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DEUXIÈME PARTIE
Problèmes auxquels sont confrontés pêcheurs et aquaculteurs

APPLICATION DE L’APPROCHE ÉCOSYSTÉMIQUE À LA GESTION DES PÊCHES DE CAPTURE

LE PROBLÈME

Ces dernières années, on a progressivement pris conscience de ce que l’approche traditionnelle consistant à considérer les espèces cibles comme des populations indépendantes et autonomes ne suffisait plus. On sait maintenant que l’exploitation des ressources aquatiques vivantes de la planète ne peut se faire durablement que si les impacts de l’écosystème sur les ressources biologiques et ceux de la pêche sur l’écosystème sont, les uns et les autres, clairement identifiés et, dans la mesure du possible, compris. Il est aussi formellement reconnu que les pêcheurs sont partie intégrante de l’écosystème et que la bonne santé tant de l’écosystèmes que des êtres humains doit être préservée.

La conscience des interactions vitales entre les populations et leur environnement biologique, physique et chimique n’est pas chose nouvelle. Dès 1376, des pêcheurs de l’estuaire de la Tamise, au Royaume-Uni, exprimaient au Roi Edouard III d’Angleterre leur préoccupation concernant les effets sur l’écosystème du wondrychoun, un chalut perche, dont ils estimaient qu’il causerait «grand dommage au bien commun et la destruction de la pêcherie». Cependant, il a souvent été passé outre à ce savoir traditionnel quand, au XIXe et au XXe siècles, les pêches se sont rapidement développées en taille et en efficacité, et que des méthodes scientifiques quantitatives ont été mises au point pour estimer la manière d’ajuster la puissance de pêche à la productivité de la ressource. Conçus à partir des données les plus faciles à obtenir des pêcheries, les modèles monospécifiques simples sont devenus l’outil d’aménagement favori. Ces modèles concentrent toute l’attention sur les ressources cibles et sur l’impact que les prélèvements liés à la pêche exercent sur leur dynamique.

L’approche monospécifique n’est pas la seule raison de la générale inadéquation des régimes classiques d’aménagement des pêches. Divers exemples, dont l’extrême variabilité des ressources en petits pélagiques des systèmes de remontées océaniques, les substitutions d’espèces qui sont supposées avoir lieu dans des zones telles que le banc Georges, et les effets, en maints endroits, des développements fluviaux et côtiers sur les stocks de saumons, d’esturgeons et de crevettes, par exemple, montrent bien les dangers et les limitations d’une méthode consistant à traiter les populations de poissons comme entièrement autorégulées.

SOLUTIONS ENVISAGEABLES

Les gestionnaires des pêches et les spécialistes des pêches ont été lents à réagir à l’évidence croissante que l’écosystème doit être considéré comme un tout. Les progrès ont été freinés par le manque de données pertinentes de bonne qualité; par une insuffisante compréhension de la dynamique et des interactions des populations, des écosystèmes et des pêches; et par l’absence d’un autre mode opérationnel d’aménagement crédible. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, de décembre 1982, ne prévoit pas explicitement une approche écosystémique à l’égard des pêches même si, dans ce domaine, elle porte principalement sur les «ressources vivantes» de la mer et sur l’environnement. Elle comprend néanmoins diverses dispositions qui établissent l’interdépendance des espèces cibles avec les autres organismes marins et leur dépendance à l’égard de l’environnement.

A l’époque où le Code de conduite pour une pêche responsable (le Code) a été adopté par les Membres de la FAO (novembre 1995), les principes d’une approche écosystémique à l’égard de la pêche avaient commencé à faire leur apparition, y compris dans des instruments ne concernant pas les pêches (comme la Convention sur la diversité biologique). Le Code en tient compte et inclut de nombreuses considérations importantes relatives à l’écosystème intéressant la pêche. On y lit, dans l’Introduction, que «le Code définit des principes et des normes internationales de comportement pour garantir des pratiques responsables en vue d’assurer effectivement la conservation, la gestion et le développement des ressources bioaquatiques, dans le respect des écosystèmes et de la biodiversité». Tout au long du Code apparaissent des références à différentes considérations touchant l’écosystème. L’Article 6 demande aux Etats de conserver les écosystèmes aquatiques (paragraphe 6.1). Le paragraphe 6.6 dit que «des engins et pratiques de pêche sélectifs et respectueux devraient être mis au point et utilisés … pour préserver la biodiversité et conserver la structure des populations et les écosystèmes aquatiques», tandis que le paragraphe 7.2.2. précise que les mesures d’aménagement devraient, entre autres choses, prévoir la conservation de la diversité biologique, la prise en compte des effets environnementaux et la réduction au minimum des impacts délétères tels que la pollution, les rejets, les captures d’espèces non visées et les effets sur les espèces associées et dépendantes. Le respect réel de ces dispositions et d’autres clauses contenues dans le Code pourrait beaucoup contribuer à une application très efficace de l’approche par écosystèmes à l’égard des pêches (AEP).

La Déclaration de Kyoto formulée par les 95 délégations présentes à Kyoto (Japon) du 4 au 9 décembre 1995 pour la Conférence internationale sur la contribution durable des pêches à la sécurité alimentaire a donné une nouvelle impulsion aux fondements globalisants du Code. Ces pays ont déclaré qu’ils «fonderaient les politiques, stratégies, l’aménagement et l’utilisation des ressources pour le développement durable du secteur des pêches sur: i) la préservation des systèmes écologiques; ii) l’utilisation des meilleures données scientifiques disponibles; iii) l’amélioration du bien-être économique et social; et iv) un traitement équitable entre les générations et à l’intérieur des générations», reliant ainsi explicitement la conservation des systèmes écologiques aux pêches et à l’aménagement des pêcheries.

Avec Action 21, l’approche par écosystèmes à la gestion des océans et de leurs ressources a été encore renforcée. Le Sous-Comité des zones océaniques et côtières, du Comité interinstitutions sur le développement durable (CIDD), aujourd’hui dissous, agissant sous l’autorité du Comité administratif de coordination (CAC) des Nations Unies, a facilité l’examen et la coordination de la mise en œuvre de ces questions entre les institutions des Nations Unies.

