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3. L'AGRICULTURE DE CONSERVATION ET LE ROLE DE LA POLITIQUE


La précédente analyse des facteurs financiers et autres facteurs relatifs à l'adoption de l'AC et ses pratiques associées a déjà pris en compte plusieurs des effets de la politique, ou plus généralement de l'action du gouvernement, sur l'adoption. Les gouvernements agissent sur la politique macro-économique, les règlements commerciaux, les subventions sur les intrants, ou l'éducation et la vulgarisation pour modifier l'environnement de prise de décision dans lequel les exploitants choisissent une pratique au lieu d'une autre (figure 3). Ce chapitre examine les rôles réels et potentiels de la politique dans l'adoption de l'AC.

L'influence de la politique sur l'adoption de l'agriculture de conservation

L'agriculture a été l'objet d'intérêts et d'interventions considérables de la part de l'état au cours de la dernière moitié du siècle passé, peut-être plus que n'importe quel autre secteur économique (Robinson, 1989; Gardner, 1990). Bien qu'il soit possible de surestimer l'influence de la politique dans la prise de décision d'un exploitant (Winter, 2000), il y a une reconnaissance croissante du fait que l'apport d'une assistance publique sous forme de prix garanti des produits, subvention aux intrants, indemnités compensatrices, crédit bon marché, ou assistance en cas de catastrophes a encouragé et facilité un investissement massif des exploitants pour l'augmentation de la capacité de production. Certains auteurs ont caractérisé la forme dominante d'agriculture qui en résulte, au moins dans le monde développé, comme étant industrielle. Ce nom a été donné en raison de la tendance permanente à aller vers des unités de production plus grandes et moins nombreuses, des spécialisations régionales et par type d'entreprises, un travail du sol plus intensif, une confiance accrue dans les produits agrochimiques, et dans beaucoup d'endroits, des produits en excédent (Troughton, 1985). Du fait des effets induits sur la qualité des sols, des eaux et l'habitat de la faune sauvage, divers auteurs ont impliqué la politique agricole comme contribuant à la dégradation de l'environnement (Libby, 1985; OCDE, 1989; Pierce, 1993; Lewandrowski et al., 1997).

C'est dans ce contexte que beaucoup de gouvernements ont présenté des programmes variés pour encourager l'adoption des pratiques de type AC. Avec des services de vulgarisation, des subventions et taxes, ces initiatives ont obtenu quelques résultats importants. Par exemple, le succès de la promotion des pratiques d'AC dans certaines régions en développement, en particulier en Amérique latine, est remarquable, et la politique y a joué un rôle important. L'encadré 4 présente les principaux facteurs cités dans l'augmentation de l'AC dans les pays du Mercosur en Amérique latine. Beaucoup de ces facteurs proviennent non de la politique du gouvernement mais de facteurs sans grand rapport et de traditions locales. En effet, beaucoup des programmes favorisant l'AC dans le monde entier ont été relativement inefficaces en raison des signes et incitations contradictoires en provenance de programmes de subvention préexistants. Par exemple, les politiques conçues pour favoriser l'agriculture durable peuvent être contrecarrées par d'autres décisions politiques, généralement plus généreuses, soutenant des cultures en ligne, fortement érosives, telles que l'arachide ou le tabac, ou par des efforts de recherche et de vulgarisation faibles ou peu réactifs.

Certaines études ont montré que la vulgarisation financée par le gouvernement a un impact positif sur l'adoption (par exemple Logan, 1990), bien qu'Agbamu (1995) avertisse que toutes les formes de vulgarisation n'atteindront pas un tel but. Dans le cas d'une aide financière d'état, Napier et Camboni (1993) identifient une corrélation positive, quoique faible, entre la participation à de tels programmes et l'adoption de l'agriculture de conservation. Plus spécifiquement, en se basant sur une exploitation modèle avec cultures de rente dans le sud-ouest de l'Ontario, Stonehouse et Bohl (1993) ont montré qu'une subvention unique couvrant 20 pour cent des dépenses supplémentaires inciterait un exploitant à passer du labour conventionnel au non-travail du sol. Cependant, l'étude suggère que la conversion vers des cultures avec couverture permanente telle la luzerne exige des subventions excessivement élevées. En conclusion, en ce qui concerne l'utilisation de taxes, Aw-Hassan et Stoecker (1994) ont déterminé que, si les dommages hors - exploitation dus aux pratiques conventionnelles étaient taxés à hauteur de 2,25 dollars EU par tonne de sol perdu, la conversion des zones de terres à fort rendement/forte érosion en zones en agriculture de conservation augmenterait de manière significative, alors que les terres à plus faible rendement seraient converties en pâturage. Cependant, dans une étude semblable, Stonehouse et Bohl (1993) montrent qu'il est difficile d'obtenir des niveaux signicatifs de prévention de l'érosion du sol en utilisant la taxation et ce, avec comme conséquence des réductions significatives des revenus nets.

