dont les rejets extrêmement oxydables augmentent.

3.1 Eaux usées urbaines

D'après Dejoux et al. (1981), la pollution urbaine est généralement de nature organique et dépend pour beaucoup de l'étendue des villes, de l'existence de stations d'épuration des effluents, et des habitudes des habitants en matière d'élimination des déchets.

Les principales caractéristiques physiques, chimiques et biologiques des eaux usées traditionnelles sont connues. Mais aujourd'hui, les municipalités modernes ont des réseaux d'égouts mixtes qui, en fait, associent des quantités croissantes de matière organique et inorganique parfois toxiques (comme les métaux lourds) aux effluents municipaux provenant de petites industries. L'augmentation de la quantité des déchets urbains demandeurs d'oxygène biologique est imputable davantage à l'industrie qu'à de profondes transformations des habitudes de la population. L'augmentation des composés phosphorés transportés par les eaux usées est un problème très sérieux. Beaucoup de villes africaines ont des réseaux d'égouts à ciel ouvert qui sont submergés pendant la saison des pluies de sorte que les eaux réceptrices accueillent subitement des quantités importantes de matière organique.

3.2 Résidus organiques d'origine industrielle

Dans la plupart des pays développés, les industries produisent davantage de résidus organiques que les villes. Les industries textiles, les moulins à pâte et papier, l'élaboration du caoutchouc et les industries chimiques produisent des déchets à fortes charges DBO. Les industries métallurgiques et les mines contribuent dans une moindre mesure à la charge organique.

En Afrique, l'agro-alimentaire est un important secteur industriel; les usines sont généralement situées dans des régions intérieures et c'est pour cela que l'évacuation des déchets se traduit par des problèmes de pollution des eaux continentales (rivières, cours d'eau et lacs). On peut citer à titre d'exemple les usines de transformation des produits carnés et les laiteries, les sucreries, brasseries, distilleries et l'industrie de l'huile de palme. Les quantités et les caractéristiques des résidus qu'elles produisent varient et la pollution qu'elles engendrent doit être calculée cas par cas, spécialement du point de vue de la charge organique. D'une manière générale, les charges des DBO sont supérieures à celles des eaux usées ordinaires.

4. PARAMETRES A UTILISER POUR MESURER LA POLLUTION ORGANIQUE

La demande biologique d'oxygène (DBO), la demande chimique d'oxygène (DCO) et les solides en suspension sont les paramètres traditionnellement utilisés pour mesurer la pollution organique. Mais d'autres, comme l'oxygène dissous (OD), le sulfure d'hydrogène (H2S), le pH, les solides totaux dissous (STD) et les nutriments, ont aussi leur importance. On s'est aperçu que les éléments nutritifs représentés par l'azote (N) et le phosphore (P) jouent un rôle capital dans l'eutrophisation des eaux intérieures (Vollenweider, 1968). On les mesure sous leurs diverses formes organiques et inorganiques (par exemple NH3, NO2, NO3, PO43).

Concernant les méthodes d'analyse, le manuel le plus utile s'intitule “Standard methods for the examination of water and waste water” (APHA/AWWA/WPCF, 1985).

5. CALCUL DES CHARGES ORGANIQUES ET DES CHARGES EN NUTRIMENTS

L'évaluation de la charge en nutriments et des apports relatifs des différentes sources de nutriments aux eaux de surface est d'une importance cruciale pour la mise en application des mesures de contrôle de la pollution visant à prévenir ou renverser l'eutrophisation.

Les analyses fournissent une mesure précise des charges en nutriments mais elles coûtent très cher, prennent beaucoup de temps et ne peuvent donner d'informations satisfaisantes en ce qui concerne la contribution des différentes sources. La seule approche possible quand il s'agit d'évaluations à grande échelle consiste à faire une estimation théorique par quantification des apports de diverses sources, collecte de données sur l'utilisation des terres, sur la population, sur les activités agricoles et industrielles et application de coefficients appropriés et spécifiques.

Cette méthode a été beaucoup utilisée dans les pays développés des régions tempérées, pour lesquels il existe un coefficient approprié. Pour les pays tropicaux il faudrait y introduire certaines modifications et extrapolations.

