Page précédente Table des matières Page suivante


6. L'opinion publique et la biotechnologie agricole

Les attitudes du public à l'égard de la biotechnologie influeront de façon déterminante sur l'application des techniques du génie génétique à l'alimentation et à l'agriculture. Ces attitudes ont fait l'objet d'observations détaillées en Europe et en Amérique du Nord, mais moins approfondies que dans d'autres pays, si bien que les données comparables d'envergure internationale sont très limitées. Le présent chapitre passe en revue les principales études d'opinion publique internationale conduites à ce jour sur la biotechnologie agricole (Hoban, 2004) et conclut par une analyse du rôle possible de l'étiquetage dans la médiation des divergences de vues observées à l'égard des aliments transgéniques. Les attitudes à l'égard de la biotechnologie agricole varient considérablement d'un pays à l'autre, les Européens s'exprimant généralement de façon plus négative que les répondants des Amériques, de l'Asie et de l'Océanie. En règle générale, il existe une corrélation entre la position adoptée et le niveau de revenu: les répondants des pays plus pauvres se montrent plus positifs que ceux des pays nantis, avec toutefois des exceptions. En dépit du manque de précision des sondages qui, par exemple, utilisent souvent de façon interchangeable les termes de «biotechnologie» et de «génie génétique» (voir encadré 25 p. 90), ils révèlent que les points de vue sont assez nuancés. Une fois admis que, pour certains, toute application du génie génétique est répréhensible, la plupart des répondants établissent des distinctions subtiles, qui prennent en compte les types de modifications et les risques et avantages potentiels.

ENCADRÉ 25
Poser les bonnes questions

Les réponses aux sondages de l'opinion publique dépendent, notamment, du libellé des questions. Les recherches ont montré que lorsqu'on pose des questions sur les «biotechnologies», on a plus de chances de susciter une réponse positive que lorsque l'on interroge les personnes au sujet du «génie génétique». Bien que ces subtilités puissent aboutir à une variation de 10 à 20 pour cent du total des réponses, de nombreuses études utilisent ces termes avec peu de rigueur. D'autres facteurs peuvent avoir une influence sur les réponses, notamment la façon dont les personnes interrogées sont choisies et le type et la quantité de matériel d'information qui leur est remis. C'est pourquoi les comparaisons de différentes études réalisées dans des endroits et à des moments différents exigent la plus grande prudence.

Les avantages et les risques de la biotechnologie

L'étude internationale la plus ambitieuse relative aux perceptions du public à l'égard de la biotechnologie a porté sur environ 35 000 personnes dans 34 pays d'Afrique, d'Asie, des Amériques et d'Europe: elle a été conduite par Environics International9 (2000). Dans chacun des pays concernés, on a demandé à un millier de personnes dans quelle mesure elles acceptaient ou rejetaient l'énoncé suivant:

«Les avantages présentés par l'utilisation de la biotechnologie afin de créer des cultures vivrières génétiquement modifiées ne nécessitant pas l'emploi de pesticides et d'herbicides chimiques l'emportent sur les risques d'une telle utilisation.»

Les réponses à cet énoncé révèlent d'importantes différences interrégionales (figure 10). Ainsi, les habitants des Amériques et de l'Asie conviennent beaucoup plus volontiers que les Africains ou les Européens que les avantages d'une telle utilisation de la biotechnologie l'emportent sur les risques. Alors que près des trois cinquièmes des personnes interrogées dans les Amériques et en Asie ont répondu de façon positive, à peine plus d'un tiers des Européens et un peu moins de la moitié des Africains ont fait de même. De plus, les Africains et les Européens se sont montrés plus partagés dans leurs réponses, avec un cinquième et un tiers respectivement des répondants exprimant de l'incertitude, contre à peine un huitième dans les Amériques, en Asie et en Océanie.

