Les mesures auxquelles les gestionnaires peuvent recourir pour adopter une approche écosystémique constitueront, au moins à court terme, un prolongement de celles qui sont classiquement utilisées dans la gestion axée sur les ressources ciblées. Ainsi, léventail des contrôles des moyens de production (activités) et de la production (captures) et des mesures techniques (parmi lesquelles des mesures spatiales) employés pour régler la mortalité par pêche restent éminemment pertinents, mais doivent être placés dans une perspective plus vaste. Cela implique de reconnaître que léventail des mesures choisies ne doit pas se limiter à prendre en considération une série de facteurs relatifs à lespèce ciblée, mais favoriser la santé et lintégrité de lécosystème. Les responsables devraient envisager, autant que possible, un panachage cohérent dapproches qui tienne compte des interdépendances et du fonctionnement de lécosystème. En plus de gérer les effets directs de lactivité de pêche, ils devront être au courant des autres mesures qui existent pour gérer les stocks (par exemple le repeuplement et dépeuplement). De même, les habitats peuvent être modifiés pour développer les populations despèces ciblées ou pour remettre en état des zones dégradées.
Bien que la manipulation des populations et des habitats relève en partie du mandat des organismes de gestion de la pêche, il existe beaucoup dautres aspects, généralement du ressort dautres organismes, qui concernent les responsables de la pêche et qui peuvent savérer hautement pertinents dans un cadre de gestion écosystémique. Il sagit notamment de limpact des activités humaines à terre et en mer entraînant une destruction des habitats, leutrophisation, le rejet de matières polluantes, lémission de CO2, la dispersion de déchets, lintroduction accidentelle despèces allogènes par les eaux de ballast, etc. Les responsables de la pêche devraient être prévoyants dans ces circonstances pour faire en sorte que les autorités compétentes fassent participer tous les acteurs intervenant dans la pêche, en tant quintéressés au premier plan, à la planification et à la prise des décisions.
3.2.1.1 Modifications des engins qui améliorent la sélectivité
La plupart des engins de pêche affectent dune manière ou dune autre la vie marine. En premier lieu, les engins sont utilisés pour prendre les plus gros poissons dune population, ce qui change la composition selon la taille de lespèce exploitée. Dans de nombreuses pêcheries, les engins ont également un effet sur des organismes non ciblés par la pêche, qui sont aussi capturés. Ces prises accessoires sont souvent rejetées en raison de leur faible valeur économique, dune interdiction de débarquement ou du manque de place à bord du bateau, et peuvent avoir des conséquences graves pour lécosystème. Le rejet des prises accessoires, par exemple, modifie souvent la structure trophique décosystèmes entiers en favorisant les détritivores, comme on le voit dans de nombreuses pêcheries de crevettes partout dans le monde. La sélection par la taille peut, dans certaines circonstances, entraîner des modifications génétiques dans les populations affectées telles que des modifications de la croissance et des modifications de la taille et de lâge de maturité. Selon lapproche écosystémique, ces effets doivent être pris en considération plus sérieusement.
Sélection par la taille des espèces ciblées
Les restrictions relatives au maillage peuvent être utiles pour éviter de capturer des individus immatures de lespèce ciblée, mais elle a ses limites dans la pêche multispécifique. Lorsque des organismes de formes et de tailles différentes sont présents sur une même zone de pêche, il peut être difficile déviter de prendre des individus immatures dune autre espèce plus grande.
Lorsque lon envisage dintroduire une règle de maillage dans une pêche au chalut, il importe également détudier le taux de survie des organismes qui séchappent par les mailles du cul du chalut. Si la mortalité est élevée, lintérêt attendu dun maillage plus grand peut ne pas être réalisé. La sélectivité peut être améliorée par diverses méthodes autres que le maillage, notamment lutilisation de mailles carrées, de grilles trieuses et dautres dispositifs permettant à la partie indésirable des prises de séchapper.
Sélectivité à légard des espèces non ciblées
Les outils qui réduisent les captures despèces non ciblées sont connus sous lappellation de dispositifs de réduction des prises accessoires. Parmi les réussites en la matière, on peut citer:
les dispositifs anti-tortues;
les grilles trieuses qui permettent aux poissons pris accidentellement de séchapper;
les hameçons circulaires et les appâts à coloration bleue, qui réduisent la capture accidentelle de tortues dans la pêche à la palangre;
les dispositifs deffarouchement disposés au-dessus des palangriers pendant la pose, lutilisation dappâts décongelés, lancrage de nuit avec éclairage minimal du bateau, le lestage de la palangre, lancrage sous la surface, linterdiction de rejeter des issues pendant lancrage pour réduire la capture doiseaux;
les dispositifs acoustiques pour empêcher les mammifères marins de venir se prendre dans les filets maillants;
la modification des méthodes opérationnelles et des engins pour éviter de prendre des dauphins lors de la pêche au thon par des navires-senneurs.