6. QUELQUES EXPERIENCES AFRICAINES

Les deux principales sources de matière organique et de nutriments sont les rejets domestiques et les industries de transformation des produits alimentaires. La population africaine connaît une croissance exponentielle, spécialement dans les villes; la population de Bujumbura; par exemple, a triplé en vingt ans. Les populations d'Abidjan et de Lagos se sont multipliées par vingt en quarante ans. Le Caire, d'après le dernier recensement, compte plus de 10 millions d'habitants. Des tendances similaires peuvent être observées ailleurs en Afrique.

Bien que, dans beaucoup de cas, la charge organique n'ait pas été convenablement quantifiée, il importe de souligner la part représentée dans tous les pays africains par les industries de transformation des produits alimentaires dans tous les pays dans la charge DBO, spécialement des grands fleuves. Dejoux (1988) cite les exemples ci-après: les résidus de la production de jus de fruits et des brasseries sont rejetés dans le Niger à Bamako, dans la Maraohué en Côte d'Ivoire, dans le Logone au Tchad ainsi que dans les lagunes d'Abidjan et de Lagos et dans le lac côtier de Nokoué au Bénin.

Le traitement de la canne à sucre entraîne des déversements saisonniers de résidus dans la rivière Bandama à Ferkéssedougou, dans la rivière Comoé à Banfora (Burkina Faso) et dans la rivière Sabi-Lundi au Zimbabwe; il en est de même des résidus de transformation du café qui sont rejetés dans la rivière Bandama à Bouaflé et dans la rivière Nyando au Kenya. Les usines d'huile de palme, les usines de traitement du lait, du sisal, etc. sont également des sources importantes de déchets à forte DBO.

Alabaster (1983) et Calamari (1985) ont étudié l'état de la pollution aquatique au Burundi, au Cameroun, en Côte d'Ivoire, au Ghana, au Kenya, au Mali, au Malawi, au Nigéria, au Soudan, en Tanzanie et en Zambie. Tous deux citent les publications parues et activités de recherche menées dans ces pays. Une partie de ces travaux scientifiques porte sur les résidus organiques et leurs effets sur les eaux intérieures réceptrices.

Quelques expériences africaines sont décrites dans la section ci-après; elles ont été choisies de façon à illustrer des situations dans lesquelles des masses d'eau subissent les effets de charges organiques, à faire le point des recherches conduites et à rappeler les effets observés dans les différents cas.

6.1 Afrique du Nord

En Afrique du Nord, les lacs du delta en Egypte souffrent d'une pollution organique, dont l'intensité varie selon les débits et la capacité de dilution. La profondeur de ces masses d'eau (Hydrodrome de Nozha, lac Mariout, lac Edku, lac Brollus et lac Manzalah) est de 1 m à 1,5 m. Le lac Mariout, qui était autrefois un lac très productif, est maintenant considéré comme le plus pollué du delta; il est gravement altéré par les eaux usées domestiques provenant de la partie sud d'Alexandrie, par les résidus industriels de plusieurs usines construites à proximité de la rive nord du lac et par le ruissellement agricole. Vient ensuite, par ordre de gravité de la pollution, l'Hydrodrome de Nozha. Du fait de leur taille considérable, le lac Edku, le lac Brollus et le lac Manzalah accusent, outre l'incidence directe des déversements effectués à proximité, un gradient de pollution qui provient de régions plus éloignées.

Une proportion considérable de la matière organique allochtone importée sous forme d'eaux résiduaires et des substances organiques autochtones résultant de l'accroissement consécutif de la bioproductivité, se décompose, consommant de l'oxygène dissous et entraînant une désoxygénation de l'eau. Le biote, et en particulier les poissons, risquent l'asphyxie. Après épuisement de l'oxygène dissous, la décomposition anaérobie de la matière organique se poursuit (l'eau stagnante devient septique) dégageant des gaz de décomposition. Parmi ceux-ci, le sulfure d'hydrogène, reconnaissable à son odeur désagréable, est toxique. Les matières en suspension se déposent sur le fond, qu'elles finissent par recouvrir. Cela influe sur la reproduction des poissons et diminué la richesse de la faune benthique, importante pour la chaîne alimentaire. Dans le lac Mariout, les pêches en subissent les conséquences depuis une trentaine d'années. Quelques espèces de poissons ont diminue en nombre, ou même disparu. Les tilapias, relativement peu sensibles à la pollution, représentent maintenant environ 80 pour cent de la production halieutique de ce lac.