En règle générale, les habitants de pays à revenu plus élevé tendent à se montrer plus sceptiques quant aux avantages de la biotechnologie, et plus préoccupés par les risques potentiels. En Asie, par exemple, on note un plus haut degré de scepticisme à l'égard des avantages associés à la biotechnologie, et plus d'inquiétude à l'égard des risques potentiels, dans les pays mieux nantis tels que le Japon et la République de Corée que dans les pays moins riches, comme les Philippines et l'Indonésie. Parallèlement, en Amérique latine, les classes aisées de l'Argentine et du Chili sont plus méfiantes que les populations de pays à revenu inférieur, tels que la République dominicaine et Cuba. On observe toutefois des exceptions. Ainsi, en Europe, les habitants d'un pays à revenu plus élevé, les Pays-Bas, acceptent mieux la biotechnologie, en moyenne, que ceux de la Grèce, pays moins riche. En outre, d'autres facteurs que le niveau de revenu jouent, à l'évidence, un rôle déterminant dans l'attitude à l'égard de la biotechnologie.

S'agissant de l'Asie et de l'Océanie, l'éventail des opinions varie considérablement, allant de 81 pour cent d'assentiments en Indonésie à tout juste 33 pour cent au Japon. Quant aux pays les plus riches de l'Asie et l'Océanie - à savoir l'Australie, le Japon et la République de Corée - leurs répondants sont généralement moins enclins à convenir, relativement aux autres pays de la région, que les avantages de la biotechnologie pour réduire l'emploi de pesticides et d'herbicides chimiques l'emportent sur les risques. Sur les continents américains, la gamme des opinions s'est révélée plus restreinte, allant de 79 pour cent d'opinions favorables à Cuba à 44 pour cent en Argentine. En Amérique latine et dans les Caraïbes, les répondants de pays à revenu plus élevé - Argentine, Chili, Uruguay - se sont montrés sensiblement plus négatifs que les autres. Pour ce qui est de l'Amérique du Nord, l'énoncé a obtenu une adhésion aussi élevée qu'homogène. Enfin, les répondants européens sont généralement moins favorables que ceux d'autres régions, allant de 55 pour cent d'approbations aux Pays-Bas à 22 pour cent en France et en Grèce.

En règle générale, les habitants des pays en développement sont plus disposés à appuyer l'application du génie génétique afin de réduire l'emploi de pesticides et d'herbicides chimiques. En moyenne, les trois cinquièmes des répondants des pays non membres de l'OCDE sont d'accord avec l'énoncé, contre deux cinquièmes dans les pays membres de l'OCDE. Cette observation permet d'avancer que, pour les habitants des pays plus pauvres, les avantages potentiels de la biotechnologie prédominent sur les risques, tandis que le contraire est vrai pour les pays plus riches. Les pays de l'OCDE où l'on observe le taux le plus élevé d'approbation - le Canada, les États-Unis et le Mexique - sont en général ceux où se pratique déjà l'agriculture biogénétique.

Le soutien aux différentes applications de la biotechnologie

Dans leur deuxième question, les enquêteurs de Environics International (2000) ont demandé à leurs répondants s'ils appuieraient ou non l'utilisation de la biotechnologie afin de développer huit applications différentes (figure 11). On a ainsi pu observer que l'appui du public varie considérablement en fonction de l'application spécifique de la biotechnologie envisagée. Les applications portant sur la santé humaine ou la protection de l'environnement, par exemple, sont mieux acceptées que celles visant à augmenter la productivité agricole. La quasi-totalité des répondants (13 pour cent d'opposants) appuierait l'utilisation de la biotechnologie afin de mettre au point de nouveaux médicaments à usage humain. Plus de 70 pour cent se rallient à l'utilisation de la biotechnologie en vue de protéger ou de remettre en état l'environnement, par exemple pour mettre au point des cultures produisant des matières plastiques, des bactéries capables de nettoyer les dégâts environnementaux, ou des cultures nécessitant moins d'apport chimique. En outre, les répondants soutiennent en grande majorité (68 pour cent) la mise au point de cultures plus nutritives.

S'agissant des applications de la biotechnologie aux animaux, elles sont considérées d'un œil beaucoup moins favorable que les manipulations de végétaux ou de bactéries. Ainsi, plus de la moitié des répondants (55 pour cent) sont défavorables aux aliments génétiquement modifiés pour animaux, même lorsqu'ils permettent d'obtenir une viande plus saine. L'utilisation de la biotechnologie pour cloner des animaux destinés à la recherche médicale a essuyé un refus de la part de 54 pour cent des répondants, et 62 pour cent d'entre eux se sont opposés à la modification génétique des animaux en vue d'accroître la productivité. De tels résultats donnent à penser que les populations sont plus inquiètes face à la biotechnologie animale, peut-être parce qu'elle s'accompagne de questions plus complexes au plan éthique. Ainsi, les répondants semblent plus enclins à accepter les applications de la biotechnologie animale qui comportent des avantages tangibles, notamment pour la santé humaine, que lorsqu'il s'agit d'en tirer des avantages économiques, comme l'intensification de la productivité.