A sa Neuvième session, en juillet 2000, le Sous-Comité des zones océaniques et côtières a examiné la nécessité d’améliorer la coordination et les synergies entre les organismes régionaux chargés des pêches et ceux s’occupant de l’environnement marin et côtier. Il a conclu que ces deux types d’organes pouvaient voir dans le défi que posait la mise au point d’approches écosystémiques à l’aménagement des pêches et à la gestion intégrée des zones côtières un domaine potentiel de coopération pratique.

Un premier pas dans cette direction a été fait quand il a été convenu qu’un document centré sur un aménagement des pêches fondé sur les écosystèmes serait élaboré conjointement par la FAO et par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et serait à la base d’une coopération potentielle entre les institutions régionales compétentes. Le document résume les activités entreprises par les organisations régionales concernant un aménagement fondé sur les écosystèmes, ébauche d’éventuels mécanismes de coopération, et identifie les questions à examiner par la suite. Il a ensuite été examiné lors des réunions tant des conventions sur les mers régionales et de la FAO, que des organismes régionaux des pêches ne dépendant pas de la FAO.

INITIATIVES RÉCENTES

L’étape la plus récente du lent processus conduisant à l’acceptation formelle et mondiale de la nécessité de gérer les pêches en tant que composantes intégrantes d’écosystèmes dynamiques a été la Conférence sur la pêche responsable dans l’écosystème marin, organisée par la FAO et par le Gouvernement islandais, avec l’appui du Gouvernement norvégien, à Reykjavik en octobre 2001. Au terme de ses travaux, la Conférence a adopté la Déclaration de Reykjavik, dans laquelle les nations signataires promettent notamment qu’elles «feront un effort pour renforcer des pêches responsables et durables dans l’écosystème marin, … et travailleront en vue d’incorporer dans ce but des considérations concernant les écosystèmes dans ledit aménagement».

Le propos est désormais fermement établi, mais il reste encore de considérables zones d’ombre quant à ce que l’on entend exactement par l’approche écosystémique à l’égard des pêches et la manière de la mettre en œuvre. A cette fin, la Conférence de Reykjavik a demandé à la FAO d’élaborer des lignes d’orientation, dont un projet sera présenté au Comité des pêches (COFI), à sa vingt-cinquième session en 2003. Ce travail est en cours et les lignes d’orientation ne sont pas encore prêtes mais certains des principes de l’approche écosystémique aux pêches sont déjà largement acceptés, et y figureront presque certainement en bonne place. Ces principes sont déjà pris en compte dans le Code et peuvent être résumés comme suit:

PERSPECTIVES MONDIALES

En vertu du soutien qu’elles apportent au Code de conduite (que les Déclarations de Kyoto et de Reykjavik ont renforcé) et des divers Plans d’action internationaux de la FAO, la plupart des nations qui se livrent à la pêche se sont engagées à faire des efforts pour appliquer l’AEP afin de «contribuer à la sécurité alimentaire à long terme et au développement de l’humanité, et d’assurer la conservation efficace et l’utilisation durable de l’écosystème et de ses ressources» (Déclaration de Reykjavik). Ces efforts pourraient être facilités par une amélioration des relations entre les organes régionaux des pêches et ceux qui s’occupent de l’environnement. Les instruments portant création de ces deux types d’institutions ne comprennent généralement pas de mandat explicite concernant l’aménagement des pêches sur la base des écosystèmes, mais il y a des exceptions. Le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM), la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR), la Commission internationale des pêches de la Baltique (IBSFC) et d’autres institutions s’occupant des pêches mènent, eu égard aux écosystèmes marins et à leur relation avec l’humanité, des travaux pertinents, adaptés, valables et crédibles. De plus, l’activité des commissions environnementales fournit des informations générales de bonne qualité qui peuvent être prises en compte dans l’aménagement des pêches sur la base des écosystèmes. En augmentant le nombre des organisations régionales des pêches dotées d’un mandat qui leur permette d’adopter une approche écosystémique et en resserrant les relations entre les organisations chargées de l’environnement et celles qui s’occupent des pêches, on facilitera l’application de l’AEP dans les pêcheries du monde entier.

La mise en œuvre de l’AEP s’annonce comme un processus lent et difficile, qui nécessite de considérables ajustements sociaux et économiques dans un climat mondial déjà caractérisé par de grosses difficultés sociales et économiques. La plupart des pays se donnent déjà beaucoup de mal pour appliquer le Code et rencontreront les mêmes difficultés, plus quelques autres, quand ils chercheront à mettre en pratique une approche efficace écosystémique pour aménager leurs pêcheries. Le manque de ressources financières, de capacités et d’expertise, la concurrence d’autres besoins économiques, environnementaux et sociaux, seront autant d’obstacles à la mise en œuvre du Code. L’Article 5 du Code, qui souligne les besoins particuliers des pays en développement, a prévu les problèmes qui se poseraient à eux, et qui n’ont pas encore été pleinement résolus.

Une approche écosystémique nécessitera le suivi et l’évaluation de tous les aspects de l’écosystème, une plus large gamme de mesures d’aménagement, éventuellement davantage de contrôle et de surveillance, et il faudra consacrer plus de temps aux interactions avec un éventail plus diversifié de parties prenantes.

Les institutions nationales chargées de l’aménagement sont déjà, en temps normal, pleinement et au-delà mises à contribution. Or, l’AEP exigera plus encore de ressources financières et institutionnelles et plus de personnel, à moins que toutes les parties ne trouvent le moyen d’allouer leurs compétences et leurs agents de manière plus efficace et plus rentable. Quelle que soit la solution retenue, la transition ne se fera pas aisément et pourrait se révéler onéreuse. Même si, à long terme, une approche écosystémique à l’aménagement des pêches est censée produire des avantages accrus à mesure que les écosystèmes retrouveront leur productivité et leur structure, il y aura des coûts transactionnels. Les pays devront prévoir ces coûts et toute mise en œuvre au plan mondial devra s’accompagner de l’apport d’un soutien appréciable aux pays en développement, si l’on veut que ceux-ci puissent faire face aux coûts transactionnels et porter leur capacité au niveau minimal requis. En tout état de cause, il faudra aussi rechercher de nouvelles sources de revenus pour aider à couvrir les coûts de l’aménagement des pêches; ceux qui profiteront davantage des pêcheries sont une source potentielle évidente de tels fonds additionnels.