La pollution organique du lac Mariout et ses effets ont été abondamment étudiées par Saad (1972, 1972a, 1973, 1974, 1980, 1985a), Saad et al. (1984), Wahby et Abdel-Mouniem (1979) et Wahby et al. (1978). Les sédiments de différents lacs du delta ont été analyses par Saad (1978, 1979, 1980a, 1980b). Saad (1978a, 1985b) décrit aussi la teneur en matière organique dissoute du lac Edku. Saad et al. (1973) ont observé des modifications de la formule sanguine des poissons imputables à la pollution.

Le Nil d'Egypte, c'est-à-dire le cours inférieur de ce fleuve, contient des concentrations considérables de matière organique imputables à des apports allochtones (principalement de résidus domestiques) et à une production autochtone (Saad, 1980c; Saad et Abbas, 1985). Les taux de matière organique du lac d'Assouan ne sont pas élevés au point d'entraîner une pollution de ce lac artificiel qui est, par la taille, le deuxième du monde. Evidemment, une partie de la matière organique présente dans ce lac provient de l'eau du Nil qui, elle-même la reçoit principalement des déversements effectues dans des pays situés en amont.

Le lac de Tunis est très touché par la pollution organique (Štirn, 1967, 1968, 1972, 1973). L'oxygène dissous est par endroits complètement épuisé et la décomposition anaérobie de la matière organique dégage du sulfure d'hydrogène, dont on peut percevoir l'odeur désagréable si l'on s'approche de ces zones septiques.

6.2 Afrique occidentale et centrale

En Côte d'lvoire, environ 1,5 million de personnes, sur une population totale estimée à 7,9 millions d'habitants au milieu de 1979, sont concentrées dans Abidjan et ses environs. Sur ce nombre, environ 350 000 seulement sont desservies par le réseau d'égouts qui se déverse dans la lagune Ebrié. Pagès et Citeau (1978) ont analysé, sur un cycle d'un an, les concentrations de coliformes fécaux dans la partie centrale de la lagune et ont constaté que plusieurs zones sont fortement contaminées. La dégradation de l'environnement se manifeste aussi par de faibles concentrations, voire par l'absence d'oxygène sur le fond, par exemple dans les baies de Coccody, Marcory et Bietry, ainsi que par des modifications de la faune benthique. En fait, les populations benthiques des baies sont maintenant dominées par diverses espèces d'oligochètes, considérées comme des indicateurs de forte pollution. La zone est également affectée par les rejets d'industries légères.

Au Ghana, Biney (1982) a classé toutes les zones du pays d'après le niveau de la DBO, en trois catégories: “zones non polluées et en voie d'amélioration” (<4 mg/l), “zones de qualité douteuse et médiocre” (4–12 mg/l) et “zones très polluées” (>12 mg/l). Sur les 16 lagunes étudiées par Biney (1982), 12 ont été trouvées polluées à des degrés divers; les lagunes très polluées sont celles de Korle (Accra) et de Chemu (près de Tema) qui sont le réceptacle des résidus industriels et domestiques. Le lac Barekese, lac artificiel situé dans la région Ashanti du Ghana, qui servait de réservoir d'alimentation en eau a été abondamment étudié (Amuzu, 1973, 1975).

Au Mali, la plupart des activités sont tributaires du Niger et de ses affluents. D'après des informations recueillies par Calamari (1985), les problèmes de pollution ne sont pas trop graves et pourraient être aisément résolus; la plupart des résidus consistent en matières oxydables.

Au Cameroun, plusieurs mortalités massives causées par un manque d'oxygène dû à une charge organique importante ont été enregistrées dans des zones fluviales partiellement aménagées près de Bafussam (Calamari, 1985).

