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A - Migration et développement rural


Pour comprendre la formation et la dynamique des associations d’immigrés et leur potentiel dans le développement des communautés d’origine, il est nécessaire de revenir sur les implications de la migration de main-d’oeuvre sur développement rural ainsi que sur la relation entre la communauté d’origine et la communauté d’immigrés.

1 - Migration de main-d’oeuvre et développement local

Les effets de la migration au niveau local sont déterminés par:

Dans de nombreux cas, l’impact des migrations sur les lieux concernés par le phénomène est le résultat de la combinaison de ces deux grands types d’effets. Cependant l’impact de ces deux manifestations de la migration sur le développement des lieux de départ varie selon:

Les études de cas réalisées dans différentes régions du monde sur l’impact sur le développement local des migrations internationales non définitives (qui nous concernent dans ce travail) concluent que si l’émigration par les transferts migratoires (envois de fonds et transferts de compétence etc.) permet d’améliorer les conditions de vie des familles de migrants, elle favorise rarement la mise en place d’une dynamique de développement des communautés et régions émettrices.

2 - Gestion locale de la migration: institutionalisation de la migration et communautés transnationales

Les enjeux que pose l’émigration pour la survie et le développement des ménages et des communautés émettrices expliquent en grande partie l’institutionalisation du phénomène au niveau local qui vise à maintenir et à intensifier des liens entre la communauté d’origine et les émigrés.

a) Institutionalisation de la migration et communauté transnationale

L’impact de la migration de main d’oeuvre sur les lieux de départ dépend entre autre chose de la capacité de leur population à gérer le phénomène de telle sorte que la communauté puisse assurer sa survie et en tirer le plus grand bénéfice. Les arrangements institutionnels que provoque la migration s’effectuent à deux niveaux. On distingue, d’une part, les modifications induites par l’émigration de membres actifs de la communauté sur les institutions qui gèrent les activités socio-économiques du lieu de départ, et d’autre part, la mise en place au niveau des ménages migrants comme de la communauté, d’institutions qui régulent l’activité migratoire.

Nous avons vu précédemment, les effets produits par le départ d’une partie de la population active, souvent masculine, sur les activités productives mais aussi socio-politiques. Cette modification dans la structure démographique des lieux de départ produit des effets perturbateurs sur les institutions qui encadrent les activités économiques, sociales et politiques. Cela peut conduire à la disparition de ces arrangements institutionnels ou bien à leur adaptation à la nouvelle situation mais aussi, à l’apparition de nouvelles institutions.

Dans les communautés qui dépendent largement des envois de fonds, les effets perturbateurs, notamment sur l’économie locale, que produit le départ d’une partie plus ou moins importante de la population active sont en partie contrebalancés par le maintien des liens économiques et sociaux entre les immigrés et le lieu d’origine dont les envois de fonds et les retours plus ou moins récurrents sont la partie la plus visible. Ces liens, facilités de nos jours par les progrés extraordinaires réalisés dans les communications et les transports, sont gérés par toute une série d’arrangements institutionnels au niveau du ménage du migrants mais aussi au niveau inter-familial (le clan en Afrique par exemple) et communautaire.

Ainsi, une fois la migration reconnue comme une importante stratégie pour la reproduction du ménage, un ensemble complexe de règles apparaissent afin de définir et coordonner le comportement des migrants et des non-migrants qui doivent permettre de réduire les risques que comportent la migration et garantir la loyauté des migrants envers sa famille et la communauté. Au niveau du ménage, cet ensemble d’arrangements institutionnels est identifié sous le concept de contrat migratoire. Le ménage procure au migrant le financement pour le voyage, l’accés à un réseau migratoire et la sécurité de pouvoir compter sur le support de la famille au cas où l’entreprise migratoire échoue. En échange, le migrant envoie une partie de son revenu migratoire à sa famille.