D’une manière générale, les effets de la pêche sur les écosystèmes suscitent actuellement beaucoup de préoccupations, tant dans l’opinion publique que dans la sphère politique. Il ne fait pas de doute que ces préoccupations sont justifiées, même si elles sont parfois exagérées. Dans beaucoup de pays, les pêches n’ont qu’un poids politique et économique restreint et, en cette époque de mondialisation, le risque existe que les activités halieutiques soient considérées comme pouvant s’épuiser et qu’elles soient redimensionnées en cas de doute, à moins que le secteur de la pêche n’apporte une réponse appropriée à de légitimes préoccupations écologiques. Il est donc d’autant plus nécessaire de concevoir d’urgence des approches d’aménagement qui fournissent des résultats acceptables et qui soient adaptées aux diverses caractéristiques des pays et des ressources. Lors de récentes initiatives politiques, qui vont du Code à la Déclaration de Reykjavik, la communauté halieutique mondiale a semblé répondre aux préoccupations écologistes et avoir pris conscience que l’AEP est indispensable à la pérennité de la productivité des écosystèmes aquatiques et au bien-être de la société. Les motivations ne devraient donc pas manquer.

DES STATISTIQUES FIABLES SONT UN ASPECT ESSENTIEL D’UN BON AMÉNAGEMENT DES PÊCHES

LE PROBLÈME

Aménagement des pêches et statistiques

Comme dans toute forme d’aménagement, l’aménagement des pêches de capture passe par la synthèse de l’information, l’analyse et la prise de décisions1. Sans informations fiables, il est impossible de parvenir à des décisions justifiables, de prononcer des diagnostics concernant l’état de la pêcherie et d’avancer des pronostics quant aux effets du contrôle de l’aménagement. L’aménagement des pêches est soumis à la variabilité de l’environnement naturel ainsi qu’à des modifications à long terme qui peuvent être d’origine anthropique, en particulier à la pollution et au changement climatique.

Il existe donc, en matière d’aménagement des pêches, une part d’incertitude et de risque bien plus grande que dans l’aménagement de tout autre, ou presque, secteur ou branche du secteur alimen-taire. Une partie de l’approche visant à réduire le risque réside dans une meilleure compréhension de la situation au moyen d’une meilleure information, d’une analyse et d’une expérimentation plus attentives et d’une meilleure prise de décisions donnant des résultats à long terme.

Importance des statistiques sur les pêches et conséquences du manque de fiabilité

La plupart des méthodes et approches appliquées à l’aménagement des pêches requièrent une évaluation des stocks de poissons du point de vue de leur biomasse, de leur taille ou composition par âge et de leurs taux de survie, ainsi que de leur réponse à la mortalité naturelle et par pêche. Les modèles de population et leur dynamique face à des perturbations environnementales et anthropiques sont les principaux outils de travail. Ces modèles nécessitent des données sur la quantité de poisson qui a été prise, la taille, l’âge ou le sexe des poissons capturés, les taux de croissance et de survie qu’ils accusent, et d’autres informations sur plusieurs facteurs supplémentaires. Pour que les évaluations des stocks puissent s’appliquer à la gestion de pêcheries liées à un site spécifique, on peut ajouter des données sur le lieu et la date de la capture, les conditions de reproduction et le comportement des poissons. Il est indispensable de savoir ce qui est effectivement prélevé de la population sauvage car cela influe sur la capacité du stock de survivre et, ce qui est plus important encore, de se reproduire et de se repeupler. C’est pour cela que des statistiques de la capture et de l’effort, jointes à d’autres données concernant les poissons capturés, sont la clé et le fondement même d’un aménagement rationnel des pêches.

On utilise souvent les statistiques pour exercer un contrôle administratif direct de l’aménagement et s’assurer que les pêcheurs s’en tiennent aux limites fixées. Les mesures d’aménagement des pêches précisent souvent la quantité de poisson qui peut être prise, par qui et par quels moyens, où et à quel moment. Il faut donc que la capture totale admissible et l’attribution des licences ou des quotas, les contrôles des engins de pêches et des opérations de pêche, ainsi que les zones et périodes saisonnières de fermeture soient suivis en permanence ce qui, pour une bonne part, ne peut se faire que par la collecte régulière et systématique de statistiques fiables des captures et du volume de l’effort de pêche.

L’aménagement des pêches devrait préserver la sécurité alimentaire et les moyens d’existence des communautés qui en dépendent et viser à ce que les profits résultant de la production excédentaire des stocks sauvages aillent à l’économie selon des modalités propres au contexte politique, social et à l’état de développement dans lequel ces gains ont été réalisés. Les gouvernements et les branches d’activités concernés ont besoin de statistiques fiables pour comprendre les relations économiques à l’intérieur du secteur halieutique et ses liaisons avec d’autres secteurs, comme le secteur financier, le secteur énergétique ou celui des constructions navales. Ils doivent planifier la formation et l’investissement si les rendements potentiels sont supérieurs aux rendements réels, ou le recyclage des personnels et la réduction du secteur si la capacité existante dépasse les rendements appropriés. Les communautés ont besoin de statistiques des captures et de l’effort si elles veulent réaliser et garantir une répartition convenable et équitable des bénéfices. Les responsables des politiques ont besoin de ces statistiques pour que les communautés de pêche soient correctement représentées au moment où les politiques sectorielles sont élaborées. Par exemple, une récente étude2 des pêches continentales dans les pays de l’Asie du Sud-Est a montré que les captures sont de plusieurs fois supérieures aux statistiques officielles et que la dépendance des communautés à l’égard du poisson en tant que source de protéines, ainsi que leur dépendance à l’égard de la pêche en tant que moyen d’existence et des pêcheurs artisanaux sont bien plus importantes qu’il n’est officiellement reconnu, ce qui se traduit par une reconnaissance insuffisante de la place des pêches dans l’établissement des politiques sociale, économique, nutritionnelle et environnementale.

