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UN PROJET? QUEL PROJET?

Cette publication se propose de tracer l'évolution du Projet d'assistance aux groupements féminins de la zone encadrée de Kayes-Nord, depuis son démarrage, en 1986, jusqu'à son échéance, en 1998. L'intervention, partie d'un travail de base avec les femmes rurales de trois villages, s'est étendue sur plus de 12 ans grâce à la volonté et à la ténacité d'une femme, Mme Diarra (voir encadré), et au soutien du gouvernement belge et de la FAO, arrivant à couvrir 66 des 300 villages de la zone pastorale de Kayes-Nord. Ce projet s'inscrit dans le cadre du Programme de coopération FAO/Gouvernements (GCP/MLI/017/BEL).

Dans ces villages et dans toute la zone, une des plus enclavées du pays, le projet est parvenu à briser l'isolement des femmes et à réduire leur marginalisation. La mise en marche d'activités socio-économiques a jeté les bases d'un nouveau statut et d'une nouvelle reconnaissance des femmes, ainsi que d'une participation accrue à la vie des villages et de la société en général, sans pour autant séparer le développement des femmes de celui des hommes et de la communauté.

A cause du manque de données relatives aux différentes étapes du projet, les résultats et l'impact des actions au fil du temps n'apparaissent que partiellement en termes quantitatifs et de manière systématique. Par contre, ces résultats sont évidents sur le terrain si l'on visite les jardins potagers et les ateliers et si l'on prend le temps d'écouter les femmes raconter les différences entre le passé et le présent: la qualité de la vie, la perception de leurs rôles social et économique.

En outre, cette publication illustre la démarche adoptée pour travailler avec les femmes dans différents domaines tels que la mobilisation de leurs capacités d'organisation, le renforcement de leur rôle social, le développement d'initiatives économiques et la mise en relation avec les autres acteurs du développement.

Elle cherche aussi à relever les forces et les faiblesses de l'intervention, au regard des conditions structurelles de la zone qui ont représenté un défi constant - aléas climatiques, enclavement extrême, famines, exode rural, troubles politiques, manque de perspectives économiques. Enfin, l'un des objectifs de cette publication est de mettre en lumière toute la richesse et le caractère novateur de cette expérience afin qu'elle puisse servir de référence pour de nouvelles actions avec les femmes rurales.

Volet «animation féminine» ou projet avec les femmes?

Le Projet d'assistance aux groupements féminins de la zone encadrée de Kayes-Nord trouve son origine dans le Projet de développement de l'élevage au Sahel Occidental (PRODESO) qui, au lendemain de la grande sécheresse des années 70, visait la re-dynamisation de l'agriculture et le développement de l'élevage dans trois aires d'intervention: "Kayes-Nord"/Région de Kayes, "Nara-Est"/Sokolo/Région de Ségou et "Dilly"/Région de Koulikoro.

Le projet PRODESO avait été conçu avant tout pour une population d'éleveurs transhumants, mais une étude plus approfondie fit rapidement apparaître la nécessité de tenir également compte de la population agricole importante vivant dans la zone. De plus, la dégradation des conditions climatiques, de l'environnement et du marché du bétail avaient accéléré une évolution des modes de vie et de production vers la sédentarisation et l'intensification des activités agricoles. Ces facteurs, conjugués à l'exode rural des hommes, mirent en relief l'importance croissante du rôle des femmes dans la vie productive et économique.

Suite à cette constatation, le projet de développement de l'élevage décida alors de créer un «Volet animation féminine», sous la direction d'une animatrice, dans chacune des trois zones pastorales. Cette intervention encouragea la création de groupements féminins et renforça les tons villageois (organisations traditionnelles) et les comités d'éleveurs.

Vu les résultats satisfaisants obtenus par les activités d'animation féminine dans la zone de Kayes-nord durant la période 1981-1985, le volet a été érigé en projet - sous la tutelle du PRODESO - et mis en oeuvre dans le cadre du programme de relèvement de l'agriculture en Afrique (PRAA).

"Personne à l'époque n'intervenait dans la zone: 300 villages plus les hameaux pour environ 200 000 habitants. Compte tenu des moyens, j'ai pris trois villages pilotes, dans lesquels j'ai concentré mes activités. Ce n'était pas facile, les paysannes n'avaient pas confiance, elles avaient peur. Au début elles jetaient tout par terre et s'échappaient...

J'ai commencé à connaître les lieux, les habitudes, les moeurs, les tabous, le travail, grâce à tous les renseignements que je pouvais récolter pendant les journées que je passais avec elles (....) Causer, écouter, travailler, et en même temps les aider à enlever les mauvaises herbes (....)