Mais le contract migratoire pour être réellement efficace a besoin d’être étendu en dehors des liens familiaux et être connecté avec d’autres potentiels "alliés" impliqués dans le processus migratoire. Ces liens forment les réseaux migratoires et contribuent à étendre l’institutionalisation de la migration au niveau de la communauté. L’intensité de ces liens entre la communauté de migrants et leur lieu d’origine favorise la transnationalisation de certain processus sociaux, politiques et économiques locaux et contribuent à l’établissement d’une communauté transnationale. L’expression la plus évidente de la mise en place d’une communauté transnationale est la reproduction des institutions du lieu d’origine parmi la communauté d’immigrés comme le montre l’étude de certaines communautés d’immigrés sahéliens en France au sein desquelles, sous l’impulsion des autorités villageoises, sont rétablies les hiérarchies sociales traditionnelles afin de maintenir les immigrés dans la sphère villageoise (Quiminal 1991; Daum 1993; Lanly 1998). Une autre manifestation des communautés transnationales est l’établissement d’associations de migrants qui permètent de maintenir les migrants dans la référence communautaire et dont le champs d’action économique et social dépasse bien souvent le lieu d’accueil (Rivera Salgado 1997).

Le concept de communauté transnationale est donc important pour comprendre notamment le fonctionnement des associations d’immigrés et leur implication dans le développement du lieu d’origine. La mise en place de projets des associations d’immigrés impliquent souvent d’intenses échanges entre les deux composantes de la communauté transnationale: la communauté d’origine et la communauté d’immigrés.

b) Les associations d’immigrés

Récemment plusieurs études se sont intéressées aux associations d’immigrés dans différents pays d’immigration (France; Canada; Etats-Unis; Portugal; Belgique, etc.) et à leurs rôles par rapport à l’intégration socio-économique de leurs membres dans le lieu d’accueil ou par rapport au développement des régions d’origine.

Les immigrés sont rarement isolées. Ils s’intègrent le plus souvent dans des réseaux migratoires structurés autour d’une identité commune. Ils peuvent aussi participer à différentes formes d’associations plus formelles telles que des organisations politiques ou syndicales, des organisations pour la défense des droits des immigrés (par exemple, le mouvement des "sans papiers" en France); les organisations religieuses, de quartiers, etc. Cependant, la forme la plus courante se base sur la communauté d’origine, mais il existe aussi des associations qui réunissent les immigrés d’une même ethnie, d’une même région ou pays. Elles se distinguent des précédentes formes d’organisation du fait qu’elles sont crées et administrées par les immigrés eux-mêmes. Les associations d’immigrés s’appuient sur un réseau migratoire déjà existant et doivent être considérées comme une forme plus formelle/officielle et institutionalisée de celui-ci.

Typologie des associations d’immigrés

Il existe une variété d'associations d'immigrés qui reflète les différences culturelles, socio-économiques (conditions de vie dans régions d'origine et d'arrivée) et migratoires de chaque communauté d'immigrés. Elles peuvent être classées selon leur degré de formalisation et de cohésion, les caractéristiques de leurs membres (première ou deuxième génération; statut social; etc.), leurs objectifs et fonctions.

La forme la plus courante des associations de migrants reproduit les mêmes règles et procédures des institutions dans leur communauté. La formation de l'association est à mettre à l'actif de quelques a migrants entreprenants. Les autorités de la communauté d'origine peuvent aussi stimuler la création d'une association, souvent pour obtenir des fonds pour la réalisation de projets ou de fêtes dans le village. Les objectifs de l'association ne sont pas toujours bien définis. Leur principale activité est celle d'organiser des rencontres (galas) pour collecter des fonds pour des petits projets en faveur de la communauté d'immigré ou de la communauté d'origine. Ce sont en général des projets de réalisation simple tels que la restauration du temple, la construction d'école, l'accés à l'eau potable.

A l'opposé de ce type d'association, on trouve des associations beaucoup plus structurées. Certaines ont un statut d'Organisation Non-Gouvernementale reconnu dans le pays d'accueil et dans celui de départ. Elles ont un bureau et un ou plusieurs employés à temps plein. Mais surtout elles réalisent des projets beaucoup plus complexes en direction du développement de leur région d'origine. Ces projets ont souvent un financement mixte qui allie la côtisation des membres avec des fonds accordés par des agences de développement publiques ou privées (ONG). Certaines initiatives des associations requièrent la collaboration entre elles et favorisent la création de fédérations d'association. Ce dernier niveau ajoute une dimension capitale et marque le plus souvent une développement des régions d'origine en fournissant des services, en étant un médiateur valable auprès des autorités régionales (reconnaissance des associations et de leurs actions par les pouvoirs publics) en favorisant l'amélioration des conditions de vie et d'existence des immigrés.