Au delà des confins de l'agriculture de conservation, l'examen de nouveaux schémas de conservation en Europe peut fournir une idée sur l'effet de la politique sur le comportement de conservation parmi les exploitants. Ces schémas se sont développés grâce à une conversion progressive du régime extensif de subvention de l'Union Européenne passant de la subvention à la production à la subvention de pratiques environnementales comme le gel des terres (Potter et Goodwin, 1998).

ENCADRÉ 4
DEUX CAS DE RÔLES CONTRASTÉS DE LA POLITIQUE DE PROMOTION DE L'AGRICULTURE DURABLE

Plusieurs études ont examiné les raisons de la réussite de la promotion de l'AC (non-labour) dans la région du Mercosur en Amérique du Sud, notant qu'un système efficace d'innovation s'est développé autour de la promotion du non-labour. Ce système inclut un certain nombre d'éléments de politique avec des éléments sans réel rapport qui ont contribué à ce succès. Comme exemple de ce dernier point, les compagnies agrochimiques ont contribué à initier les programmes, reconnaissant leur propre intérêt dans la promotion du non-labour. Les exploitants ont eux aussi tiré des bénéfices de manière significative, car les avantages du non-labour étaient particulièrement importants pour la culture principale de soja et étaient disponibles pour les moyennes et grandes exploitations. En terme de rôle de la politique du gouvernement, les services de recherche et de vulgarisation traditionnels étaient limités et lents à répondre aux besoins des exploitants. Cependant, cela a ouvert la voie à d'autres, exploitations pionnières, ONG et agences d'assistance étrangère, pour combler les lacunes. Ainsi, les exploitants pouvaient aisément détecter et comprendre les problèmes sous-jacents et expérimenter des solutions, avec l'aide de l'information fournie par des associations d'exploitants en non-labour. Les traditions locales ont également aidé; bien qu'il n'y ait eu au départ aucune connaissance sur le non-labour, il y avait une tradition d'innovation avec des cultures commerciales. De plus, une incompréhension entre la vulgarisation et la recherche s'intéressant à des petites et moyennes exploitations dans quelques pays (par exemple le Paraguay) a pu limiter un programme d'AC qui aurait pu autrement réussir. En Nouvelle Zélande, le gouvernement a enlevé pratiquement toute assistance, y compris les subventions pour l'environnement, au secteur pastoral dominant l'agriculture dans la période post-1984. Cette action a fourni une occasion unique d'évaluer les implications du retrait des subventions sur l'utilisation des ressources au niveau de l'exploitation et la gestion environnementale. Il semble évident que la réponse au retrait d'une subvention, au moins à court terme, sera une diminution de l'intensité de culture, manifestée par: (1) une mise en culture limitée des terres marginales, (2) une utilisation d'engrais réduite et plus sélective et (3) un cheptel réduit avec des charges de pâturage limitées. En même temps, l'insécurité a augmenté parmi les exploitants et a donc rétréci les horizons de planification et étouffé certains investissements en matière d'environnement. Alors que les exploitants entreprennent toujours des activités, comme planter des arbres pour le contrôle de l'érosion, en raison d'un besoin identifié ou dans une éthique de conservation, l'arrêt des dons et autres subventions réduit généralement la propension et la capacité des exploitants à entreprendre beaucoup d'activités de gestion, particulièrement pendant les périodes de crise financière. Par conséquent, beaucoup de gouvernements régionaux ont comblé le vide laissé par le retrait de l'assistance nationale en finançant de nouveaux programmes pour encourager la bonne gestion au niveau de l'exploitation.

Sources: Bradshaw et Smit, 1997; Sorrenson, 1997; Bradshaw et al., 1998; Blunden et Bradshaw, 1999.