Toutes ces mesures ont fait la preuve de leur efficacité dans différentes pêches et différentes parties du monde et il existe plusieurs exemples de situations où les bienfaits écologiques se sont doublés davantages économiques, par exemple dans la pêche par piégeage aux Caraïbes, la pêche benthique en Alaska et la pêche à la crevette tropicale en Australie.
3.2.1.2 Autres problèmes concernant les engins
Lorsque des engins de pêche tels que les filets maillants et les nasses sont perdus lors dopérations de pêche, ils peuvent continuer à prendre des poissons pendant des semaines, des mois, voire des années, selon la profondeur et les conditions qui règnent dans le milieu (luminosité, température, vitesse des courants, etc.). On peut partiellement limiter cette pêche, dite «fantôme», par lutilisation de matériaux biodégradables ou de moyens de désactiver lengin, en sefforçant déviter la perte des engins ou en facilitant la récupération rapide des filets perdus. Dans certaines régions, des campagnes sont menées périodiquement pour retrouver les filets perdus dans les lieux où se pratique la pêche au filet maillant.
3.2.1.3 Contrôle spatio-temporel de la pêche
On peut modifier la mortalité par pêche en limitant lactivité à certaines périodes ou saisons, en restreignant la pêche dans certaines zones. Ces mesures permettent de réduire le taux de mortalité des individus despèces ciblées ou non à des étapes de leur vie où ils sont vulnérables. Lorsque les stocks sont exploités par plus dun pays, il y a lieu de coordonner les mesures de gestion telles que les périodes de fermeture de la pêche.
La réduction sélective du taux de mortalité par pêche des espèces ciblées et non ciblées atténue généralement les effets à la fois directs et indirects de la pêche sur lécosystème. Les périodes de fermeture peuvent servir à protéger les habitats vitaux lorsque lactivité de pêche provoque normalement des dommages aux structures physiques de lécosystème. Elles peuvent aussi contribuer à réduire les perturbations mécaniques du benthos et faciliter létablissement de communautés plus stables et mieux structurées.
Lune des formes que prend la fermeture est celle des zones marines protégées, qui peuvent être des zones dinterdiction totale des prises ou des zones planifiées pour des usages multiples. Elles sont souvent affectées à des objectifs autres que la pêche mais peuvent avoir des retombées considérables pour la pêche. Elles permettent de protéger les espèces sédentaires, de tenir une partie du stock à lécart de la sélection génétique opérée par la pêche et doffrir un refuge à la biomasse des reproducteurs permettant le repeuplement de zones de pêche adjacentes soit par une migration des poissons soit par une dispersion des juvéniles. Ce dernier avantage reste encore à démontrer sans ambiguïté pour toute une série de sites, mais peut être propre à un site donné.
Il est maintenant courant dappliquer des fermetures spatiales ou temporelles dans le contexte de certains stocks ciblés ou de certaines pêcheries, et il nest pas inhabituel que toute une série de mesures ponctuelles de ce type soient appliquées dans un même écosystème. Cette méthode nest pas dénuée davantages, mais il peut être intéressant de prendre une approche plus systématique et dessayer de coordonner la protection de divers habitats et espèces sur une échelle pertinente pour lécosystème concerné. Il faut pour cela faire la synthèse des connaissances acquises jusquici sur les éléments importants des écosystèmes et évaluer les avantages qui pourraient en découler (voir le chapitre 2 et la section 4.1.3).
Il importe dévaluer leffet global de la fermeture sur la biologie de lespèce concernée et la nature de la pêcherie. Le succès dune fermeture spatiale ou temporelle peut être limité si elle a pour seul résultat de déplacer lactivité de pêche et daccroître la mortalité dautres espèces ou de poissons à dautres stades de leur vie ailleurs. Les espèces qui sont mobiles et qui se déplacent entre zones protégées et zones non protégées peuvent en fait ne guère bénéficier dune protection.
Les zones de fermeture où une certaine activité est autorisée peuvent nécessiter un gros effort de contrôle et peuvent donc savérer coûteuses. Autoriser certaines catégories dactivité de pêche peut aussi aboutir à créer des fuites mettant en échec les raisons même de la fermeture. Les autorités compétentes doivent se demander quel sera le degré probable de respect de la fermeture et le coût du contrôle, bien que le recours à des systèmes de surveillance des navives par satellite facilite le contrôle lorsque la gestion se fait par zone dans certaines parties du monde.
