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4. SUIVI ET ÉVALUATION DE L'ACCÈS À LA TERRE


Évaluations quantitatives et qualitatives

4.1

Pour pouvoir déterminer la «réussite» ou «l'échec» d'une politique, d'un programme ou d'un projet donné, il est essentiel de disposer d'un système de mesure permettant d'évaluer l'accès à la terre. Ce système devra présenter des paramètres tant qualitatifs que quantitatifs. La plupart des activités touchant l'administration foncière portent sur les droits de propriété concernant la surface du sol, parallèlement aux investissements et aux ressources. De la sorte, l'accent est mis sur la quantité de droits (tels que la propriété, les baux, les servitudes), les dimensions de la parcelle ou sa valeur économique. Par ailleurs, les socio-anthropologues tendent à mettre en valeur le caractère unique des régimes fonciers propres à une culture donnée, et à insister sur la nature ou la qualité des droits. Les deux approches répondent à certains besoins, mais toutes deux ont leurs limites. Il pourrait donc être souhaitable, lors de l'élaboration d'une démarche visant à mesurer l'accès à la terre sous l'angle de la parité hommes-femmes, de s'inspirer des deux approches à la fois.



4.2

Les droits du point de vue quantitatif. L'une des façons d'examiner la quantité des droits consiste à identifier une gamme de droits dans le cadre du «faisceau» de droits ainsi constitué, ce qui peut déboucher sur les catégories suivantes:




  • Droits d'utilisation (le droit d'utiliser la terre pour le pâturage, les cultures vivrières, la collecte de menus produits de la forêt, etc.).
  • Droits de contrôle (le droit de décider la manière dont la terre doit être utilisée, y compris le choix des cultures, et de tirer un bénéfice de leur vente, etc.).
  • Droits de transfert (le droit de vendre ou d'hypothéquer la terre, de la transmettre par le biais de réaffectations intracommunautaires ou par voie de succession, et de réallouer les droits d'utilisation et de contrôle).

4.3

Dans la pratique, les droits d'accès potentiels peuvent avoir une large portée et il pourrait être nécessaire d'évaluer, entre autres, les droits suivants:




  • droit au logement;
  • droit à l'accès à l'eau, au bois de feu, aux poissons ou aux fruits;
  • droit à une part de l'héritage à la mort d'un membre de la famille;
  • droit à une part du patrimoine foncier à la mort ou au départ d'un conjoint ou d'un concubin;
  • droit d'utiliser le bien pour obtenir un prêt ou des apports financiers;
  • droit aux profits dérivant de l'utilisation ou de la vente de la ressource;
  • statut social au sein de la communauté dérivant de l'accès à la terre;
  • rôle dans la prise de décision.

4.4

Les droits au plan qualitatif. L'examen des droits au plan qualitatif afin d'en déterminer les indicateurs est plus complexe, et nous n'en proposerons ici que quelques exemples. L'un des critères de qualité est constitué par la sécurité juridique des droits, c'est-à-dire la mesure dans laquelle les dispositions législatives officielles (les lois) ou officieuses (les règles traditionnelles ou celles de la communauté locale) garantissent ces droits. Ainsi, lorsque le patrimoine se transmet par les hommes, le droit de contrôle des femmes peut être compromis. La sécurité physique est un autre indicateur pouvant être affecté, par exemple, par la guerre ou par la coutume selon laquelle, à la mort du mari, la terre est reprise par les parents de sexe masculin. La transférabilité constitue un troisième exemple de qualité des droits: les droits d'utilisation risquent souvent de ne pas être transférable, du fait qu'ils sont attachés à une famille ou à certains membres de la famille. En outre, la transférabilité risque d'être affectée par la qualité de la preuve témoignant du droit - document officiel ou registre.



4.5

Étant donné qu'il peut parfois y avoir d'importantes différences entre les droits tels que définis - par la loi ou par la coutume - et la pratique effective de ces droits, toute évaluation doit prendre en compte la jouissance effective des droits, ainsi que la qualité de la protection qui leur est accordée par les tribunaux officiels, les instances d'arbitrage communautaire, etc.

Élaboration d'indicateurs

4.6

L'étape suivante consiste à déterminer quels indicateurs spécifiques pourraient être utilisés pour mesurer la qualité et la quantité. De tels indicateurs seront importants lors de l'évaluation préalable au projet puis, dans une phase ultérieure, pour le suivi et l'évaluation consécutives au projet. Nous nous limiterons ici à quelques échantillons; les encadrés 2 et 3 présentent des listes plus complètes d'indicateurs mettant en relief des domaines où les informations ventilées selon le sexe peuvent être recueillies et analysées.



4.7

L'un des principaux indicateurs permettant de mesurer l'accès à la terre est l'information sur les droits détenus par les individus. La démarche traditionnelle consiste à utiliser les documents sur les droits fonciers ou les registres cadastraux. Une telle démarche présente l'avantage de la simplicité et de l'objectivité relative; toutefois, elle a de nombreuses limites. En effet, les registres cadastraux ne sont pas la seule source d'informations sur l'ensemble des droits se rapportant à une parcelle de terrain, et même dans les pays occidentaux, les titres et les registres ne reflètent qu'un ensemble limité de droits et risquent de se limiter exclusivement à un titulaire. La situation est plus complexe dans les pays en développement où:




  • les documents ou les registres sont rares;
  • les registres risquent de ne pas être à jour ou d'être incomplets;
  • les registres et documents pourraient ne pas refléter la situation réelle;
  • les documents et les registres mentionnent souvent un seul nom, celui du chef de famille officiel;
  • les documents et les registres ne reflètent probablement pas la variété des droits formels et informels découlant de la coutume et de la tradition.

