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3. Mesures et approches de gestion


3.1. Introduction

Les mesures auxquelles les gestionnaires peuvent recourir pour adopter une approche écosystémique constitueront, au moins à court terme, un prolongement de celles qui sont classiquement utilisées dans la gestion axée sur les ressources ciblées. Ainsi, l’éventail des contrôles des moyens de production (activités) et de la production (captures) et des mesures techniques (parmi lesquelles des mesures spatiales) employés pour régler la mortalité par pêche restent éminemment pertinents, mais doivent être placés dans une perspective plus vaste. Cela implique de reconnaître que l’éventail des mesures choisies ne doit pas se limiter à prendre en considération une série de facteurs relatifs à l’espèce ciblée, mais favoriser la santé et l’intégrité de l’écosystème. Les responsables devraient envisager, autant que possible, un panachage cohérent d’approches qui tienne compte des interdépendances et du fonctionnement de l’écosystème. En plus de gérer les effets directs de l’activité de pêche, ils devront être au courant des autres mesures qui existent pour gérer les stocks (par exemple le repeuplement et dépeuplement). De même, les habitats peuvent être modifiés pour développer les populations d’espèces ciblées ou pour remettre en état des zones dégradées.

Bien que la manipulation des populations et des habitats relève en partie du mandat des organismes de gestion de la pêche, il existe beaucoup d’autres aspects, généralement du ressort d’autres organismes, qui concernent les responsables de la pêche et qui peuvent s’avérer hautement pertinents dans un cadre de gestion écosystémique. Il s’agit notamment de l’impact des activités humaines à terre et en mer entraînant une destruction des habitats, l’eutrophisation, le rejet de matières polluantes, l’émission de CO2, la dispersion de déchets, l’introduction accidentelle d’espèces allogènes par les eaux de ballast, etc. Les responsables de la pêche devraient être prévoyants dans ces circonstances pour faire en sorte que les autorités compétentes fassent participer tous les acteurs intervenant dans la pêche, en tant qu’intéressés au premier plan, à la planification et à la prise des décisions.

3.2. Options pour gérer la pêche

3.2.1. Mesures techniques

3.2.1.1 Modifications des engins qui améliorent la sélectivité

La plupart des engins de pêche affectent d’une manière ou d’une autre la vie marine. En premier lieu, les engins sont utilisés pour prendre les plus gros poissons d’une population, ce qui change la composition selon la taille de l’espèce exploitée. Dans de nombreuses pêcheries, les engins ont également un effet sur des organismes non ciblés par la pêche, qui sont aussi capturés. Ces prises accessoires sont souvent rejetées en raison de leur faible valeur économique, d’une interdiction de débarquement ou du manque de place à bord du bateau, et peuvent avoir des conséquences graves pour l’écosystème. Le rejet des prises accessoires, par exemple, modifie souvent la structure trophique d’écosystèmes entiers en favorisant les détritivores, comme on le voit dans de nombreuses pêcheries de crevettes partout dans le monde. La sélection par la taille peut, dans certaines circonstances, entraîner des modifications génétiques dans les populations affectées telles que des modifications de la croissance et des modifications de la taille et de l’âge de maturité. Selon l’approche écosystémique, ces effets doivent être pris en considération plus sérieusement.

Sélection par la taille des espèces ciblées

Les restrictions relatives au maillage peuvent être utiles pour éviter de capturer des individus immatures de l’espèce ciblée, mais elle a ses limites dans la pêche multispécifique. Lorsque des organismes de formes et de tailles différentes sont présents sur une même zone de pêche, il peut être difficile d’éviter de prendre des individus immatures d’une autre espèce plus grande.

Lorsque l’on envisage d’introduire une règle de maillage dans une pêche au chalut, il importe également d’étudier le taux de survie des organismes qui s’échappent par les mailles du cul du chalut. Si la mortalité est élevée, l’intérêt attendu d’un maillage plus grand peut ne pas être réalisé. La sélectivité peut être améliorée par diverses méthodes autres que le maillage, notamment l’utilisation de mailles carrées, de grilles trieuses et d’autres dispositifs permettant à la partie indésirable des prises de s’échapper.

Sélectivité à l’égard des espèces non ciblées

Les outils qui réduisent les captures d’espèces non ciblées sont connus sous l’appellation de dispositifs de réduction des prises accessoires. Parmi les réussites en la matière, on peut citer:

Toutes ces mesures ont fait la preuve de leur efficacité dans différentes pêches et différentes parties du monde et il existe plusieurs exemples de situations où les bienfaits écologiques se sont doublés d’avantages économiques, par exemple dans la pêche par piégeage aux Caraïbes, la pêche benthique en Alaska et la pêche à la crevette tropicale en Australie.

