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Chapitre 1
Tendances générales de la séquestration du carbone dans les sols

Il est devenu évident que 1'augmentation des gaz à effet de serre (GES) dans l'atmosphère et le changement climatique qui en résulte auront des effets majeurs au 21ème siècle. Même si les scénarios exacts sont encore incertains, on prévoit des effets négatifs sérieux et il est essentiel que plusieurs actions soient entreprises afin de réduire les émissions de GES et d'augmenter leur séquestration. A ce propos, des nouvelles stratégies et des politiques appropriées pour la gestion de l'agriculture et de la sylviculture doivent être développées. Une option concerne la séquestration du carbone dans les sols ou la biomasse terrestre, en particulier les sols utilisés pour l'agriculture ou la sylviculture. Depuis le protocole de Kyoto, c'est ce que l'on dénomme l'utilisation des terres, le changement d'utilisation des terres et la foresterie (LULUCF) et cela concerne les articles 3.3 et 3.4 du Protocole (IPCC, 2000).

On peut penser que la prise de mesures sur la séquestration du carbone selon le protocole de Kyoto stimulera non seulement des changements importants dans la gestion du sol, mais aura aussi, par l'augmentation de la teneur en matière organique, des effets directs sensibles sur les propriétés du sol et un impact positif sur les qualités environnementales ou agricoles et la biodiversité. Les conséquences incluront une fertilité du sol accrue, et une augmentation de la productivité du sol pour la production des aliments et la sécurité alimentaire. Cet instrument économique rendra aussi plus durables les pratiques agricoles et aidera à prévenir ou à atténuer la dégradation des ressources en sol.

Figure 1

Le cycle du carbone terrestre: le carbone du sol et le budget mondial du carbone d'après le Programme International Géosphère Biosphère (IGBP,1998) et (IPCC, 2000)

Carbone et matière organique dans le sol

Rôle des sols dans le cycle du carbone

Le cycle du carbone terrestre est illustré par la Figure 1. Dans ce cycle, le carbone organique du sol représente le plus grand réservoir en interaction avec l'atmosphère et est estimé par entre 1 500 et 2 000 Pg C à 1 m de profondeur (2 456 à 2 m de profondeur environ)1 . Le carbone inorganique représente à peu près 750 Pg, mais il est capturé dans des formes plus stables comme les carbonates. La végétation (650 Pg) et l'atmosphère (750 Pg) emmagasinent considérablement moins que les sols. Les flux entre le carbone terrestre ou le carbone organique du sol et l'atmosphère sont importants et peuvent être positifs (séquestration) ou négatifs (émission de CO2).

Historiquement, de grandes variations ont été notées. Houghton (1995) estime que les émissions correspondant au changement de l'utilisation du sol (déboisement et augmentation des pâturages et des terres cultivées) étaient autour de 120Pg de 1850 à 1990 (de 0,4 Pg/an en 1850 à 1,7 Pg/an en 1990), avec un dégagement net à l'atmosphère de 25 Pg. Selon l'IPCC (2000), la perte historique provenant des sols agricoles était de 50 Pg C pour le dernier demi-siècle, ce qui représente un tiers de la perte totale provenant du sol et de la végétation.

Dans le passé, le développement de l'agriculture a été la cause principale de l'augmentation du CO2 dans l'atmosphère, mais à l'heure actuelle la combustion du carbone fossile (6,5 Pg) par l'industrie et les transports représentent la contribution principale. Un point important à considérer est qu'à présent, même si la déforestation continue dans les régions tropicales (avec une émission de carbone estimée à environ 1,5 Pg/an), les autres flux sont positifs et autour de 1,8 à 2 Pg C/an sont séquestrés dans l'écosystème terrestre. Ceci représente ce qui est appelé le carbone manquant dans le cycle avec un puits qui peut être situé dans la partie septentrionale de l'hémisphère nord (Amérique du Nord) (Schindler, 1999).

Les principaux facteurs jouant sur l'évolution de la matière organique concernent la végétation (apport de résidus, composition de la plante), puis les facteurs climatiques (température/conditions d'humidité) et les propriétés des sols (texture, teneur en argile, minéralogie, acidité).

Les autres facteurs, relatifs à la fertilisation du sol (N,P,S), ou l'irrigation, ont un effet sur la production de la plante et donc sur la teneur en matière organique. Le taux de minéralisation de la matière organique dépend principalement de la température et de la disponibilité d'oxygène (drainage), de l'utilisation des terres, du système de culture, et de la gestion des sols et des cultures (Lal et al., 1995).Pour un sol déterminé soumis à une pratique constante, un pseudo équilibre est atteint pour le contenu en matière organique du sol après 30 ou 50 ans (Greenland, 1995). Dans le contexte de la lutte contre le réchauffement climatique et du protocole de Kyoto, une question importante est comment créer un puits de carbone important et bien quantifié dans les sols agricoles du monde entier? Une telle séquestration relèverait des articles 3.3 et 3.4 du protocole. Il aurait également des effets additionnels importants pour l'agriculture, l'environnement et la biodiversité.

