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Logiciel de conception et modélisation numérique d’un DCP: etat d’avancement du projet et exemples d’applications

Alain Lebeau
IFREMER
TMSI/RED/HA
Centre de Brest
B.P. 70
29280 Plouzané, France
E-Mail: [email protected]

Introduction

Le nombre de DCP «ancrés» mis en place principalement autour des îles de la ceinture tropicale s’est fortement accru ces dernières années, en raison de l’intérêt économique de ce moyen de concentration des poissons d’espèces pélagiques.

La conception de ces DCP reste principalement empirique, cependant l’extension de la zone de mouillage vers le large, la recherche d’un maximum d’efficacité et l’ingéniosité des pêcheurs contribuent à transformer cet auxiliaire de pêche. Le besoin se fait sentir maintenant d’une plus grande part de technique pour atteindre une plus grande efficacité au meilleur coût, ce coût englobant l’achat des composants mais aussi le renouvellement du DCP.

Lors du colloque tenu en Martinique en octobre 1999 sur la Pêche thonière et les dispositifs de concentration de poissons, nous avions présenté plusieurs outils de modélisation du comportement d’un DCP sous l’influence du courant (Guillou et al.[2]).

L’intérêt porté à ces modélisations, à la suite de ce colloque, a conduit a retenir un logiciel, «Dynaline», développé initialement par l’Ifremer pour étudier le comportement des filières mytilicoles, comme base de développement d’un outil de modèlisation plus particulièrement dédié à la conception des DCP, l’objectif principal visé étant de valider rapidement un type de DCP avant de l’assembler et de le mettre à l’eau.

En effet, une telle modélisation, bien qu’imparfaite en l’état actuel, permet a priori, pour des conditions données de courant sur l’ensemble de la tranche d’eau, d’estimer la position (immersion, déformée de la ligne de mouillage) du DCP sous l’influence du courant ainsi que les efforts et les tensions dans l’ensemble de la ligne de mouillage.

A partir de ces informations, il est possible d’ajuster au mieux les caractéristiques des différents composants, lest, longueur et composition de la ligne de mouillage, flottabilité des bouées de surface, pour satisfaire aux divers critères qui peuvent être choisis pour qualifier l’efficacité du DCP:

- bonne tenue au courant
- coût de l’ensemble
- «attractivité théorique» du DCP.

Dans cet article, après une présentation rapide du cahier des charges établi pour le développement du logiciel en cours d’élaboration, nous donnons quelques résultats obtenus sur des DCP existants avec «Dynaline».

Le cahier des charges

Une discussion tenue avec les différentes équipes de l’Ifremer intéressées par ce logiciel a permis d’écrire un cahier des charges succinct mais considéré comme suffisant, compte tenu du travail déjà effectué sur «Dynaline», pour démarrer le projet. Nous en résumons ci-dessous les points marquants.

Usage

Bien que requérant des connaissances de base - terminologie spécifique, technologie des câbles, hydrodynamique, etc. - l’interface graphique sera construite de manière à en faciliter l’usage et à permettre une exploration rapide des diverses configurations possibles de DCP. Une formation préalable à l’ utilisation du logiciel de simulation devra malgré tout être envisagée.

L’environnement informatique retenu permet l’utilisation courante du logiciel avec les ordinateurs de bureaux.

Objectif

L’utilisation de ce logiciel permettra à l’utilisateur d’obtenir une estimation des efforts hydrodynamiques subis par le DCP (efforts sur l’ancrage, tensions dans les composants, etc.) et une prévision «raisonnable» du comportement du DCP dans des conditions de courant et de houle données, en particulier des conditions limites de courant provoquant l’immersion de la «tête» du DCP. Ce dernier facteur semble en effet déterminant pour caractériser la limite d’efficacité du dispositif.

Basé sur une modélisation numérique, et intégrant éventuellement des données expérimentales, ce logiciel ne peut fournir que des estimations préliminaires et ne doit donc être considéré que comme une aide à la conception des DCP.

L’interface informatique, doit faciliter le travail du concepteur de DCP en permettant l’assemblage rapide de composants élémentaires pré-existants dans une base de données intégrée. Le cas échéant cette base de données doit pouvoir être enrichie par l’utilisateur lui-même.

L’environnement océanique sera défini par une répartition verticale du courant et par une houle (hauteur et période).