Les attentes personnelles à l'égard de la biotechnologie

Dans un ensemble de questions de suivi, Environics International (2000) s'est efforcé d'éclairer certaines des attitudes et préoccupations à l'origine du soutien ou de l'opposition du public à la biotechnologie. Dans 15 des pays étudiés, on a demandé aux répondants qui avaient indiqué avoir entendu parler de la biotechnologie s'ils étaient d'accord ou non avec l'énoncé suivant:

La biotechnologie profitera à des gens comme moi au cours des cinq prochaines années.

Près de 60 pour cent des répondants à cette question ont accepté l'idée que la biotechnologie leur serait bénéfique (figure 12). Les habitants des Amériques, d'Asie et d'Océanie se sont montrés beaucoup plus optimistes que les Européens quant aux avantages escomptés de la biotechnologie (précisons que ces questions n'ont été posées dans aucun pays d'Afrique). Les deux tiers des répondants des Amériques, d'Asie et d'Océanie étaient donc favorables, contre moins de la moitié de leurs homologues européens. On observe une démarcation analogue en fonction du niveau de revenu: à peine plus de la moitié des répondants appartenant aux pays membres de l'OCDE se disaient convaincus que la biotechnologie leur serait bénéfique, alors que près des trois quarts des personnes provenant de pays non membres de l'OCDE acceptaient cet énoncé. En outre, dans les pays où les répondants n'escomptaient guère d'avantages de la biotechnologie, les personnes prêtes à convenir que les avantages des cultures génétiquement modifiées l'emportaient sur les risques étaient souvent moins nombreuses. Cette observation correspond au niveau plus élevé d'acceptation de la biotechnologie dans les Amériques, en Asie et en Océanie (figure 10). On peut en déduire que les personnes convaincues de tirer personnellement parti de la biotechnologie sont plus enclines à en appuyer l'utilisation.

Les préoccupations d'ordre moral et éthique

Dans le cadre d'une deuxième question de suivi, les répondants se sont vus demander s'ils étaient d'accord ou non avec l'énoncé suivant:

La modification de gènes des espèces végétales ou animale est répréhensible aux plans éthique et moral.

Plus de 60 pour cent des répondants se sont dits d'accord avec cet énoncé, et on a obtenu des réponses plus homogènes que pour les autres questions dans l'ensemble des pays étudiés (figure 13). Plus de la moitié des personnes consultées, dans tous les pays à l'exception de la Chine, sont convenues que les modifications génétiques apportées aux plantes ou aux animaux étaient moralement et éthiquement répréhensibles. Un tel résultat semble contredire le niveau d'acceptation généralement élevé de la biotechnologie végétale illustré aux figures 10 et 11, et pourrait refléter le fait que l'énoncé englobait les modifications génétiques apportées aux animaux comme aux végétaux. En effet, comme l'indique la figure 11, les répondants sont moins enclins à accepter une quelconque forme de biotechnologie applicable aux animaux.

Les répondants appelés à porter un jugement éthique et moral sur la modification génétique se sont trouvés divisés en fonction des régions et de leur situation socioéconomique; les Européens étaient plus enclins à considérer la modification génétique comme répréhensible au plan éthico-moral que leurs homologues des Amériques, d'Asie et d'Océanie. Par ailleurs, les résidents des pays de l'OCDE étaient plus portés que leurs homologues de pays non membres de l'OCDE à manifester des réserves d'ordre éthique ou moral. Bien que les lignes de division régionales et socioéconomiques soient moins marquées que pour les autres énoncés, la tendance générale est analogue. Ainsi, les pays dont les répondants considèrent la modification génétique comme répréhensible sont moins enclins à convenir que les avantages de la biotechnologie l'emportent sur les risques, ou à déclarer que la technologie leur sera bénéfique ou utile.