Sauf dans quelques régions, les centres urbains du Nigéria n'ont pas de réseau centralisé d'égouts ni de système sanitaire d'évacuation des eaux excrémentielles. Les eaux résiduaires de plus de 186 agglomérations sont acheminées au moyen de fossés à ciel ouvert jusqu'aux cours d'eau et rivières, ce qui est un trait caractéristique de beaucoup de pays en développement (Sridhar et al., 1981). D'après Calamari (1985), il n'existe pas de données d'analyse concernant la lagune de Lagos (principale ville du Nigéria). Mais celle-ci, autrefois riche en poisson, est aujourd'hui considérée comme un mauvais coin pour la pêche (Adeyanju, 1979). Ekundayo (1977) rapporte que l'eutrophisation de la lagune de Lagos est principalement due à une vaste pollution par de grandes quantités de résidus industriels et domestiques. A lbadan, Sridhar et al., (1981) ont étudié les caractéristiques chimiques et microbiologiques des eaux usées qui s'écoulent dans les égouts à ciel ouvert. Ces égouts transportent diverses substances qui contribuent à la pollution des cours d'eau, car leur parcours est généralement court et par conséquent n'offre que peu de possibilités d'autopurification des eaux résiduaires. Dans les zones fortement peuplées, les eaux usées présentent des valeurs plus élevées en ce qui concerne la turbidité, les solides totaux et en suspension, la matière organique oxydable, la DBO et l'azote ammoniaqué, et des concentrations négligeables d'oxygène dissous. Les eaux usées finissent par se jeter dans trois grands cours d'eau, qui peuvent être considérés comme des égouts à ciel ouvert dans lesquels l'eau, dépourvue de poissons, a une couleur qui va du grisâtre au noir. Dans un de ces cours d'eau, la qualité de l'eau peut être comparée à celle d'une eau résiduaire partiellement traitée; elle est trouble et contient des quantités considérables de solides totaux et de solides en suspension, de matière organique oxydable, de DBO et d'azote ammoniaqué (Sridhar et al., 1981).

Les effets de la pollution par les eaux usées sur la distribution et l'abondance de certains organismes, y compris les insectes, les algues et les crustacés, ont été étudiés (Oladimeji et Wade, 1984). Dans les parties anaérobies de la zone étudiée, seuls quelques invertébrés tolérants comme Eristalis et Psychoda ont été observés. Le nombre d'organismes augmente quand certaines conditions, telles que la concentration d'oxygène dissous et la conductivité électrique, s'améliorent. Certains poissons comme Epiplatys sp. et Barilius niloticus abondent dans les zones où les concentrations d'oxygène dissous sont élevées.

D'après Beecroft et al. (1987) et Awanda (1987), l'essentiel de la charge organique déversée dans la rivière Kaduna provient des brasseries (NBL et IBBI). Leurs eaux résiduaires sont le produit des liqueurs d'extraction du grain et de la levure et ont l'odeur caractéristique du malt. Elles sont légèrement acides (pH 5–6) et ont une teneur élevée en matière organique soluble et en particules. Il a été démontré que les effluents des industries textiles contiennent des fibres, des substances organo-chimiques toxiques et des métaux lourds. Le phytoplancton est moins dense dans les endroits où la rivière Kaduna reçoit de fortes charges de polluants organiques. La faible variété floristique et faunistique en aval de l'égout de Kakuri, qui transporte les effluents d'usines textiles et de brasseries jusqu'à la rivière, s'explique par la pollution organique. Awanda (1987) a observé que la forte densité de certains groupes dominants de larves de chironomides et de nématodes en certains de ces points extrêmement pollués indique peut-être que seules ces espèces, qui supportent de faibles concentrations d'oxygène dissous, sont capables de survivre.

6.3 Afrique orientale

Les réseaux hydrographiques intérieurs de l'Afrique orientale ont subi, depuis le milieu des années 50, plusieurs transformations successives dues à diverses causes: pêche sélective intensive, modification de l'aire de drainage, invasion par des espèces introduites et altération physique ou chimique croissante de l'environnement. Au Kenya, la pollution organique et l'eutrophisation des eaux intérieures doivent être attribuées à l'accroissement de la population et à l'intensification des activités urbaines et industrielles et de la production agricole (Kallquist et Meadows, 1977; Meadows, 1980; Alabaster, 1983; Ochumba, 1985). Les proliférations d'algues et les moralités de poissons observées dans le lac Victoria (Ochumba, 1987; Ochumba et Kibaara, 1989) et la diminution du nombre des espèces (Okemwa, 1984; Barel et al., 1985) sont un signe de la détérioration de la qualité des eaux. Les lacs de la Vallée du Rift (Baringo, Turkana, Naivasha, Nakuru et Elementaita) sont menacés par la récession du niveau des eaux, conséquence de la sécheresse, ainsi que par les cultures industrielles et l'exploitation agricole de leurs rives (Meadows, 1978; Harper, 1984).