Les résultats des calculs, efforts, immersions, tensions, mouvements, seront visualisés à l’écran sous différentes formes (tableaux, graphiques, fichiers texte), sauvegardables et imprimables.

Algorithmes de calcul

L'algorithme de calcul d'équilibre par 'éléments finis' développé pour Dynaline est conservé, avec cependant quelques améliorations visant à automatiser la 'discrétisation' des éléments filaires composant le DCP, c'est à dire la division d'un câble de grande longueur en éléments 'discrets' de plus petite longueur, cette discrétisation étant nécessaire pour permettre la convergence du calcul:

avantages:

- permet d’intégrer les effets de la houle déjà développé dans «Dynaline»
- possibilité d’intégrer divers types de lignes de mouillage sur une même structure
- possibilité de concevoir un DCP composé de plusieurs lignes (par exemple, DCP «bicéphale» conçu par les pêcheurs guadeloupéens)

inconvénients:

- calculs plus compliqués, donc plus longs contrôle plus difficile du déroulement du calcul.

L’interface et ses fonctions

Il est prévu de conserver l’interface conçue pour «Dynaline» (fenêtres, boîtes de dialogue, menus, etc.) avec cependant quelques modifications et améliorations visant en particulier à simplifier, pour l’utilisateur, la définition de la structure du DCP.

Il ne restera à la charge de l’utilisateur que l’entrée des caractéristiques (longueur, matériau, type de bouée et ses dimensions, etc.) des composants du DCP considéré.

L’adaptation envisagée comprendra également la conception d’une base de données rassemblant des types de composants prédéfinis (corps-mort, bouées, filins, éléments d’assemblage, attracteurs,....) et les coefficients hydrodynamiques associés. Cette base de données sera directement utilisée par le concepteur pour incorporer au DCP les composants choisis et pourra être enrichie de manière interactive.

Enfin, on étudiera la possibilité d’intégrer aux algorithmes existants des résultats expérimentaux -traînée de flotteurs multiples, etc. (exemple: les coefficients de traînée de têtes de DCP composées de flotteurs multiples à différents stades d’immersion).

Etat d’avancement du projet

L’interface graphique est actuellement réalisée, (menus, affichages graphiques, édition des composants du DCP, enregistrement et sauvegarde, etc.). Il reste donc à relier cette interface aux algorithmes déjà écrits pour «Dynaline» et à valider l’ensemble.

Quelques résultats

La version actuelle de «Dynaline» a été utilisée pour réaliser quelques calculs sur des DCP existants. Trois types de DCP ont été retenus pour cet exercice: le DCP de Curaçao (van Buurt [3]) le DCP «Martinique» (Guillou et al. [2]) le DCP «bicéphale» de Guadeloupe (Gervain [1])

DCP Curaçao

Décrit par van Buurt [3], il s’agit dans les deux exemples retenus d’un DCP «lourd», adapté aux conditions particulières des côtes de Curaçao caractérisées en particulier par de forts courants, et un passage important de navires imposant à la structure d’être visible pour la majorité des conditions de houle et de courant connues.

La connaissance de la distribution verticale de la vitesse du courant sur toute la tranche d’eau est apparue critique en particulier pour cette modélisation en raison de la vitesse élevée des courants mentionnée par l’auteur.

Nous avons donc adopté plusieurs hypothèses de répartition verticale du courant dont certaines semblent, a posteriori, donner un résultat conforme aux observations in situ (communication personnelle de G. van Buurt).

Figure 1: Comparaisons des résultats de simulation du DCP «Curaçao’ en fonction de la distribution verticale du courant

On voit dans la figure 1 que suivant le type de répartition verticale de la vitesse du courant, l’immersion du flotteur de tête du DCP et la tension dans la ligne de mouillage varient dans d’importantes proportions. (nota: les immersions données dans les tableaux qui suivent se rapportent au point d’amarrage inférieur du flotteur).

La répartition du courant, «variable par tranche d’eau», est détaillée ci-dessous (Figure 2 et Tableau 1). Ce n’est dans l’état de nos connaissances sur cette question qu’une hypothèse de travail.

Tableau 1:Valeurs de la vitesse du courant en fonction de la profondeur

Profondeur (m)

Vitesse (m/s)

0

1.35

-100

0.1

-200

0.06

-250

0.02

-350

0

Figure 2: Graphique représentant la distribution verticale de la vitesse du courant.