Information qui va et vient ; moi, je les informe que je suis leur animatrice, que je suis là pour les aider à améliorer leur vie (...) J'avais des questionnaires pour recueillir des données sur les conditions de vie et de santé des femmes. Je voyais comment c'était, l'alimentation (...) Il y a des données qu'on peut récolter seulement avec l'observation de la vie dans les villages. Je devais toujours passer par les responsables, les chefs, les conseillers pour avoir la permission de rencontrer les femmes. Et s'ils me laissaient me réunir avec les femmes, les hommes étaient là. Je suis patiente, il faut de la patience. On parlait de beaucoup de choses.

Le PRODESO m'avait donné le mandat de travailler dans le domaine de l'élevage. Les femmes ont dit: "nous, on a d'autres problèmes; nos besoins réels sont la santé, la nutrition, les semences, les maladies (le ver de Guinée, la rougeole, les mauvais accouchements), etc."

La première activité fut de trouver les semences pour les parcelles individuelles des femmes... J'étais seule, je n'avais aucune idée, j'ai demandé conseil au projet d'élevage et on a envoyé quelqu'un pour m'apprendre à semer. Tomates, niébé, gombo, choux, salades... les gens se déplaçaient pour voir l'abondance. La deuxième année, on a reçu la demande de dix autres villages pour travailler avec eux: ça fait tache d'huile. J'ai fait des séances d'animation et de sensibilisation sur l'alimentation et la santé et les autres aspects de la vie. Il fallait que les gens apprennent à faire le traitement des puits contre le ver de Guinée, j'ai donné des séances d'information sur l'eau et l'hygiène..."

(Témoignage de Mme Diarra recueilli en 1998 sur les premières années du volet «animation féminine» et donnant une idée de la situation d'isolement des femmes à l'époque)



UNE DIRECTION DE PROJET TRÈS PRÉSENTE
POUR UN LONG TRAVAIL DE PATIENCE

Mme Djéneba Diallo Diarra a été indubitablement une personne clé dans le développement du projet et de ses activités et cela, tout au long des douze années du projet.

Ex-Directrice régionale des affaires sociales, elle a d'abord été chargée par le gouvernement du Volet «animation féminine» dans la zone du projet PRODESO de Kayes-Nord, pour la période 1982-1985. Elle commença ainsi à travailler "en brousse" à Bambela, Bokediambi et Gori Gopela, 3 villages à la frontière mauritanienne. Lorsque le volet est converti en projet, elle est nommée Coordinatrice du Projet d'assistance aux groupements féminins dans la zone encadrée de Kayes-Nord, jusqu'à sa clôture, en 1998. Chargée de la gestion et de l'animation du projet, sa volonté et sa ténacité expliquent certainement l'ampleur des succès obtenus. De plus, le fait d'avoir travaillé sur le projet depuis le tout début, dès la mise en place du Volet «animation féminine» du projet PRODESO, fait d'elle la détentrice de la mémoire du projet.

Ses activités n'ont pas pris fin au terme du projet. Aujourd'hui encore, elle occupe notamment le poste de Présidente, élue par l'assemblée des déléguées, de l'Union des groupements féminins de Kayes-Nord.

Phases et évolution du projet

La première phase (1986-1988) du projet "Assistance aux groupements féminins de la zone encadrée de Kayes-Nord", signée par le Gouvernement malien et la FAO en janvier 1986, a été financée par la Belgique. Elle visait notamment à introduire et à intensifier les cultures maraîchères et vivrières dans les villages en se basant sur les acquis du Volet «animation féminine» du projet d'élevage (PRODESO). L'équipe du projet était composée d'une coordinatrice, chargée de la gestion et de l'animation, et des encadreurs du projet d'élevage, responsables du suivi technique des activités des groupes dans les villages-base (villages pilotes).

Au départ, de grosses difficultés ont été rencontrées pour gagner la confiance des femmes et des hommes; aussi les premières années du projet ont-elles été consacrées en bonne partie à jeter les bases d'une organisation qui incite d'abord les femmes et ensuite l'ensemble de la population villageoise, à s'impliquer dans l'analyse des problèmes et l'identification d'actions concrètes. La mission d'évaluation tripartite (décembre 1988) a recommandé la poursuite du projet dans le domaine de la formation, de l'appui technique aux groupements, ainsi que de l'approvisionnement en équipements et en semences.

Une seconde phase (1989-1993) a donc été signée en juin 1989, une nouvelle fois sous financement de la Belgique, la FAO étant l'organisme d'exécution. Les objectifs de cette phase étaient similaires: animation féminine, amélioration des conditions de vie des femmes et des familles rurales en intensifiant la production agricole (maraîchage et arboriculture fruitière), en augmentant les ressources hydrauliques (barrages et puits), en allégeant les tâches (moulins, motopompes, foyers améliorés), et dans les domaines de la santé (formation d'accoucheuses traditionnelles) et de la nutrition (sensibilisation à la consommation des produits maraîchers).

L'équipe du projet fut renforcée par une animatrice adjointe devant seconder la coordinatrice de projet. La collaboration de l'animatrice adjointe fut toutefois discontinue. En effet, les femmes qui travaillent dans les services gouvernementaux ont beaucoup de mal à s'adapter aux conditions de la brousse et peuvent difficilement s'engager dans des missions prévoyant un éloignement du foyer.

