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SECONDE PARTIE

THÈMES D’ACTUALITÉ CHOISIS DANS LE SECTEUR FORESTIER

Les forêts et la lutte
contre la pauvreté

Le présent chapitre se concentre sur le rôle des forêts, notamment des forêts naturelles, dans la lutte contre la pauvreté dans les pays en développement. Il accorde une certaine attention à la contribution potentielle des forêts artificielles et de l’agroforesterie à la réduction de la pauvreté, tandis que pour des raisons d’espace seule une brève référence est faite aux arbres hors forêts. Ce chapitre, qui ne cherche donc pas à effectuer une analyse exhaustive de la question, définit le concept de lutte contre la pauvreté axée sur la forêt, examine les potentialités des forêts à cet égard, signale les obstacles aux progrès, identifie les conditions susceptibles de renforcer le rôle des forêts dans la réduction de la pauvreté, et propose enfin quelques stratégies pour une contribution plus efficace du secteur forestier.

La forêt peut constituer un filet de sécurité vital, en aidant les populations rurales à éviter ou à atténuer la pauvreté, voire à en sortir. Bien souvent, les décideurs et les planificateurs ignorent cette fonction, parce qu’elle est mal comprise ou mal expliquée. L’une des raisons en est que la contribution qu’apportent les forêts aux ménages pauvres ne figure généralement pas dans les statistiques nationales, car le plus souvent elle a un caractère de subsistance ou sert de monnaie d’échange sur les marchés locaux. En outre, la part du lion des richesses produites par le bois revient aux segments les plus nantis de la société, tandis que certains aspects de l’accès aux ressources ligneuses et de leur transformation constituent plutôt une entrave à leur capacité potentielle de venir en aide aux populations marginalisées. En dépit de ces contraintes, la contribution des forêts à la lutte contre la pauvreté peut être renforcée si les décideurs reconnaissent ces potentialités et en tiennent compte.

DÉFINITION DES TERMES

La pauvreté peut être définie comme une grave privation de bien-être, liée à l’absence de revenu tangible ou à une consommation insuffisante, à un faible niveau d’éducation et de santé, à la vulnérabilité et l’exposition aux risques, à l’impossibilité de se faire entendre et à la privation de pouvoir (Banque mondiale, 2001). La réduction de la pauvreté peut donc être définie comme une diminution effective de la privation de bien-être. Le présent chapitre distingue deux formes de lutte contre la pauvreté au niveau des ménages en relation avec les ressources de la forêt, selon qu’elles permettent:

L’expression «lutte contre la pauvreté s’appuyant sur la forêt» s’applique donc aux situations dans lesquelles les ressources forestières sont utilisées soit pour éviter ou atténuer la pauvreté, soit pour l’éliminer. Cette lutte ne peut être menée isolément. Elle est généralement associée à d’autres modes d’utilisation des terres, notamment l’agriculture, le pâturage et les systèmes mixtes cultures-arbres.

Il existe essentiellement trois façons de lutter contre la pauvreté par le biais de la forêt: empêcher les ressources forestières de diminuer si elles sont nécessaires pour préserver le bien-être («ne pas entamer le gâteau»); rendre les forêts accessibles et en redistribuer les ressources et les revenus («partager le gâteau d’une autre manière»); et accroître la valeur de la production forestière («agrandir le gâteau»). Elles sont toutes essentielles, mais sont appliquées différemment selon l’utilisation qui est faite de la forêt et les stratégies adoptées.

Il est également reconnu qu’au moment d’examiner la relation forêt-pauvreté, toutes les populations défavorisées doivent être prises en considération, quel que soit leur degré de pauvreté et indépendamment du fait qu’elles soient dépourvues de terres ou qu’elles y aient au contraire accès. Des écarts même minimes dans le niveau et le type des avoirs détenus par les ménages influent sur la façon dont les populations forestières utilisent leurs ressources locales (Barham, Coomes et Takasaki, 1999).

POTENTIALITÉS ET OBSTACLES D’UNE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ AXÉE SUR LA FORÊT

La pauvreté se recontre fréquemment dans les forêts naturelles, même si toutes les régions boisées ne sont pas pauvres et si elles ne concentrent pas toute la pauvreté du monde. Les forêts naturelles sont le berceau de l’évolution humaine, et les populations humaines qui y ont vécu pendant des millénaires ont un niveau de développement socioéconomique plutôt faible. D’autre part, les populations rurales migrantes qui colonisent les zones forestières en quête de nouvelles terres agricoles sont d’ordinaire relativement pauvres. La forêt fait souvent office d’employeur de dernier recours pour les populations économiquement marginalisées (du fait, par exemple, de la répartition inégale du sol dans les basses terres). Au travers de l’histoire, les forêts ont fréquemment servi de refuge aux populations plus faibles qui fuyaient l’oppression, les conflits et la guerre.

Des centaines de millions de personnes sont tributaires de la forêt. Il est difficile d’en faire une estimation précise, car une telle évaluation dépend de la définition même de cette dépendance (Byron et Arnold, 1999; Calibre Consultants and Statistical Services Centre, 2000). Byron et Arnold (1999) ont classé ces populations en trois catégories: les habitants de la forêt, notamment les chasseurs-cueilleurs et les cultivateurs itinérants; les agriculteurs vivant à proximité des forêts, y compris les petits exploitants et les paysans sans terre; et les usagers commerciaux, en particulier les artisans, les commerçants, les petits entrepreneurs et les employés des industries forestières. Une catégorie additionnelle est celle des consommateurs de produits de la forêt parmi les populations pauvres des villes.