Tableau 2: Résultats de simulations effectuées sur différents types de flotteurs et avec des conditions variables de profondeur et de courant.

Type de DCP et de flotteur

Profondeur de mouillage

Répartition du courant

Rapport (longueur totale ligne/profondeur)

Immersion du point d'amarrage du flotteur de tête

Tension

Rayon d'évitage

(m)

(m)

(kgf)

(m)

PVC 5 mètres

600

Courant linéaire par morceaux 1.35 -> 0 m/s

1.26

-3.6

402

475

PVC 5 mètres

500

Courant linéaire par morceaux 1.35 -> 0 m/s

1.31

-3.4

36

437

MKII

700

Courant linéaire par morceaux 1.2 -> 0 m/s

1.41

-2.2

300

701

MKII

600

Courant linéaire par morceaux 1.35 -> 0 m/s

1.24

-1.6

190

448

(PVC 5 mètres: le flotteur de tête de ce DCP de type "perche" est composé d'un tube de PVC de 5 mètres de longueur rempli de mousse et maintenu par un mouillage en tension: le but visé est de réduire les mouvements du flotteur et donc d'en améliorer la longévité (moins d'usure,...). Ce flotteur est destiné à un DCP mouillé par environ 400 mètres de profondeur.

Le flotteur MKII offre plus de flottabilité que le PVC 5 mètres, 1.2 m3 contre 0.98 m3 et est destiné à un DCP mouillé sur de plus grandes profondeurs (6 à 700 m). Ce flotteur, d'une hauteur de 3.5 m, a une forme cylindro-conique, est construit en composite verre-polyester et est rempli de mousse.)

Dans le Tableau 2, le courant a sa vitesse maximale en surface, décroît à 0.1 m/s à 100 m de profondeur, puis est nul à la profondeur du corps-mort.

DCP Martinique

Ce DCP est un modèle récemment conçu dont 30 exemplaires ont été mouillés autour des côtes de l’île à l’initiative du Comité des Pêches martiniquais, en décembre 2001.

Figure 3: Vue schématique du DCP martiniquais (d ’après P. Gervain).

Les calculs effectués sur ce DCP ont porté sur l’étude de l’influence de la longueur de la ligne de mouillage d’une part, et du volume de flottabilité de la tête du DCP d’autre part, sur l’immersion du flotteur de tête, en présence d’un courant de 1.5 m/s.

Figure 4: Influence de la longueur de la ligne de mouillage (a) et du volume de flottabilité (b) sur l’immersion du flotteur de tête du DCP.

Tableau 3: Répartition verticale du courant retenue pour le DCP Martinique

Profondeur (m)

Vitesse (nd)

0

1.50

200

0.75

1500

0.00

DCP bicéphale

Ce dernier modèle de DCP conçu par P. Gervain (POLKA Bicéphale; voir présentation particulière par le concepteur dans ce volume) est caractérisé par deux «têtes» identiques, mais de longueurs différentes, raccordées à une seule ligne de mouillage.

Figure 5: Représentation schématique du DCP bicéphale de Guadeloupe (d'après Gervain [1].).

Tableau 4: Résultats des calculs effecués sur le DCP "bicéphale": immersions des flotteurs de tête.

Courant:
surface/-200m/-2000m

Immersion flotteur "amont"

Immersion flotteur "aval"

Distance entre têtes

Tension sur corps mort

m/s

m

m

m

kg

0.25 / 0.15 / 0.00

0

0

210

50

0.5 / 0.33 / 0.00

-38

0

260

183

0.75 / 0.5 / 0.00

-145

-40

133

290

Tableau 5: Résultats des calculs effectués sur le DCP "bicéphale": immersions des agrégateurs de subsurface.

Courant:
surface/-200m/-2000m

Immersions des agrégateurs

"Amont"


"Aval"


cylindre

plaque

cylindre

plaque

m/s

m

m

m

m

0.25 / 0.15 / 0.00

-10

-49

-9

-26

0.5 / 0.33 / 0.00

-72

-112

-11

-50

0.75 / 0.5 / 0.00

-179

-218

-73

-112

Avec la distribution verticale de courant adoptée, ces calculs montrent qu’au delà d’une vitesse de courant de 0.25 m/s, soit environ 0.5 nœuds, le DCP commence à couler, le flotteur «amont», par rapport à la direction du courant, s’immergeant plus profondément que le flotteur «aval».