Les évaluations externes de ces deux premières phases ayant été globalement positives, la mise en place d'une troisième phase a été décidée, avec les mêmes acteurs pour le financement et pour l'exécution.

La troisième phase (1994-1998) a mis à profit les acquis des deux phases précédentes par rapport aux femmes et aux organisations féminines mises en place dans les villages. Elle devait initialement couvrir une période de trois ans (1994-1997). Néanmoins, en 1997, la revue technique tripartite a recommandé sa prolongation jusqu'à fin 1998.

Ce n'est qu'au début de la troisième phase qu'une capitalisation de l'expérience a permis de mettre en évidence la stratégie du projet, avec ses objectifs globaux de développement, l'interrelation entre les objectifs à long et à court terme et les moyens de réalisation. Il importe de souligner qu'à partir de 1992 cette stratégie a été plus résolument soutenue par les orientations du Gouvernement malien dans ses plans d'action pour le développement rural 1.

En effet, ces orientations placent au premier plan la contribution des femmes à la sécurité alimentaire et la constitution de groupements de femmes rurales en tant que moteur essentiel pour la responsabilisation de la société civile.

LES TROIS PHASES DU PROJET

 

Activités principales

Démarche

Phase I 1986-1988

Promotion des groupements féminins
Introduction du maraîchage Vaccinations

Approche village + femmes

Durée: 2 ans + 1 an

Hygiène de l'eau
Moulins, foyers améliorés

Phase II 1989-1993

Puits, retenues d'eau
maraîchage

Approche village + femmes

Durée: 3 ans + 2 ans

Marchés ruraux Appui aux
Groupes d'intérêt économique (GIE) Fonds de roulement et crédits
Artisanat
Santé et nutrition
Foyers améliorés

Phase III 1994-1998

Poursuite des activités des 2 phases précédentes
Appui aux groupements féminins (GF) et aux
Groupes d'intérêt économique (GIE)

Approche femmes
Objectifs genre

Durée: 3 ans et 4 mois+
18 mois

Réseau d'animatrices rurales
Fonds de roulement et crédit pour activités de production
Formation et alphabétisation Reconnaissance juridique des groupements féminins
Constitution de l'Union des groupements féminins de Kayes-Nord



La danse des femmes du groupement

Les actions de cette troisième phase se sont articulées autour des deux axes suivants:
C'est sur ces deux axes que les deux grands objectifs de développement du projet ont été définis, à savoir:

Appui donné au projet

Un appui continu et adapté a été fourni par l'équipe du projet et par les encadreurs qui ont assuré un suivi rapproché des activités; ils ont eux-mêmes reçu un soutien technique à travers des consultations nationales et internationales qui ont permis de cerner les exigences du projet et les décisions à prendre.

L'équipe permanente du projet . Ce n'est qu'au cours de la troisième phase que le projet a pu compter sur un personnel différencié lui étant propre: un adjoint à la coordinatrice expert en élevage, un comptable-secrétaire informaticien, une experte associée agronome, un animateur, trois encadreurs et un expert national en gestion-crédit (pendant le dernier semestre 1998).

L'encadrement. Dès son démarrage, le projet a eu recours au dispositif d'encadrement du projet d'élevage (PRODESO), composé de techniciens en élevage résidant dans les villages-base (ou villages pilotes). Ces encadreurs dépendaient administrativement du PRODESO, mais travaillaient aussi pour les différents projets opérationnels dans la zone: le Programme national de vulgarisation agricole (PNVA), le Projet d'appui à la mise en oeuvre du schéma directeur du développement rural (PAMOS) et le Programme national de gestion des ressources naturelles (PGRN). En ce qui concerne le Projet d'assistance aux groupements féminins, les encadreurs - tous des hommes - ont été chargés à temps partiel des activités d'animation, de suivi et de formation/vulgarisation en faveur des groupements féminins. Ils ont suivi des formations et des recyclages spécifiques pour répondre aux demandes des femmes, pour maîtriser la démarche participative et pour dispenser des conseils techniques. Ils ont été en contact permanent avec les groupements et ont fait le lien entre ces derniers et l'équipe centrale. Pour faciliter leur travail, des moyens de déplacement et des indemnités leur ont été fournies par le projet.

Les consultants nationaux et internationaux ont fait état de l'avancement des activités et formulé des recommandations spécifiques. Le projet a été évalué à l'échéance des différentes étapes et a été régulièrement suivi lors de la troisième phase par la conseillère technique principale d'appui à la direction. Les différents rapports d'évaluation mettent en avant l'ampleur de l'appui technique fourni au projet2 .

RÉSULTATS: QUELQUES CHIFFRES

1 Cfr: Schéma directeur développement rural par le Ministère de l'Agriculture, de l'Elevage et de l'Environnement, Mali, 1992.

2 Cfr: Rapport d'évaluation finale du projet (FAO, 1999).

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