3.2.1.2 Autres problèmes concernant les engins

Lorsque des engins de pêche tels que les filets maillants et les nasses sont perdus lors d’opérations de pêche, ils peuvent continuer à prendre des poissons pendant des semaines, des mois, voire des années, selon la profondeur et les conditions qui règnent dans le milieu (luminosité, température, vitesse des courants, etc.). On peut partiellement limiter cette pêche, dite «fantôme», par l’utilisation de matériaux biodégradables ou de moyens de désactiver l’engin, en s’efforçant d’éviter la perte des engins ou en facilitant la récupération rapide des filets perdus. Dans certaines régions, des campagnes sont menées périodiquement pour retrouver les filets perdus dans les lieux où se pratique la pêche au filet maillant.

3.2.1.3 Contrôle spatio-temporel de la pêche

On peut modifier la mortalité par pêche en limitant l’activité à certaines périodes ou saisons, en restreignant la pêche dans certaines zones. Ces mesures permettent de réduire le taux de mortalité des individus d’espèces ciblées ou non à des étapes de leur vie où ils sont vulnérables. Lorsque les stocks sont exploités par plus d’un pays, il y a lieu de coordonner les mesures de gestion telles que les périodes de fermeture de la pêche.

La réduction sélective du taux de mortalité par pêche des espèces ciblées et non ciblées atténue généralement les effets à la fois directs et indirects de la pêche sur l’écosystème. Les périodes de fermeture peuvent servir à protéger les habitats vitaux lorsque l’activité de pêche provoque normalement des dommages aux structures physiques de l’écosystème. Elles peuvent aussi contribuer à réduire les perturbations mécaniques du benthos et faciliter l’établissement de communautés plus stables et mieux structurées.

L’une des formes que prend la fermeture est celle des zones marines protégées, qui peuvent être des zones d’interdiction totale des prises ou des zones planifiées pour des usages multiples. Elles sont souvent affectées à des objectifs autres que la pêche mais peuvent avoir des retombées considérables pour la pêche. Elles permettent de protéger les espèces sédentaires, de tenir une partie du stock à l’écart de la sélection génétique opérée par la pêche et d’offrir un refuge à la biomasse des reproducteurs permettant le repeuplement de zones de pêche adjacentes soit par une migration des poissons soit par une dispersion des juvéniles. Ce dernier avantage reste encore à démontrer sans ambiguïté pour toute une série de sites, mais peut être propre à un site donné.

Il est maintenant courant d’appliquer des fermetures spatiales ou temporelles dans le contexte de certains stocks ciblés ou de certaines pêcheries, et il n’est pas inhabituel que toute une série de mesures ponctuelles de ce type soient appliquées dans un même écosystème. Cette méthode n’est pas dénuée d’avantages, mais il peut être intéressant de prendre une approche plus systématique et d’essayer de coordonner la protection de divers habitats et espèces sur une échelle pertinente pour l’écosystème concerné. Il faut pour cela faire la synthèse des connaissances acquises jusqu’ici sur les éléments importants des écosystèmes et évaluer les avantages qui pourraient en découler (voir le chapitre 2 et la section 4.1.3).

Il importe d’évaluer l’effet global de la fermeture sur la biologie de l’espèce concernée et la nature de la pêcherie. Le succès d’une fermeture spatiale ou temporelle peut être limité si elle a pour seul résultat de déplacer l’activité de pêche et d’accroître la mortalité d’autres espèces ou de poissons à d’autres stades de leur vie ailleurs. Les espèces qui sont mobiles et qui se déplacent entre zones protégées et zones non protégées peuvent en fait ne guère bénéficier d’une protection.

Les zones de fermeture où une certaine activité est autorisée peuvent nécessiter un gros effort de contrôle et peuvent donc s’avérer coûteuses. Autoriser certaines catégories d’activité de pêche peut aussi aboutir à créer des fuites mettant en échec les raisons même de la fermeture. Les autorités compétentes doivent se demander quel sera le degré probable de respect de la fermeture et le coût du contrôle, bien que le recours à des systèmes de surveillance des navives par satellite facilite le contrôle lorsque la gestion se fait par zone dans certaines parties du monde.