3.2.1.4 Maîtrise des effets des engins de pêche sur les habitats
Les engins de pêche qui effleurent ou raclent le fond pendant les opérations sont susceptibles davoir des conséquences néfastes sur les habitats biotiques et abiotiques. Faute de bien savoir ce que peuvent devenir ces effets à long terme, la précaution est recommandée dans lutilisation, dans les habitats vitaux, de méthodes de pêche ayant des répercussions importantes. Lutilisation dengins remorqués entrant peu en contact avec le fond est une solution technique de remplacement pour ces zones. Linterdiction de certains engins dans certains habitats en est une autre, par exemple celle de la pêche au chalut dans les récifs coralliens et les herbiers. Une troisième possibilité consiste à remplacer une méthode de pêche ayant un fort impact par une dont limpact sur le fond est moindre, telle que le piégeage, la pêche à la palangre ou au filet maillant, par exemple.
3.2.1.5 Économie dénergie et pollution
Les bateaux de pêche modernes utilisent des combustibles fossiles pour leur propulsion, pour manoeuvrer les engins de pêche et pour la conservation et la transformation des prises. Les effets de lémission de substances dangereuses dans les gaz déchappement, parmi lesquels le dioxyde de carbone, sont désormais pleinement admis, et les innovations techniques permettant de réduire ces émissions sont encouragées. Il est possible doptimiser le rendement énergétique en améliorant lefficacité des engins de pêche et la gestion de manière à réduire leffort de pêche nécessaire.
3.2.2.1 Maîtrise de la mortalité générale par pêche
La pêche a des effets directs sur les écosystèmes marins qui sont daccroître le taux de mortalité des espèces ciblées et non ciblées et de modifier les habitats. On parle fréquemment de maîtrise des moyens de production et de maîtrise de la production pour désigner les méthodes de gestion de la pêche utilisées pour limiter la mortalité. La première sapplique à la capacité de pêche, qui a un rapport étroit avec la mortalité que pourrait produire une flotte de pêche dont tous les bateaux opèreraient à temps plein, et à leffort, cest-à-dire la quantité dactivités de pêche effectivement déployées. La maîtrise de la production sapplique aux prises obtenues par leffort de pêche. Des modèles bien connus sont utilisés pour rapporter les prises et leffort de pêche à la mortalité.
La limitation de la capacité vise à restreindre la taille totale de la flotte, réduisant ainsi tant la mortalité par pêche que les pressions exercées sur les responsables pour quils autorisent une plus forte mortalité par pêche. Les contrôles de la capacité permettent de réduire la mortalité par pêche sur des groupes complexes despèces de la même manière que les limitations daccès spatio-temporelles.
La limitation de leffort vise à restreindre lactivité de pêche des flottes, et ainsi à réduire la mortalité par pêche. Cette limitation au niveau de la flotte entraîne une réduction de la mortalité de toutes les espèces concernées par la pêche, ce qui peut présenter des avantages dans le cas dune pêche multispécifique. Bien quil y ait des différences considérables dans les effets socioéconomiques probables de différents régimes de limitation de leffort de pêche, leffet net de la réduction du volume de pêche aura des avantages pour lécosystème à condition de nêtre pas «grignoté» par les gains constants defficacité.
Dans les pratiques actuelles de pêche, les principales limitations de ces méthodes viennent de ce quelles nempêchent pas directement la flotte dexploiter et dépuiser un stock. Dun point de vue écosystémique, elles ont le mérite de restreindre la pression exercée globalement sur lécosystème et de permettre ainsi den limiter les effets néfastes. Toutefois, il y a aussi un risque considérable que la mortalité augmente régulièrement si les gains defficacité ne sont pas surveillés et maîtrisés. Si, à défaut dêtre maîtrisés, les gains defficacité conduisent à une augmentation de la mortalité par pêche des espèces ciblées et des prises accessoires, certaines innovations technologiques telles que le développement des sondes à ultrasons et de la navigation par satellite peuvent permettre aux pêcheurs de faire davantage porter leurs efforts sur lespèce ciblée et de diminuer ainsi les effets sur les espèces non ciblées.
3.2.2.2 Maîtrise des captures
Sous la forme dune limitation des captures, la maîtrise des captures vise à réduire directement la mortalité par pêche des espèces ciblées. Lorsquelle se double dune maîtrise des prises accessoires (par des contingents, par exemple) elle permet de protéger les espèces associées. Elle a eu certains succès, par exemple dans la pêche multispécifique, mais aussi des résultats indésirables (écrémage, augmentation des rejets, etc.). Cependant, dans une approche écosystémique, il convient de tenir compte, sagissant dune pêche multispécifique, des degrés de vulnérabilité et de productivité différents des espèces. Il est nécessaire dappliquer une série de limites de capture cohérentes à toutes les espèces ciblées et aux espèces prises accessoirement pour tenir compte de ces différences et répondre aux objectifs recherchés pour lécosystème (par exemple le maintien des réseaux trophiques). Les limites de capture des espèces ciblées peuvent devoir être ajustées pour limiter les prises despèces plus vulnérables.