Les forêts constituent un filet de sécurité vital pour des millions de personnes dans le monde. Leur rôle dans l’élimination de la pauvreté n’est pas aussi bien documenté, mais les populations concernées sont probablement moins nombreuses (Wunder, 2001). On ne sait pas exactement dans quelle mesure les forêts pourront atténuer la pauvreté dans les pays en développement à l’avenir. Des recherches approfondies sont nécessaires pour faire la lumière sur ce point.

La présente section récapitule les informations de base dont on dispose quant aux potentialités et aux obstacles d’une lutte contre la pauvreté axée sur la forêt, selon cinq types d’utilisation des forêts: conversion des forêts naturelles à l’agriculture; produits ligneux; produits forestiers non ligneux (PFNL); paiement des services environnementaux; et emploi et bénéfices indirects. Il y est également indiqué que tant la destruction et la suppression du couvert forestier, que sa conservation et son utilisation durable, peuvent contribuer à réduire la pauvreté. Un rôle essentiel de la recherche est d’établir clairement les points de convergence et de divergence de la conservation des forêts et de la lutte contre la pauvreté en tant qu’objectifs stratégiques.

La foresterie communautaire aux Etats-Unis: mise à profit de l’expérience des pays en développement

Aux Etats-Unis, la foresterie communautaire est un mouvement nouveau qui s’appuie largement sur l’expérience acquise dans de nombreux pays en développement.

Blotties au cœur des régions montagneuses boisées, d’un bout à l’autre des Etats-Unis, se trouvent de nombreuses petites agglomérations dont les habitants s’efforcent chaque jour de se procurer de quoi vivre. La pauvreté, le chômage, l’isolement et des capacités financières limitées sont quelques-unes des caractéristiques de ces communautés forestières. A partir des années 90, la raréfaction des ressources de la forêt, la protection accrue de l’environnement et le processus de mondialisation ont réduit considérablement la source de moyens d’existence dont elles étaient traditionnellement tributaires. A la recherche d’activités économiques susceptibles de combler ce déficit, certaines communautés ont commencé à étudier comment elles pourraient créer des moyens d’existence durables basés sur l’intendance des forêts, plutôt que sur l’extraction de leurs ressources. Elles ont donc cherché des modèles – qu’elles ont ­trouvés dans les efforts des communautés forestières des pays en développement.

La foresterie communautaire, qui permet aux populations locales d’intervenir dans la prise de décisions, de partager les bénéfices et de contribuer à la main-d’œuvre et au savoir-faire nécessaires pour la gestion de la forêt, est pratiquée depuis des dizaines d’années en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Ces spécialistes issus du monde en développement ont constitué pour les communautés forestières rurales américaines une précieuse source d’idées nouvelles. Des chercheurs américains, des représentants de fondations et d’anciens volontaires du Corps de la paix ont mis leur expérience internationale au service des communautés aux Etats-Unis. Pour les populations locales, le contact direct avec des spécialistes de la foresterie communautaire venant de pays en développement a été particulièrement important. Des forestiers, des activistes et des fonctionnaires gouvernementaux venus de pays comme la Chine, l’Inde et le Mozambique ont visité des projets de foresterie communautaire mis en œuvre aux Etats-Unis, offrant aux résidents une nouvelle perspective et inspiration. Les experts californiens en foresterie communautaire sont en contact avec leurs homologues aux Philippines et au Zimbabwe pour la mise en commun des expériences. Plusieurs Américains ont participé à la Conférence internationale de 2001 pour la promotion de la foresterie communautaire, organisée en Thaïlande, afin de tirer des leçons de l’expérience des 300 participants venus de 28 autres pays, principalement d’Asie. Les enseignements ainsi rapportés aux Etats-Unis montrent l’existence d’enjeux communs, concernant notamment le renforcement des capacités, le développement de microentreprises forestières et des accords de collaboration efficaces.

Le mouvement américain de la foresterie communautaire est en expansion et se rattache à d’autres initiatives engagées dans le pays et dans le reste du monde. Ses stratégies et les succès remportés doivent beaucoup aux pays en développement.

Conversion des forêts à l’agriculture

Entre 1700 et 1980, le couvert forestier de la planète a diminué de 19 pour cent, tandis que la superficie des terres agricoles augmentait de quatre fois et demie (Richards, 1990). Les éléments moteurs de cette conversion ont été le captage des revenus forestiers (utilisation de possibilités économiques inexploitées), les intérêts commerciaux liés à l’établissement d’un commerce des produits agricoles, et la conversion des terres forestières à l’agriculture. Les petits exploitants ruraux ont été eux aussi bénéficiaires de ce processus. La conversion des forêts naturelles à l’agriculture – c’est-à-dire l’exploitation de la fonction d’enrichissement du sol en éléments nutritifs des forêts – est probablement leur principale contribution à la lutte contre la pauvreté en termes numériques, car des centaines de millions de personnes en ont sans doute bénéficié au travers de l’histoire. Là où les petits exploitants entrent en jeu, la conversion des forêts naturelles peut être soit temporaire avec les systèmes de culture itinérante, soit permanente avec l’agriculture sédentaire.

La poussée démographique dans les pays en développement et la demande croissante de terres sont parmi les forces motrices de la conversion des forêts. Selon la FAO (1995), la superficie des terres agricoles dans les pays en développement, Chine exclue, devra passer de 760 millions à 850 millions d’hectares d’ici à 2010 pour satisfaire la demande alimentaire. Dyson (1996) et Evans (1998) affirment que les terres potentiellement cultivables abondent et qu’il n’y a en théorie aucune contrainte en termes d’approvisionnement. Evans (1998) explique toutefois que la plupart des terres actuellement cultivables sont déjà utilisées pour le pâturage du bétail ou sont de qualité médiocre, trop reculées ou fractionnées pour être rentables, exposées à l’érosion, ou encore préférées dans leur état actuel. Les conséquences d’un défrichage de toutes les terres cultivables disponibles pour satisfaire la demande sont potentiellement désastreuses. Les augmentations futures de la demande alimentaire devront être satisfaites principalement par une utilisation plus efficace des terres agricoles existantes (Dyson, 1996; Rosegrant et al., 2001). Certains modes d’utilisation transitoire du sol, comme les systèmes agroforestiers complexes, les cultures arbustives et les arbres épars sur des terres cultivées, peuvent potentiellement contribuer à la lutte contre la pauvreté tout en préservant les forêts. Toutefois, les solutions où tout le monde y gagne sont rares, et des compromis doivent être faits pour empêcher la disparition des forêts (Tomich et al., 2001; Lee, Ferraro et Barrett, 2001).