3.2.1.4 Maîtrise des effets des engins de pêche sur les habitats

Les engins de pêche qui effleurent ou raclent le fond pendant les opérations sont susceptibles d’avoir des conséquences néfastes sur les habitats biotiques et abiotiques. Faute de bien savoir ce que peuvent devenir ces effets à long terme, la précaution est recommandée dans l’utilisation, dans les habitats vitaux, de méthodes de pêche ayant des répercussions importantes. L’utilisation d’engins remorqués entrant peu en contact avec le fond est une solution technique de remplacement pour ces zones. L’interdiction de certains engins dans certains habitats en est une autre, par exemple celle de la pêche au chalut dans les récifs coralliens et les herbiers. Une troisième possibilité consiste à remplacer une méthode de pêche ayant un fort impact par une dont l’impact sur le fond est moindre, telle que le piégeage, la pêche à la palangre ou au filet maillant, par exemple.

3.2.1.5 Économie d’énergie et pollution

Les bateaux de pêche modernes utilisent des combustibles fossiles pour leur propulsion, pour manoeuvrer les engins de pêche et pour la conservation et la transformation des prises. Les effets de l’émission de substances dangereuses dans les gaz d’échappement, parmi lesquels le dioxyde de carbone, sont désormais pleinement admis, et les innovations techniques permettant de réduire ces émissions sont encouragées. Il est possible d’optimiser le rendement énergétique en améliorant l’efficacité des engins de pêche et la gestion de manière à réduire l’effort de pêche nécessaire.

3.2.2. Maîtrise des moyens de production (effort) et de la production (prises)

3.2.2.1 Maîtrise de la mortalité générale par pêche

La pêche a des effets directs sur les écosystèmes marins qui sont d’accroître le taux de mortalité des espèces ciblées et non ciblées et de modifier les habitats. On parle fréquemment de maîtrise des moyens de production et de maîtrise de la production pour désigner les méthodes de gestion de la pêche utilisées pour limiter la mortalité. La première s’applique à la capacité de pêche, qui a un rapport étroit avec la mortalité que pourrait produire une flotte de pêche dont tous les bateaux opèreraient à temps plein, et à l’effort, c’est-à-dire la quantité d’activités de pêche effectivement déployées. La maîtrise de la production s’applique aux prises obtenues par l’effort de pêche. Des modèles bien connus sont utilisés pour rapporter les prises et l’effort de pêche à la mortalité.

La limitation de la capacité vise à restreindre la taille totale de la flotte, réduisant ainsi tant la mortalité par pêche que les pressions exercées sur les responsables pour qu’ils autorisent une plus forte mortalité par pêche. Les contrôles de la capacité permettent de réduire la mortalité par pêche sur des groupes complexes d’espèces de la même manière que les limitations d’accès spatio-temporelles.

La limitation de l’effort vise à restreindre l’activité de pêche des flottes, et ainsi à réduire la mortalité par pêche. Cette limitation au niveau de la flotte entraîne une réduction de la mortalité de toutes les espèces concernées par la pêche, ce qui peut présenter des avantages dans le cas d’une pêche multispécifique. Bien qu’il y ait des différences considérables dans les effets socioéconomiques probables de différents régimes de limitation de l’effort de pêche, l’effet net de la réduction du volume de pêche aura des avantages pour l’écosystème à condition de n’être pas «grignoté» par les gains constants d’efficacité.

Dans les pratiques actuelles de pêche, les principales limitations de ces méthodes viennent de ce qu’elles n’empêchent pas directement la flotte d’exploiter et d’épuiser un stock. D’un point de vue écosystémique, elles ont le mérite de restreindre la pression exercée globalement sur l’écosystème et de permettre ainsi d’en limiter les effets néfastes. Toutefois, il y a aussi un risque considérable que la mortalité augmente régulièrement si les gains d’efficacité ne sont pas surveillés et maîtrisés. Si, à défaut d’être maîtrisés, les gains d’efficacité conduisent à une augmentation de la mortalité par pêche des espèces ciblées et des prises accessoires, certaines innovations technologiques telles que le développement des sondes à ultrasons et de la navigation par satellite peuvent permettre aux pêcheurs de faire davantage porter leurs efforts sur l’espèce ciblée et de diminuer ainsi les effets sur les espèces non ciblées.