Dans certaines situations, la technologie et la connaissance des écosystèmes marins sont suffisamment avancées pour permettre une manipulation des écosystèmes en vue datteindre des objectifs dordre sociétal tels que leur préservation ou leur rétablissement. De telles manipulations (qui peuvent prendre la forme dune reconstitution ou dune réduction du stock, ou de la remise en état dun habitat) peuvent être des possibilités intéressantes datténuer les effets néfastes hérités du passé (tels que la surexploitation ou la destruction des habitats). Il est cependant rare que la réparation des effets soit complètement efficace, et elle comporte le risque davoir des conséquences imprévisibles; de plus, elle peut se révéler coûteuse. On na encore guère accumulé dexemples de réussite dans la manipulation des écosystèmes et les connaissances sont insuffisantes pour faire des pronostics fiables. Il est de loin préférable déviter en premier lieu de causer le problème.
3.2.3.1 Modification des habitats
Empêcher la dégradation des habitats. La préservation des habitats dans la pêche marine est lélément essentiel de lapproche écosystémique, cest la clef de voûte des écosystèmes exploités. Les responsables doivent prendre des mesures pour empêcher que les habitats soient endommagés, pour réparer les dégâts lorsquils se produisent et pour développer lhabitat au besoin. De telles mesures doivent être en harmonie avec les autres fonctions de lécosystème. Différents types de pêche menacent lintégrité des habitats qui abritent les ressources halieutiques et dautres éléments de lécosystème. Sans parler des pratiques les plus connues telles que la dynamite ou le poison, qui sont déjà largement proscrites, il en existe plusieurs autres qui peuvent provoquer des dégâts physiques et biologiques sur le sol marin. Les différentes mesures nécessaires pour réduire ces effets comprennent:
linterdiction des méthodes de pêche destructrices dans les habitats écologiquement sensibles (par exemple les herbiers marins);
linterdiction du nettoyage intentionnel du sol marin pour faciliter la pêche;
la réduction de lintensité de la pêche dans certains lieux de pêche pour faire en sorte que les populations despèces non ciblées formant un habitat ne tombent pas en dessous des seuils acceptables.
Constituer des habitats supplémentaires. Dans certaines situations où il est évident que lhabitat est insuffisant pour abriter des espèces présentant un intérêt ou dont le sort est préoccupant, il existe deux manières de créer des habitats. La première intervient lorsque lhabitat a été endommagé ou perdu, et consiste à recréer des mangroves, des herbiers marins et des récifs coralliens. Un programme de remise en état ne devrait pas être démarré tant que les problèmes à lorigine du dommage nont pas été réglés de manière satisfaisante. Lobjectif premier est de recréer la structure physique nécessaire pour procurer un abri aux animaux et un substrat aux organismes dont ils se nourrissent. Lidéal serait que les programmes de remise en état développent la biodiversité; pour cela, il fadrait favoriser les aménagements multispécifiques plutôt que monospécifiques. Dans certains cas, le seul fait de créer les conditions nécessaires à la survie de propagules (larves de corail, semences dherbes marines) provenant de zones dhabitat voisines permet de reconstituer un habitat. Du fait que de nombreuses espèces de poissons utilisent différents habitats tout au long de leur développement, nen restaurer que certains peut ne pas permettre de réaliser pleinement lobjectif dun programme de remise en état visant à améliorer la productivité ou la biodiversité.
La seconde méthode consiste à construire des habitats artificiels. Bien conçus et bien placés, ces habitats peuvent améliorer la production en augmentant les chances dinstallation des juvéniles les années où la semence est abondante (par exemple larves). Les habitats artificiels peuvent aussi jouer pleinement leur rôle dans le repeuplement ou la régénération des stocks en permettant le lâcher dun plus grand nombre dindividus (voir plus bas). Il convient toutefois de veiller à ce que le nouvel habitat nentraîne pas une nouvelle répartition des poissons dune manière qui les rende plus vulnérables à la surexploitation. Les habitats artificiels peuvent aussi représenter un danger pour la navigation, polluer lécosystème ou en perturber la structure ou les fonctions. Des problèmes peuvent par ailleurs survenir lorsque les habitats artificiels ne sont pas assez solides pour ne pas se disloquer lors des tempêtes et polluer le rivage.