Au niveau local, les facteurs qui entravent le défrichage de vastes étendues de forêt à des fins agricoles sont que certaines terres forestières ont un sol de qualité médiocre ou sont situées dans des zones sujettes à l’érosion. En outre, un déboisement permanent signifie la perte de la fonction de filet de sécurité et de production de revenus exercée par les forêts. A l’échelle mondiale, les facteurs susceptibles de mettre un frein au déboisement sont notamment les conséquences d’une capacité amoindrie de piégeage du carbone, ainsi que la perte d’habitat et de diversité biologique.

Produits ligneux

Dans de la plupart des forêts, le bois est de loin le produit qui a la plus grande valeur. En 1998, les exportations de bois rond industriel, de sciages et de panneaux dérivés du bois, en provenance des pays en développement, ont représenté 10,4 milliards de dollars EU (FAO, 2001a). (Ce chiffre ne tient compte ni du bois de feu, ni de la pâte à papier, du papier et du carton. Il sous-estime aussi considérablement la valeur totale du bois d’œuvre, dont la plus grande partie en volume fait l’objet d’échanges au sein des pays et non pas sur le marché international.) Avec un tel patrimoine entreposé dans les forêts du monde en développement, on se demande pourquoi ces richesses ont si peu contribué à réduire la pauvreté des populations qui vivent en leur sein. Il y a deux raisons à cela.

Tout d’abord, tant la récolte de bois dans les forêts naturelles que l’arboriculture ont des caractéristiques qui ne favorisent pas les populations pauvres. Bien que le processus de production et de transformation du bois soit parfois à faible échelle et axé sur les marchés locaux, il s’agit toutefois le plus souvent d’opérations à forte intensité de capital, de technologie et de savoir-faire, qui tendent à demander des économies d’échelle importantes et visent des marchés de la consommation spécialisés. La culture des arbres pour la production de bois exige une sécurité d’occupation du sol, tandis que les populations pauvres sont souvent dépourvues de terres ou n’exercent qu’un pouvoir informel sur les terres qu’elles utilisent. Le bois de grande valeur tend à se trouver dans des forêts humides inaccessibles, alors que les populations pauvres sont plutôt concentrées dans les forêts sèches. L’arboriculture requiert des investissements de longue durée et à haut risque, tandis que les pauvres ont besoin de revenus à court terme et s’efforcent de réduire les risques au minimum. Toutefois, de nombreuses familles rurales pauvres qui possèdent des terres dans des zones agricoles établies plantent des arbres.

Ensuite, certaines populations pauvres n’ont pas accès au patrimoine que constitue le bois, justement parce que la valeur même de ce bois est trop élevée et qu’elles sont privées de pouvoir (voir Peluso, 1992). Dans bien des pays, le régime foncier, les lois et les règlements relatifs aux forêts ont été conçus expressément d’une part pour garantir le contrôle de l’Etat, les détenteurs de concessions forestières bénéficiant alors d’un accès privilégié, et d’autre part pour éviter toute interférence et contre-appropriation de la part des ruraux pauvres. La situation n’a commencé à évoluer que ces dernières années.

Deux modèles de production de bois – la gestion locale des forêts naturelles et l’arboriculture à petite échelle – ont la capacité potentielle de réduire la pauvreté, mais ils s’accompagnent d’obstacles non négligeables. La gestion locale des forêts naturelles est entravée par la faiblesse et le caractère peu évolutif des institutions, la monopolisation des revenus forestiers par les élites locales, l’incompatibilité des lois et des règlements et le poids de la bureaucratie. De plus, les communautés ont un contrôle insuffisant sur les activités en aval, et la plupart des revenus forestiers sont accaparés par ceux qui interviennent dans le processus de transformation et de commercialisation. Bien que l’utilisation des arbres à des fins de subsistance, pour le bois de feu notamment, soit une fonction importante, la surexploitation est fréquente (par exemple, Rathore, Sigh et Singh, 1995; Schulte-Bisping, Bredemeier et Beese, 1999). L’arboriculture à petite échelle a la capacité potentielle de produire des revenus importants, mais elle suppose un accès aux terres et une sécurité d’occupation dont les populations les plus démunies sont généralement privées.

Produits forestiers non ligneux

Les PFNL fournissent une vaste gamme de biens pour l’utilisation domestique et pour le marché, notamment du gibier, des fruits, des noix, des herbes médicinales, du fourrage et du chaume. Contrairement au bois, ces produits ne requièrent généralement aucun ou peu d’investissements, et ils tendent à être disponibles dans des conditions d’accès libre ou semi-libre. Les populations pauvres en utilisent d’ordinaire divers types et sont donc en mesure de répartir les risques entre les différentes activités. Il est largement prouvé que les populations les plus démunies de la planète sont celles qui se consacrent le plus souvent à la récolte des PFNL. La question est donc de savoir si ces produits contribuent efficacement aux moyens d’existence des pauvres.