En se basant sur une enquête réalisée en Écosse, Wynn et al. (2001) prouvent que la compensation seule n'assure pas le succès d'un programme de conservation car un manque de sensibilisation pour de tels programmes peut limiter la participation. Une fois avertis, les exploitants sont plus enclins à participer, aussi longtemps que ce sera bien adapté à la situation de leur exploitation et que le coût de ces actions sera bas. Les coûts d'application sont souvent un obstacle à l'adoption (Wilson, 2000). Même avec une pleine compensation de la diminution prévue du revenu agricole résultant de la participation, des coûts administratifs ou de transaction inférieurs à 5 pour cent de la compensation totale peuvent empêcher la participation d'un exploitant (Falconer, 2000). Cette évidence en Europe suggère que l'aide financière seule n'est pas suffisante pour encourager l'adoption des pratiques de type AC. Il est nécessaire de combiner une telle assistance avec d'autres efforts dirigés vers les besoins spécifiques de fonctionnement de l'exploitation.

Comment la politique peut favoriser l'adoption de l'agriculture de conservation

Étant donnés les impacts sur l'environnement notés au cours de la dernière moitié du siècle passé, certains auteurs ont affirmé que le découplage de la subvention à l'agriculture et des décisions de production représentait le moyen le plus pertinent par lequel les gouvernements pourraient diminuer la dégradation de l'environnement (OCDE, 1989 et 1998). Il y a discussion au sujet des moyens, directs et indirects, par lesquels les gouvernements peuvent favoriser de manière efficace la conservation dans l'agriculture. Le tableau 9 récapitule les nombreuses approches adoptées par des gouvernements du monde développé pour atteindre divers objectifs de conservation.

Dans la promotion de l'AC, un des principaux soucis pour les personnes définissant la politique est de savoir si l'AC fournit un revenu net positif ou négatif aux adoptants potentiels. Une fois que cette incertitude est levée, Uri (1998b) recommande:

TABLEAU 9
Résumé des approches politiques pour promouvoir l'agriculture de conservation

Catégorie

Exemples d'approche

Accord volontaire

Accords de gestion, services de formation/vulgarisation, recherche et développement, centres de ressources, etc.

Contrôles économiques/commerciaux

Nécessité d'accords croisés, embargo sur les exportations, etc.

Incitations financières

Dons/subventions, remises d'impôts, etc.

Règlementations

Statuts, amendes, zonage, taxes, etc.

Gestion/Propriété directe

Achats publics, dons, etc.

Source: Pierce, 1996.

En ce qui concerne la première approche, McNairn et Mitchell (1992) indiquent qu'encourager l'adoption des pratiques de conservation exige i) l'assurance que l'adoption apporte des bénéfices à long terme, ii) une information non ambiguë, facilement compréhensible et précise et iii) la promotion des multiples avantages économiques et non économiques. L'éducation joue un rôle crucial dans la motivation de l'adoption et exige une information et une expérience adaptées et crédibles, communiquées par les canaux appropriés. Les services de vulgarisation peuvent être très efficaces pour fournir une information ainsi qu'une assistance, particulièrement dans le cas de technologies nouvelles ou émergentes, mais les agents publics ne devraient pas être les fournisseurs exclusifs de tels services.

L'aide financière à l'adoption de diverses pratiques en matière de conservation est bien établie en Europe et, à un degré moindre, en Amérique du Nord. L'aide peut prendre de nombreuses formes, telles que des crédits d'impôts sur l'équipement, la location de matériel, des programmes en partage de coûts et des subventions directes. Une telle assistance est propre à participer au financement des investissements initiaux significatifs et des coûts de transition, et aussi dans les cas où l'adoption est peu rentable du point de vue de l'exploitant individuel. L'encadré 5 présente une analyse des options de politique pour encourager la conservation des sols dans les exploitations de l'Ontario (Canada), mettant en valeur le rôle que de telles analyses peuvent jouer quand l'aide gouvernementale est nécessaire. Cependant, Nowak (1987) suggère que l'aide financière peut également être importante même quand l'adoption d'une technologie a comme conséquence des retours nets positifs pour des exploitants. L'auteur indique que l'assistance institutionnelle tend à réduire le risque pris par les exploitants qui adoptent une technologie inconnue et limite de ce fait leur besoin d'information détaillée avant l'adoption. Ainsi, l'assistance de l'état est utile pour surmonter la non-adoption due aux difficiles demandes d'information.