3.2.2.2 Maîtrise des captures

Sous la forme d’une limitation des captures, la maîtrise des captures vise à réduire directement la mortalité par pêche des espèces ciblées. Lorsqu’elle se double d’une maîtrise des prises accessoires (par des contingents, par exemple) elle permet de protéger les espèces associées. Elle a eu certains succès, par exemple dans la pêche multispécifique, mais aussi des résultats indésirables (écrémage, augmentation des rejets, etc.). Cependant, dans une approche écosystémique, il convient de tenir compte, s’agissant d’une pêche multispécifique, des degrés de vulnérabilité et de productivité différents des espèces. Il est nécessaire d’appliquer une série de limites de capture cohérentes à toutes les espèces ciblées et aux espèces prises accessoirement pour tenir compte de ces différences et répondre aux objectifs recherchés pour l’écosystème (par exemple le maintien des réseaux trophiques). Les limites de capture des espèces ciblées peuvent devoir être ajustées pour limiter les prises d’espèces plus vulnérables.

3.2.3. Manipulation des écosystèmes

Dans certaines situations, la technologie et la connaissance des écosystèmes marins sont suffisamment avancées pour permettre une manipulation des écosystèmes en vue d’atteindre des objectifs d’ordre sociétal tels que leur préservation ou leur rétablissement. De telles manipulations (qui peuvent prendre la forme d’une reconstitution ou d’une réduction du stock, ou de la remise en état d’un habitat) peuvent être des possibilités intéressantes d’atténuer les effets néfastes hérités du passé (tels que la surexploitation ou la destruction des habitats). Il est cependant rare que la réparation des effets soit complètement efficace, et elle comporte le risque d’avoir des conséquences imprévisibles; de plus, elle peut se révéler coûteuse. On n’a encore guère accumulé d’exemples de réussite dans la manipulation des écosystèmes et les connaissances sont insuffisantes pour faire des pronostics fiables. Il est de loin préférable d’éviter en premier lieu de causer le problème.

3.2.3.1 Modification des habitats

Empêcher la dégradation des habitats. La préservation des habitats dans la pêche marine est l’élément essentiel de l’approche écosystémique, c’est la clef de voûte des écosystèmes exploités. Les responsables doivent prendre des mesures pour empêcher que les habitats soient endommagés, pour réparer les dégâts lorsqu’ils se produisent et pour développer l’habitat au besoin. De telles mesures doivent être en harmonie avec les autres fonctions de l’écosystème. Différents types de pêche menacent l’intégrité des habitats qui abritent les ressources halieutiques et d’autres éléments de l’écosystème. Sans parler des pratiques les plus connues telles que la dynamite ou le poison, qui sont déjà largement proscrites, il en existe plusieurs autres qui peuvent provoquer des dégâts physiques et biologiques sur le sol marin. Les différentes mesures nécessaires pour réduire ces effets comprennent:

Constituer des habitats supplémentaires. Dans certaines situations où il est évident que l’habitat est insuffisant pour abriter des espèces présentant un intérêt ou dont le sort est préoccupant, il existe deux manières de créer des habitats. La première intervient lorsque l’habitat a été endommagé ou perdu, et consiste à recréer des mangroves, des herbiers marins et des récifs coralliens. Un programme de remise en état ne devrait pas être démarré tant que les problèmes à l’origine du dommage n’ont pas été réglés de manière satisfaisante. L’objectif premier est de recréer la structure physique nécessaire pour procurer un abri aux animaux et un substrat aux organismes dont ils se nourrissent. L’idéal serait que les programmes de remise en état développent la biodiversité; pour cela, il fadrait favoriser les aménagements multispécifiques plutôt que monospécifiques. Dans certains cas, le seul fait de créer les conditions nécessaires à la survie de propagules (larves de corail, semences d’herbes marines) provenant de zones d’habitat voisines permet de reconstituer un habitat. Du fait que de nombreuses espèces de poissons utilisent différents habitats tout au long de leur développement, n’en restaurer que certains peut ne pas permettre de réaliser pleinement l’objectif d’un programme de remise en état visant à améliorer la productivité ou la biodiversité.

La seconde méthode consiste à construire des habitats artificiels. Bien conçus et bien placés, ces habitats peuvent améliorer la production en augmentant les chances d’installation des juvéniles les années où la semence est abondante (par exemple larves). Les habitats artificiels peuvent aussi jouer pleinement leur rôle dans le repeuplement ou la régénération des stocks en permettant le lâcher d’un plus grand nombre d’individus (voir plus bas). Il convient toutefois de veiller à ce que le nouvel habitat n’entraîne pas une nouvelle répartition des poissons d’une manière qui les rende plus vulnérables à la surexploitation. Les habitats artificiels peuvent aussi représenter un danger pour la navigation, polluer l’écosystème ou en perturber la structure ou les fonctions. Des problèmes peuvent par ailleurs survenir lorsque les habitats artificiels ne sont pas assez solides pour ne pas se disloquer lors des tempêtes et polluer le rivage.