Dynamique du carbone organique dans les sols

Le stock de carbone organique présent dans les sols naturels présente un équilibre dynamique entre les apports de débris végétaux et la perte due à leur décomposition (minéralisation, figure 2). Dans les conditions normales d'aérobie des sols, la majorité du carbone apporté est labile et seulement une petite fraction (1 pour cent) de ce qui entre dans le sol (55 Pg/an) s'accumule dans la fraction stable qu'est la fraction humique (0,4 Pg/an).

Figure 2

Modèle de la dynamique du carbone dans le sol (d'après Balesdent et al., 2000)

La matière organique du sol (MOS) a une composition très complexe et hétérogène et elle est le plus souvent mélangée ou associée aux constituants minéraux du sol. Une grande variété de méthodes ont été développées pour identifier parmi les différents constituants de la matière organique des sols des pools cinétiques, c'est-à-dire des pools ou des compartiments qui peuvent être définis par un temps de résidence déterminé du carbone. La séparation traditionnelle de la matière organique en fraction humique et fulvique, ne sépare pas des fractions qui ont des cycles différents (Balesdent, 1996). Des méthodes de séparation physique telles que le fractionnement en fonction de la dimension des particules, le fractionnement densimétrique ou le fractionnement selon la dimension des agrégats permet de séparer des fractions qui ont un sens cinétique (Feller et al., 1979 ; Balesdent, 1996). Parmi ces fractions, la matière organique particulaire a été identifiée comme une fraction très sensible à l'usage des terres (Cambardella, 1998; Gregorich et al., 1996). Des méthodes directes existent également pour déterminer la biomasse microbienne qui représente 1 à 5 pour cent de la matière organique totale et est un réservoir d'éléments nutritifs (N,P). C'est une fraction labile qui change avec la saison, mais a aussi une réponse rapide aux changements d' utilisation des terres.

Les méthodes isotopiques telles que la datation par le carbone 14, le carbone 13 ou l'abondance naturelle au carbone 13, sont très puissantes dans la mesure où elles permettent de mesurer le temps de résidence des matières organiques naturelles dans le sol. L'abondance naturelle C13 est utilisable pour des temps de résidence de l'année jusqu'au siècle, et la datation au C14 pour des périodes allant du siècle aux milliers d'années. Les deux méthodes peuvent être appliquées à des échantillons bruts aussi bien qu'à des fractions isolées des sols. Pour être utilisée, l'abondance naturelle C13 exige que le site ait subi un changement de végétation de plantes en C3 à des plantes en C4 ou vice versa.

Le grand avantage des méthodes isotopiques est de mesurer le cycle organique et d'en déduire directement le temps de résidence de différents compartiments. Quand il y a un changement important de la végétation (forêts, cultures ou pâturages), il est possible de suivre l'évolution des différents types de résidus des plantes (Cerri et al., 1995).

Les différents compartiments de C existant dans le sol ont différents temps de résidence qui peuvent aller d'un an à plusieurs années en fonction de la composition biochimique (la lignine est, par exemple plus stable que la cellulose) à des dizaines ou même des milliers d'années pour la fraction stable. Il y a aussi quelques relations avec la composition mais majoritairement avec le type de protection ou le type de liaison. Très souvent, en considérant le carbone stable, une distinction est faite entre la protection ou la séquestration physique ou chimique; physique signifie une encapsulation de fragments de matière organique par les particules d'argile ou les macro- ou micro-agrégats du sol (Figure 3) (Puget et al., 1995; Balesdent et al., 2000); chimique signifie des liaisons spécifiques de la matière organique avec d'autres constituants du sol (colloïdes ou argiles), mais le plus souvent cela concerne des composés organiques très stables. Toutefois, le terme général de séquestration qui est utilisé dans le Protocole de Kyoto, ne fait aucune différence et est équivalent au terme de stockage, quelle que soit la forme de carbone.

Les différents compartiments sont normalement sensibles à différents facteurs. Les particules de matière organique libre (+ biomasse microbienne) sont contrôlées par les apports de résidus végétaux et le climat. Les facteurs agronomiques (gestion) affectent la taille de ce compartiment (gestion des résidus de récolte ou du mulch). L'agrégation du sol, la texture, et la minéralogie contrôlent le carbone dans les macroagrégats.