Les applications tournées vers les consommateurs

Dans le cadre d'une deuxième étude, Environics International (2001) a analysé la question de savoir si les produits plus utiles aux consommateurs susciteraient un taux d'acceptation plus élevé. Ils ont donc demandé à 10 000 consommateurs situés dans 10 pays s'ils achèteraient des aliments contenant des ingrédients génétiquement modifiés dans l'hypothèse où ils devaient s'avérer plus nutritifs (figure 14). Les répondants avaient le choix entre continuer d'acheter le produit ou en interrompre l'achat s'ils apprenaient que le produit était génétiquement modifié à cet effet.

Près de 60 pour cent de l'échantillonnage complet des répondants ont indiqué qu'ils achèteraient les aliments rendus plus nutritifs, les consommateurs européens se montrant moins attirés que ceux des autres régions. Toutefois, il semble que, dans ce cas, les différences géographiques soient moins nettes que pour les autres questions. En outre, le niveau de revenu présente une corrélation plus marquée avec la propension à acheter des aliments renforcés au plan nutritionnel. Ajoutons que plus de 75 pour cent des consommateurs chinois et indiens, et 66 pour cent de leurs homologues brésiliens se sont déclarés prêts à acheter des aliments génétiquement modifiés renforcés au plan nutritionnel. À peine plus de la moitié des consommateurs des pays de l'OCDE se sont dits prêts à acheter ces aliments, tandis qu'une majorité de consommateurs australiens, allemands et britanniques répondaient par la négative. De tels résultats donnent à penser que, même si les nouvelles cultures offrant des avantages démontrables pour les consommateurs seraient bien accueillies dans de nombreux pays, elles ne surmonteraient pas l'opposition des consommateurs à l'échelle universelle.

Étiquetage des aliments et biotechnologie

L'absence de consensus au niveau du corps social et du monde scientifique à l'égard de la biotechnologie agricole moderne a conduit certains à proposer, afin de trouver un compromis qui permette de progresser, l'étiquetage des produits de cette technologie.

Les tenants de l'étiquetage soutiennent que, munis des informations mentionnées sur les emballages, les consommateurs seraient en mesure, en achetant ou non certains produits, d'accepter ou de rejeter l'application du génie génétique. Pour leurs détracteurs, en revanche, de tels étiquetages ne feraient que prévenir les consommateurs contre des aliments ayant été déclarés propres à la consommation par les autorités réglementaires nationales. On voit donc que, même si l'étiquetage fait figure de solution simple, il n'a pas manqué de susciter des débats complexes à l'échelon national mais aussi de portée internationale (Chapitre 5).

L'opposition produit/processus

Il est généralement entendu que les produits génétiquement modifiés peuvent être étiquetés lorsqu'ils diffèrent de leurs homologues conventionnels aux plans nutritionnel et organoleptique (goût, apparence, texture) et sous l'angle des propriétés fonctionnelles. L'on s'entend également sur le fait que les aliments qui risquent de causer des réactions allergiques par suite de modifications génétiques doivent, avant toute commercialisation, porter une mention d'avertissement (FAO/OMS, 2001, section 4.2.2). Dans ce genre de cas, l'accent est mis sur le produit final, et l'étiquetage a pour objet d'éviter l'erreur sur la marque tout en avertissant le consommateur des risques éventuels; on rejoint ainsi les raisons traditionnelles de l'étiquetage. Il convient toutefois de noter que les textes du Codex sur l'évaluation de la sécurité sanitaire des aliments OGM découragent le transfert de gènes codés comme allergènes (FAO/OMS, 2003e); c'est pourquoi il est peu probable que de tels produits soient acceptés par les autorités réglementaires nationales.

On a également suggéré d'étiqueter un produit lorsqu'il a été fabriqué au moyen de processus biotechnologiques. Le débat se poursuit sur les critères permettant de déterminer si un produit devrait être étiqueté en l'absence de différences discernables avec le produit conventionnel, ou de traces détectables d'ADN, etc. (FAO/OMS, 2003b).

L'étiquetage basé sur le processus répond souvent à des objectifs d'ordre social, tels qu'offrir aux consommateurs la possibilité de choix, ou encore protéger l'environnement. L'étiquetage contenant des informations relatives au processus est une démarche relativement récente, qui reste controversée.

L'opposition droit de savoir/besoin de savoir

Les partisans de l'étiquetage des aliments produits par génie génétique partent du principe que les citoyens ont le droit d'être informés des processus utilisés pour produire un aliment. Il est difficile de contrebattre un tel argument. Cependant, les adversaires de l'étiquetage soutiennent que les informations qui ne sont pas essentielles à la protection de la santé et à la prévention des fraudes sont une source de confusion préjudiciable pour le consommateur.