Dans une perspective positive, les PFNL peuvent être considérés comme un filet de sécurité. En période de privation, ils constituent une source de subsistance d’urgence – par exemple, en cas de mauvaise récolte ou de crise économique, en temps de conflit ou de guerre, ou lorsque les foyers sont détruits par des inondations. Les PFNL tendent à être saisonniers ou à combler des déficits; ils constituent parfois une forme d’épargne, mais représentent rarement la source de revenu principale du ménage (Byron et Arnold, 1999; FAO, 2001b), bien qu’il y ait des exceptions notables.

Les PFNL peuvent également enclencher un engrenage de la pauvreté. Les populations rurales en sont tributaires parce qu’elles sont pauvres, mais il est possible aussi qu’elles soient pauvres justement parce qu’elles dépendent de ces produits et d’activités économiques peu rémunératrices. Certaines caractéristiques du milieu forestier et de l’économie des PFNL rendent difficile, voire impossible, pour ceux dont la subsistance en dépend, d’échapper à la pauvreté. Les forêts naturelles sont souvent des milieux de production inférieurs faiblement dotés en infrastructures, comportant des coûts de transport élevés du fait de leur éloignement, et pouvant compter sur un nombre limité d’acheteurs et de circuits commerciaux. Les bénéfices nets des PFNL sont souvent trop faibles pour rationaliser les droits de propriété, de sorte qu’ils n’incitent pas à investir et à accroître les rendements. Dans les quelques cas où les PFNL sont des produits de grande valeur, les pauvres n’y ont pas accès (Dove, 1993). Enfin, un accroissement durable de la demande concernant les PFNL peut se traduire par l’effondrement de la base de ressource, par une production intensive dans des plantations hors forêts ou encore par la production de produits de synthèse plus concurrentiels que les PFNL (Homma, 1992).

Les deux caractéristiques des PFNL, celles de filet de sécurité et d’engrenage de la pauvreté, sont liées, dans la mesure où les aspects qui rendent ces produits intéressants pour les pauvres limitent également leur capacité potentielle d’accroître leurs revenus. La question clé est de savoir comment préserver le rôle des forêts en tant que filet de sécurité là où elles représentent plus qu’un engrenage sans issue de la pauvreté, et où d’autres formes d’assurance sociale ne peuvent les remplacer.

Les forêts servent de filet de
sécurité: une jeune agricultrice du
Burkina Faso cueille des feuilles de
baobab
(Adansonia digitata), pour
les utiliser comme condiment

UNITé DE LA FORESTERIE COMMUNAUTAIRE
DE LA FAO/CFU000104/R. FAIDUTTI

Services environnementaux

Les services écologiques des forêts jouent un double rôle dans la lutte contre la pauvreté. Tout d’abord, les forêts apportent des bénéfices directs à leurs habitants et aux populations voisines. Ensuite, les populations qui vivent au cœur ou à proximité de forêts dont elles ont la propriété ou dont elles assurent la gestion peuvent recevoir des paiements de transfert en rétribution des services non locaux qu’elles fournissent.

Les habitants de la forêt peuvent tirer des avantages directs du maintien en bonne santé des écosystèmes forestiers. Ainsi, des forêts saines peuvent préserver la quantité et la qualité des réserves d’eau (WRI, 2000) et, dans les systèmes agroforestiers, maintenir ou accroître la production agricole en rétablissant la fertilité des sols (Sanchez, Buresh et Leakey, 1997). La diversité biologique des forêts peut également fournir divers bienfaits écologiques, notamment du matériel génétique pour l’amélioration des cultures. L’utilisation directe des services environnementaux de la forêt est en relation avec la fonction que celle-ci exerce dans la lutte contre la pauvreté.

La présente section met l’accent sur les paiements de transfert, par lesquels des utilisateurs externes rétribuent les habitants de la forêt, afin qu’ils préservent les services écologiques de certaines forêts. Ces paiements pourraient améliorer les moyens d’existence des populations forestières et contribuer à éliminer la pauvreté. Toutefois, si les bénéfices potentiels sont immenses, les problèmes attachés à la mise en œuvre de ces mécanismes demeurent eux aussi considérables.

Les projets de piégeage et de stockage du carbone cherchent à atténuer la contribution des forêts au réchauffement de la planète, soit en freinant la dégradation et le défrichage des forêts, soit en favorisant le reboisement, soit encore par une association des deux approches. Jusqu’à présent, 30 programmes de contrepartie de la fixation du carbone ont été mis au point, mais les sceptiques en soulignent les coûts de transaction et les économies d’échelle élevés qui limitent la participation des démunis (Bass et al., 2000; Smith et al., 2000). Le Mécanisme pour un développement propre du Protocole de Kyoto doit prévoir des mesures de sauvegarde pour éviter les risques pour les moyens d’existence locaux, et des mécanismes d’incitation pour renforcer les bienfaits sociaux des projets forestiers (Smith et Scherr, 2002).

A partir des années 70, des projets intégrés de conservation et de développement ont cherché à protéger les habitats forestiers et la diversité biologique des forêts, tout en renforçant les moyens d’existence. La plupart d’entre eux n’ont pas atteint leurs objectifs, surtout quant à la conservation (Wells et Brandon, 1992; Gilmour, 1994). Le principal problème est que les emplois créés par le biais de ces projets ne parviennent pas nécessairement à réduire les facteurs qui incitent à pratiquer le défrichage illicite de la forêt ou qui permettent de le faire. En réalité, ces programmes peuvent assouplir les contraintes financières et permettre aux agriculteurs de convertir davantage de forêts à l’agriculture (Wunder, 2001). Une autre possibilité est de rétribuer directement les populations pour les services écologiques qu’elles préservent, un outil qui est actuellement mis au point.

