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L’aménagement forestier et la bataille des paradigmes

M.L. Wilkie

Mette Løyche Wilkie est forestier (Aménagement forestier), FAO, Rome.

Qu’est-ce qui différencie l’«aménagement forestier durable» de l’«approche écosystémique» et en quoi la question concerne-t-elle les responsables de l’aménagement des forêts?

«Aménagement forestier durable», «aménagement forestier écologiquement durable», «aménagement de l’écosystème forestier», «approche écosystémique» de l’aménagement forestier et «aménagement forestier systémique» sont parmi les nombreux termes qui ont été utilisés pour décrire les concepts et les pratiques actuels d’aménagement forestier, au dernier Congrès forestier mondial, le douzième du genre.

Tous les concepts ci-dessus incorporent les trois dimensions fondamentales du développement durable, à savoir la durabilité économique, environnementale et socioculturelle – chacun mettant plus ou moins d’emphase sur l’un ou l’autre de ces aspects. L’utilisation de termes différents peut être une source de confusion et la distinction entre ces termes peut parfois sembler floue, en particulier pour les responsables de l’aménagement forestier qui doivent les mettre en pratique.

Toutefois, le débat sur la terminologie, les définitions et l’évolution future des concepts se poursuit. Récemment, les discussions qui ont caractérisé le dialogue international sur les forêts ont porté sur le degré de similitude entre les concepts de l’aménagement forestier durable, tels qu’ils ont été définis dans les Principes forestiers adoptés à la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED), et l’approche écosystémique, définie par la Convention sur la diversité biologique (CDB) et appliquée aux forêts, et sur le moyen d’intégrer leurs éventuelles différences1.

La Sixième Conférence des parties de la CDB (COP-6) a invité son secrétariat à convoquer une réunion d’experts pour comparer l’approche écosystémique avec l’aménagement forestier durable, et à mettre au point des propositions en vue de leur intégration. La troisième réunion du Forum des Nations Unies sur les forêts (FNUF-3 mai 2003) a également invité les membres du FNUF et le Partenariat de collaboration sur les forêts (PCF), qui fournit un appui au FNUF, à faire connaître leurs points de vue en vue de clarifier les concepts de l’approche écosystémique et de l’aménagement forestier durable, pour les soumettre à l’examen du FNUF, à sa quatrième session, en mai 2004.

Pourquoi le débat se poursuit-il et en quoi est-il important pour les responsables de l’aménagement des forêts?

Premièrement, ce besoin de «clarification» peut venir d’une mauvaise capacité de communication. Il semble que les forestiers ne soient pas encore parvenus à convaincre les écologistes et le grand public que l’aménagement forestier durable est autre chose qu’un énième terme pour désigner l’abattage des arbres. Les forestiers voient souvent les écologistes comme des idéalistes qui font abstraction du contexte socioéconomique dans lequel se déroulent les activités de conservation et d’aménagement des forêts.

Deuxièmement, il semble y avoir un défaut de coordination et de communication (voire une rivalité) entre les institutions nationales et internationales qui sont chargées des questions forestières et celles qui sont responsables de l’environnement au sens plus large.

La discussion peut avoir des conséquences aussi bien pour les responsables de l’aménagement des forêts que pour la planification, le suivi, l’évaluation et l’établissement de rapports au niveau national. Quelle approche devraient adopter les responsables de l’aménagement des forêts? Les pays peuvent-ils utiliser les mêmes critères et indicateurs pour suivre les progrès accomplis sur la voie de l’aménagement forestier durable et en rendre compte, et pour suivre l’avancement de l’application de l’approche écosystémique des forêts et établir les rapports à ce sujet?

Quelles sont les différences, si tant est qu’il y en ait, entre l’aménagement forestier durable et l’approche écosystémique?

Une comparaison des principes qui sous-tendent l’aménagement forestier durable et l’approche écosystémique ne révèle guère de différences si ce n’est que l’aménagement forestier durable couvre en gros un seul type d’écosystème, à savoir les forêts, alors que l’approche écosystémique traite une gamme d’écosystèmes.

• L’aménagement, la conservation et l’utilisation durable des ressources naturelles renouvelables sont les objectifs déclarés des deux concepts. L’objectif directeur des Principes forestiers qui sous-tendent le concept de l’aménagement forestier durable est de «contribuer à la gestion, à la conservation et à l’exploitation écologiquement viable des forêts, et de prévoir les multiples fonctions et usages complémentaires de celles-ci», alors que la cinquième Conférence des Parties de la Convention sur la diversité biologique (COP-5) a défini l’approche écosystémique comme «une stratégie de gestion intégrée des terres, des eaux et des ressources vivantes, qui favorise la conservation et l’utilisation durable d’une manière équitable».

• Les deux concepts sont guidés par une série de principes qui, quoique similaires, diffèrent légèrement par leur portée. Les principes de l’approche écosystémique donnent par exemple moins d’importance au cadre porteur et aux conditions préalables aux niveaux national et international que les Principes forestiers. Certains aspects pris en considération dans les Principes forestiers (commerce des produits forestiers, protection des forêts) sont, comme il se doit, spécifiques aux forêts et ne concernent que de loin d’autres écosystèmes et secteurs.