En résumé, des statistiques non fiables sont, de trois façons, un obstacle à l’aménagement des pêches:

Fiabilité des statistiques des pêches

Dès les tout débuts de la pêche moderne, le problème de la fiabilité de l’information s’est imposé aux gestionnaires des pêcheries, surtout à propos du volume et de l’emplacement des captures. Déjà au XVIe siècle, les pêcheurs portugais gardaient jalousement secrète la découverte qu’ils avaient faite des Grands Bancs de pêche morutiers de l’Atlantique Nord-Ouest. Lorsque les pêches de capture approchent de leurs rendements maximaux, les chercheurs ont besoin de données plus nombreuses et plus précises, sur lesquelles fonder leurs analyses. La plupart des évaluations des stocks, des flottilles et des participants seront toujours tributaires de statistiques fiables des captures et de l’effort, tout comme le seront les avis en matière de gestion économique et d’aménagement des pêches. Compte tenu de la demande croissante de poisson alimentaire et de l’évolution accélérée de la société, les savoirs traditionnels, souvent ancrés dans des communautés stables qui leur accordent une grande crédibilité, ne suffisent plus. Les sociétés, la technologie et les besoins évoluent en même temps que les pêches, et l’aménagement des pêcheries doit continuellement s’adapter pour relever de nouveaux défis et faire face aux circonstances. Des statistiques fiables sont le type d’information dont on a le plus besoin.

L’éventail des différents types de données nécessaires à l’aménagement des pêches et à l’élaboration des politiques est potentiellement énorme. Toutefois, en raison de contraintes financières ou humaines, les autorités chargées de l’aménagement seront obligées de limiter la collecte aux types de données les plus importants. En 1998, la FAO a publié des Directives concernant la collecte courante de données sur les pêches de capture3, qui indiquent quelles sont les données à rassembler dans le contexte de politiques/objectifs/indicateurs/stratégies déterminés. Cette publication contient aussi des avis concernant les méthodes de collecte, la gestion des données, la planification et la mise en œuvre de systèmes de collecte des données. Elle n’est pas directive en ce sens qu’elle ne propose pas une liste des types de données qui seront à chaque fois nécessaires. Elle dresse plutôt un cadre décisionnel au moyen duquel les données les plus appropriées seront collectées en fonction des tâches envisagées. Une bonne partie de l’information sur les pêches, qui est collectée de par le monde, est peut-être fiable, mais elle est de peu de valeur. Du point de vue de l’aménagement des pêches, fiabilité veut dire aussi pertinence.

Le manque de fiabilité peut avoir plusieurs autres causes. Les déclarations délibérément erronées ou la non-déclaration par les pêcheurs et autres participants (transformateurs, négociants) opérant légalement ou illégalement sont, aux dires de la plupart des gestionnaires, un problème critique, notamment dans les pays développés et dans les pêcheries internationales. Toutefois, dans certaines pêcheries, particulièrement dans celles artisanales et dans celles des pays en développement, ou bien il n’existe aucune législation exigeant des données sur les pêches, ou bien l’infrastructure nécessaire à la collecte de telles données est insuffisante. Même quand les données sont collectées, elles reposent parfois sur un échantillonnage inadéquat ou sur un plan d’échantillonnage inapproprié, ce qui peut s’expliquer au départ par le manque de crédits ou de personnel qualifié.

Les services statistiques eux-mêmes peuvent introduire un biais, soit par inadvertance s’ils ont appliqué des méthodologies inappropriées, soit du fait de distorsions systématiques introduites délibérément, par exemple pour démontrer qu’un résultat donné est conforme à des obligations internationales (captures totales admissibles imposées) ou à la politique nationale.

Le manque de ponctualité peut aussi être un problème. Pour que les statistiques constituent des indicateurs utiles à l’aménagement des pêches, il faut qu’elles soient établies périodiquement et selon un calendrier qui fournisse aux gestionnaires des indications à court terme. Des retards dans l’élaboration des statistiques peuvent en compromettre gravement l’utilité pour les aménageurs. Des statis-tiques vieilles de cinq ans, mais qui viennent tout juste d’être mises à disposition, seront peut-être fiables mais n’auront que peu de pertinence dans le contexte actuel.

La confidentialité des données halieutiques est aussi un facteur qui permet d’apprécier la fiabilité, et partant l’utilité, des statistiques des pêches. Selon les conclusions d’un rapport récent du Conseil national de la recherche (NRC)4 des Etats-Unis: «La confidentialité des données halieutiques est si restric-
tive qu’elle entrave tant la recherche que la gestion.» Le rapport admet d’une manière générale que certaines données halieutiques ont une valeur utilitaire et que «… un certain degré de confidentialité est nécessaire pour permettre aux pêcheurs de poursuivre leur activité et pour encourager la fourniture d’informations de haute qualité … informations qui ne seraient peut-être pas aussi précises si elles étaient moins confidentielles». Le Code de conduite pour une pêche responsable contient plusieurs références au caractère confidentiel5 applicable à ces données, sans définir ce que l’on entend par cette expression, d’une part parce que sa signification dépend du contexte de chaque pêcherie et, d’autre part, parce que la nature juridique des informations commerciales varie d’un pays à l’autre. Néanmoins, le rapport du NCR recommande que les politiques des Etats des Etats-Unis et la politique fédérale concernant la confidentialité des données soient réévaluées, notamment en créant un mécanisme chargé d’établir des périodes d’exclusivité couvrant la confidentialité des données fournies par les pêcheries et «les effets qu’aurait la perte de confidentialité sur leur précision et les biais (donc sur la fiabilité) … en fixant la périodicité d’exclusivité de chaque type de données».

Autrement dit, si l’on abaisse les niveaux de confidentialité, on risque d’avoir des informations moins fiables, en particulier dans le secteur des pêches, où la connaissance (même provisoire) des «meilleures» zones de pêche est le principal atout des pêcheurs face à leurs concurrents. La confidentialité n’a donc pas une unique dimension. Elle dépend du moment, et des besoins et autorisations des utilisateurs des données, y compris de la confiance qu’inspirent la sécurité des données et une certaine compréhension des utilisations auxquelles elles sont destinées.

SOLUTIONS ENVISAGEABLES

Améliorer la fiabilité des statistiques des pêches

Un effort considérable de recherche et d’analyse est régulièrement consacré à évaluer la précision et l’exactitude des données halieutiques et à estimer l’étendue des captures et de l’effort de pêche qui sont entièrement passés sous silence. Des techniques statistiques d’une complexité sans cesse croissante s’efforcent de réduire le degré d’incertitude lié à ces données manquantes. Le rapport de l’Atelier organisé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l’importance de statistiques fiables pour la conduite d’une aménagement efficace6 note que: «Il faut admettre que, même en utilisant ces techniques, les limites de confiance accordées à ces estimations sont très vagues, ce qui contribue sensiblement à alimenter un certain manque de confiance dans les avis qui en découlent.»