Des mécanismes de paiement ont été mis en œuvre, principalement en Amérique latine, pour indemniser les propriétaires forestiers en amont pour la protection des services hydrologiques. Par exemple, des paiements ont été demandés aux centrales hydroélectriques, aux consommateurs d’eau potable et aux usagers des réseaux d’irrigation en Colombie, au Costa Rica et en Equateur (Pagiola, 2001), tandis qu’au Brésil des municipalités riches en forêts ont bénéficié d’avantages fiscaux (Grieg-Gran, 2000). On ignore encore quels sont les effets de ces mécanismes sur les conditions de vie. Landell-Mills et Porras (2002) affirment que les principaux obstacles rencontrés par les populations pauvres dans les programmes de protection des bassins versants sont le manque de pouvoir de négociation et l’accès insuffisant aux marchés.

Alors que les compagnies de tourisme tirent des programmes d’écotourisme forestier des avantages hors de proportion, il est prouvé que même des transferts de fonds effectifs minimes par touriste, au titre d’un tourisme écologique, peuvent être particulièrement profitables aux populations locales. On peut citer en exemple le projet CAMPFIRE réalisé au Zimbabwe (Zimbabwe Trust, Department of National Parks and Wildlife Management, et CAMPFIRE Association, 1994), le projet mis en œuvre au Népal pour la protection de la région de l’Annapurna (Gurung et Coursey, 1994), les opérations d’écotourisme international menées en Equateur (Wunder, 1999) et le tourisme sous contrôle national dans les zones forestières du Brésil (Wunder, 2000).

Emploi et bénéfices indirects

On a très peu d’informations concernant la réduction de la pauvreté par le biais de l’emploi formel ou informel dans le secteur forestier, et au moyen des bénéfices indirects, tels que les effets multiplicateurs au niveau local ou les effets de retombée. Les éléments concrets disponibles étant limités, la présente section ne donne que des informations de base sur ces divers aspects.

Emploi. A la fin des années 90, le secteur forestier formel employait quelque 17,4 millions de personnes dans le monde entier, et environ 47 millions si l’on tenait compte des emplois informels (OIT, 2001). Cette estimation de l’emploi dans le secteur forestier englobe la foresterie (y compris l’abattage), les industrie du bois (ameublement compris) et les pâtes et papiers, mais elle ne tient pas compte des travailleurs dans les services forestiers gouvernementaux et de tous ceux qui travaillent dans le domaine du transport, de la commercialisation et du commerce des produits forestiers sans toutefois être employés par l’industrie forestière. Une étude portant sur six pays en développement a montré que les entreprises forestières représentaient entre 13 et 35 pour cent de l’emploi total créé par les petites entreprises rurales (FAO, 1987).

Effets multiplicateurs au niveau local. Il est possible que les activités forestières atténuent la pauvreté du fait de leurs effets de multiplication au niveau local. Par exemple, l’ouverture d’une concession forestière et le recrutement de main-d’œuvre pour son exploitation créent une demande de produits alimentaires, de biens et de services, ainsi que des occasions d’emploi. De même, la réalisation d’un chemin d’exploitation pour le transport des grumes permet aussi aux populations locales d’accéder à des services de santé et d’éducation extérieurs. Il faut toutefois en considérer également les effets négatifs, notamment la diminution de la production de PFNL dans les forêts exploitées, les conflits avec les compagnies forestières et les bouleversements résultant de la fin de l’essor économique une fois l’exploitation terminée.

Effets de retombée. On en sait encore trop peu sur la mesure dans laquelle la foresterie contribue à la lutte contre la pauvreté de par son impact sur la croissance économique générale, ou en ce qui concerne la possibilité que des produits forestiers rendus plus économiques par un meilleur approvisionnement des marchés améliorent les conditions économiques des consommateurs urbains. La contribution du secteur forestier au produit intérieur brut (PIB) tend à être faible dans la plupart des pays en développement. Il convient toutefois de signaler que les chiffres relatifs à la valeur ­ajoutée du secteur forestier en sous-estiment considérablement le total, dans la mesure où une grande partie des produits forestiers ne sont pas comptabilisés car ils sont utilisés à des fins de subsistance ou comme monnaie d’échange sur les marchés locaux. Par ailleurs, la faible contribution du secteur au PIB reflète tout simplement le fait que, dans bien des cas, les produits forestiers ne sont pas rares et sont donc peu coûteux (Simpson, 1999). Cela étant, bien que le patrimoine ligneux ne représente souvent qu’une petite partie du PIB, il tend toutefois à jouer un rôle important dans le développement économique, le capital provenant des ressources en bois écoulées étant utilisé pour mettre en place des activités économiques en dehors du secteur forestier.

CONDITIONS FAVORABLES ET STRATÉGIES

Cette section dégage les récentes tendances et présente les stratégies susceptibles de renforcer les potentialités des forêts dans ce domaine.

Conditions favorables

Les nouvelles tendances socioéconomiques, politiques et environnementales indiquées ci-après pourraient permettre de renforcer le rôle des forêts dans la lutte contre la pauvreté. Elles ne garantissent toutefois pas des résultats positifs. Pour que les forêts puissent avoir une action véritablement efficace, des efforts réfléchis et spécifiques sont nécessaires.

Décentralisation. Un processus de décentralisation des pouvoirs et du contrôle des ressources est désormais engagé dans de nombreux pays en développement.
La décentralisation accroît – mais ne garantit aucunement – la possibilité d’un meilleur accès des populations locales aux revenus forestiers. Dans certains cas décevants, elle n’a donné lieu qu’à une simple modification des mécanismes d’exclusion des pauvres.

Evolution du régime d’occupation des forêts. A la suite d’une redistribution à grande échelle des ressources forestières dans les pays en développement, désormais 22 pour cent de la superficie forestière totale appartiennent ou sont réservés, dans ces pays, aux communautés et aux groupes autochtones (Scherr, White et Kaimowitz, 2002; White et Martin, 2002). Là encore, cela ne garantit pas une réduction de la pauvreté, mais les chances sont peut-être plus grandes.