Les résultats du Tableau 5 montrent également que dans le cas du courant de 0.25 m/s en surface, les agrégateurs situés en dessous de la surface sont aux immersions «nominales», soit 10 et 50 m.

Des modifications de la longueur de la branche amont n’ont pas apporté de changement significatif de l’immersion calculée de son flotteur de tête (courant de 0,5 m/s).

Par contre, l’adjonction d’un volume d’une flottabilité de 50 litres environ au niveau de la jonction entre les deux branches amont et aval apporte une amélioration sensible en amenant le flotteur amont en surface, au lieu de -38 m.

Remarques sur les simulations précédentes.

Les exemples de simulations présentés ci-dessus permettent de mesurer au moins de façon relative l’influence du courant et de sa distribution verticale sur le comportement du DCP (exemple du DCP de Curaçao).

Dans le cas du DCP de Martinique la comparaison des effets des deux types de modification de sa structure, - augmentation de la longueur de la ligne de mouillage ou augmentation de la flottabilité, permet le cas échéant de choisir une nouvelle configuration en fonction d’un critère donné, par exemple le coût de la modification.

Il est évident que la connaissance de la distribution de la vitesse et de la direction du courant en fonction de la profondeur sur toute la tranche d’eau demeure primordiale pour effectuer ces simulations.

Les courants de surface varient fortement avec les conditions océaniques générales, à la fois en intensité et en direction. Il en est ainsi pour les courants de subsurface, et peut être pour une moindre part pour les courants profonds.

On precisera à ce propos qu’un système d'océanographie opérationnelle permettant la mise en œuvre d'un système de simulation de l'océan global, prenant en compte par assimilation les données satellites et in situ d'observation de l'océan est en cours de développement dans le cadre du projet MERCATOR (définie en 1996 par les six organismes tutelles du projet, CNES, CNRS/INSU, IFREMER, IRD, Météo-France et SHOM). Dans l'état actuel d'avancement de ce projet, des données océanographiques diverses, dont vitesse et direction des courants sur la totalité de la tranche d'eau pour différentes zones océaniques, sont disponibles, sous l'état de mesures collectées par différents vecteurs (flotteurs dérivants, satellites,...) mais aussi sous forme de prévisions à court terme.

Des contacts ont donc été pris avec cette organisation pour voir dans quelle mesure les prévisions émanant de cette modélisation océanique pourraient être utilisées dans la zone Caraïbes par exemple pour mieux appréhender ces variations.

Conclusion

La modélisation numérique des DCP tend donc à devenir un outil de travail complémentaire. Elle permet d’explorer d’éventuelles nouvelles solutions et de retenir parmi celles-ci, celle qui remplit le mieux la fonction recherchée - réduction du coût des composants, augmentation de l’attractivité, pérennité de l’engin, ... -, mais aussi d’optimiser le cas échéant un type existant.

Cette modélisation peut être aussi utilisée à de fins didactiques.

Les résultats exposés dans cet article sont des exemples de ce qu’il est possible de tirer de l’usage d’un outil de modélisation tel que «Dynaline» dont une version mieux adaptée aux DCP est en cours d’achèvement.

Bibliographie

[1] Gervain P., 2001 - Le DCP bicéphale: présentation d’un prototype de DCP ancré et premiers résultats obtenus. -- 1st meeting of the Lesser Antilles working group on sustainable development of moored FAD fisheries. Martinique, 8-11 October 2001.

[2] Guillou A., Lagin A., Lebeau A., Priour D., Repecaud M., Reynal L., Sacchi J., et Taquet M., 2000 - Démarche d’amélioration des DCP à la Martinique. In pêche thonière et dispositifs de concentration de poissons. Legall J-Y., Cayré P., Taquet M. (eds). Ed. Ifremer, Actes Colloq., 28, 213-229.

[3] van Buurt G.,2000 - Implementation of an ongoing FAD programme in Curaçao (Netherland Antilles) during the period 1993-2000. In pêche thonière et dispositifs de concentration de poissons. Legall J-Y., Cayré P., Taquet M. (eds). Ed. Ifremer, Actes Colloq., 28, 230-249.

[4] van Buurt G., 2001 - Island of Curaçao FAD programme. - 1st meeting of the Lesser Antilles working group on sustainable development of moored FAD fisheries. Martinique, 8-11 October 2001. 5p.


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