Décider daccroître la quantité dhabitats structurels obligera à faire des choix quant à la valeur relative de différentes composantes de lécosystème (habitats et espèces), du fait que la création dun habitat se fera aux dépens dun autre. Les habitats artificiels sont aussi coûteux à construire, et il peut être plus efficace de protéger les abris naturels et renouvelables qui existent, tels que les herbiers marins.
3.2.3.2 Manipulation des populations
Repeuplement et développement des stocks
Les espèces ciblées qui ont été lourdement surexploitées dans les écosystèmes de certaines pêcheries peuvent être reconstituées par lintroduction de juvéniles délevage en vue de reconstituer la biomasse reproductrice, puis en protégeant les animaux lâchés, le reste du stock sauvage et la progéniture jusquà ce que la population ait retrouvé le niveau souhaité. Ce processus est connu sous le terme de repeuplement, qui diffère du développement de stock (voir plus bas). Le premier vise à reconstituer le stock pour quil remonte jusquà un seuil de viabilité, tandis que le second vise à augmenter le stock à exploiter. Étant donné cependant le coût élevé des programmes de repeuplement, il convient de faire une analyse minutieuse pour déterminer sil est possible datteindre par dautres mesures de gestion les buts auxquels doit répondre la reconstitution des stocks. En général, le repeuplement ne doit être envisagé que lorsque dautres formes de gestion ne permettent pas de rétablir des niveaux acceptables de populations, et il devrait aller de pair avec un contrôle de la capacité de pêche et une diminution de la surexploitation. Sil est nécessaire de repeupler une espèce et que celle-ci fait partie dune pêche mixte quil ne serait sinon pas nécessaire de fermer, le repeuplement peut être effectué dans des ZMP.
Pour réduire le risque deffets contraires sur le reste des individus sauvages de la même espèce ou dautres espèces présentes dans lécosystème, les programmes de repeuplement doivent comprendre: i) des méthodes dalevinage qui empêchent la perte de diversité génétique en empêchant la consanguinité et la sélection, et ii) des protocoles de quarantaine qui empêchent le transfert dagents pathogènes des animaux délevage aux poissons sauvages.
Lorsque les responsables souhaitent accroître les rendements despèces particulières dans un écosystème, le lâcher de juvéniles délevage pour développer le stock peut parfois être utilisé comme moyen de manipuler les niveaux de population. Ce procédé vise à remédier aux limites de recrutement qui interviennent lorsque labondance naturelle des juvéniles est insuffisante par rapport à la capacité de lhabitat dhéberger le niveau de stock souhaité. Comme dans le cas des programmes de repeuplement, les pratiques négligentes dalevinage pourraient entraîner le lâcher dindividus inaptes à survivre dans un milieu sauvage, la modification de la diversité génétique et lintroduction de maladies.
Parmi les facteurs à prendre en considération pour déterminer quels seraient les avantages et les coûts de programmes de développement des stocks, on peut citer: i) la nécessité de réduire autant que faire se peut la production de juvéniles délevage en optimisant les possibilités de régénération naturelle des stocks sauvages; ii) labondance de prédateurs et de proies aux sites de lâcher envisagés, et iii) la nécessité dévaluations indépendantes pour déterminer si le programme de développement atteint ses objectifs et sil a des effets indésirables sur lécosystème. Il peut également savérer nécessaire de prévoir des habitats supplémentaires pour héberger le nombre accru dindividus de lespèce développée.
Réduction des populations. Cette mesure vise habituellement à réduire labondance de prédateurs ou despèces en concurrence pour les mêmes ressources trophiques, le but étant daccroître les rendements despèces ciblées ou de maintenir léquilibre de la structure trophique. Toutefois, les manipulations du réseau trophique de ce type doivent être effectuées avec prudence en veillant à ce quelles naient que les effets désirés, quelles ne modifient pas de manière indésirable labondance dautres composantes importantes de lécosystème et ne menacent pas la survie de lespèce concernée. Cette méthode nécessite une approche dadaptabilité, susceptible de bénéficier dans certains cas dexpérimentations organisées. Il convient auparavant denvisager la reconstitution des populations de lespèce ciblée par dautres mesures de gestion halieutique plus classiques. Une réduction à grande échelle des populations ne devrait intervenir quaprès une étude exhaustive de toutes les conséquences de la manipulation.
Introduction intentionnelle despèces. Bien que de nouvelles pêcheries puissent être créées par lintroduction despèces, le risque est grand de provoquer des altérations préjudiciables dans les écosystèmes côtiers. Lapproche de précaution est de rigueur ici, ce qui ne veut pas dire que la mesure ne doit jamais être envisagée. Il est des cas où lintroduction despèces marines a eu des retombées socioéconomiques bénéfiques sans avoir deffets néfastes apparents sur dautres composantes de lécosystème. La pêche du troque (trochus) dans le Pacifique et celle des pétoncles en Chine en sont de bons exemples.