Décider d’accroître la quantité d’habitats structurels obligera à faire des choix quant à la valeur relative de différentes composantes de l’écosystème (habitats et espèces), du fait que la création d’un habitat se fera aux dépens d’un autre. Les habitats artificiels sont aussi coûteux à construire, et il peut être plus efficace de protéger les abris naturels et renouvelables qui existent, tels que les herbiers marins.

3.2.3.2 Manipulation des populations

Repeuplement et développement des stocks

Les espèces ciblées qui ont été lourdement surexploitées dans les écosystèmes de certaines pêcheries peuvent être reconstituées par l’introduction de juvéniles d’élevage en vue de reconstituer la biomasse reproductrice, puis en protégeant les animaux lâchés, le reste du stock sauvage et la progéniture jusqu’à ce que la population ait retrouvé le niveau souhaité. Ce processus est connu sous le terme de repeuplement, qui diffère du développement de stock (voir plus bas). Le premier vise à reconstituer le stock pour qu’il remonte jusqu’à un seuil de viabilité, tandis que le second vise à augmenter le stock à exploiter. Étant donné cependant le coût élevé des programmes de repeuplement, il convient de faire une analyse minutieuse pour déterminer s’il est possible d’atteindre par d’autres mesures de gestion les buts auxquels doit répondre la reconstitution des stocks. En général, le repeuplement ne doit être envisagé que lorsque d’autres formes de gestion ne permettent pas de rétablir des niveaux acceptables de populations, et il devrait aller de pair avec un contrôle de la capacité de pêche et une diminution de la surexploitation. S’il est nécessaire de repeupler une espèce et que celle-ci fait partie d’une pêche mixte qu’il ne serait sinon pas nécessaire de fermer, le repeuplement peut être effectué dans des ZMP.

Pour réduire le risque d’effets contraires sur le reste des individus sauvages de la même espèce ou d’autres espèces présentes dans l’écosystème, les programmes de repeuplement doivent comprendre: i) des méthodes d’alevinage qui empêchent la perte de diversité génétique en empêchant la consanguinité et la sélection, et ii) des protocoles de quarantaine qui empêchent le transfert d’agents pathogènes des animaux d’élevage aux poissons sauvages.

Lorsque les responsables souhaitent accroître les rendements d’espèces particulières dans un écosystème, le lâcher de juvéniles d’élevage pour développer le stock peut parfois être utilisé comme moyen de manipuler les niveaux de population. Ce procédé vise à remédier aux limites de recrutement qui interviennent lorsque l’abondance naturelle des juvéniles est insuffisante par rapport à la capacité de l’habitat d’héberger le niveau de stock souhaité. Comme dans le cas des programmes de repeuplement, les pratiques négligentes d’alevinage pourraient entraîner le lâcher d’individus inaptes à survivre dans un milieu sauvage, la modification de la diversité génétique et l’introduction de maladies.

Parmi les facteurs à prendre en considération pour déterminer quels seraient les avantages et les coûts de programmes de développement des stocks, on peut citer: i) la nécessité de réduire autant que faire se peut la production de juvéniles d’élevage en optimisant les possibilités de régénération naturelle des stocks sauvages; ii) l’abondance de prédateurs et de proies aux sites de lâcher envisagés, et iii) la nécessité d’évaluations indépendantes pour déterminer si le programme de développement atteint ses objectifs et s’il a des effets indésirables sur l’écosystème. Il peut également s’avérer nécessaire de prévoir des habitats supplémentaires pour héberger le nombre accru d’individus de l’espèce développée.

Réduction des populations. Cette mesure vise habituellement à réduire l’abondance de prédateurs ou d’espèces en concurrence pour les mêmes ressources trophiques, le but étant d’accroître les rendements d’espèces ciblées ou de maintenir l’équilibre de la structure trophique. Toutefois, les manipulations du réseau trophique de ce type doivent être effectuées avec prudence en veillant à ce qu’elles n’aient que les effets désirés, qu’elles ne modifient pas de manière indésirable l’abondance d’autres composantes importantes de l’écosystème et ne menacent pas la survie de l’espèce concernée. Cette méthode nécessite une approche d’adaptabilité, susceptible de bénéficier dans certains cas d’expérimentations organisées. Il convient auparavant d’envisager la reconstitution des populations de l’espèce ciblée par d’autres mesures de gestion halieutique plus classiques. Une réduction à grande échelle des populations ne devrait intervenir qu’après une étude exhaustive de toutes les conséquences de la manipulation.