Les problèmes potentiels de pollution organique des eaux intérieures de la Tanzanie ont été décrits par Ngoile et al. (1978), Alkbrant (1979) et McAuslan (1980); les principales menaces pour le lac Tanganyika sont l'exploitation agricole des rives oligochet les prospections pétrolifères. Au Burundi, les principales préoccupations sont liées aux rejets d'eaux usées et de déchets industriels dans le lac Tanganyika (REGIDESO, 1980) et aux apports de l'agriculture dans la rivière Rizizi (Autrique, 1977). Une relation a été établie entre les déversements intérieurs effectués dans les lacs de la Vallée du Rift en Ouganda et en Ethiopie, les hécatombes de poissons et les proliférations d'algues (Burgis, 1978; Belay et Wood, 1984) conséquences d'un enrichissement en nutriments et d'un appauvrissement en oxygène. Magasa (1978) est arrivé à la conclusion qu'au Malawi, la pollution organique est centrée autour de la ville de Blantyre et de la rivière Shire, qui reçoit les résidus de l'agriculture. En Zambie, Mumba et al. (1978) ont indiqué que la pollution de l'eau est un problème qui touche surtout la rivière Kajue et qu'elle résulte du développement industriel et urbain; les hécatombes de poissons qui ont eu lieu dans cette rivière (Kaoma et Salter, 1979) étaient dues à des concentrations excessives de composés azotés.

6.4 Afrique australe

Marshall a fourni, pour 33 lacs du Zimbabwe, des données limnologiques, qu'il a utilisées pour prédire les rendements en poisson. En dehors de lacs eutrophisés comme le lac McIlwaine, il a constaté que le phosphore est le principal nutriment limitant.

Depuis le début des années 60, plusieurs proliférations d'algues se sont produites dans le lac McIlwaine par suite d'un enrichissement en nutriments lié aux rejets urbains de la ville de Harare. Des mesures ont été prises pour corriger l'eutrophisation; par exemple, certains effluents ont été utilisés pour fertiliser les terres agricoles autour de la ville, en particulier pendant la saison des pluies. Ces mesures sont toutefois considérées comme insuffisantes (Wells, 1975).

Thornton (1981) a présenté une étude plus récente de la situation de ce lac qui porte un titre éloquent: “Le lac McIlwaine: une catastrophe écologique évitée”. Il décrit le rétablissement du lac après que des mesures sérieuses aient été prises pour réduire la charge totale en nutriments. Dans la même zone - la région de Harare - Thornton et Nduku (1982) ont montré que les eaux de drainage provenant de zones fortement urbanisées avaient des teneurs en nutriments de 2 à 20 fois supérieures à celles des eaux provenant des zones de forêt et de savane.

7. CONTROLE DE LA POLLUTION ORGANIQUE

Cette analyse des effets de la pollution organique sur les eaux intérieures met en évidence la nécessité de maîtriser ce type de pollution, le mieux étant de la contrôler à l'origine. Comme beaucoup de sources de pollution organique émettent en même temps d'autres polluants, leur surveillance permet de résoudre du même coup un certain nombre de problèmes.

Bien que la matière organique soit la principale source de pollution des eaux intérieures africaines, il est peu probable que des rejets de quantités limitées de polluants organiques puissent avoir des effets nuisibles sur les grands lacs, ou même sur de petites masses d'eau. En fait, chaque environnement a la capacité de recevoir des charges limitées et quantifiables de polluants; c'est ce que l'on appelle la capacité de l'environnement (GESAMP, 1986). En outre, il est possible de contrôler les déchets organiques, quand ils sont en grandes quantités, par l'introduction de technologies plus économiques et qui peuvent même faciliter l'emploi des nutriments à des fins constructives. Toutefois, ce ne sont pas seulement les effets primaires qu'il faut surveiller, mais aussi les processus de pollution organique secondaire, qui peuvent provoquer des dommages irréversibles aux écosystèmes.

Il faut adopter des mesures juridiques, administratives et techniques pour atténuer ou supprimer les effets indésirables des charges organiques, tels que des modifications physiques, chimiques et biologiques inacceptables des eaux intérieures réceptrices. Le contrôle de la pollution aquatique appelle pour cela un travail multidisciplinaire.