Nonobstant cette critique de caractère général, il est probable que les données non communiquées devront toujours être estimées de plusieurs manières afin d’améliorer la fiabilité des statistiques des pêches. D’ailleurs, des prospections par échantillonnage7 bien conçues peuvent livrer des aperçus intéressants sur une population donnée (y compris des données qui n’ont pas été échantillonnées). Un bon plan statistique, assorti de mécanismes de validation, est donc un moyen essentiel d’améliorer la fiabilité. Les mécanismes de validation comprennent la réalisation périodique d’enquêtes-cadres, le recours à des observateurs et à des inspecteurs (en qualité d’échantillonneurs travaillant parallèlement à l’approche par recensement exhaustif généralement utilisée dans les livres de bord), les débarquements et le traitement des données obtenues, ainsi que des systèmes de suivi des navires.

On prétend aussi, souvent, que les pêcheries fondées sur des droits ou les pêcheries cogérées par des communautés, dans lesquelles le contrôle des participants relève en partie de la responsabilité des pêcheurs eux-mêmes, peuvent aussi produire des données plus fiables, car il est de l’intérêt même des pêcheurs de conserver des bons enregistrements et de participer au travail d’évaluation et aux décisions d’aménagement. A coup sûr, les motivations incitant à fournir des données exactes peuvent jouer un rôle déterminant dans la fiabilité des statistiques ainsi rassemblées.

S’il est souvent indispensable de garantir la confidentialité des données pour en assurer la fiabilité, les méthodologies et les processus utilisés pour les collecter et les collationner devraient, en revanche, être pleinement transparents pour en garantir l’objectivité. Toute incertitude liée aux statistiques devrait être connue, qu’il s’agisse de limites de confiance, d’indicateurs de qualité, voire d’observations annotées.

De plus, l’amélioration de la fiabilité des statistiques passe par la coopération à l’élaboration et à l’adoption de normes. La normalisation de la nomenclature et du codage, l’adoption de méthodes statistiques agréées et la mise en œuvre de méthodes transparentes d’échange de l’information supposent un degré poussé de concordance entre les pays pour que la nature et l’origine des statistiques des pêches soient comprises dans toutes les régions, pour tous les océans et dans le monde entier.

En résumé, pour améliorer la fiabilité des statistiques de pêches il faut tenir compte d’un grand nombre de paramètres, notamment:

Pour que de telles solutions puissent être mises en œuvre pour remédier au problème des statistiques non fiables – qui gênent l’aménagement des pêcheries et parfois y introduisent la confusion – il faut que deux conditions soient réunies: une volonté politique et des moyens suffisants.

Ces possibles solutions et exigences ont été identifiées en 2002 par les membres de la FAO lors d’une Consultation technique sur l’amélioration de la situation et des tendance des pêches, qui avait pour tâche précise d’élaborer une proposition visant à améliorer l’information halieutique de toutes sortes de manières et à tous les niveaux. La Consultation technique a proposé un projet de stratégie visant à améliorer l’information relative à la situation et aux tendances des pêches de capture, qui sera soumis au COFI en 2003.

En même temps que des objectifs et des principes directeurs, le projet de stratégie identifie directement les mesures à prendre et les rôles respectifs des Etats, des organes régionaux des pêches et de la FAO dans l’amélioration de la compréhension factuelle des pêches et les échanges d’informations. Il reconnaît entre autres choses la nécessité de: mettre en place une capacité dans les pays en développement; avoir des systèmes de collecte des données sur les pêcheries artisanales et les pêcheries plurispécifiques; mettre au point des critères et des méthodes permettant de garantir la qualité et la sécurité de l’information; et élaborer des arrangements pour communiquer et échanger l’information. Le projet de stratégie a pour but de mettre en place un cadre général offrant aux institutions partenaires en développement des motivations les incitant à financer la mise en place de capacités propres à améliorer l’information et les statistiques sur les pêches.

PERSPECTIVES MONDIALES

Réponses internationales face au besoin de statistiques fiables sur les pêches

On admet généralement que la qualité globale des statistiques de la production halieutique s’est relativement dégradée durant la rapide expansion qu’a connue cette production depuis 50 ans. Cela a été notamment le cas depuis que la Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) a profondément bouleversé le régime des océans, et que les pays en développement ont commencé à éprouver des difficultés sociales et économiques supplémentaires. Ces difficultés sont apparues en dépit des exhortations de l’UNCLOS à recourir aux «meilleures données scientifiques disponibles»; en dépit aussi des «effondrements» que certains pays développés avaient connus précédemment et dont les pays en développement auraient pu tirer la leçon quand leurs pêcheries ont pris leur essor; en dépit enfin de la demande persistante et parfaitement fondée d’asseoir l’évaluation des stocks de poissons et l’aménagement des pêcheries sur des bases statistiques fiables.

Le problème s’explique en partie, indubitablement, par le manque d’argent et de moyens. Mais il est aussi en rapport avec le profil généralement bas d’une ressource naturelle qui, en raison de son milieu même, échappe à l’œil des responsables politiques, ainsi qu’avec l’hypothèse selon laquelle les pêches peuvent être considérées comme un bien commun, comme un système libre d’accès, que les forces du marché peuvent suffire à réguler. En aménagement des pêches, aucune de ces hypothèses ne tient. Les pêches ont un profil haut pour ce qui concerne l’approvisionnement mondial en protéines, particulièrement dans les pays en développement, et les pêcheries artisanales des eaux intérieures et marines sont probablement plus importantes qu’on ne l’imagine actuellement; la liberté d’accès a inexorablement conduit à la surexploitation dans toutes les pêcheries qui la pratiquaient; le commerce mondial a la faculté potentielle de détourner les pêches de la consommation intérieure et d’un approvisionnement de subsistance, entraînant parfois une surpêche de poisson alimentaire aux fins d’exportation. Heureusement, des modifications des comportements et de la volonté politique commencent à se faire jour dans le cadre général de l’aménagement des pêches, particulièrement depuis 1992, date à laquelle la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED) a mondialement pris acte des relations évidentes qui existent entre l’environnement et le développement durable.

