Les grands principes et lapproche dune gestion efficace et responsable des pêches figurent dans le Code de conduite de la FAO pour une pêche responsable, et ont trait, pour bon nombre dentre eux à une gestion écosystémique de la pêche. Cette approche représente en fait un moyen dappliquer de nombreuses dispositions du Code et de réaliser un développement durable dans le secteur de la pêche. Les principes qui la composent ne sont pas nouveaux. Ils sont déjà inscrits dans un certain nombre daccords et de documents de conférence internationaux, parmi lesquels on peut citer: la Conférence mondiale sur lenvironnement humain (1972), la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (1982), la Conférence des Nations Unies sur lenvironnement et le développement et son plan Action 21 (1992), la Convention sur la diversité biologique (1992), lAccord des Nations Unies sur les stocks de poisson (1995), le Code de la FAO pour une pêche responsable (1995), la Déclaration de Reykjavik (2001) et le Sommet mondial pour le développement durable (2002). Toutefois, bien que les principes ne soient pas nouveaux, nous navons encore guère dexpérience de leur application. Les directives techniques visent donc à traduire ces grands principes en mesures et objectifs opérationnels susceptibles de mettre en oeuvre lapproche écosystémique dans des cadres économiques et sociaux très divers, principalement dans les pays en développement.
Le fait de mieux percevoir limportance des interactions entre différentes ressources halieutiques et entre ces ressources et les écosystèmes dans lesquels elles se trouvent a suscité un intérêt croissant à légard de directives concrètes dapplication de lapproche écosystémique. Lautre facteur y ayant contribué a été la reconnaissance qui sest attachée aux objectifs et valeurs multiples des ressources halieutiques et des écosystèmes marins dans le contexte du développement durable. En outre, il apparaît indispensable de diffuser des informations sur létat de dégradation dun grand nombre de pêches dans le monde et sur les derniers acquis scientifiques mettant en évidence à la fois des connaissances et des incertitudes quant au rôle fonctionnel des écosystèmes (cest-à-dire les biens et les services quils peuvent procurer).
En élaborant ces Directives, les auteurs ont établi une comparaison entre ce quil fallait pour appliquer une gestion écosystémique et ce quexigeaient déjà les pratiques de gestion halieutique en vigueur. Les comparaisons ont principalement porté sur le modèle de gestion qui prévaut dans de nombreuses pêcheries commerciales de moyenne ou grande échelle, et qui consiste à maintenir la base de ressources ciblées par un contrôle de la taille et des activités de la pêche (appelée gestion axée sur les ressources ciblées), sans toutefois négliger le fait que de nombreuses pêches artisanales multispécifiques de pays en développement ou développés nont souvent pour seul soutien que laide au développement ou quelles reposent sur des méthodes de gestion plus traditionnelles.
Les directives reconnaissent quil est nécessaire daméliorer la gestion actuelle des pêches et de tenir compte plus efficacement des interactions entre pêches et écosystèmes, de leur variabilité naturelle à long terme et du fait quils sont aussi influencés par dautres facteurs que la pêche. Le but dune approche écosystémique de la pêche est donc de prévoir, de mettre en place et de gérer la pêche dune manière qui réponde aux besoins et désirs multiples des sociétés sans mettre en péril les possibilités pour les générations futures de profiter de tout léventail des biens et services fournis par le milieu marin.
De ce but découle la définition de la gestion écosystémique de la pêche.
Lapproche écosystémique sefforce déquilibrer divers objectifs de la société en tenant compte des connaissances et des incertitudes relatives aux composantes biotiques, abiotiques et humaines des écosystèmes et de leurs interactions, et en appliquant à la pêche une approche intégrée dans des limites écologiques valables.
Lapproche écosystémique constitue, dans ses buts comme dans sa définition, un moyen dappliquer à la pêche les principes du développement durable, en recherchant le bien-être à la fois pour lhomme et pour lenvironnement. Elle fusionne deux modèles liés mais susceptibles de converger. Le premier est la gestion de lécosystème qui consiste à protéger et à préserver la structure et les fonctions de lécosystème en intervenant sur les composantes biophysiques de lécosystème (par exemple en créant des zones marines protégées - ZMP). Le second est la gestion halieutique, qui consiste à procurer de la nourriture et des moyens de subsistance ou des revenus à lhomme en gérant les activités de pêche. Lapproche écosystémique tient compte des usages et des utilisateurs au sens large du milieu marin (dont la pêche) et de la nécessité de reconnaître et de concilier les nombreux objectifs de ces utilisateurs de manière à ce que les générations à venir puissent aussi tirer pleinement parti des biens et des services offerts par le milieu marin. Cette approche voit aussi dans lhomme une composante essentielle de lécosystème dans lequel la pêche prend place, et elle sintéresse principalement aux interactions à lintérieur du système. Elle sefforce de résoudre les problèmes dune manière globale qui fait souvent défaut dans les pratiques courantes de gestion halieutique, centrées sur des espèces ou groupes despèces particulières.
