Previous PageTable Of Contents Next Page

Arbres, forêts, croyances et religions en Afrique de l’Ouest sahélienne

E.H. Sène

El Hadji Sène est Directeur de la Division des ressources forestières, Département des forêts de la FAO, Rome.

Les forces sacrées et puissantes attribuées aux arbres sont généralement le fruit d’observations des caractéristiques des espèces.

Il est banal de dire que l’arbre et la forêt jouent un rôle important dans le sacré et le mystère de nombreuses populations. Il est également difficile de se livrer à des généralisations hâtives dans un tel domaine car les valeurs sacrées et les croyances dépendent étroitement des valeurs de chaque groupe ethnique. Mais l’on peut dire que l’origine du sacré, du pouvoir mystique attribué à chaque espèce, provient toujours d’une intime observation de l’espèce, d’intimes interactions avec l’arbre ou le groupement végétal considéré. L’observation retiendra les caractéristiques de l’espèce et ses rapports avec les éléments de la nature, avec l’eau, les vents, les animaux, la nature de ses feuilles, l’apparence d’ensemble de son feuillage, des fleurs et des fruits. Les caractères qui sont déduits de la physionomie de l’arbre deviennent des facultés, des forces et des énergies qui sont pouvoir, inspiration, forces occultes aux effets catalytiques.

Par exemple, dans nombre de croyances de l’Afrique de l’Ouest sèche le Kigelia africana, un arbre particulièrement productif se remarque par ses gros fruits ligneux, ressemblant à de grosses bourses pendant au bout de longs pédoncules: c’est l’arbre type de la fertilité. Toute femme allaitante accroche à l’arbre un morceau de tissu pour en chercher protection et nombreuse progéniture. Retenant sa fertilité exubérante et l’apparence de ses fruits pareils à des organes mâles, le subconscient populaire traduit cela par des facultés surnaturelles pouvant être bénéfiques en matière de procréation.

Le tamarinier, Tamarindus indica, souvent associé aux termitières est un arbre au houppier toujours vert; le caractérisent la dureté et la longévité de son bois, ses feuilles et ses fruits acides et son apparence sévère et imposante. Il est associé à la présence des esprits et des djinns. On le respecte et le craint, et on lui donne des valeurs relatives à la ténacité; son association dans certains cas avec les termitières en fait un symbole de solidarité dans l’effort durable.

Les arbres et forêts sacrés existent partout mais jouent des rôles différents. Leurs origines sont également variables: halte de l’ancêtre fondateur; disparition d’un patriarche; habitat des animaux totem, etc. L’arbre individuel sacré est le plus souvent un arbre remarquable, «frappant» par ses formes ou sa dimension ou lié à un événement légendaire ou historique. Souvent les fondateurs ou guides du groupe ont choisi leur «station» qui deviendra plus tard le village ancestral après une minutieuse observation du terrain, des arbres qui y ont poussé, des signes en rapport avec la présence de l’eau ou le passage des animaux. Souvent un arbre ou un groupe d’arbres auront été choisis et resteront lieu de culte ou de grâce rendue à l’ancêtre.

L’utilisation des espèces végétales dans la médication est fondée à la fois sur des considérations mystiques et sur une observation attentive. Ainsi un végétal est médicament non seulement par les «principes» que l’on a pu y percevoir – par l’amertume ou l’astringence ou toute autre saveur, goût, odeur – mais aussi par les caractéristiques et forces qu’il semble dégager: son emplacement physique, son exposition et les associations végétales dont il fait partie. On donne à ces attributs des forces bénéfiques qui décuplent l’effectivité des principes biochimiques qui seraient pour le médecin moderne les seules valeurs qui méritent considération.

Dans les religions modernes islamique et chrétienne, les arbres jouent également un rôle. Mais c’est souvent à travers les réminiscences historiques et les hommages qui en découlent que ce rôle existe. Tel saint homme s’est arrêté à tel endroit, sous un tel arbre pour s’y reposer et prier, et cet arbre peut devenir lieu de pèlerinage et de recueillement.

Certains pays ont reconnu la valeur remarquable par l’histoire ou les caractéristiques physiques exceptionnelles d’arbres et de groupes d’arbres, et ont tenté de réglementer la protection de tels patrimoines. Au Sénégal, par exemple, un décret a institué une procédure de reconnaissance et de classement des arbres remarquable. C’est une direction qu’il faut encourager. La Convention pour la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel ne peut que s’enrichir de telles initiatives.

Les fruits pendants de Kigelia africana ont fait que cet arbre évoque la fertilité

DEPARTMENTO DE MONTES DE LA FAO/CFU000269/R. FAIDUTTI

Previous PageTop Of PageNext Page