Pendant de longues années avant 1992, les scientifiques et les gestionnaires des pêches avaient plaidé en faveur d’une meilleure fiabilité des statistiques. Ils admettaient aussi et expliquaient qu’il leur fallait être prudents dans la manière dont ils maniaient les limites de confiance statistique dans leurs analyses et leurs avis, bien longtemps avant que le principe de précaution ne devienne la doctrine en matière d’environnement. Autrement dit, des statistiques meilleures et plus fiables permettent de resserrer la limite de confiance, donc d’abaisser le seuil de prudence qu’il faut appliquer.

Toutes les instances s’occupant des pêches, depuis le COFI jusqu’aux réunions régionales et nationales, invoquent la nécessité de disposer de statistiques fiables. Le rythme auquel les institutions réagissent, du moins aux niveaux international et régional, s’accélère. La plus ancienne de ces institutions internationales est le Groupe de travail et de coordination interinstitutions sur les statistiques des pêches, initialement créé en 1959 pour les pêcheries de l’Atlantique mais dont le statut a été récemment modifié pour l’ouvrir aux organes régionaux du reste du monde. Le Groupe de travail et de coordination a joué un rôle décisif dans l’établissement de nombreuses normes applicables aux statistiques halieutiques et réexamine actuellement son rôle et ses méthodes, compte tenu en particulier des préoccupations que suscitent la qualité des statistiques des pêches et la nécessité de mettre en place des capacités et d’arriver à un minimum d’harmonisation des normes de qualité.

Le Code de conduite pour une pêche responsable, dans l’Article 7 consacré à l’Aménagement des pêcheries, plaide en faveur de statistiques fiables en ces termes:

En appliquant le Code à des objectifs particuliers, les organisations internationales, et en particulier les Nations Unies, la FAO et les Organismes régionaux des pêches, ont pris un certain nombre d’initiatives qui, directement ou indirectement, appellent, instaurent ou comportent des améliorations du rassemblement et de la diffusion de statistiques fiables. L’Accord des Nations Unies sur les stocks de poissons9 qui est entré en vigueur en 2001, contient à l’Annexe I une description détaillée des normes requises pour la collecte et la mise en commun des données, normes auxquelles doivent adhérer tous les signataires. L’Accord10, qui n’est pas encore entré en vigueur, fait également référence dans son Article 7 (Echange d’informations) aux besoins de données concernant les navires de pêche et leurs autorisations de conduire des opérations en haute mer, ce qui fournirait des données sur les flottilles par le biais de l’identification administrative de l’effort de pêche autorisé.

En outre, quatre plans d’action internationaux11 portant sur des points spécifiques ont été élaborés depuis 1998. Chacun de ces plans contient des décisions concernant la collecte, le traitement et la diffusion de données améliorées en relation directe avec le sujet traité. De nouvelles approches à l’aménagement des pêches par écosystèmes, assorties de critères élevés concernant des données à rassembler de sources très diverses, sont aussi progressivement introduites dans la théorie générale de l’aménagement des pêches (voir Application de l’approche écosystémique à la gestion des pêches de capture).

Les organismes régionaux des pêches jouent un rôle de plus en plus important dans l’aménagement des pêcheries de par le monde. Les anciennes organisations mettaient surtout l’accent sur l’aspect scientifique et sur l’élaboration d’avis scientifiques. Les organisations plus récentes – notamment celles qui sont encore en cours de négociation12 – entendent jouer un rôle dans le domaine de l’administration et de la gestion des pêches. La plupart des organismes régionaux des pêches sont dotés de comités scientifiques qui ont entre autres pour tâche de s’occuper des questions relatives aux statistiques des pêches par le biais de comités permanents ou de groupes de travail.

En dehors du cadre des institutions spécialisées s’occupant des pêches, le monde entier reconnaît que la bonne gouvernance et le développement, y compris la mise en valeur des ressources naturelles, nécessitent une meilleure information. En réponse à une résolution du Conseil économique et social des Nations Unies sur la rationalisation et l’amélioration des statistiques et des indicateurs, un Partenariat en matière de statistiques pour le développement au XXIe siècle (PARIS 21) a été mis en place en 1999. Il est installé au siège de l’OCDE à Paris. Par des campagnes de mobilisation, des échanges d’informations et des partenariats, PARIS 21 s’efforce de contribuer à combattre plus efficacement la pauvreté et à améliorer la transparence, la responsabilité et l’efficacité de la gouvernance dans les pays en développement et dans les pays en transition. Une meilleure fiabilité des statistiques des pêches de capture (que préconise le projet de stratégie de la FAO sur la situation et les tendances des pêches) permettrait d’améliorer l’aménagement des pêcheries, d’avoir des activités halieutiques plus durables et une gouvernance plus efficace de ce secteur, ce qui contribuerait sans aucun doute à la sécurité alimentaire et, par voie de conséquence, à la réduction de la pauvreté.

Certains signes timides laissent entrevoir que le désintérêt des autorités nationales et des institutions partenaires en développement pour les travaux statistiques – que mettait en évidence le recul des projets de terrain, nationaux et régionaux, consacrés au développement des statistiques des pêches – commence à faiblir. Il est possible de constater, ici et là, que l’importance du développement des statistiques dans le cadre général de la planification du développement régional et national bénéficie d’un certain regain d’intérêt.

CERTIFICATION DES CAPTURES ET DOCUMENTATION DES CAPTURES

LE PROBLÈME

La pression croissante exercée sur les ressources de la haute mer a obligé à intensifier la recherche de méthodes permettant de contrôler l’effort de pêche, en particulier de méthodes visant à obtenir des informations sur les captures non communiquées et à maîtriser l’effort de pêche portant sur les espèces fortement exploitées. C’est ainsi qu’ont été introduits des systèmes de certification et de documentation des captures.

Figure 37

Le thon rouge de l’Atlantique est une de ces espèces fortement pêchées. Cette pêche s’effectue principalement en haute mer. L’organisation régionale d’aménagement des pêcheries concernée a compétence pour réglementer la pêche des thons rouges de l’Atlantique par ses propres membres, mais n’a aucun moyen réel de traiter avec des navires battant pavillons d’Etats non membres vu que, sur les pêcheries de haute mer, l’Etat de pavillon n’a le droit de contrôler les activités de pêche que de ses propres navires. Les pays qui sont membres d’organes régionaux des pêches chargés d’aménager des pêcheries telles que celles du thon rouge de l’Atlantique voient là un problème.