Lécosystème est une unité fonctionnelle comprenant un ensemble dynamique de végétaux, danimaux (au nombre desquels lhomme) et de micro-organismes et un environnement non vivant. Les écosystèmes existent à différentes échelles, qui se définissent fréquemment en fonction de la question qui se pose. Toutefois, pour que les écosystèmes constituent une unité de gestion fonctionnelle, il faut quils aient une base géographique dans des limites écologiques valables.
Lapproche écosystémique nest pas incompatible avec les méthodes actuelles de gestion de la pêche (telles que celles qui sont décrites dans les Directives pour laménagement des pêcheries, par exemple) et ne vise pas à sy substituer, mais peut en être le prolongement. Pour assurer la continuité entre les pratiques courantes de gestion halieutique et la gestion écosystémique, la présente publication sest modelée sur les Directives pour laménagement des pêcheries en étoffant les sections les plus pertinentes pour lapproche écosystémique et en les développant de manière à donner une place suffisante aux dimensions supplémentaires quelle contient. La structure de ces Directives techniques pour une approche écosystémique suit donc celle des Directives pour laménagement des pêcheries.
Laccent est dabord mis sur la nécessité de disposer densembles plus vastes de données et dinformations à lappui de lapproche écosystémique. Bien que lon sache que les informations pertinentes dont on pourra disposer seront très variables dun pays à un autre, il nen existe pas moins un volume considérable. Certaines proviennent den dehors du circuit classique de la pêche, souvent livrées par les pêcheurs et la population locale, surtout dans les pays en développement où il conviendrait de recueillir les connaissances traditionnelle sur les écosystèmes et la pêche pour les mettre à la disposition des autres. Bon nombre des mesures dont disposent les gestionnaires pour appliquer une approche écosystémique reposent sur celles qui sont actuellement utilisées dans la gestion axée sur les espèces ciblées et qui ont été élargies de manière à comprendre un plus grand nombre de mesures dincitation économique et de manipulations de lécosystème. Les mesures actuelles de contrôle de leffort de pêche, des captures, des engins techniques et des contrôles par zone doivent traiter un éventail de problèmes plus large que la simple gestion des espèces ciblées dune pêcherie.
Les auteurs décrivent dans les présentes directives comment le processus de gestion actuel pourrait évoluer grâce à lapproche écosystémique. Bien que cette approche fasse, pour lessentiel, appel au même cycle de planification, de mise en oeuvre et dévaluation, un renforcement de la concertation avec un plus grand nombre de partenaires simpose, de même quune détermination plus rigoureuse des objectifs opérationnels, des règles de prise de décisions et de lévaluation des résultats de la gestion. Lapproche décrite ici est favorable à une participation accrue de toutes les parties intéressées afin que les objectifs dune politique arrêtée à haut niveau puissent être transposés dans la gestion quotidienne. Il conviendrait de débattre des buts et des aspirations dutilisateurs en concurrence pour les mêmes ressources afin de dégager un consensus. Les processus participatifs doivent être développés pour quun premier groupe de parties intéressées puisse être consulté et donner son avis, de manière à:
déterminer la pêcherie, la zone et toutes les parties intéressées;
recenser les principaux problèmes dordre social, économique et écologique (y compris les ressources halieutiques) auxquels doit faire face la pêcherie sur la base des objectifs dorientation arrêtés au niveau international et national et des aspirations;
fixer les grands objectifs à atteindre dans ces problèmes;
scinder les problèmes généraux en problèmes suffisamment spécifiques pour relever dune ou de plusieurs mesures de gestion définies;
classer les problèmes selon le risque quils présentent pour la pêcherie;
fixer des objectifs opérationnels convenus pour les problèmes sociaux, économiques et écologiques hautement prioritaires identifiés à létape 5 et mettre au point les indicateurs et les mesures de lefficacité qui sy rattachent;
formuler des règles pour la prise des décisions de gestion; et
surveiller la pêcherie en utilisant les indicateurs sélectionnés, et évaluer régulièrement dans quelle mesure la gestion permet datteindre les objectifs opérationnels; par déduction, du fait des passerelles créées entre les objectifs dorientation et les objectifs opérationnels, on peut ainsi évaluer dans quelle mesure la gestion permet datteindre les objectifs dorientation.