Conditions de formation des associations d’immigrés

Pas toutes les communautés d'immigrés ont une association d'immigrés. La création d'une association d'immigrés dépend du substrat socio-culturel des immigrés/communauté transnationale et de l'environnement de la communauté transnationale.

Les associations d'immigrés apparaissent en général dans des communautés d'immigrés relativement homogènes structurées autour d'un fort attachement à une même communauté d'origine à laquelle elles sont liées par des réseaux sociaux solides (Libercier, Schneider, 1996; Zabin, Rabadan, 1997). Une étude realisée par le Centre de Développement de l'OCDE sur plusieurs communautés d'immigrés dans le monde montre que le fort controle social des migrants saheliens en France exercé par les autorités traditionnelles de leur communauté d'origine ainsi que les difficiles conditions de travail et de vie en France ont renforcé la structuration de la communauté d'immigrés qui a son tour à favoriser la création d'associations d'immigrés. A l'inverse, les immigrés tunisiens en Italie, en raison du caractère plus individuelle de leur migration, ont des réseaux migratoires limités et aucune association.

Les conditions externes contribuent à la formation d'association. Les difficultés rencontrées par les populations d'immigrés dans le nouvel environnment du lieu d'accueil (racisme, éloignement affectif, abus sur le marché de travail), mais aussi les difficultés conjoncturelles ou structurelles que rencontrent la population des communautés de départ déterminent la création d'une association d'immigrés en vue de répondre à ces problèmes. Nous avons synthétisé dans le tableau ci-dessous les principales conditions qui favorisent ou pas la formation d'associations d'immigrés.

Tab. 1: Conditions favorisant la présence et l’absence d’une association de migrants

Conditions favorisant (gauche) ou décourageant (droite) la création d’associations de migrants

Les conditions dans la communauté d’origine

- Forte identité ethnique, régionale ou locale

- Forte tradition d’organisation

- Fort contrôle du processus migratoire par la famille et la communauté et établissement de stratégies migratoires orientées vers le maintien des liens entre les migrants et leur communauté d’origine

- Sous-développement rural (la migration est la principale stratégie de subsistance)

- Absence de l’intervention publique dans le développement de la région d’origine

- Politique de décentralisation et existence de programmes publics en support aux associations de migrants (par ex. le Programme pour les communautés de mexicains à l’étranger)

- Acceptation dans le village de la participation des migrants de son développement

- Faible ou absence d’identité ethnique ou régionale (par ex. les Tunisiens en Italie)

- Stratégie migratoire individuelle

- Communauté d’origine développée offrant un choix important de services (infrastructures sociales et physiques)

- Un régime centraliste qui se méfie de l’influence des migrants (par ex. Mali durant le régime de Moussa Traoré)

- Un gouvernment locale fort qui décourage une participation active des migrants dans le processus de dévelopement (i.e. caciquismo)

- conflits entre des factions locales

Les conditions dans le lieu d’accueil

- Eloignement du lieu d’origine

- Fort attachement à la communauté d’origine

- Stabilisation du processus migratoire et de la communauté d’immigrés

- Un nombre suffisant d’immigrés

- Concentration des immigrés dans la même région

- Existence d’un réseau d’entraide entre les immigrés

- Des conditions de vie et de travail difficiles, perception négative des immigrés et politiques hostiles à l’égard des immigrés qui stimule le renforcement des liens d’entraide entre les immigrés

- Reconnaissance et soutien des associations et de leurs initiatives par les pouvoirs publics

- Dispersion des immigrés

- Installation définitive dans le lieu d’accueil des migrants et de leur famille

- Apparition d’une seconde génération d’immigrés

- Capacité d’assimilation et d’integration

- Interdiction aux immigrés de se grouper en association

Les initiatives en faveur du lieu d’origine

La création d'associations réunissant les migrants d'un même village ou d'une même région dans le but de mener des actions de développement sur le lieu d'origine, traduit le plus souvent l'attachement à leur communauté d'origine et la volonté de modifier les conditions qui ont conduit au départ: "les associations visent une utilisation plus rationnelle de l'épargne des émigrés, un transfert des connaissances acquises et des normes de consommation - en somme les immigrés recherchent une rentabilisation plus efficace au village de leur séjour en France" (Quiminal, 1994: 330).