Bien que les réactions des consommateurs à l'étiquetage des aliments produits par génie génétique demeurent mal connues, les représentants de l'industrie alimentaire craignent que l'étiquetage n'incite les consommateurs à conclure que ces produits sont inférieurs à leurs homologues conventionnels.

Les recherches dans ce domaine indiquent que les consommateurs sont influencés, dans leurs décisions d'achat, par différentes sources d'informations (Frewer et Shepherd, 1994; Einsiedel,1998; Knoppers et Mathios, 1998; Pew Initiative, 2002b; Tegene et al., 2003); ainsi, l'influence exercée par l'étiquetage alimentaire dépend des autres messages reçus par le public. Or, le type d'informations diffusées à propos de la biotechnologie varie d'un pays à l'autre, et la façon dont elles sont perçues diffère selon les segments de la population: il est donc difficile de se livrer à des généralisations à propos de l'impact de l'étiquetage.

L'opposition étiquetage obligatoire/étiquetage volontaire

Un certain nombre de pays ont envisagé de prescrire aux fabricants d'indiquer qu'un aliment donné est issu de la biotechnologie. Certains gouvernements ont promulgué des lois rendant l'étiquetage obligatoire (Union européenne, Australie, Chine, Japon, Mexique, Nouvelle-Zélande et Fédération de Russie).

D'autres pays rejettent cette approche (l'Argentine, le Brésil, le Canada, l'Afrique du Sud et les Etats-Unis). Certains d'entre eux envisagent cependant d'opter pour l'étiquetage volontaire de la part des fabricants désireux d'informer les consommateurs.

Étiquetage négatif - ce produit ne contient pas d'ingrédients issus du génie génétique

Certains sont d'avis que les étiquettes déclarant qu'un aliment ne contient pas d'ingrédients issus de la biotechnologie («étiquetage négatif») donneraient aux consommateurs la possibilité d'éviter les aliments génétiquement modifiés, avec pour effet d'encourager le développement de marchés spécialisés, notamment celui de l'agriculture biologique.

Les adversaires de cette approche considèrent que de telles étiquettes induiraient les consommateurs en erreur, les poussant à conclure que les aliments issus de la biogénétique sont inférieurs. D'autres soutiennent qu'exiger d'un producteur qu'il démontre l'absence de modifications génétiques représente un fardeau injuste pour les petites entreprises.

Les considérations d'ordre technique, économique et politique

Pour être efficace, il faut que les politiques en matière d'étiquetage soient sous-tendues par des normes, des tests, des processus de certification et des services garantissant leur application (Golan, Kuchler et Mitchell, 2000). L'étiquetage présente un certain nombre de difficultés, dont plusieurs restent à résoudre. Il faut, entre autres, établir les définitions et la terminologie les plus appropriées à l'étiquetage, mettre au point des techniques et des dispositifs scientifiques permettant de retracer la présence d'ingrédients génétiquement modifiés dans les aliments et appliquer les règlements pertinents à l'appui de la politique d'étiquetage.

Toutes les options qui s'offrent en matière d'étiquetage entraînent des coûts initiaux qui doivent être supportés par les fabricants d'aliments et par les pouvoirs publics, et pourraient se répercuter sous forme d'augmentation des prix et des impôts pour la population. Les tenants de la théorie éthique soutiennent qu'il ne serait pas justifié d'imposer ces coûts à tous les consommateurs, étant donné qu'une partie d'entre eux est défavorable à la biotechnologie (Thompson, 1997; Nuffield Council on Bioethics, 1999). D'autres soutiennent, à l'opposé, que l'étiquetage est justifié si une proportion importante de la population souhaite disposer de l'information. Rappelons que certains consommateurs pourraient se trouver entravés, dans leur liberté de choix, par la faiblesse de leurs revenus ou par l'absence d'autres options, et que certains pourraient être incapables de déchiffrer les étiquettes. C'est pourquoi l'étiquetage, en tant que tel, risque de ne pas refléter pleinement les préférences des consommateurs.