Démocratisation. Le processus de démocratisation observé dans bien des pays en développement renforce potentiellement le pouvoir de négociation des communautés rurales vis-à-vis de l’Etat et des grandes entreprises. En Indonésie, par exemple, les villageois ruraux sont désormais plus libres de réclamer des terres et des ressources forestières qu’ils ne l’étaient ces 30 dernières années.

Campagnes anticorruption. La corruption dans le secteur forestier tend à nuire aux intérêts des pauvres (par exemple Hill, 2000). Avec la démocratisation, les campagnes anticorruption peuvent donner aux ruraux pauvres la possibilité d’obtenir une part plus importante des richesses de la forêt.

Désistement des concessionnaires forestiers. Dans de nombreux pays, après avoir surexploité les forêts, les détenteurs des droits de coupe ne renouvellent pas leurs concessions. Leur désistement offre aux communautés forestières la possibilité d’entrer en jeu et de réclamer des droits d’accès avant la maturation des tiges d’essences commercialisables.

Expansion des marchés. Les marchés urbains en rapide expansion offrent aux petits exploitants, et surtout à ceux qui vivent dans les zones périurbaines, de nouvelles possibilités de commercialisation des produits de la forêt. La raréfaction de certains de ces produits, par exemple du bois de feu, rend leur production à la ferme plus rentable.

Déréglementation et libéralisation du marché. La déréglementation et la libéralisation du marché peuvent contribuer de deux façons à la lutte contre la pauvreté axée sur la forêt. Tout d’abord, elles peuvent favoriser l’élimination des réglementations qui freinent l’arboriculture au niveau des exploitations. (Dans le passé, la culture des arbres a fait l’objet de réglementations plus strictes que les cultures agricoles annuelles). Ensuite, elles peuvent donner lieu à une réforme des réglementations régissant le commerce forestier qui tendaient à avoir un effet discriminatoire sur les petits producteurs. Toutefois, la libéralisation des échanges ne favorise pas toujours les intérêts des populations pauvres, et des monopoles privés peuvent facilement se substituer à ceux de l’Etat. Une intervention gouvernementale est donc nécessaire pour protéger les populations vulnérables contre les effets négatifs de ce processus (J. Mayers et S. Vermeulen, inédit).

Nouvelles technologies. Les petites scieries mobiles qui requièrent des investissements moins importants devraient favoriser un système de production plus décentralisé pour le bois de sciage, ce qui devrait en principe faciliter la participation des entrepreneurs locaux. L’évolution technologique dans l’industrie du contreplaqué rend possible l’utilisation d’arbres de diamètre plus réduit et d’un plus grand nombre d’essences. Cela pourrait accroître la valeur commerciale des forêts moins prisées qui étaient, du moins dans le passé, sous le contrôle des communautés locales. Toutefois, il existe le risque que les technologies qui rendent commercialement rentable l’exploitation de nouvelles zones et de nouvelles essences accélèrent le déboisement.

Augmentation des menaces pour l’environnement à l’échelle de la planète. Les menaces de plus en plus importantes que représentent le réchauffement de la planète et la perte de diversité biologique font que les pays développés voudront probablement compenser les habitants des forêts, dans le monde en développement, pour les services environnementaux rendus à travers le piégeage du carbone et les concessions écologiques.

Stratégies

Les six stratégies suivantes sont parmi les plus prometteuses quant à leur contribution à la lutte contre la pauvreté.

Foresterie au service de l’individu. Une meilleure utilisation des ressources forestières dans le but de réduire la pauvreté demande avant tout une foresterie qui soit au service de l’individu (FAO et DFID, 2001; Warner, 2000). Concrètement, cela signifie que, dans les régions boisées, les défavorisés doivent avoir davantage voix au chapitre dans la détermination de leur destinée et de leurs moyens d’existence. Là où les forêts demeurent l’élément de base des moyens d’existence, les populations locales devraient être les premières concernées, et le principal objectif de la gestion des forêts devrait être d’apporter une réponse durable à leurs besoins (Warner, 2000). Comme l’explique Peluso (1999), les relations entre les individus sont tout aussi importantes pour comprendre leur mode d’utilisation de la forêt que leurs activités directes de gestion forestière. Etant donné que l’origine des conflits est généralement l’accès aux ressources forestières, les politiques devraient expressément reconnaître la nécessité d’une intervention pour défendre les intérêts de ceux qui sont dénués d’autorité.

Elimination des obstacles liés au régime foncier et aux réglementations. Une stratégie d’exploitation des forêts au profit des défavorisés, prévoit le transfert (ou la restitution) des terres forestières domaniales aux autorités locales, afin que les populations locales aient la possibilité de passer des contrats commerciaux de longue durée (Scherr, White et Kaimowitz, 2002). L’élimination des réglementations abusives et des règlements qui exercent une discrimination à l’égard de la production artisanale et du commerce à petite échelle des produits forestiers est également importante (Scherr, White et Kaimowitz, 2002; Arnold, 2001; FAO et DFID, 2001). En règle générale, les populations devraient avoir la possibilité de décider de planter des arbres ou de couper du bois sur leurs propres terres. Si des plans de gestion sont vraiment nécessaires au nom de bénéfices extérieurs importants, ils devraient rester simples. Dans certains cas, les règlements conçus pour exclure les populations pauvres sont superflus, parce que les grandes compagnies ont surexploité la forêt et tiré tout le revenu possible du bois de grande valeur. Si les administrations locales sont inaptes ou corrompues, ou si les élites locales accaparent tous les bénéfices, la décentralisation des pouvoirs sur les ressources forestières pourrait ne pas être avantageuse pour les défavorisés. Toutefois, en cas de bonne gouvernance, le transfert de responsabilités peut leur être favorable.