• Les principes et les concepts communs à l’aménagement forestier durable et à l’approche écosystémique sont: la souveraineté nationale sur les ressources; l’obligation de vigilance (devoir de prendre soin de l’environnement et de prévenir les effets adverses sur l’environnement, même transnationaux); le principe pollueur-payeur; la participation, l’équité intergénérationnelle, la conservation de la structure et de la dynamique de l’écosystème; l’utilisation multiple et durable des ressources; la nécessité de réaliser des études d’impact sur l’environnement; et le partage équitable des avantages.

• Les rares différences conceptuelles entre les deux séries de principes viennent du fait que les postulats de base ne sont pas les mêmes (forêts de production et aménagement forestier2, contre écologie de conservation3), mais elles sont minimes quels que soient les objectifs pratiques. Les différences en termes d’application sur le terrain, tendent à être estompées par les divergences d’interprétation et les variations des circonstances locales et des capacités de mise en œuvre.

• Le perfectionnement du concept d’aménagement forestier durable, après la CNUED, a principalement été axé sur ce qui doit précisément être réalisé et sur la manière dont ce résultat peut être mesuré, suivi et démontré (c’est-à-dire au moyen de critères et indicateurs), alors que pour l’approche écosystémique, qui est plus récente, les améliorations sont encore principalement centrées sur l’aspect conceptuel, c’est-à-dire sur le contenu et la globalité des principes.

La Réunion d’experts de la CDB sur l’approche écosystémique, tenue en juillet 2003, a examiné les concepts de l’aménagement forestier durable et de l’approche écosystémique, est parvenue aux conclusions suivantes.

• L’aménagement forestier durable peut être considéré comme un moyen d’appliquer l’approche écosystémique aux forêts. En outre, les outils mis au point pour l’aménagement forestier durable peuvent être utilisés pour faciliter la mise en œuvre de l’approche écosystémique. Ces outils sont entre autres les critères et indicateurs, les programmes forestiers nationaux, les «forêts modèles» et les systèmes de certification. Ceux qui mettent en œuvre les deux approches ont beaucoup à apprendre les uns des autres.

• Pour faciliter l’intégration des deux concepts, il faut que l’approche systémique adopte des processus fondés sur des visions, des objectifs et des buts clairement énoncés pour des régions ou des questions déterminées, et qu’elle devienne par là même plus orientée vers les résultats. Dans l’aménagement forestier durable, une place plus grande doit être accordée à l’amélioration de l’intégration intersectorielle et à la collaboration intersectorielle; aux interactions entre les forêts et les autres biomes ou types d’habitats dans un paysage; et à la conservation de la diversité biologique.

Les délégués présents à la neuvième session de l’Organe subsidiaire de la Convention chargé de fournir des avis scientifiques, techniques et technologiques, qui a récemment eu lieu, ont approuvé ces conclusions.

Quelles sont les conséquences pour l’aménagement forestier?

Aucune étude complète et détaillée n’a encore été entreprise pour comparer les résultats de l’application des deux approches dans une zone de forêt déterminée. Toutefois, les différences conceptuelles étant limitées, les résultats ne devraient guère varier de façon significative.

Cela ne signifie pas pour autant que les responsables de l’aménagement des forêts ne doivent rien changer à leur approche. Quel que soit le «paradigme d’aménagement forestier», il ne faut pas oublier que l’écosystème forestier est dynamique et qu’il existe dans un contexte socioculturel et économique en mutation constante, où les connaissances sont dans le meilleur des cas imparfaites et où les besoins, les valeurs et les perceptions des populations évoluent avec le temps. Il faut préparer les responsables de l’aménagement forestier à s’adapter aux circonstances qui changent et aux nouvelles connaissances, en incorporant un «processus d’apprentissage actif» dans les activités de routine, tout en s’efforçant d’améliorer constamment les connaissances, les pratiques et les approches.

De fait, le renforcement de la collaboration entre les secteurs, recommandé par la CDB, permettrait d’améliorer non seulement les pratiques d’aménagement, mais aussi la communication entre les différentes parties prenantes.

Le titre in extenso des Principes forestiers est Déclaration de principes, non juridiquement contraignante mais faisant autorité, pour un consensus mondial sur la gestion, la conservation et l’exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts. Le texte est disponible sur Internet à l’adresse: www.un.org/documents/ga/conf151/aconf15126-3annex3.htm Les principes de l’approche par écosystème sont formulés dans la Décision V/6 de la COP-5 de la CDB disponible sur Internet à l’adresse: www.biodiv.org/decisions/default.asp?lg=0&m= cop-05&d=06
2   Principe 2b des Principes forestiers: «Les ressources et les terres forestières doivent être gérées d’une façon écologiquement viable afin de répondre aux besoins sociaux, économiques, écologiques, culturels et spirituels des générations actuelles et futures.»
3   Principe 5 de l’approche par écosystème: «Conserver la structure et la dynamique de l’écosystème, pour préserver les services qu’il assure, devrait être un objectif prioritaire de l’approche systémique.»


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