Introduction intentionnelle d’espèces. Bien que de nouvelles pêcheries puissent être créées par l’introduction d’espèces, le risque est grand de provoquer des altérations préjudiciables dans les écosystèmes côtiers. L’approche de précaution est de rigueur ici, ce qui ne veut pas dire que la mesure ne doit jamais être envisagée. Il est des cas où l’introduction d’espèces marines a eu des retombées socioéconomiques bénéfiques sans avoir d’effets néfastes apparents sur d’autres composantes de l’écosystème. La pêche du troque (trochus) dans le Pacifique et celle des pétoncles en Chine en sont de bons exemples.

Il convient de procéder à une évaluation complète des risques avant d’envisager la création de nouvelles pêches par l’introduction d’espèces, et ce afin d’en connaître tous les avantages et toutes les conséquences. Pour évaluer les risques, il convient d’avoir une connaissance précise de questions telles que le niveau trophique de l’espèce, le potentiel reproducteur et les conditions de reproduction, les interactions avec d’autres espèces, l’introduction d’agents pathogènes et parasites, et les effets sur la demande et l’offre d’autres espèces.

3.2.4. Méthodes de gestion fondées sur des droits

Les risques et les conséquences qui accompagnent un accès libre à la pêche sont maintenant bien connus (voir la section 3.2 des Directives pour l’aménagement des pêcheries, qui donne aussi une bonne description des différentes manières possibles de limiter l’accès avec leurs caractéristiques). Le Code de conduite stipule que:

«Les États devraient mettre en place, le cas échéant, des cadres institutionnels et juridiques en vue de déterminer les utilisations possibles des ressources côtières et régir l’accès à ces ressources, en tenant compte des droits des communautés côtières de pêcheurs et de leurs pratiques coutumières de manière compatible avec un développement durable» (paragraphe 10.1.3)

Un régime adapté et bien défini de droits d’accès présente beaucoup d’avantages importants, avant tout celui de garantir un effort de pêche proportionné à la productivité des ressources, et donne aux pêcheurs et à leurs communautés une sécurité à plus long terme qui leur permet de considérer les ressources halieutiques comme un patrimoine à conserver et à traiter de manière responsable, tout en les encourageant dans cette voie.

Il existe plusieurs types différents de droits d’utilisation. Les droits territoriaux permettent à des personnes ou à des groupes de certaines localités de pêcher. Les régimes d’accès limité ne permettent qu’à un certain nombre de particuliers ou de bateaux de participer à une pêche, le droit d’entrée étant accordé sous la forme d’une licence ou d’un permis. L’accès peut aussi être réglementé par un régime de droits portant sur l’effort (maîtrise des moyens de production) ou sur les prises (maîtrise de la production), le total admissible des captures (TAC) étant subdivisé en contingents et les contingents attribués aux utilisateurs autorisés.

Chaque type de droit d’utilisation a des propriétés, des avantages et des inconvénients qui lui sont propres, et les conditions écologiques, sociales, économiques et politiques varient d’un lieu à un autre et d’une pêche à une autre. Aucun régime de droits d’utilisation ne peut donc servir en toutes circonstances. Il faut dans chaque cas trouver le régime correspondant le mieux aux objectifs d’orientation dans le contexte donné, et il est possible d’y inclure deux ou plusieurs types de droits d’utilisation pour une même pêcherie ou une même aire géographique. Par exemple, une pêcherie comportant des activités artisanales et des activités industrielles pourrait avoir recours aux droits d’utilisation territoriaux, aux contingents d’effort et aux contingents de capture pour réglementer l’accès aux différents secteurs d’une manière qui soit adaptée à leur nature et accorde l’attention nécessaire à la productivité des ressources. A titre d’exemple, voici ce que suggère le manuel de la FAO intitulé A fishery manager’s guidebook:

L’approche écosystémique exige de prendre en considération et de concilier tous les usages et tous les usagers des ressources d’une pêcherie et de tenir compte des interactions entre les différentes pêcheries de l’aire géographique désignée. Pour cela, les régimes de droits d’accès appliqués à différentes pêcheries ou dans différents secteurs de pêche devront être compatibles entre eux et, globalement, l’effort total appliqué devra être proportionné à la productivité de l’écosystème et des éléments qui le composent. Cela peut être une tâche difficile à mettre en oeuvre, susceptible d’avoir des incidences politiques importantes, mais qui est essentielle pour que l’écosystème soit exploité durablement et qui, une fois la mise en place réalisée, facilitera grandement la gestion et le fonctionnement de la pêcherie.