Il convient de procéder à une évaluation complète des risques avant denvisager la création de nouvelles pêches par lintroduction despèces, et ce afin den connaître tous les avantages et toutes les conséquences. Pour évaluer les risques, il convient davoir une connaissance précise de questions telles que le niveau trophique de lespèce, le potentiel reproducteur et les conditions de reproduction, les interactions avec dautres espèces, lintroduction dagents pathogènes et parasites, et les effets sur la demande et loffre dautres espèces.
Les risques et les conséquences qui accompagnent un accès libre à la pêche sont maintenant bien connus (voir la section 3.2 des Directives pour laménagement des pêcheries, qui donne aussi une bonne description des différentes manières possibles de limiter laccès avec leurs caractéristiques). Le Code de conduite stipule que:
«Les États devraient mettre en place, le cas échéant, des cadres institutionnels et juridiques en vue de déterminer les utilisations possibles des ressources côtières et régir laccès à ces ressources, en tenant compte des droits des communautés côtières de pêcheurs et de leurs pratiques coutumières de manière compatible avec un développement durable» (paragraphe 10.1.3)
Un régime adapté et bien défini de droits daccès présente beaucoup davantages importants, avant tout celui de garantir un effort de pêche proportionné à la productivité des ressources, et donne aux pêcheurs et à leurs communautés une sécurité à plus long terme qui leur permet de considérer les ressources halieutiques comme un patrimoine à conserver et à traiter de manière responsable, tout en les encourageant dans cette voie.
Il existe plusieurs types différents de droits dutilisation. Les droits territoriaux permettent à des personnes ou à des groupes de certaines localités de pêcher. Les régimes daccès limité ne permettent quà un certain nombre de particuliers ou de bateaux de participer à une pêche, le droit dentrée étant accordé sous la forme dune licence ou dun permis. Laccès peut aussi être réglementé par un régime de droits portant sur leffort (maîtrise des moyens de production) ou sur les prises (maîtrise de la production), le total admissible des captures (TAC) étant subdivisé en contingents et les contingents attribués aux utilisateurs autorisés.
Chaque type de droit dutilisation a des propriétés, des avantages et des inconvénients qui lui sont propres, et les conditions écologiques, sociales, économiques et politiques varient dun lieu à un autre et dune pêche à une autre. Aucun régime de droits dutilisation ne peut donc servir en toutes circonstances. Il faut dans chaque cas trouver le régime correspondant le mieux aux objectifs dorientation dans le contexte donné, et il est possible dy inclure deux ou plusieurs types de droits dutilisation pour une même pêcherie ou une même aire géographique. Par exemple, une pêcherie comportant des activités artisanales et des activités industrielles pourrait avoir recours aux droits dutilisation territoriaux, aux contingents deffort et aux contingents de capture pour réglementer laccès aux différents secteurs dune manière qui soit adaptée à leur nature et accorde lattention nécessaire à la productivité des ressources. A titre dexemple, voici ce que suggère le manuel de la FAO intitulé A fishery managers guidebook:
les DTUP se prêtent particulièrement à la gestion de ressources sédentaires;
les droits deffort peuvent être plus efficaces et plus pratiques que les droits de capture lorsquil nexiste pas destimation fiable de la biomasse ou lorsquil est difficile de contrôler correctement les prises (ou que lon est en présence dune grande diversité despèces);
les droits de capture sont les mieux à même de faciliter la gestion de stocks fortement migrateurs ou étalés sur plusieurs territoires lorsque les prises admissibles doivent être divisées entre pays participants; et
la gestion de leffort peut être plus efficace lorsquune pêcherie utilise principalement le même type dengins, alors que les droits de capture peuvent être préférables pour les pêches utilisant de nombreux engins différents[6].
Lapproche écosystémique exige de prendre en considération et de concilier tous les usages et tous les usagers des ressources dune pêcherie et de tenir compte des interactions entre les différentes pêcheries de laire géographique désignée. Pour cela, les régimes de droits daccès appliqués à différentes pêcheries ou dans différents secteurs de pêche devront être compatibles entre eux et, globalement, leffort total appliqué devra être proportionné à la productivité de lécosystème et des éléments qui le composent. Cela peut être une tâche difficile à mettre en oeuvre, susceptible davoir des incidences politiques importantes, mais qui est essentielle pour que lécosystème soit exploité durablement et qui, une fois la mise en place réalisée, facilitera grandement la gestion et le fonctionnement de la pêcherie.