Une approche de politique moins interventionniste pourrait se concentrer sur la recherche et le développement pour mettre en valeur les avantages de l'adoption de l'AC en améliorant les performances ou en réduisant les coûts. Cette approche se fonde sur l'adoption volontaire et vise à augmenter les chances que cela se produise en rendant la méthode plus intéressante. Cependant, la recherche et le développement sont une stratégie de politique à long terme avec une probabilité incertaine de succès.

La mise en jachère de terres est seulement appropriée dans les cas où les soucis d'érosion du sol sont assez significatifs pour garantir la conversion des terres vers des cultures à couverture permanente. Typiquement, cette approche exige un financement public significatif afin de compenser les exploitants, et elle n'est pas envisageable dans les zones fortement dépendantes d'une surface limitée de terres pour la production de produits alimentaires.

En conclusion, bien qu'ayant été essayé dans quelques endroits, réglementer les limites de l'érosion du sol n'est pas une approche ordinaire (Libby, 1985). Cette situation résulte probablement d'une maladresse politique et de fortes requêtes oscillant entre mise «en valeur sous contrainte ou bien par acceptation». Il en est spécialement ainsi quand une régulation des pertes de sol par l'utilisation du non-labour résulte en un déclin significatif des revenus nets (encadré 5). Une approche de normalisation plus commune implique des mesures d'accords croisés dans lesquelles l'acceptation dans un programme d'assistance dépend de l'adoption de certaines pratiques en matière de conservation. Dans les cas où le choix personnel est effectif, la mise en place du programme risque d'être plus réalisable politiquement et plus efficace économiquement. Avec la mise en place de taxes sur l'érosion du sol, il est possible d'induire l'adoption de l'AC et même la conversion en pâturages. Cependant, des niveaux signicatifs de conservation du sol impliquent des pertes significatives de revenu (encadré 5). Par conséquent, bien que possible, la taxation n'est pas politiquement faisable.

La nature peu concluante des études empiriques, et la nature évidemment spécifique de beaucoup de résultats par rapport au lieu, suggèrent qu'une approche universelle n'est pas possible. Afin de s'adapter aux différences entre les exploitations, les exploitants et les circonstances économiques, une approche de politique ciblée peut être préférable. En d'autres termes, des mécanismes de politique, tels que des dons ou des services de vulgarisation, pourraient être adaptés aux conditions particulières d'un endroit ou, de préférence, à différents exploitants et au fonctionnement de leurs exploitations (encadré 6). Bien qu'une approche de politique ciblée place une charge administrative lourde sur les personnes définissant cette politique, elle pourrait avoir une plus grande efficacité qu'une approche plus uniforme, et pourrait représenter le moyen le plus efficace d'encourager l'adoption de l'AC.

Bien qu'une approche de politique ciblée puisse être la plus appropriée pour la conception des programmes favorisant directement l'AC, quelques prescriptions de politiques alternatives pourraient être applicables de manière plus universelle. Par exemple, Isham (1999) précise que des investissements parallèles en capital social peuvent être nécessaires pour créer un environnement donnant des moyens suffisants pour l'adoption des activités souhaitables du projet, et ceci peut s'appliquer fortement dans le cas de l'AC. Certains auteurs pensent que le capital social est le produit d'un apprentissage. La stimulation des discussions au sujet de la communauté et la recherche du consensus dans la prise de décision peuvent aider à réaliser un tel apprentissage. Une des principales questions est de savoir si les gouvernements peuvent stimuler le capital social, car les efforts descendants peuvent ne pas être capables de favoriser le capital social ascendant. Cependant, Sobels et al. (2001) suggèrent qu'il n'en est pas ainsi, citant Landcare en Australie comme exemple d'un soutien gouvernemental réussi contribuant au capital social. De même, à un certain degré, le succès du programme de plan environnemental d'exploitation en Ontario est attribuable à la fierté des exploitants et à l'intérêt qu'ils portent à «faire la chose juste»(encadré 6). Ainsi la fierté et la pression des pairs peuvent être des formes importantes de motivation pour l'adoption de l'AC, et les politiques gouvernementales peuvent contribuer à cette avancée.