Parmi les facteurs agronomiques, le labour a l'effet principal sur la taille de ce compartiment. Les autres compartiments ne sont pas très influencés par les facteurs agronomiques mais principalement par des facteurs pédologiques (microagrégation, composition de l'argile).

Les progrès sur la connaissance de la matière organique et la dynamique du carbone dans les sols sont nécessaires pour mieux gérer la séquestration du carbone.

Le rôle clé de la matière organique dans les sols

La matière organique du sol représente l'indicateur principal de la qualité des sols, à la fois pour des fonctions agricoles (c'est-à-dire la production et l'économie) et pour les fonctions environnementales (parmi elles la séquestration du carbone et la qualité de l'air).

La matière organique, est le principal déterminant de l'activité biologique. La quantité, la diversité et l'activité de la faune et des micro-organismes sont en relation directe avec la présence de la matière organique.

La matière organique et l'activité biologique qui en découle ont une influence majeure sur les propriétés physiques et chimiques des sols (Robert, 1996). L'agrégation et la stabilité de la structure du sol augmentent avec le contenu en carbone des sols. Les conséquences directes sur la dynamique de l'eau et la résistance à l'érosion par l'eau et le vent. Le carbone des sols affecte aussi la dynamique et la biodisponibilité des principaux éléments nutritifs.

Figure 3

Sites de la matière organique du sol dans la matrice du sol (Chenu, non publié); ePOM= particule de matière organique externe, iPOM= particule de matière organique interne

Gestion du carbone dans les sols arides et les zones tropicales

Ce rapport se concentre sur les sols arides et les zones tropicales, qui constituent la préoccupation principale des pays en voie de développement.

Les sols arides sont définis par un index d'aridité qui représente le ratio des précipitations par rapport au potentiel de l'évapotranspiration P/PET avec des valeurs < 0,05 pour les sols hyper-arides, <0,20 pour les sols arides et 0,20-0,50 pour les semi-arides. Ce sont les sols arides les plus caractéristiques, mais souvent la zone sèche humide (0,50-0,65) est aussi incluse (Middleton et Thomas, 1997). Les sols arides représentent à peu près 40 pour cent des terres du monde. La zone naturelle hyper-aride couvre à peu près 1 milliard d'hectares tandis que les zones arides, semi-arides et sub-humide sèches représentent 5,1 milliards d'hectares.

Même si la teneur en carbone et la capacité de fixation de CO2 par ha des sols arides sont basses, elles peuvent fournir une contribution importante à la séquestration du carbone mondial, tout en prévenant ou diminuant la désertification. Avec une définition aussi large, une grande partie des terres arides est incluse dans la zone tropicale définie comme une partie du monde entre les tropiques, représentant 37,2 pour cent de la surface des terres (4,9 milliards d'hectares). Ces terres peuvent être classées d'après leur type d'occupation.

Les sols cultivés représentent 0,75 milliards d'hectares dans la zone tempérée et 0,65 milliards d'hectares dans la zone tropicale. L'étendue totale potentiellement disponible pour les cultures (avec la production pluviale) serait de 2,6 milliards d'hectares, mais les forêts en couvrent une partie (1,7 milliards d'hectares) et une autre partie ne peut pas être effectivement utilisée à cause de contraintes sévères (Alexandratos, 1995). Les sols irrigués (0, 27 milliards d'hectares) sont inclus.

Les forêts tropicales couvrent des surfaces considérables. Elles représentent plus de deux milliards d'hectares et sont très importantes pour la santé de la planète. La majorité se trouve dans les pays en voie de développement. La meilleure solution serait de les protéger ou au moins d'assurer la meilleure gestion possible en particulier pour celles qui sont déjà dégradées (13 pour cent pour l'Amérique du Sud, 19 pour cent pour l'Afrique et 27 pour cent pour l'Asie); d' autres solutions seront proposées plus tard.

Les prairies permanentes et les pâturages extensifs (terres de parcours ou range-lands) couvrent plus de 3 milliards d'hectares dont la majorité se trouve dans les zones sèches ; l'état de dégradation de ces sols est estimé à 14 à 31 pour cent.

Selon l'évaluation mondiale de la dégradation du sol GLASOD, (Oldeman et al., 1991), les sols dégradés représentent une grande proportion des différents types de sol, quel que soit le genre d'occupation. Le total s'élève à 1965 millions d'hectares dans le monde, dont la plupart sont dans les zones tropicales et arides.

La dégradation physique et chimique, qui sont les principaux et premiers processus, ont très souvent pour résultat la dégradation biologique (Robert et Stengel, 1999). L'érosion par l'eau et par le vent sont de loin, quantitativement, les processus de dégradation les plus importants. Les principales causes sont le déboisement, le surpâturage et la gestion inappropriée du sol (tableau 1). La perte de matière organique n'a pas été identifiée comme un processus de dégradation spécifique, mais en gros, la moitié des sols chimiquement dégradés sont appauvris.