La plupart des navires de pays non membres sont immatriculés dans des pays qui tiennent des registres ouverts. Il s’agit souvent de petits pays qui ne s’intéressent que peu ou pas à la pêche. En conséquence, ils n’exercent aucun contrôle sur les navires inscrits dans leurs registres ouverts. De plus, ils ne déclarent que rarement les captures, ou ne déclarent que de très faibles quantités, généralement parce que les navires concernés ne débarquent pas leurs captures dans leurs pays ou ports d’origine et ne sont pas tenus de communiquer leurs captures à l’Etat du pavillon. Cela accentue le problème et suscite beaucoup d’incertitude autour des quantités pêchées au cours d’une période donnée, et complique le travail d’aménagement pour l’organe régional des pêches concerné. En outre, comme ces navires ne sont pas, ou ne sont que peu contrôlés quand ils pêchent en haute mer, ils ont toute latitude d’enfreindre les règles d’aménagement approuvées par une organisation régionale d’aménagement des pêcheries, et souvent ont un avantage économique à le faire. Pour cette raison, les navires immatriculés sur des registres ouverts sont souvent désignés comme des «navires sous pavillons de complaisance».

Tel est le contexte dans lequel il a été décidé d’essayer de faire pression sur les navires battant pavillons de complaisance en limitant leurs possibilités de commercialiser leurs captures.

SOLUTIONS ENVISAGEABLES

La Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (CICTA) a été la première organisation régionale d’aménagement des pêcheries à mettre en œuvre des systèmes de documentation des captures pour les thons rouges capturés à l’intérieur de son aire de juridiction. Tout thon rouge importé dans l’un quelconque des pays membres de la CICTA doit être accompagné d’un document identifiant le pays d’origine. Cette mesure a pour but d’enregistrer les captures des navires qui battent des pavillons de pays autres que ceux des membres de la CICTA de manière que les captures totales de thons rouges puissent être enregistrées aux fins d’aménagement. Ce document porte le nom de «document statistique», ce qui prête à confusion. En l’espace de quelques années, ce programme de documentation des captures a permis d’identifier plusieurs pays dont les navires sous pavillons de complaisance prenaient jusqu’à 30 pour cent de la capture totale de thons rouges. L’introduction de ce programme a été facilité par le fait que le Japon et l’Europe sont pratiquement les seuls importateurs de thon rouge.

TABLEAU 9
Interdictions par la CE d’importations de thonidés et espèces apparentées

Pays exportateur

Thon rouge

Espadon

Thon obèse

Belize

interdit

interdit

interdit

Cambodge

   

interdit

Guinée équatoriale

interdit

 

interdit

Honduras

interdit

interdit

 

Saint-Vincent

   

interdit

Les membres de la CICTA sont convenus entre eux que des sanctions commerciales multilatérales devraient être envisagées à l’encontre des pays ayant des registres ouverts, dont les navires effectuaient des captures de thons rouges non respectueuses des mesures d’aménagement de la CICTA. La menace d’une éventuelle interdiction de leurs exportations de thons rouges a été suffisante pour encourager ces pays à registres ouverts à rejoindre la CICTA et/ou à prendre des mesures pour faire en sorte d’exercer eux-mêmes un contrôle sur les navires battant leurs pavillons respectifs. Les propriétaires de navires qui n’ont pas voulu se plier à ces mesures pouvaient réimmatriculer leurs navires sur d’autres registres ouverts. C’est ainsi que les registres du Panama, du Honduras et du Belize, qui comptaient de nombreux palangriers d’origine asiatique, se sont profondément modifiés.

En novembre 2001, la Communauté europé-enne (CE) a interdit l’importation de certains thonidés et espèces apparentées provenant de pays exportateurs déterminés, en conformité avec les mesures d’aménagement de la CICTA, ainsi qu’on le voit au tableau 9.

Le succès obtenu par la CICTA a profité à d’autres organisations d’aménagement des pêcheries qui se débattaient avec le même problème de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, et des parties non contractantes. Les problèmes de la Commission pour la conservation de la faune et la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR) étaient très différents de ceux de la CICTA dans la mesure où la CCAMLR travaillait sur la surpêche de la légine sous les latitudes australes. Au début des années 90, la pêche palangrière des légines australes dans les eaux très profondes de ces latitudes s’est développée très rapidement en raison de sa rentabilité élevée et a suscité la convoitise de nombreuses entreprises. La zone de la CCAMLR est très difficile à surveiller en raison de son immensité, de la relative absence d’activités de suivi, de contrôle et de surveillance, ainsi que de la rareté des zones économiques exclusives (ZEE) dans la région circumpolaire. Les Marines française et australienne arrêtaient les navires surpris en train de pêcher sans autorisation dans les 200 milles nautiques des ZEE entourant leurs territoires respectifs (les îles Kerguelen et Crozet pour la France, et les îles Heard et McDonald pour l’Australie), mais d’importantes captures avaient lieu dans les zones de haute mer sur lesquelles aucun pays n’exerçait de juridiction nationale. D’après certaines estimations, ces captures non communiquées étaient supérieures à celles qui figuraient dans les statistiques officielles. En réponse à cette situation, la CCAMLR a introduit un système de documentation des captures. D’après ce système, toutes les légines débarquées dans les ports de ses participants devaient être accompagnées d’un document de capture, autorisées par l’Etat pavillon du navire, puis vérifiées au port de débarquement par un agent autorisé de l’Etat du pavillon ou de l’Etat du port. Une autorisation supplémentaire du gouvernement est nécessaire pour que les légines puissent être introduites dans le commerce international, et le document de capture doit suivre les légines à travers toutes les étapes du cycle d’exportation. Depuis son entrée en vigueur, ce programme a permis de repérer 18 navires qui tentaient de débarquer des captures non autorisées de légines australes.

Les Parties à l’Accord de 1998 relatif au Programme international de conservation des dauphins (APICD) ont adopté en juin 2001 un programme en vertu duquel elle peuvent délivrer des certificats indiquant que le thon en boîte est «sans danger pour les dauphins» (c’est-à-dire qu’il a été pêché sans avoir entraîné de mortalité ou de blessures graves de dauphins). Le programme de certification du thon sans danger pour les dauphins diffère des autres en ce qu’il ne consiste pas en mesures commerciales ou d’aménagement, mais vise des objectifs liés au marché. Des observateurs sont présents à bord des grands senneurs. Au moment de la capture, le thon pêché sans nuire aux dauphins est entreposé séparément des autres thons. Le numéro de traçabilité fixé sur chaque thon le suit tout au long de son parcours et des copies du certificat d’innocuité et du formulaire de traçabilité sont conservées par le Secrétariat de la Commission interaméricaine du thon tropical (CITT). Cette information, qui porte sur des questions d’environnement plutôt que sur l’aménagement des pêches ou le commerce, n’est pas considérée comme constituant un document commercial (ce que sont les documents concernant les captures de thons et de légines), même si les méthodes de contrôle sont similaires.