Lapplication de lapproche écosystémique peut être facilitée si les règles appliquées dans le cadre dune gestion par la contrainte sont complétés, voire remplacés aussi souvent que possible par des mesures dincitation plus appropriées. Lidée des mesures dincitation est de braquer les projecteurs sur les objectifs des pouvoirs publics tout en laissant aux particuliers ou aux collectivités la liberté de répondre ou non au signal (ce point est développé à lannexe 5).
Différentes formes de mesures dincitation peuvent être prises isolément ou en combinaison:
Améliorer le cadre institutionnel (définition des droits et processus de participation);
Développer les valeurs collectives (éducation, information, formation);
Créer des incitations économiques indépendamment du marché (taxes et subventions);
Créer des incitations de marché (étiquetage écologique, droits daccès ou de propriété négociables, comme on la indiqué plus haut).
Les mesures dincitation jouent indirectement un rôle par le biais de facteurs déterminants dans les choix individuels ou collectifs tels que la recherche du profit ou les valeurs normatives. Les forces du marché ou de la société peuvent être des vecteurs très efficaces pour faire aller le résultat global des actions individuelles dans le sens des objectifs fixés par la collectivité.
Tous ces instruments reposent plus ou moins sur la contrainte. Pour créer les conditions dun marché efficace des droits de propriété, il faut que ces droits soient fixés par la loi et quils soient effectivement appliqués. De même, pour créer une incitation mercatique à employer des méthodes de production respectueuses de lenvironnement par létiquetage écologique des produits, il faut que des normes de certification soient établies et appliquées. Les incitations et la contrainte doivent être vues comme complémentaires les unes des autres, avec des avantages et des inconvénients relatifs selon ce quelles sont censées réaliser. A lheure actuelle, léventail des mesures dincitation possibles est probablement sous-utilisé, et les méthodes faisant appel à la contrainte continuent davoir lavantage.
Le passage à une gestion écosystémique risque de saccompagner dans la plupart des cas, sinon tous, dune augmentation des coûts de gestion due à lacquisition dinformations supplémentaires, à la planification et aux décisions prises en concertation avec un nombre plus grand dacteurs ou de groupes dintérêts, et à davantage de suivi, de contrôle et de surveillance. Bien que le surcroît de dépenses de gestion puisse dans bien des cas être plus que compensé par les avantages à long terme de lapproche écosystémique, la question de savoir qui doit le payer prend de limportance. Lidée que le secteur de la pêche doive supporter une partie des frais de gestion se répand et trouve de plus en plus dadeptes. Cependant, parce que lapproche écosystémique répond plus largement à des besoins de la société, il faut définir expressément au niveau politique comment se répartissent les dépenses supplémentaires entre les avantages pour ceux qui tirent leur nourriture, leurs moyens de subsistance et leur emploi de la pêche et les avantages pour la société au sens large. Lorsque des pays sont chargés de gérer des biens et services décosystèmes mondiaux, il faut peut-être se demander si les coûts supplémentaires ne devraient pas être à la charge de la communauté internationale[7].
Lorsque lon étudie les biens et services des écosystèmes mondiaux tels que la biodiversité ou la protection des espèces menacées, la question se pose de savoir si lévaluation devrait être basée sur les préférences nationales ou locales, ou sil faut tenir compte des préférences des citoyens dautres pays ou de la communauté internationale dans son ensemble. Il faut également prendre acte des objectifs exprimés dans les conventions internationales. En revanche, une évaluation sur la base de ce que les citoyens les plus fortunés de la planète sont prêts à payer pourrait aboutir à créer des prescriptions normatives défavorables aux producteurs ou aux consommateurs pauvres des pays en développement. On en est ainsi venu à demander que des normes déquivalence soient établies en tenant explicitement compte des différences de richesse et de la capacité de procurer dautres sources demploi et de revenus.
Les outils permettant dévaluer les coûts et les avantages des mesures de gestion écosystémique comprennent la modélisation bio-économique et écologico-économique à divers degrés de complexité, et les méthodes dévaluation économique totale (voir lannexe 3). La comptabilité intégrée environnementale et économique est un outil intersectoriel utile. Le système de comptabilisation intégrée économico-environnementale définit le cadre dans lequel il est possible danalyser et de suivre les interactions entre les différents secteurs de léconomie et leurs effets conjugués sur lenvironnement (voir lencadré n° 2)[8].
