Page précédente Table des matières Page suivante


2.3 Les communautés de petits pêcheurs dans les pays en développement


Dans la plupart des communautés de petits pêcheurs, en particulier dans les pays en développement, rares sont les pêcheurs spécialisés à temps plein dans cette activité. Le fait que pendant certaines saisons il n’y ait simplement pas de poisson, est sans doute une des explications, mais, comme le fait observer Smith (1977: 253) d’un point de vue plus général et dans la plupart des communautés côtières des pays en développement:

.... la pêche est simplement une des possibilités à laquelle l’économie de subsistance d’une population peut faire appel..., bien que cette possibilité puisse représenter un pourcentage prédominant de la somme de travail fournie ou la principale source d’apport nutritif, aucune activité de subsistance particulière n’est entièrement dissociée des autres aspects de l’économie de subsistance.

De plus, dans la plupart des communautés de petits pêcheurs des pays en développement les ressources marines font l’objet d’un mode d’exploitation de type extensif et diversifié plutôt qu’intensif et spécialisé. Généralement parlant, dans les communautés les plus pauvres où les gens habitent des maisons suffisamment proches de la mer pour pouvoir accéder aux ressources biologiques marines, non seulement les spécialistes de la pêche récolteront des fruits de mer, mais aussi d’autres personnes non spécialisées dans cette activité, notamment des exploitants agricoles, des artisans, des commerçants, et des personnes travaillant dans les services (voir, par exemple, Spoehr 1980: 5, qui décrit des villages côtiers aux Philippines).

Le recours à ces méthodes de pêche diversifiées et à caractère extensif revêt d’ordinaire une importance fondamentale pour garantir des disponibilités alimentaires et des revenus adéquats aux communautés de petits pêcheurs des pays en développement - et ce pour les pêcheurs spécialisés ou non. Par conséquent, les pratiques ou les politiques d’aménagement des pêches dans les pays en développement ayant pour effet de limiter à certaines personnes le droit de récolter les ressources halieutiques risquent de mettre en danger la sécurité alimentaire de nombreux membres de la communauté.

Au niveau local on observe souvent une très grande variabilité de la spécialisation effective dans les activités de pêche parmi les membres de la communauté. Par exemple, tel jour, ceux qui habituellement exercent des activités autres que la pêche, peuvent très bien aller pêcher pour nourrir leur famille. Si ensuite leurs prises sont particulièrement bonnes, ils peuvent alors en vendre une partie pour en tirer un revenu. Parallèlement, tandis qu’un pêcheur spécialisé d’une communauté travaille en général pour approvisionner en fruits de mer les marchés commerciaux, certains jours les revenus potentiels de la vente des captures ne justifient pas une activité de pêche à vocation commerciale. Alors, leur pêche est susceptible de se justifier uniquement par la capture des quantités suffisantes pour nourrir leur famille et procéder à des échanges avec leurs voisins.

En réalité, dans certaines communautés de petits pêcheurs des pays en développement, il est parfois erroné de supposer qu’il existe des catégories de pêcheurs théoriquement différentes, en l’occurrence exerçant d’une part une activité de subsistance et d’autre part une activité commerciale. Aussi, lorsque ce type de distinction est impossible, il serait peu judicieux de leur attribuer des ressources halieutiques réservées. Dans de telles situations, la meilleure politique d’aménagement pourrait consister à consentir un accès équitable à tous les membres de la communauté, indépendamment de leurs motifs de pêche ou de la fraction du temps qu’ils consacrent d’ordinaire à cette activité.

Les communautés de petits pêcheurs des pays en développement peuvent en outre présenter de grandes différences; dans celles dont la culture est restée très traditionnelle, les liens familiaux, les relations de parenté, ainsi que les obligations communautaires peuvent déterminer de façon prépondérante les principaux rapports économiques d’un individu. En revanche, les facteurs déterminants à cet égard peuvent être l’intérêt individuel et la volonté de maximiser les revenus dans les communautés de pêcheurs dont les économies adoptent les pratiques commerciales des pays développés modernes (voir Davis 1991, où figure une description des communautés terre-neuviennes de petits pêcheurs qui ont connu les transformations évoquées ci-dessus quant à la structure des rapports économiques tout en conservant les caractéristiques fondamentales du sous-développement).

Les cultures des communautés de petits pêcheurs des pays en développement sont par ailleurs extrêmement sensibles à l’importance des liens de ces pays avec une économie mondiale de plus en plus intégrée. Aussi, comme le fait observer Le Sann (1998: 45 et 47):

L’industrie de la pêche compte parmi les secteurs économiques les plus fortement intégrés au niveau mondial. Actuellement, près de 40 pour cent de la production totale mondiale de poisson est commercialisée sur le marché international [et] dans le secteur de la pêche, comme dans beaucoup d’autres, les activités de production, de transformation et de commercialisation sont de plus en plus aux mains d’entreprises multinationales.

Au demeurant, Kurien (1998: 1) fait observer que le resserrement des liens entre les économies des pays en développement et l’économie mondiale en voie d’intégration n’est guère un phénomène nouveau. Il signale en effet:

Au cours du demi-siècle écoulé, grâce au libre-jeu des mécanismes de marché, à l’orientation à l’exportation des échanges commerciaux et aux transferts planifiés des économies occidentales, le secteur de la pêche de ces pays s’est trouvé peu à peu inextricablement lié au système économique mondial.

Kurien fait observer par ailleurs que les pêches à petite échelle ont souvent été négligées au cours des «décennies de développement» qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, étant dans nombre de cas jugées incapables d’effectuer les transformations requises des modes de production et de distribution liées à l’essor des exportations. Il note en outre (1998: 2):

Le nouvel «engagement» sur la voie de... la mondialisation, du moins en ce qui concerne le secteur de la pêche des pays asiatiques en développement, constitue donc simplement un prolongement et un approfondissement des liens établis de longue date.

De plus, étant donné que leurs économies sont de plus en plus liées à l’économie mondiale, beaucoup de pays en développement ont été exposés à une détérioration des termes de l’échange, du moins à des termes peu favorables. En substance, les prix qu’ils doivent payer pour les biens fabriqués à l’étranger augmentent plus vite que les prix qu’ils peuvent obtenir pour les biens qu’ils exportent, ce qui se traduit souvent par une aggravation concomitante de leur endettement. Au sein de leurs communautés de petits pêcheurs, il s’ensuit alors dans nombre de cas une limitation des capacités d’acquisition de technologies réellement indispensables au développement de leurs activités, ou tout simplement nécessaires pour continuer à travailler. De plus, le déclin des communautés de petits pêcheurs des pays en développement s’accompagne parfois de leur éviction par des pêcheurs concurrents venus d’autres régions du pays ou de l’étranger.

En dépit de toutes les difficultés susmentionnées, les pêches à petite échelle dans les pays en développement ont par ailleurs fait preuve d’une stabilité et d’une ténacité remarquables, puisqu’elles continuent à employer une main-d’œuvre importante et à contribuer largement aux disponibilités alimentaires des pays considérés.


Page précédente Début de page Page suivante