3.3. Trouver des mesures d’incitation à la gestion écosystémique

L’application de l’approche écosystémique peut être facilitée si les règles appliquées dans le cadre d’une gestion par la contrainte sont complétés, voire remplacés aussi souvent que possible par des mesures d’incitation plus appropriées. L’idée des mesures d’incitation est de braquer les projecteurs sur les objectifs des pouvoirs publics tout en laissant aux particuliers ou aux collectivités la liberté de répondre ou non au signal (ce point est développé à l’annexe 5).

Différentes formes de mesures d’incitation peuvent être prises isolément ou en combinaison:

Les mesures d’incitation jouent indirectement un rôle par le biais de facteurs déterminants dans les choix individuels ou collectifs tels que la recherche du profit ou les valeurs normatives. Les forces du marché ou de la société peuvent être des vecteurs très efficaces pour faire aller le résultat global des actions individuelles dans le sens des objectifs fixés par la collectivité.

Tous ces instruments reposent plus ou moins sur la contrainte. Pour créer les conditions d’un marché efficace des droits de propriété, il faut que ces droits soient fixés par la loi et qu’ils soient effectivement appliqués. De même, pour créer une incitation mercatique à employer des méthodes de production respectueuses de l’environnement par l’étiquetage écologique des produits, il faut que des normes de certification soient établies et appliquées. Les incitations et la contrainte doivent être vues comme complémentaires les unes des autres, avec des avantages et des inconvénients relatifs selon ce qu’elles sont censées réaliser. A l’heure actuelle, l’éventail des mesures d’incitation possibles est probablement sous-utilisé, et les méthodes faisant appel à la contrainte continuent d’avoir l’avantage.

3.4. Évaluation des coûts et des avantages de l’approche écosystémique

3.4.1. Quel est le coût de la gestion écosystémique et qui paie?

Le passage à une gestion écosystémique risque de s’accompagner dans la plupart des cas, sinon tous, d’une augmentation des coûts de gestion due à l’acquisition d’informations supplémentaires, à la planification et aux décisions prises en concertation avec un nombre plus grand d’acteurs ou de groupes d’intérêts, et à davantage de suivi, de contrôle et de surveillance. Bien que le surcroît de dépenses de gestion puisse dans bien des cas être plus que compensé par les avantages à long terme de l’approche écosystémique, la question de savoir qui doit le payer prend de l’importance. L’idée que le secteur de la pêche doive supporter une partie des frais de gestion se répand et trouve de plus en plus d’adeptes. Cependant, parce que l’approche écosystémique répond plus largement à des besoins de la société, il faut définir expressément au niveau politique comment se répartissent les dépenses supplémentaires entre les avantages pour ceux qui tirent leur nourriture, leurs moyens de subsistance et leur emploi de la pêche et les avantages pour la société au sens large. Lorsque des pays sont chargés de gérer des biens et services d’écosystèmes mondiaux, il faut peut-être se demander si les coûts supplémentaires ne devraient pas être à la charge de la communauté internationale[7].

Lorsque l’on étudie les biens et services des écosystèmes mondiaux tels que la biodiversité ou la protection des espèces menacées, la question se pose de savoir si l’évaluation devrait être basée sur les préférences nationales ou locales, ou s’il faut tenir compte des préférences des citoyens d’autres pays ou de la communauté internationale dans son ensemble. Il faut également prendre acte des objectifs exprimés dans les conventions internationales. En revanche, une évaluation sur la base de ce que les citoyens les plus fortunés de la planète sont prêts à payer pourrait aboutir à créer des prescriptions normatives défavorables aux producteurs ou aux consommateurs pauvres des pays en développement. On en est ainsi venu à demander que des normes d’équivalence soient établies en tenant explicitement compte des différences de richesse et de la capacité de procurer d’autres sources d’emploi et de revenus.

3.4.2. Analyse du rapport coût-efficacité de l’approche écosystémique

Les outils permettant d’évaluer les coûts et les avantages des mesures de gestion écosystémique comprennent la modélisation bio-économique et écologico-économique à divers degrés de complexité, et les méthodes d’évaluation économique totale (voir l’annexe 3). La comptabilité intégrée environnementale et économique est un outil intersectoriel utile. Le système de comptabilisation intégrée économico-environnementale définit le cadre dans lequel il est possible d’analyser et de suivre les interactions entre les différents secteurs de l’économie et leurs effets conjugués sur l’environnement (voir l’encadré n° 2)[8].