ENCADRÉ 5
POLITIQUES POUR ENCOURAGER LA CONSERVATION DES SOLS: CULTURES DE RENTE EN ONTARIO, CANADA

Une étude a analysé les impacts des politiques publiques sur l'utilisation des terres, la conservation du sol, les aspects financiers au niveau de l'exploitation et le budget public pour évaluer l'efficacité des politiques alternatives pour combattre l'érosion du sol. L'objectif était d'estimer l'efficacité prévue des actions gouvernementales conçues pour limiter les pertes de sol par érosion. L'étude a employé un modèle de programmation linéaire multi-période pour modéliser le fonctionnement d'une exploitation de cultures de rente produisant du soja, du maïs et des céréales-grain dans le sud-ouest de l'Ontario. Le but était de maximiser la VAN des retours nets de l'exploitation sur une période de 20 ans. Dix solutions alternatives de systèmes de production ont été considérées, représentant diverses séquences de cultures et techniques de préparation du sol (labour conventionnel, labour de conservation et non-labour). En outre, six politiques ont été modélisées: (i) une limite annuelle contrôlée de perte de sol lors des pratiques culturales de l'exploitation, (ii) une taxe annuelle sur les pertes de sol par érosion, (iii) une taxe sur les intrants en matériels associés aux systèmes conventionnels de préparation des sols, (iv) une subvention unique pour des achats de matériel de labour de conservation, (v) une subvention annuelle pour encourager l'incorporation de la luzerne dans la production ou pour adopter le labour de conservation, et (vi) une subvention directe sur les coûts de production de la luzerne. En l'absence de toute politique publique, le système le plus profitable est la rotation «maïs – soja – blé d'hiver» avec labour conventionnel. Les autres politiques ont montré que:

  • Une régulation de la perte de sol exige un changement de système de production: comme la régulation devient de plus en plus restrictive, l'exploitant passe du conventionnel à la conservation puis au non-labour et la trésorerie nette de l'exploitation diminue au maximum de 57 pour cent.

  • Un modeste niveau de taxation sur la perte de sol (0,20 t/an) est nécessaire pour réduire l'érosion du sol de 20 pour cent et se réalise avec une relativement petite perte de la trésorerie (6 pour cent). Cependant, augmenter le niveau de taxation apporte peu en terme de réduction des pertes de sol, mais érode fortement le revenu net.

  • L'efficacité de la taxe sur le matériel dépend de la rotation de cultures choisie par l'exploitant.

  • Une subvention unique de 20 pour cent pour le matériel de non-labour serait suffisante pour élever la trésorerie nette au-dessus de celui du labour conventionnel et du labour de conservation sur une période de quatre ans.

  • Une subvention annuelle directe à la production de 20 pour cent serait suffisante pour qu'une production continue de maïs en non-labour surpasse le revenu net d'un maïs-soja en labour de conservation.

  • Une très forte subvention pour la luzerne serait nécessaire pour faire passer l'exploitant à un système moins érosif.

En conclusion, les mesures de politique publique qui demandent à l'exploitant de supporter la charge de réduire l'érosion du sol sont peu susceptibles d'être mises en application en raison des effets financiers défavorables imposés au fonctionnement de l'exploitation. Les politiques publiques qui exigent des contribuables un partage de la charge seraient pertinentes en terme de coût par unité d'érosion contrôlée, mais pourraient devenir un problème fiscal, particulièrement pendant une période de déficit budgétaire du gouvernement et de montée de la dette.

Source: Stonehouse et Bohl, 1993.