Renforcement des accords de commercialisation. Les politiques commerciales forestières qui subventionnent ou réservent un accès privilégié aux gros producteurs et aux entreprises de transformation à grande échelle doivent être éliminées, pour laisser place à des règles du jeu équitables pour les petits producteurs (Scherr, White et Kaimowitz, 2002; FAO et DFID, 2001). D’autres mesures peuvent permettre de corriger les injustices, notamment l’élimination des accords de crédit à clause restrictive et des conditions prévoyant un volume minimal ou une superficie minimale; l’établissement de parcs de triage spéciaux et de services fournissant des informations sur les prix et les marchés; et la promotion d’une participation active des producteurs locaux aux négociations de politique générale influant sur les marchés forestiers (Scherr, White et Kaimowitz, 2002). Les stratégies d’intervention doivent établir une distinction entre ceux qui participent aux activités forestières parce qu’ils n’ont pas d’autre source de revenus, et ceux qui exploitent des débouchés commerciaux (Arnold et Townson, 1998).

Le rôle des forêts et des arbres dans la réduction de la pauvreté Cortevecchia (Italie),
4-7 septembre 2001

Pour étudier plus à fond la façon dont les forêts et la foresterie peuvent contribuer à la réalisation des Objectifs de développement pour le millénaire des Nations Unies et ceux du Sommet mondial de l’alimentation, la FAO a organisé, avec l’appui du Département britannique du développement international (DFID), un forum international à l’occasion duquel une soixantaine de décideurs et de spécialistes se sont réunis pour déterminer comment les politiques, les lois et les programmes forestiers peuvent contribuer à la lutte contre la pauvreté. Les débats qui se sont déroulés ont permis de dresser un plan d’action en quatre grands volets.

RENFORCER LES DROITS, LES CAPACITÉS ET LA GOUVERNANCE

  • Accroître le pouvoir décisionnel des pauvres

  • Renforcer les droits des populations défavorisées sur les forêts et leur donner les moyens de les revendiquer

  • Reconnaître les liens entre la foresterie et la gouvernance locale

RÉDUIRE LA VULNÉRABILITÉ

  • Offrir des filets de sécurité, et non pas des pièges de la pauvreté

  • Promouvoir la plantation d’arbres hors des forêts

  • Alléger le fardeau de la réglementation pour les pauvres et rendre les règlements à la mesure de leurs moyens

SAISIR LES NOUVELLES OPPORTUNITÉS

  • Eliminer les obstacles à l’entrée sur le marché

  • Fonder les décisions concernant l’utilisation des terres sur la valeur réelle des forêts

  • Veiller à ce que les marchés des services environnementaux profitent aux populations pauvres

  • Soutenir les associations et le financement d’entreprises forestières locales

TRAVAILLER EN PARTENARIAT

  • Simplifier les politiques et favoriser les processus participatifs

  • Promouvoir un apprentissage et une action multisectoriels

  • Renforcer la collaboration interinstitutions

  • Faire participer les ONG et le secteur privé à la lutte contre la pauvreté

De plus amples informations sont disponibles sur Internet:
www.fao.org/forestry/fon/fonp/cfu/brochure/brochure.stm

Partenariats. L’établissement de partenariats plus étroits entre les petits exploitants ou les communautés et les grandes entreprises commerciales, comme dans le cas des programmes en faveur des petits planteurs, constituerait un important pas en avant. Un véritable partenariat entre les populations pauvres et le secteur privé doit reposer sur les avantages comparatifs de chaque groupe. Les démunis peuvent fournir une main-d’œuvre à bon marché et des terres, tandis que les compagnies ont un meilleur accès aux capitaux, au savoir-faire, à la technologie et aux marchés. Mayers (2000) et Desmond et Race (2001) font le point des leçons tirées dans le cadre d’arrangements de ce type. Les partenariats authentiques garantissent des obligations contractuelles solides entre les communautés et les compagnies forestières, c’est-à-dire que les communautés en tirent un rendement économique adéquat, tandis que les compagnies ont un approvisionnement en bois assuré. Le pouvoir de négociation des individus et des communautés est souvent faible, et les associations de producteurs ainsi que les nouveaux débouchés commerciaux contribuent à le renforcer. Les ONG ont un rôle essentiel à jouer pour le renforcement du pouvoir de négociation des paysans forestiers et des associations de producteurs, en garantissant la transparence du processus de passation de contrat et en favorisant la circulation de l’information. L’Etat est également un acteur important, puisqu’un environnement propice est nécessaire pour que de véritables partenariats puissent prendre pied.

Nouvelle conception des paiements de transfert. L’absence de tout statut d’occupation garanti et les coûts de transaction élevés des contrats avec les petits exploitants ne favorisent pas la participation des pauvres à des accords de compensation pour la fourniture de services environnementaux. De plus, bon nombre de ces populations ne sont même pas au courant de ces possibilités de gain et n’ont pas d’avocats pour agir en leur nom. Etant donné qu’elles contrôlent une part de plus en plus importante des terres forestières tropicales, il est essentiel de faire intervenir ces populations si l’on veut atteindre les objectifs d’atténuation des changements climatiques. Une stratégie consiste à indemniser les gouvernements pour la non-exploitation de certaines régions (concessions écologiques). Une autre est de rétribuer les populations locales pour ne pas déboiser et pour sauvegarder la diversité biologique des forêts sur leurs terres (servitudes écologiques). En vertu de ces arrangements, des paiements directs sont effectués sur la base de la qualité contrôlée des ressources forestières. La mise en réserve de certaines zones selon les modalités indiquées est encore en voie d’expérimentation, mais son application se répand rapidement en raison de l’augmentation de la demande pour ces services (Ferraro, 2000; Cutter Information Corporation, 2000). Des recherches stratégiques sont nécessaires pour améliorer les initiatives de paiement de transfert (Gutman, 2001).