Le succès avec lequel le document commercial permet d’obtenir de meilleures données sur les captures et d’infléchir les activités de pêche illégales, non déclarées et non réglementées, a amené la CICTA et d’autres ORAP à appliquer des mesures similaires à d’autres espèces. La CICTA a étendu la documentation des captures à l’espadon et au thon obèse. La Commission des thons de l’océan Indien (CTOI) se sert de ce système pour le thon obèse et pour l’espadon. Il prévoit la certification par des représentants de l’Etat du pavillon et il est veillé à ce que les opérations de vérification soient effectuées de manière satisfaisante. La Commission pour la conservation du thon rouge du sud (CCSBT) envisage d’introduire un système de documentation des captures pour le thon rouge du sud.

INITIATIVES RÉCENTES

La prolifération des programmes de documentation des captures a amené la Coalition internationale des associations halieutiques (CIAH) à demander qu’ils soient tous normalisés. Le Président de la réunion des organismes régionaux des pêches13 a tenu, avec le concours de la FAO, une réunion à La Jolla (Etats-Unis) au cours de laquelle la question a été examinée. La réunion a émis des recommandations concernant le contenu d’un certificat de capture et d’un document de capture normalisés, ainsi que sur les procédures à suivre pour le traitement de ce document. La FAO met actuellement au points des documents normalisés, avec le concours de fonctionnaires des douanes qui ont fait l’expérience de l’utilisation de ce genre de documentation. Les résultats de ce travail seront présentés à la Troisième réunion des organismes régionaux des pêches qui devrait se tenir en mars 2003 à la FAO, tout de suite après la réunion du COFI.

Le sens des termes «captures» et «débarquements» n’est pas toujours clair pour les usagers et les lecteurs. Cela prête à confusion. Le Groupe de travail et de coordination sur les statistiques des pêches a adopté une terminologie normalisée afin d’éviter toute ambiguïté, et en a recommandé l’adoption par la FAO et par les organisations régionales d’aménagement des pêcheries qui utilisent des programmes de documentation des captures. Le choix de facteurs de conversion les plus appropriés pour estimer l’équivalent poids vif par rapport au poids du produit a aussi posé quelques problèmes. Le double comptage – quand différentes parties du même poisson sont exportées vers différents pays, chacune étant accompagnée de sa série propre de documents – est une autre source de difficultés.

La pratique de plus en plus répandue consistant à engraisser des thons rouges en cages de filet dans des élevages rend difficile, pour les aménageurs de pêcheries thonières, l’application des contingents. Cette activité d’élevage se répand actuellement, surtout en Méditerranée où les thons rouges sont capturés en mer par des senneurs ou dans des pièges, puis transférés directement des chalutiers dans les cages sans avoir été sortis de l’eau. Actuellement, ces captures ne sont statistiquement enregistrées qu’après que le poisson a été débarqué ou capturé. Les renseignements disponibles ne permettent donc pas aux gestionnaires de savoir quels sont les navires (et les pays) qui ont pris le poisson, quel est l’endroit où il a été pêché et quelle était sa taille au moment où il a été pêché. Le système de répartition des contingents de capture des thons rouges entre les nations de pêche devient donc de plus en plus difficile à suivre et à appliquer.

La Convention portant création de la Commission pour la conservation et la gestion des espèces de grands migrateurs dans le centre et l’ouest de l’océan Pacifique n’est pas encore en fonction et ne devrait pas l’être avant plusieurs années. Toutefois, le Comité permanent qui s’occupe des thons et des marlins (réunion ad hoc de scientifiques qui analysent les pêcheries de la région) étudie l’introduction de la certification et de la documentation des captures car il existe de très fortes possibilités que les captures effectuées dans le centre et l’ouest de la zone Pacifique ne soient pas déclarées. Ce système sera sans doute très difficile à mettre en œuvre, vu la grande diversité des flottilles de pêche en cause et la multitude des ports dans lesquels les navires pourraient débarquer leurs prises.

La CITT examine actuellement une résolution tendant à instituer un système de documentation des captures de thon obèse par les palangriers.

PERSPECTIVES MONDIALES

Les programmes de documentation des captures ont connu un succès spectaculaire au début de leur mise en œuvre, quand ils ne portaient que sur une seule espèce de poisson, de grande taille, faisant l’objet d’opérations de pêche illicite, non déclarée et non réglementée. L’élargissement de ce système à des poissons plus petits, pêchés dans certains cas par plusieurs navires ou dans plusieurs régions, posera davantage de problèmes, et il y a un risque de semer la confusion entre les espèces, surtout quand les agents des douanes n’ont pas beaucoup d’expérience de ce genre d’opérations. Le problème des codes douaniers n’est pas facile. C’est pourtant grâce à l’emploi de tels programmes de documentation des captures que l’on pourra, d’une manière générale, réunir de meilleures statistiques sur les captures et le commerce international du poisson, que l’on pourra identifier les navires de pêche qui opèrent illégalement et sans contrôle et prendre des mesures à leur encontre.

Théoriquement, les programmes de certification et de documentation des captures décrits ci-dessus peuvent contribuer à l’aménagement d’une pêcherie par une organisation régionale d’aménagement des pêcheries, mais il est recommandé d’élaborer en premier de nouveaux systèmes pour des pêcheries qui sont ou seraient soumises à des activités importantes de pêche illicite, non déclarée et non réglementée. Il faut aussi donner la priorité à des pêcheries qui récoltent des espèces déjà couvertes par des certificats ou des documents de captures dans d’autres pêcheries de manière à appuyer les programmes existant ailleurs. Il faut aussi veiller à aider les pays en développement à faire face à leurs besoins de certification et de documentation des captures, car beaucoup d’entre eux tirent des produits de la pêche d’importantes recettes en devises.

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