ENCADRÉ 6
PROGRAMME DE PLAN ENVIRONNEMENTAL D'EXPLOITATION EN ONTARIO

Le programme de plan environnemental d'exploitation en Ontario (PEE) représente une approche innovante de la conservation environnementale au niveau de l'exploitation, avec la participation volontaire des exploitants, pour évaluer les risques environnementaux et leur faire prendre conscience de l'environnement sur leurs exploitations. Le programme PEE a commencé en 1992, aidant des exploitants à développer un plan pratique pour gérer leurs exploitations d'une manière responsable par rapport à l'environnement. Les différents exploitants travaillent sur une série de 23 modules couvrant des questions telles que la qualité de l'eau et l'habitat de la faune; ils soumettent leurs plans individualisés à l'examen de leurs pairs (c.-à-d. à leurs collègues exploitants). Il a commencé et reste un processus piloté par les exploitants, bien que le gouvernement fournisse de l'expertise technique et des fonds. L'acceptation et l'intérêt des exploitants sont forts, plus particulièrement quand on les compare aux approches traditionnelles de régulation menées par le gouvernement. Alors que certains fonds sont disponibles (un maximum de 1 500 dollars canadiens par exploitation pour les exploitants qui ont terminé, mis en place, et se sont assurés de l'approbation de leur participation au PEE; les gagnants des concours environnementaux reçoivent 1 000 dollars canadiens), le programme se fonde principalement sur la fierté des exploitants et leur désir de gagner le respect de leurs collègues, leurs voisins et des consommateurs. Comme un participant du programme l'a énoncé: «Le PEE est une excellente manière de noter notre propre rapport d'état et évaluer toutes nos activités par rapport à l'environnement. Nous avons besoin d'informer nos voisins urbains que nous sommes préoccupés par l'environnement».

Sources: Grudens-Schuck, 2000; Klupfel, 2000; Stonehouse, 2000; Ontario Soil and Crop Improvement Association, 2001.

Implications pour l'analyse économique et politique

Une politique spécialisée et des analyses économiques sont des préalables à la conception adéquate et au positionnement correct des politiques de l'AC. Les analystes politiques et les économistes intéressés par l'AC peuvent utiliser de nombreuses nouvelles techniques et cheminements de pensée. Les indicateurs de durabilité en sont un exemple. Ils prennent en compte les changements de pratiques agricoles qui modifient la durabilité du système de production d'une manière quantifiable, changements que l'analyse conventionnelle peut ne pas reconnaître. Par conséquent, les indicateurs de durabilité aident à décrire l'évolution de la productivité du sol sur la durée ou à présenter son statut dans des conditions plus contrastées pour ce qui est de l'AC et de la gestion conventionnelle. Les indicateurs de durabilité sont applicables au niveau des systèmes de production locaux, à des niveaux intermédiaires tels que la communauté ou la région ou à des niveaux plus élevés. Le tableau 10 montre certains des indicateurs que les changements de pratiques en matière de travail du sol affectent à chacun de ces niveaux. Si des analyses plus complètes de durabilité incorporent ces indicateurs, les changements des pratiques agricoles causeront des modifications des mesures d'accompagnement.

TABLEAU 10
Effets du labour et de la gestion de la surface du sol sur les indices de durabilité agricole

Niveau de durabilité

Indices de durabilité influencée par le travail du sol

Plante/culture

Rendement agronomique

Système de culture

Productivité

Système de production

Profit, revenu, ressource et qualité de l'environnement

Région/communauté

Approvisionnement, revenus hors exploitation, avantage comparatif, qualité de l'environnement

National

PNB, durabilité de la ressource, statut commercial

International

Ration de calories par tête

Source: Lal, 1999.

Au niveau du village et de l'exploitation, les indicateurs évaluent la durabilité des systèmes spécifiques de production et, par déduction, la durabilité du travail du sol dans un système de production donné (Tisdell, 1996). Le tableau 10 suggère plusieurs variables au niveau de l'exploitation qui pourraient servir d'indicateurs. Des indicateurs plus complets définissent la durabilité dans un sens opérationnel, en utilisant des concepts tels que le revenu durable. C'est le revenu potentiel qui peut être obtenu de l'utilisation des ressources sans limite de temps. Dans certains cas, les indicateurs qui accompagnent ces définitions lient la dégradation des sols au niveau de l'exploitation avec les techniques nationales de comptabilité.

Au niveau macro-économique, le système des comptes nationaux a intégré la dégradation du sol grâce à des initiatives formelles de comptabilité verte telles que le Système des Nations Unies de Comptabilité Environnementale et Economique Intégrée. En accord avec la pratique normale en matière de comptabilité nationale, la comptabilité verte mesure le désinvestissement ou l'investissement dans le capital naturel du sol et ajuste le rapport PNN/PNB en conséquence. D'autres approches d'indicateur national incluent les calculs de la Banque mondiale en matière de taux réels de l'épargne. Elles ajustent l'épargne intérieure nette aux changements de la valeur des réserves et des dommages de la pollution tandis que l'indicateur de Pearce-Atkinson incorpore des éléments d'une véritable conception de l'épargne.