A l'échelon national la lutte contre la pollution aquatique peut se faire par:

  1. l'élaboration d'une politique nationale de contrôle de la pollution;

  2. l'adoption d'une législation appropriée, et

  3. la mise en place de dispositifs institutionnels (administratifs et techniques) permettant de réglementer, surveiller et mettre en oeuvre le contrôle de la pollution.

Alabaster (1983) et Calamari (1985) ont fait le point de la situation dans onze pays d'Afrique orientale, occidentale et centrale. D'après Alabaster (1983), la législation sur le contrôle de la pollution des eaux a évolué rapidement dans plusieurs pays, tandis qu'elle est encore à l'étude dans d'autres. Dans quelques cas, on se sert déjà de la législation sur l'environnement pour combattre efficacement la pollution.

Il faut espérer que chaque pays africain, tenant compte de l'expérience des pays développés pour éviter les erreurs que ceux-ci ont pu commettre, aura dans les prochaines années sa propre législation sur l'environnement. Il importe que cette législation prévoie la réalisation d'évaluations d'impact sur l'environnement, façon d'introduire des considérations écologiques dans toutes les activités de développement des le stade de la planification. Elle doit aussi comporter des mécanismes d'application des lois sur la lutte contre la pollution aquatique, si possible avec l'appui de services locaux et provinciaux.

Il faut mettre en place des systèmes de surveillance qui permettent de vérifier l'état de santé des environnements aquatiques et les effets de lourdes charges de résidus organiques sur les biotes, spécialement pour les espèces commercialement importantes. Dans les pays africains, la marche à suivre pour établir un programme de surveillance pourrait être la suivante:

Il faudrait entreprendre une enquête pour identifier les principales sources de pollution. Calamari (1985) rapporte que, dans les cinq pays qu'il a visités en Afrique occidentale et centrale, un registre de sources ponctuelles de pollution a été établi ou que des préparatifs en ce sens en sont à un stade avancé. Pour chaque masse d'eau, on calcule la DBO et diverses autres caractéristiques de la qualité des eaux du point de vue des résidus organiques, rejetés non traités ou après passage par une station d'épuration municipale ou industrielle. Les charges organiques des eaux réceptrices doivent aussi être étudiées en tenant compte des variations saisonnières du ruissellement et de l'activité biologique.

A l'issue de cette enquête, il faudra ensuite dresser une carte des eaux réceptrices montrant, pour chaque masse d'eau, la charge de la pollution organique exprimée en DBO et ses différentes sources, ainsi que le nombre de stations d'épuration disponibles pour traiter les résidus domestiques et industriels. Au vu de cette carte, on pourra savoir dans quelles zones la pollution organique est sérieuse. Il faudra réserver une attention spéciale à ces zones et en surveiller les différents compartiments (eaux, sédiments et organismes) sur une période convenable (un à deux ans).

La surveillance biologique est une méthode qui utilise des organismes vivants comme senseurs de la qualité de l'environnement; la composition et la diversité des espèces, ainsi que les densités de population, diminuent généralement quand la qualité de l'eau se dégrade. La méthodologie consiste à rassembler et traiter des échantillons, identifier et dénombrer les organismes aquatiques, et mesurer la biomasse. Comme la collecte des échantillons et les observations sont faites sur le terrain tandis que les analyses sont effectuées au laboratoire, il est préférable que les stations de recherche soient installées à proximité des zones polluées.

Les résultats obtenus dans les zones retenues comme fortement polluées serviront à concevoir un programme de suivi continu couvrant toutes les eaux intérieures polluées d'un pays. La réalisation d'activités de suivi sur une aussi vaste échelle nécessite l'implantation d'un certain nombre de laboratoires spécialisés auprès d'instituts de recherche et de départements des pêches bien équipés, ainsi qu'un nombre suffisant de techniciens et de scientifiques dûment formes. Dans certains pays africains, il existe bien des laboratoires s'occupant de la pollution des eaux, mais ils ne disposent pas de moyens suffisants. Il est donc fortement recommandé non seulement de créer de nouveaux laboratoires mais aussi d'améliorer l'équipement et la structure des laboratoires existants.

8. CONCLUSIONS


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