Bon nombre des problèmes auxquels se heurte la gestion des pêches dans le cadre dune approche écosystémique échappent au contrôle direct des responsables de la pêche. Parmi ces problèmes, citons:
leutrophisation des eaux littorales résultant dun excès dapports nutritifs provenant de lagriculture et des eaux usées, qui provoque une prolifération dalgues toxiques et attaque les herbiers marins et les récifs coralliens (en favorisant la croissance dépiphytes, par exemple);
laccumulation de sédiments provenant de lagriculture, des activités forestières et de la construction dinfrastructures dans les bassins hydrographiques, qui dégradent les écosystèmes côtiers, particulièrement les habitats vitaux des récifs coralliens et des herbiers marins;
la destruction des habitats des poissons par laménagement des littoraux;
lintroduction despèces allogènes transportées par les eaux de ballast et les coques de navires;
la contamination des produits de la mer par la pollution chimique engendrée par lagriculture et lindustrie;
lutilisation concurrentielle des cours deau par dautres secteurs, y compris laquaculture; et
les effets du changement climatique sur la répartition des stocks et lélévation du niveau de la mer dans les habitats dalevinage.
Les responsables des pêches doivent veiller à se faire reconnaître comme des acteurs importants dans le processus daménagement intégré des littoraux afin de pouvoir préserver la fonction des habitats supportant les écosystèmes halieutiques des effets néfastes des activités dautres secteurs.
Encadré n° 2 Il existe un moyen de rendre lapproche écosystémique plus opérationnelle, qui consiste à incorporer le rôle de lenvironnement dans la comptabilité économique au niveau national par le biais dun système de comptabilité nationale (SCN) et de comptabilité satellite pour lenvironnement. Le SCN constitue la première source dinformation sur léconomie et il est largement utilisé pour lanalyse et la prise de décisions. Toutefois, il présente plusieurs lacunes notoires en ce qui concerne le traitement de lenvironnement. Pour la pêche, par exemple, le SCN nenregistre que les revenus de la pêche de capture, sans les modifications de labondance et de la valeur des stocks de poissons. Le résultat peut être trompeur lorsque le stock de poisson est surexploité: les revenus de la surexploitation sont enregistrés, mais non lépuisement correspondant des stocks. Il est possible de remédier à de telles lacunes par un système de comptabilité économico-environnementale. En tant que comptabilité satellite, le SCEE présente une structure analogue à celle du SCN, puisquil enregistre les stocks et les mouvements de biens et de services de lenvironnement. Il fournit un ensemble dindicateurs pour suivre les résultats économiques et environnementaux au niveau sectoriel et au niveau macroéconomique et permet dobtenir un ensemble détaillé de statistiques que les responsables des ressources pourront utiliser pour prendre des décisions de politique améliorant, on peut lespérer, les résultats économicoenvironnementaux à lavenir. Deux caractères distinguent le SCEE dautres bases de données sur lenvironnement. Premièrement, il relie directement les données environnementales à la comptabilité économique par le biais dune structure, de définitions et dune classification communes. Cette base de données présente lavantage dêtre un outil dintégration de lanalyse économico-environnementale, qui va à lencontre de la tendance consistant à scinder les questions selon leur discipline et voulant que les questions économiques et les questions environnementales soient analysées indépendamment les unes des autres. Deuxièmement, le SCEE couvre toutes les interactions économico-environnementales importantes (et aussi les coûts de la gestion environnementale), ce qui en fait un système idéal pour aborder les questions transversales telles que la gestion de la pêche. En tant quapproche à léchelle de lécosystème, il tient compte des menaces pour la santé de lhabitat des poissons quentraînent les modifications de lutilisation des terres, des niveaux de pollution, du couvert forestier, du débit hydrologique et dautres composantes de lenvironnement. En tant que comptabilité satellite du SCN, il est lié à toute létendue des activités économiques et comporte une classification des ressources environnementales très complète, notamment des informations sur tous les stocks et les mouvements essentiels susceptibles dinfluer sur la pêche. Un manuel du SCEE à lusage de la pêche est en cours délaboration par la FAO en coopération avec la Division de la statistique des Nations Unies. |
[6] A.T. Charles, Use rights
and responsible fisheries: limiting access and harvesting through rights-based
management, in A fishery managers guidebook - Management measures and
their application, K.L. Cochrane (ed.), FAO, Document technique sur les
pêches n° 424, p. 131 - 157. [7] Lidée de dédommager les pays des frais supplémentaires de gestion est à lorigine de la création du Fonds pour lenvironnement mondial. [8] Sous les auspices de la Commission de statistique des Nations Unies, le groupe dit «Groupe de Londres pour la comptabilité environnementale» a publié un manuel sur le système de comptabilité environnementale et économique pour lan 2000 (SEEA 2000). Le projet, soumis à la Commission de statistique des Nations Unies, peut être consulté à ladresse suivante: http://www4.statcan.ca/citygrp/london/publicrev/pubrev.htm. |