Passer des objectifs dorientation de haut niveau à des objectifs opérationnels pose de grandes difficultés lorsque ces objectifs touchent à des notions telles que lintégrité et la santé des écosystèmes ou la biodiversité. Il convient toutefois de souligner quil est indispensable de développer des objectifs opérationnels tels que la protection des habitats vitaux, faute de quoi lapproche écosystémique sera vouée à léchec. Bien que lon manque de connaissances sur le fonctionnement et la structure des écosystèmes, les incertitudes ne doivent pas empêcher la définition dobjectifs opérationnels sur la base des meilleures connaissances qui existent. Les objectifs de haut niveau doivent être traduits en objectifs opérationnels, quil sagisse de les appliquer à des pêcheries pour lesquelles il existe peu de données et qui ne disposent que de faibles capacités scientifiques ou de peu de moyens de gestion, ou à des pêcheries dotées de capacités et de données abondantes.
En étudiant les aspects juridiques et institutionnels de la gestion écosystémique des pêches, les auteurs soulignent que, bien que les principes directeurs et les notions fondamentales soient pour une grande part inscrits dans des instruments internationaux et des documents de conférence existants, les modalités opérationnelles dune gestion systémique sont encore peu soumises à des dispositions contraignantes de droit international en matière de pêche. Elle figurent principalement dans des instruments volontaires tels que le Code de conduite. De ce fait, peu dorganismes et darrangements régionaux en matière de pêche font expressément référence à la gestion écosystémique dans leurs conventions. De même, lapproche écosystémique fait rarement partie intégrante des politiques et des législations nationales. Pour appliquer cette approche, il faudra apporter à la législation existante les amendements et les améliorations appropriés, et il peut savérer nécessaire de prévoir des règles ou des réglementations plus complexes qui tiennent compte des répercussions de la pêche sur les autres secteurs et inversement.
Lapproche écosystémique préconise le respect des principes de gestion transparente et participative qui guident déjà de nombreuses pratiques actuelles. Étant donné que cette approche implique davantage de parties intéressées, il sera souvent nécessaire que les institutions mettent en place une concertation, une coopération et un processus commun de décision mieux coordonnés entre les pêcheries opérant dans un même secteur géographique, ainsi quentre les pêcheries et les autres secteurs avec lesquels elles sont en relation. Par exemple lorsquune pêcherie provoque la diminution dune ou de plusieurs espèces servant de proie à une espèce ciblée par une autre pêcherie, il faut quune institution ou un arrangement coordonne les mesures de gestion des deux pêcheries, en conciliant les objectifs différents des deux. On reconnaît ainsi la nature réelle et la portée de laccès aux ressources et de leur répartition au sein dun écosystème, aspect souvent négligé ou ignoré dans les pratiques de gestion halieutique.
Le passage à une gestion écosystémique sera grandement facilité si lon accorde lattention nécessaire à léducation et la formation de tous les partenaires, à savoir les pêcheurs, les fonctionnaires et le personnel de lorganisme de gestion et dautres parties intéressées. Les structures et les fonctions administratives, y compris la surveillance et le contrôle, devront être adaptées en fonction des besoins.
Lapproche écosystémique devrait être mise en place dès maintenant, lorsque cela nest pas déjà fait, avec les connaissances dont on dispose. Toutefois, lapplication et lefficacité ne pourront que profiter dune réduction des incertitudes importantes, et, pour cela, il faudra poursuivre la recherche. Les présentes directives proposent un certain nombre de domaines dans lesquels il serait essentiel de le faire afin notamment de mieux connaître la structure et la fonction des écosystèmes et la manière dont ils sont affectés par la pêche, dintégrer des considérations dordre social, économique et écologique dans les processus de décision, daméliorer les mesures de gestion permettant la mise en oeuvre de lapproche, de mieux connaître le processus de gestion et daméliorer le suivi et lévaluation.
On saccorde en général à reconnaître que la gestion écosystémique sera source davantages importants, mais plusieurs facteurs risquent de compromettre sérieusement la bonne application de cette approche. Un engagement insuffisant dans le processus en ralentira sans aucun doute la progression et pourrait à terme conduire à un échec. Par ailleurs, il faudra mobiliser des ressources considérables pour concilier les objectifs souvent contradictoires des différentes parties intéressées, et la situation risque dêtre aggravée par les difficultés rencontrées pour faire effectivement participer toutes les parties intéressées à la conception et à lapplication de la gestion écosystémique. Le manque de connaissances biologiques et écologiques restera une contrainte, de même que linsuffisance de formation et de conscience des problèmes, qui ont des répercussions sur les possibilités de tous les intéressés, y compris les organismes de gestion de la pêche, dexercer leurs responsabilités. Les questions déquité seront toujours difficiles à résoudre lorsquil sagira de répartir la responsabilité de la dégradation dun écosystème entre la pêche et dautres activités économiques telles que lagriculture (forêts comprises), lindustrie chimique, le développement urbain et côtier, le secteur de lénergie et le tourisme.
Ces problèmes devront être abordés, et, au fur et à mesure de lexpérience, des solutions pourront être incorporées dans de futures éditions des présentes Directives techniques pour une approche écosystémique de la pêche.