ENCADRÉ 2

INDICATEURS UTILISÉS POUR RECUEILLIR DES INFORMATIONS VENTILÉES PAR SEXE - FACTEURS JURIDIQUES ET POLITIQUES

  • Droits conférés en vertu de dispositions constitutionnelles ou législatives et par des tribunaux officiels.

  • Droits conférés en vertu d'autres lois - coutumières, informelles, subsidiaires, temporaires

  • Sécurité des droits susmentionnés aux plans de l'imposition et de l'application.

  • Droits fonciers ou subsidiaires que les hommes et les femmes peuvent mettre en application sans mention spécifique dans la législation formelle ou informelle.

  • Accès effectif à un arbitrage équitable, y compris en ce qui concerne l'appareil judiciaire ou les autres procédures de résolution des différends.

  • Comparaison, en fonction du sexe, des régimes formels et informels d'héritage et de leurs modalités de répartition des droits et des biens fonciers.

  • Accès effectif et participation aux organismes locaux de prise de décision.

  • Statut social au sein de la communauté en fonction de l'accès à la terre.

  • Rôle dans le processus décisionnel au sein du ménage concernant les sources de revenu, la nourriture et le logement.

  • Pourcentage d'hommes et de femmes jouissant de titres fonciers garantis (par exemple, enregistrés) et non garantis (octroi discrétionnaire).

ENCADRÉ 3

INDICATEURS UTILISÉS POUR RECUEILLIR DES INFORMATIONS VENTILÉES PAR SEXE - FACTEURS SOCIO-ÉCONOMIQUES

Caractéristiques des systèmes de propriété foncière dans une région:

  • Origines des propriétés foncières pour les hommes et pour les femmes (coutume, dispositions statutaires, occupation, héritage).

  • Démographie rurale et urbaine, ventilation par sexe.

  • Taille et emplacement des parcelles et du logement par rapport aux transports et à d'autres services ou installations, ventilation par sexe.

  • Acquisition par héritage de biens autres que fonciers, ventilation par sexe.

  • Pourcentage de la population dépendant de l'agriculture pour sa subsistance, ventilation par sexe.

  • Chefs de ménage (de facto et de jure), ventilation par sexe.

  • Nombre moyen de personnes à charge dans les ménages dirigés respectivement par des hommes et par des femmes.

Avantages, rôles et responsabilités de la propriété foncière au niveau du ménage:

  • Responsabilité traditionnelle à l'égard du patrimoine foncier, ventilation par sexe.

  • Aspects économiques des actifs fonciers, ventilation par sexe.

  • Accès effectif au crédit basé sur les actifs fonciers, ventilation par sexe.

  • Participation relative aux marchés formel et informel du logement et de la terre (types de transactions, procédures adoptées, obstacles, etc.), ventilation par sexe.

  • Bénéficiaires des ventes foncières (modalités d'utilisation du produit de la vente), ventilation par sexe.

  • Répartition économique et physique des ressources au sein du ménage, ventilation par sexe.

  • Répartition hommes-femmes de la production alimentaire pour la consommation familiale.

  • Répartition hommes-femmes de la production agricole commerciale.

  • Répartition hommes-femmes en pourcentage du travail rémunéré et non rémunéré.

  • Possibilité d'accès et utilisation de main-d'œuvre salariée, ventilation par sexe.

4.8

Un deuxième indicateur important est constitué par la législation, par exemple les lois sur la succession, le divorce ou l'utilisation des terres. Un tel indicateur peut être utile, mais il risque également d'induire en erreur étant donné que la législation officielle ne reflète pas toujours la réalité du terrain. On en trouve un exemple dans la législation sur le divorce des États socialistes, qui entérine la division des biens par moitié. Par ailleurs, la qualité de la protection des droits des conjoints au moment du divorce, en particulier dans les régions rurales pauvres, dépend également de la facilité d'accès aux tribunaux, de l'aptitude à supporter les coûts d'un procès et de l'étendue du soutien apporté par la famille ou par la communauté. De même, les revendications concernant l'égalité des droits décrétée par les constitutions risquent d'être vidées de leur sens par la pratique effective des communautés locales.



4.9

Parmi les autres indicateurs, citons le métier exercé ou la preuve de l'exercice effectif des droits. Là encore, on se heurte à certaines difficultés, dans la mesure où il risque d'y avoir disparité avec le statut juridique formel et où il peut être difficile de prendre en compte, dans un bref laps de temps, tous les droits entrant en jeu. Ces indicateurs font appel à des paramètres tels que: le chef de famille de facto; la personne responsable au premier chef de nourrir la famille; l'acceptation, par la communauté, des droits d'une personne; la part d'intrants monétaires ou d'apport de main-d'œuvre. Il peut être encore plus difficile de mesurer de façon objective et exhaustive des facteurs tels que le statut social et le pouvoir décisionnel.


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