Intégration de la foresterie dans les stratégies de développement rural et de réduction de la pauvreté. L’élimination de la pauvreté dans les régions boisées ne concerne pas le seul secteur forestier, mais fait également intervenir ceux de l’agriculture, de la santé et de l’éducation. La lutte contre la pauvreté axée sur la forêt doit s’inscrire dans une stratégie globale de développement rural et ne peut être menée isolément. En outre, les efforts déployés dans d’autres secteurs doivent tenir compte de la fonction que les forêts exercent aujourd’hui aux fins de l’atténuation de la pauvreté ou pour l’éviter, et du rôle potentiellement plus important qu’elles peuvent jouer dans sa réduction. Aux niveaux national et local, les forêts doivent être considérées comme un atout essentiel pour combattre la pauvreté (Gordon, Berry et Schmidt, 1999). Une première étape fondamentale est la révision des stratégies nationales de lutte contre la pauvreté, afin que celles-ci reconnaissent, s’il y a lieu, l’importance de la forêt et prévoient des mesures comme celles proposées ici.

RÉCAPITULATIF ET CONCLUSION

Au début du XXIe siècle, la pauvreté demeure un problème aux proportions énormes, si l’on considère que 1,2 milliard de personnes, concentrées principalement dans les pays en développement, disposent de moins de 1 dollar EU par jour pour vivre (Banque mondiale, 2001). Dans de telles circonstances, il est important d’unir les forces pour relever ce défi moral, et de réfléchir à la contribution potentielle du secteur forestier à la lutte contre la pauvreté.

Le présent chapitre établit une distinction entre les deux façons dont les forêts contribuent à réduire la pauvreté. D’une part, les ressources forestières aident les populations défavorisées à éviter la pauvreté ou à l’atténuer lorsqu’elles en sont victimes. Les PFNL jouent à cet égard un rôle particulier mais ambigu, car si leur relative accessibilité et leurs faibles besoins en capital en font de précieux filets de sécurité, ces mêmes qualités peuvent les transformer en véritables pièges de la pauvreté. D’autre part, les forêts peuvent aider les populations à sortir de la pauvreté. Cette capacité potentielle reste souvent latente parce que le bois de valeur tend à attirer des compétiteurs puissants et que certaines des caractéristiques mêmes de ce bois le rendent relativement inaccessible aux plus démunis.

Diverses utilisations de la forêt favorisent et entravent à la fois la lutte contre la pauvreté. Neuf types d’orientations sociopolitiques sont susceptibles de contribuer à un renforcement du rôle des forêts à l’avenir, sans toutefois le garantir: la décentralisation; la sécurisation du régime d’occupation des forêts; la démocratisation; une meilleure gouvernance; la surexploitation et le désistement des concessionnaires; la croissance des marchés urbains; la déréglementation et la libéralisation du marché; les nouvelles technologies; et une volonté accrue de rétribuer les services environnementaux.

La lutte contre la pauvreté est plus efficace si elle repose sur des réformes stratégiques. Une stratégie de réduction de la pauvreté axée sur la forêt devrait comporter les éléments suivants: établissement d’un programme d’action en faveur des individus; élimination des obstacles tenant au régime foncier et aux réglementations; renforcement des accords de commercialisation en faveur des populations marginalisées; création de partenariats entre les populations pauvres et les entreprises forestières; nouvelle conception des paiements de transfert; et intégration des efforts de lutte contre la pauvreté axés sur la forêt dans les stratégies de développement rural et de réduction de la pauvreté.

En conclusion, trois points méritent d’être soulignés. Il convient tout d’abord de noter l’attention dont les forêts et la pauvreté font l’objet ces derniers temps. Dans les années 60, on estimait que les forêts pouvaient jouer un rôle clé dans la lutte contre la pauvreté dans les pays en développement. Dans les années 80, il a malheureusement fallu constater que les prévisions des années 60 avaient été trop optimistes (Westoby, 1987). A l’aube du nouveau millénaire, la question fait l’objet d’un regain d’attention, tandis que l’on préconise à nouveau une foresterie au service des individus. Si certaines conditions favorables semblent justifier quelque optimisme, il est cependant peu probable que les populations pauvres en tirent des bénéfices importants tant qu’elles n’auront pas acquis le pouvoir et l’influence politiques qui leur manquent aujourd’hui.

Ensuite, les forêts naturelles sont gravement menacées dans l’ensemble du monde en développement, et les populations défavorisées qui en sont lourdement tributaires seront les plus touchées par leur disparition et leur dégradation sous l’effet de facteurs extérieurs. Les implications pratiques d’un tel état de fait sont que l’équité et la justice sociale doivent être considérées comme des raisons supplémentaires de préserver la forêt naturelle, et que les populations qui dépendent de la forêt constituent un élément potentiellement important dans la mobilisation en faveur de la conservation des forêts. Dans certains cas, donner aux populations pauvres la possibilité de se faire mieux entendre contribue non seulement à l’objectif de réduction de la pauvreté, mais aussi à la conservation des forêts.

Enfin, il est important de reconnaître que l’on en sait encore peu sur les liens entre les ressources forestières et les moyens d’existence ruraux. Approfondir ces connaissances est essentiel pour mettre au point des programmes de lutte contre la pauvreté axés sur la forêt qui soient efficaces, équitables et durables. Il est nécessaire en particulier de mieux comprendre trois points: comment les forêts exercent leur fonction de filet de sécurité, comment accroître les revenus tirés de la forêt et quelle est l’importance des enjeux transversaux et des tendances politiques.

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