La teneur en matière organique du sol est généralement plus basse là où la dégradation est plus grave. Par conséquent, la quantité de carbone séquestré par le réaménagement des sols dégradés sera considérable. Pour les sols tropicaux, les sols dégradés représentent 45 à 65 pour cent, selon le continent. Cette situation fait espérer de très grandes possibilités de séquestration du carbone dans les sols tropicaux dégradés. Les bénéfices attendus comprendront les améliorations des propriétés chimiques, la biodisponibilité des éléments (une plus grande fertilité), et la réaction contre la dégradation physique, en particulier l'érosion. Par conséquent, la séquestration du carbone aidera à restaurer la qualité des sols dégradés.

Les écosystèmes forestiers: l'émission de CO2 et la séquestration de C dans les sols

Le stockage et la libération par les écosystèmes forestiers (au travers du reboisement, reforestation et déforestation) sont régis par l'article 3.3 du protocole de Kyoto. Toutefois, l'article 3.4 est concerné lorsque l'on considère la gestion des forêts dans les zones tropicales, à cause de l'interaction forte avec la séquestration du carbone dans les sols.

Les forêts couvrent 29 pour cent des terres et représentent 60 pour cent du carbone de la végétation terrestre. Le carbone emmagasiné dans les sols des forêts représente 35 pour cent du total de carbone présent dans les réservoirs du sol (1 500 Pg). Récemment, un bilan complet du carbone dans les forêts françaises a été entrepris (Dupouey et al., 1999). Cette étude couvrait 540 parcelles du réseau faisant le suivi des forêts européennes. Le total moyen de l'écosystème était de 137 t C/ha ; de ce total, le sol représente 51 pour cent, les débris 6 pour cent, les racines 6 pour cent. Ces statistiques sont très proches de celles données au dernier rapport de l'IPCC 2000 pour la forêt au Tennessee. Des données sont aussi fournies pour la forêt tropicale humide près de Manaus. Le carbone total dans ce système est plus élevé (447 t/ha) et il en est de même pour la réserve organique du sol (162 t, 36 pour cent du total) (figure 4).

Les écosystèmes forestiers contiennent plus de carbone par unité de surface que tout autre type d'utilisation du sol, et leurs sols, qui contiennent à peu près 40 pour cent du carbone total, sont d'une importance majeure lors de la considération de la gestion des forêts.

Tableau 1

Dégradation des sols à l'échelle mondiale (en millions d'hectares) en relation avec les grands processus de dégradation des sols (sols modérément ou excessivement affectés d'après Oldeman et al., 1990)

* Total de 1 965 millions d'hectares si les sols légèrement affectés sont inclus.

Les prairies: un grand réservoir potentiel de carbone

Les prairies sont incluses dans l'article 3,4 du Protocole de Kyoto et, comme la forêt, elles jouent un rôle important dans la séquestration du carbone. Premièrement, les prairies et terres de parcours occupent des milliards d'hectares (3.2, selon la FAO) et elles emmagasinent de 200 à 420 Pg de carbone dans le total de l'écosystème, dont la majorité au-dessous de la surface et, par conséquent, dans un état relativement stable. Les quantités de carbone du sol au-dessous des prairies en zone tempérée sont estimées à 70 t/ha, ce qui est similaire aux quantités emmagasinées dans les sols des forêts (Trumbmore et al., 1995; Balesdent et Arrouays, 1999)

De nombreuses zones de prairies dans les zones tropicales et les sols arides sont mal gérées et sont dégradées. Elles offrent une variété de possibilités pour la séquestration du carbone.

Les terres cultivées: le rôle des pratiques agronomiques

Le développement de l'agriculture a impliqué une grande perte de la matière organique du sol. Il existe différentes pratiques de gestion du sol pour augmenter la teneur en matière organique du sol (figure 9), comme l'augmentation de la productivité et de la biomasse (variétés, fertilisation et irrigation). Le changement climatique mondial avec l'augmentation de CO2 peut avoir un effet similaire. Les sources de OM comprennent aussi les résidus organiques, le compost, les cultures de couverture.

Figure 4

Estimation annuelle totale des stocks de carbone (t C/ha) dans les forêts tropicales et tempérées (d'après IPCC, 2000)

Les principaux moyens en vue de réaliser une augmentation de la matière organique du sol sont réalisés actuellement par l'agriculture de conservation impliquant un labour minimal ou un non-labour et une couverture protectrice continue faite de matériel végétal vivant ou mort sur la surface du sol.

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