3.5. Autres considérations

Bon nombre des problèmes auxquels se heurte la gestion des pêches dans le cadre d’une approche écosystémique échappent au contrôle direct des responsables de la pêche. Parmi ces problèmes, citons:

Les responsables des pêches doivent veiller à se faire reconnaître comme des acteurs importants dans le processus d’aménagement intégré des littoraux afin de pouvoir préserver la fonction des habitats supportant les écosystèmes halieutiques des effets néfastes des activités d’autres secteurs.

Encadré n° 2
Système de comptabilité économico-environnementale (SCEE)

Il existe un moyen de rendre l’approche écosystémique plus opérationnelle, qui consiste à incorporer le rôle de l’environnement dans la comptabilité économique au niveau national par le biais d’un système de comptabilité nationale (SCN) et de comptabilité satellite pour l’environnement. Le SCN constitue la première source d’information sur l’économie et il est largement utilisé pour l’analyse et la prise de décisions. Toutefois, il présente plusieurs lacunes notoires en ce qui concerne le traitement de l’environnement. Pour la pêche, par exemple, le SCN n’enregistre que les revenus de la pêche de capture, sans les modifications de l’abondance et de la valeur des stocks de poissons. Le résultat peut être trompeur lorsque le stock de poisson est surexploité: les revenus de la surexploitation sont enregistrés, mais non l’épuisement correspondant des stocks. Il est possible de remédier à de telles lacunes par un système de comptabilité économico-environnementale.

En tant que comptabilité satellite, le SCEE présente une structure analogue à celle du SCN, puisqu’il enregistre les stocks et les mouvements de biens et de services de l’environnement. Il fournit un ensemble d’indicateurs pour suivre les résultats économiques et environnementaux au niveau sectoriel et au niveau macroéconomique et permet d’obtenir un ensemble détaillé de statistiques que les responsables des ressources pourront utiliser pour prendre des décisions de politique améliorant, on peut l’espérer, les résultats économicoenvironnementaux à l’avenir.

Deux caractères distinguent le SCEE d’autres bases de données sur l’environnement. Premièrement, il relie directement les données environnementales à la comptabilité économique par le biais d’une structure, de définitions et d’une classification communes. Cette base de données présente l’avantage d’être un outil d’intégration de l’analyse économico-environnementale, qui va à l’encontre de la tendance consistant à scinder les questions selon leur discipline et voulant que les questions économiques et les questions environnementales soient analysées indépendamment les unes des autres.

Deuxièmement, le SCEE couvre toutes les interactions économico-environnementales importantes (et aussi les coûts de la gestion environnementale), ce qui en fait un système idéal pour aborder les questions transversales telles que la gestion de la pêche. En tant qu’approche à l’échelle de l’écosystème, il tient compte des menaces pour la santé de l’habitat des poissons qu’entraînent les modifications de l’utilisation des terres, des niveaux de pollution, du couvert forestier, du débit hydrologique et d’autres composantes de l’environnement. En tant que comptabilité satellite du SCN, il est lié à toute l’étendue des activités économiques et comporte une classification des ressources environnementales très complète, notamment des informations sur tous les stocks et les mouvements essentiels susceptibles d’influer sur la pêche. Un manuel du SCEE à l’usage de la pêche est en cours d’élaboration par la FAO en coopération avec la Division de la statistique des Nations Unies.


[6] A.T. Charles, Use rights and responsible fisheries: limiting access and harvesting through rights-based management, in A fishery manager’s guidebook - Management measures and their application, K.L. Cochrane (ed.), FAO, Document technique sur les pêches n° 424, p. 131 - 157.
[7] L’idée de dédommager les pays des frais supplémentaires de gestion est à l’origine de la création du Fonds pour l’environnement mondial.
[8] Sous les auspices de la Commission de statistique des Nations Unies, le groupe dit «Groupe de Londres pour la comptabilité environnementale» a publié un manuel sur le système de comptabilité environnementale et économique pour l’an 2000 (SEEA 2000). Le projet, soumis à la Commission de statistique des Nations Unies, peut être consulté à l’adresse suivante: http://www4.statcan.ca/citygrp/london/publicrev/pubrev.htm.

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