L'étiquetage soulève par ailleurs la question de l'iniquité des conditions concurrentielles entre fabricants de produits alimentaires. Outre l'impact économique à l'intérieur des pays, l'étiquetage pourrait avoir des répercussions sur le commerce international. C'est pourquoi les exportateurs de produits alimentaires issus de la biogénétique se sont opposés aux politiques d'étiquetage obligatoire des pays importateurs, au motif qu'ils constituent une barrière injustifiée au commerce.

Le Codex et la recherche d'une solution

Ces questions font, depuis des années, l'objet de délibérations au sein du Comité du Codex sur l'étiquetage des denrées alimentaires de la Commission du Codex Alimentarius. Lors de la réunion tenue par le Comité en mai 2003, un groupe de travail a été constitué afin de se pencher sur elles.

Conclusions

Le sentiment public à l'égard de la biotechnologie, et en particulier à l'égard du génie génétique, est à la fois complexe et nuancé. On ne dispose à ce jour sur le sujet que d'un fonds relativement limité de recherches d'envergure internationale se prêtant aux comparaisons; toutefois, les résultats dont on dispose révèlent des différences marquées entre les régions et au sein même de ces dernières. En règle générale, les habitants de pays moins favorisés sont plus enclins à convenir que les avantages de la biotechnologie agricole l'emportent sur les risques, qu'elle leur sera donc profitable et qu'elle est moralement acceptable. Les habitants des continents américain et asiatique sont beaucoup plus optimistes, quant à l'avenir de la biotechnologie, que les Africains et les Européens. Il s'agit là de grandes lignes qui souffrent bien des exceptions, et, à l'évidence, les attitudes à l'égard de la biotechnologie sont influencées par de nombreux facteurs.

Rares sont les répondants qui expriment à l'égard de la biotechnologie soit un soutien sans réserve, soit un rejet total. La plupart des personnes interrogées cherchent à établir des distinctions nuancées entre les techniques et les applications, en s'appuyant sur un ensemble complexe de considérations. Ces dernières comprennent notamment la perception de l'utilité de l'innovation, son potentiel nocif ou bienfaisant pour les êtres humains, les animaux et l'environnement, ainsi que son acceptabilité aux plans moral et éthique. Partout dans le monde, les populations acceptent plus volontiers les applications médicales que les applications agricoles, et tolèrent mieux ces dernières lorsqu'elles concernent les végétaux plutôt que les animaux. Les répondants sont mieux disposés à l'égard des innovations porteuses d'avantages tangibles pour les consommateurs ou l'environnement, relativement à celles qui visent à améliorer la productivité agricole. Ces distinctions subtiles donnent à penser que les attitudes du public à l'égard de la biotechnologie agricole évolueront à mesure que seront mises au point de nouvelles applications et que l'on obtiendra davantage d'informations fiables sur l'impact socioéconomique et environnemental et sur la sécurité sanitaire des aliments. Il convient en outre de recueillir davantage de données comparables à l'échelle internationale afin de cerner l'ensemble multidimensionnel de facteurs qui influencent l'opinion et de comprendre la manière dont elle évolue.

Le recours à l'étiquetage est envisagé comme moyen de rallier les différents points de vue sur la biotechnologie, et plus particulièrement sur le génie génétique. En dépit de sa simplicité apparente, cette solution masque un débat complexe centré sur les avantages et sur la faisabilité de l'étiquetage. Ce qui est en cause, c'est la justification fondamentale de l'étiquetage des aliments, avec des conséquences pour l'équité dans la distribution, les droits des consommateurs et le commerce international. Certains affirment que les gens ont le droit de savoir si un produit a été fabriqué au moyen du génie génétique, même lorsqu'il ne présente aucune différence perceptible avec son homologue conventionnel. D'autres soutiennent en revanche que ces étiquettes induiraient en erreur les consommateurs, en faisant percevoir une différence là où il n'y en a pas. À cela s'ajoutent les désaccords à propos de l'application technique d'une prescription d'étiquetage, et à propos de qui doit en supporter le coût. Il n'existe pas, aujourd'hui, de consensus à l'échelle internationale sur ce point. Cependant, la Commission du Codex Alimentarius poursuit son travail d'élaboration de lignes directrices communes en matière d'étiquetage des aliments.

9 En novembre 2003, Environics International a pris l'appellation de GlobeScan Inc.


Page précédenteDébut de pagePage suivante