Les indicateurs de ce type peuvent faire passer de manière puissante aux décideurs le message que la dégradation du sol a pour résultat une perte de richesse nationale, et encourager ainsi de plus grands efforts destinés à favoriser des pratiques plus durables comme l'AC.

Les analystes qui doivent évaluer l'attractivité des projets impliquant l'AC ou des pratiques agricoles en concurrence peuvent utiliser un certain nombre de mesures. Des efforts particuliers en ce sens sont nécessaires car certains des avantages de l'adoption de l'AC n'apparaissent pas dans des analyses conventionnelles de type coûts/bénéfices, ou dans des comparaisons de l'AC et des pratiques alternatives en termes financiers étroitement définis.

Techniques d'évaluation hors marché

Il est habituel d'employer des techniques d'évaluation hors marché pour incorporer les avantages et les coûts des pratiques agricoles qui n'ont pas de prix sur les marchés. Les exemples incluent l'envasement de l'aval des lits des fleuves dû à l'érosion du sol, ou la perte d'engrais organiques quand le fumier est utilisé comme combustible au lieu d'être employé sur les champs de l'exploitation. Les méthodes d'évaluation les plus appropriées aux comparaisons de l'AC et des pratiques agricoles conventionnelles incluent le coût de remplacement, les changements de productivité, les approches directes et indirectes de produits de substitution, les dépenses de prévention ou d'atténuation, et les techniques de marché hypothétiques ou construites (IIED, 1994).

Épuisement du sol en tant que capital naturel

Les analyses économiques au niveau des projets peuvent incorporer l'épuisement du sol – en tant que forme de capital naturel – sous les pratiques conventionnelles de labour, permettant ainsi des comparaisons plus justes avec l'AC. Cet épuisement constitue un coût de mise en culture non-durable en plus des coûts de production normaux. C'est un coût d'usage car cela rapporte des gains à court terme aux dépens du revenu futur (Daly, 1996). Omettre le coût d'usage résulte en une surestimation des avantages économiques nets des pratiques de culture en vigueur qui épuisent les sols. Plusieurs techniques sont disponibles pour calculer le coût de l'épuisement des réserves de ressources naturelles. Deux approches communes sont la méthode du prix net et la méthode de coût d'utilisation marginal.

Budget d'une exploitation entière

Une analyse environnementale appropriée exige l'évaluation des changements des conditions environnementales pour toute la gamme des réponses comportementales qui en découlent (Freeman, 1993). Quand les exploitants adoptent l'AC, de nombreux changements auxiliaires peuvent être attendus, comme le changement de cultures, les changements dans le contrôle des parasites, les modifications dans la répartition des travaux de culture pour les membres de la famille (par sexe), etc. Pour cette raison, les analyses comparatives de l'AC et des pratiques alternatives devraient adopter une approche de l'exploitation entière pour prendre en compte la totalité de ces changements comportementaux (Sorrenson, 2001). Diebel et al. (1993) indiquent que l'analyse de pratiques individuelles prises isolément peut même entraîner des résultats trompeurs quand certains facteurs rentrent en synergie pour élever des barrières à l'adoption qui ne sont pas autrement évidentes.

Techniques alternatives d'évaluation de projet

Alors que le travail de projet fait une utilisation généralisée de l'analyse coûts/bénéfices, d'autres techniques d'évaluation de projet obtiennent des résultats pour l'évaluation des projets ou technologies de l'AC. Celles-ci incluent l'analyse multicritères (AMC), l'analyse de coût/efficacité, l'analyse de décision, l'évaluation d'impact sur l'environnement et les méthodes participatives. L'AMC admet que les décideurs du gouvernement et les petits exploitants ont beaucoup d'objectifs en tête quand ils décident, respectivement, de la viabilité d'un projet agricole et des méthodes de gestion au niveau de l'exploitation, plus qu'une analyse coûts/bénéfices ne peut prendre en compte. En outre, les diverses techniques de comparaison, telles que des courbes d'échange ou des techniques analytiques plus sophistiquées, peuvent aider à évaluer les échanges parmi des objectifs de concurrence. Par exemple, Van Kooten et al. (1990) utilisent une telle méthode pour examiner les compromis faits entre les revenus nets et les motivations de bonne gestion chez des exploitants au Saskatchewan (Canada), adoptant les méthodes de conservation des sols.


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