Les émigrés et leur association par leur capacité à rassembler des fonds assument avant tout le rôle d' "assureur" au sein des communautés transnationales en cas de crise (catastrophe naturelle, sècheresse) et besoins urgents d'argent (paiement d'impôts). Cependant la plupart des associations d'immigrés ne se contentent pas toujours de ce rôle, elles promeuvent aussi des projets de développement en direction du lieu d'origine.

L'argent récolté est le plus souvent investi dans des aménagements collectifs, parfois à forte connotation symbolique, destinés à améliorer le bien être de la population locale. Ce sont des projets qui ne requièrent pas pour leur réalisation et leur fonctionnement la mise en place d'un dispositif trop complexe. La construction d'une école, d'un dispensaire, d'une maternité, la construction ou la restauration d'un temple, le percement d'un puits ou l'achat de machines-outil. Les projets ayant un impact économique plus direct sont encore plutôt rares et ont donné des résultats mitigés. Il s'agit de projets visant à moderniser l'activité agricole ou à diversifier l'économie locale pour assurer une meilleure subsistance des populations et mieux intégrer les productions locales avec le marché. Dans les régions sahéliennes où les production agricole subit les effets de fréquentes variations climatiques, des associations ont contribué à la mise en place de coopératives agricoles ou de consommation, le but de ces dernières étant d'acheminer aux villages des denrées de première nécéssité. En effet, la mauvaise qualité des routes rend leur transport précaire et leurs prix prohibitifs. Elles permettent ainsi aux villages de se doter d'une structure d'intervention collective sur la régularisation du marché de sorte que les familles n'ont plus à assumer isolément les coûts de déplacement et de transport notamment en période de sécheresse ou de pré-récolte au cours desquelles il existe des difficultés d'approvisionnement (Quiminal 1994).

La réussite de ces projets dépend d'une part, de la mobilisation des migrants, de leur capacité à gérer techniquement et politiquement les projets et, notamment, à faire accepter leurs initiatives aux autorités traditionnelles et à la population des villages ainsi qu'à nouer des partenariats avec d'autres acteurs du développement et, d'autre part, de l'environnement local et national. Ainsi, les projets de développement économique des associations de migrants se heurtent très souvent à l'absence d'infrastructures, à des problèmes inhérents au localisme des micro-projets: problèmes de distribution en raison du mauvais état des routes, coûts de transaction élevés, saturation du marché en l'absence d'étude sur l'ampleur de la demande solvable, etc. Pour faire face à ces obstacles, des associations de migrants d'une même région ou ethnie peuvent se regrouper afin d'intervenir à une plus grande échelle.

Au Mali, il existe une fédération regroupant des ressortissants d'une trentaine de villages dont l'objectif est d'accumuler le capital nécessaire pour rénover et moderniser l'agriculture vivrière en assurant une meilleure gestion de l'épargne des émigrés, une prise en charge d'infrastructures (maîtrise de l'eau, communication et transports, etc.) permettant aux initiatives locales de se développer et la formation des paysans locaux aux nouvelles technologies (Quiminal 1994).

De même, ces associations étudient la possibilité de remédier aux disfonctionnements des marchés de crédits en créant une structure régionale d'épargne et de crédit. Au Mexique, la puissante fédération des associations d'immigrés originaires de l'Etat de Zacatecas a joué un rôle capital dans la promotion des inititiatives des associations de migrants de l'Etat auprès des pouvoirs publics régionaux et nationaux et négocie leur soutien financier et technique en appui aux projets de ses organisations membres devenant un médiateur nécessaire dans les projets de développement de la région. De plus en plus, les gouvernements des pays de départ mais aussi d'accueil commencent à prendre conscience du potentiel des émigrés et de leurs associations et diverses mesures sont étudiées ou mises en place pour faciliter directement ou indirectement leurs initiatives.

Plusieurs avantages ont été reconnus aux associations tournées vers le développement de leur lieu d’origine:


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